Les origines « marines » du renouveau maçonnique au

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Les origines « marines »
Département des Forêts
du
renouveau
maçonnique
au
Paul Rousseau *
En 1789, les Francs-Maçons français, menés par leur idéal, se battent et du côté des
révolutionnaires et du côté des tenants de l’Ancien Régime. Les Temples sont abandonnés, les
outils éparpillés. Après les tourmentes, le Vénérable Maître Roëttier de Montaleau essaye de
réunir ce qui a été épars. Qu’en est-il du réveil de la Franc-Maçonnerie au ci-devant Duché de
Luxembourg ? Relisons une partie de la planche présentée par le Frère Charles Munchen lors
de la Fête anniversaire du Prince Frédéric des Pays-Bas, Protecteur de le la franc-maçonnerie
luxembourgeoise, le 8 février 1864. L’Orateur en titre se base entre autre sur les faits
rapportés oralement et par écrit par le Frère Pierre Leistenschneider, « que quelques-uns
d’entre-nous ont encore connu jusqu’en 1835 et 1836 ». Pierre Leistenschneider naît le 07
décembre1745 à Sarrelouis (Allemagne) et mourra le 24 avril1837 à Luxembourg. Greffier en
chef de la mairie de Luxembourg, il s’unit en premières noces le 17 janvier1774 à Pétronille
Kleber, fille de notaire et parente du futur général Jean-Baptiste Kleber (Strasbourg, 1753 - Le
Caire, 1800), sous-lieutenant au régiment autrichien Wurtemberg en garnison à Luxembourg
vers 1780.
« A peine la Terreur eut-elle cessé de sévir, renversée par le 18 brumaire, que la France vit
apparaître de nouveau les Loges qui se constituèrent ou plutôt qui réapparurent, car elles
n’avaient pas cessé d’exister, surtout dans l’armée, où elles étaient nombreuses. Presque
chaque régiment, qu’en 1801 on appelait demi-brigade, avait une Loge militaire ; la 41e
demi-brigade de l’armée française avait une Loge qui était attachée à ses drapeaux, appelée
la Concorde. Presque tous les officiers étaient initiés. La France était en guerre avec
l’Angleterre. Trop faible pour entrer en lice sur la terre ferme, impuissante à résister à l’élan
des soldats de la République, dont l’horreur que leur inspirait la Terreur n’avait pas affaibli
le patriotisme, l’ennemi de la France regagnait sur les mers une supériorité contre laquelle le
courage luttait en vain.
La 41e demi-brigade fut embarquée sur un vaisseau lourd et mal armé, qui devait la
transporter de Boulogne à je ne sais quel autre point de la côte. Des vents contraires, une
mauvaise manœuvre, l’inexpérience des marins chargés de diriger le navire ; bref, un motif
quelconque jeta le navire français presque dépourvu d’artillerie, loin de la côte, en face d’un
vaisseau anglais, fin voilier, bien armé et bien monté, mais de force bien inférieure. Le navire
ennemi, avec une artillerie bien supérieure, n’hésita pas à attaquer et chaque bordée faisait
de terribles ravages dans les rangs des Français, impuissants à se défendre. Le navire
anglais, sûr de la victoire à distance, évitait l’abordage. La perte de la 41e demi-brigade était
certaine, sans combat possible c’était un massacre et la noyade. L’état-major français
apprécia la position, et sans mettre dans la résistance un courage inutile qui causait la ruine
d’un régiment entier, fit baisser pavillon. L’honneur anglais trouva qu’il pouvait être
conforme au droit des gens de continuer la boucherie, et les canons n’interrompirent pas leur
horrible action. On voyait du navire français les officiers anglais suivant avec un flegme
imperturbable, la lorgnette à la main, l’œuvre de destruction.
Une idée subite illumina les Maçons de la Concorde : tous se présentèrent sur l’avant
du navire, se plaçant sous le feu et à découvert, faisant le signe de secours et jetant le cri de
détresse. L’effet que l’honneur militaire, l’esprit humain n’avaient pu produire, la Maçonn∴
réussit à l’obtenir. Parmi les officiers anglais se trouvaient des Maçons. Le feu fut suspendu,
des canots échangèrent les conditions de la reddition, mais comme le vaisseau français ne
pouvait plus, à cause de ses avaries, faire le trajet jusqu’en Angleterre, comme prise de
guerre, et que la sécurité du vaisseau anglais ne permettait pas de transporter à son bord
quinze cent ennemis bien armés , - les troupes françaises reçurent la permission de se diriger
vers les côtes rapprochées de la France, après avoir prêté serment que jamais, officiers et
soldats, ne porteraient plus les armes contre l’Angleterre. Après un voyage de plusieurs
heures, le navire arrivait en vue des côtes de France, où il vint s’échouer presque sans voiles,
sans gouvernail, et les flancs entr’ouverts. Les hommes furent sauvés. Le Premier Consul
n’accepta pas la démission offerte par les officiers. La 41e demi-brigade fut envoyée à la
frontière ; elle vint à Luxembourg en 1802.
Elle avait fait le vœu de gagner, partout où elle porterait ses drapeaux, des prosélytes
à un Ordre auquel tant d’hommes devaient la vie et la France la conservation de tant de
braves soldats ; la 41e demi-brigade ne s’arrêta que six mois environs à Luxembourg, mais
elle initia beaucoup de Luxembourgeois, affilia le Fr∴ Leistenschneider, vénérable reste de
la Parfaite Union, et, avant de quitter les murs de notre ville pour se diriger vers le Rhin, y
fonda un nouvel atelier. La [Loge]-mère s’appelait la Concorde, le nouvel Atelier prit le nom
d’Enfant-de-la-Concorde-Fortifiée. Cet atelier reçut ses lettres du Gr ∴-Orient de France en
1803. Depuis cette époque, il a continué ses travaux sans interruption jusqu’à ce jour. » 1
La présente planche est présentée en présence des Frères prussiens de la respectable Loge
Blücher von Wahlstadt2 qui tiennent garnison dans la forteresse fédérale de la Confédération
germanique.3 Elle est un message politique, à peine voilé, du Grand-Duché de Luxembourg,
aux Hollandais, afin de clamer haut et fort son indépendance, acquise virtuellement en 1839,
mais de fait toujours enchaînée aux Pays-Bas par le biais de Guillaume Ier ; aux Belges, dont
le jeune pays forme une barrière militaire en cas de descente armée hollandaise, mais qui
détiennent les clés économiques du territoire qu’ils ont faillit gober ; face à la Prusse, qui a
néanmoins ouvert la porte au vaste marché d’Allemagne, mais qui occupe avec rigueur
militaire la capitale. En 1864, quoi de mieux donc que de clamer être sous le giron de la
France et chanter haut et fort cocorico en luxembourgeois, comme pour aboyer contre tout
intrus : « Mir wölle bleiwen wat mer sin ! ». (Nous voulons rester ce que nous sommes !). Sur
le plan maçonnique, cette planche déclame l’amour fraternel pour le Grand Orient de France
qui, au début du 19e siècle, a insufflé une nouvelle vie à la Franc-maçonnerie au Luxembourg.
La réalité sous le mythe :
Si les historiographes de la franc-maçonnerie luxembourgeoise ont jusqu`à maintenant pris le
récit du Frère Leistenschneider pour monnaie sonnante, il s’agit en fait d’un mythe. Selon
Paul Marie Couteaux4, « (…) un mythe n’est pas une légende, encore moins une fable, mais la
rencontre d’une réalité et d’un sens. » Plus haut, nous avons présenté le sens politique que ce
1
. Bulletin de l’Ordre Maçonnique dans le Grand-Duché de Luxembourg ; 3e année, décembre 1864, n° 3,
Imprimerie du Frère Jullien ; pages 35-53.
2
En 1815, le démantèlement du premier Empire voit l’ancien Département des Forêts tomber dans l’escarcelle
du roi des Pays-Bas, tandis que la forteresse de Luxembourg sert dorénavant de bouclier à l’Allemagne. A cette
époque, des officiers d’infanterie prussiens rejoignent comme membres effectifs ou comme Frères visiteurs la
loge autochtone des Enfans de la Concorde fortifiée. En 1820, ces officiers créent, sous les auspices de la
Grosse-National-Mutterloge zu den Drei Weltkugeln (Aux Trois Globes) de Berlin, la Loge Blücher von
Wahlstadt, de Rite Ecossais Rectifié. En 1867, le Luxembourg est déclaré pays neutre et la forteresse est
condamnée à être démantelée. La loge prussienne quitte Luxembourg avec les troupes prussiennes en septembre
1867.
3
Art. 67 du Traité de Vienne (09.06.1815)
4
« La République et les symboles » ; journal Le Monde, vendredi 26 juillet 1996, page 12
mythe représente pour les Luxembourgeois après 1815. Examinons à présent cette page
d’hagiographie maçonnique à son substrat réel.
Une première approche tendait à retrouver des Frères, de passage à Luxembourg au tout début
du 19e siècle, ayant mis les pieds sur un bateau. Il s’avère que plusieurs francs-maçons avaient
un passé marin … au 18e siècle.
Frère
Dreptin Antoine 5
Pichard Jean Joseph 7
Texier Arnaud 9
Lebarbenchon 11
Duportail Louis 13
bateau
Victoire 6
la Capricieuse
la Pomone 10
Loge (1803)
Orient
41 demi-brigade d’infanterie
de ligne
59e demi-brigade d’infanterie
de ligne
59e régiment d’infanterie de
ligne
e
8
Concorde
Parfaite
Union
le Tourville 12
60 Régiment royal Fraternité
de marine (1785)
e
La demi-brigade d’infanterie de ligne en question
Essayons donc de dérouler le fil de l’histoire à partir de la forteresse de Luxembourg et de
l’année 1803. L’ouvrage d’art, qualifié de « Gibraltar du Nord », est devenu depuis 1795 un
point anodin, décrépi14 en pleine France. Déclassé ouvrage de second ordre, il dépend de la
forteresse de Longwy. Les demi-brigades passent et ne s’arrêtent guère. Il en résulte une crise
économique pour les 8.000 habitants qui tiraient en grande partie leurs revenus de la garnison
forte de 4.000 hommes. Il faut un billet de Napoléon pour que la 41e et la 59e demi-brigade
laissent 500 hommes dans la dite place !
5
Dreptin Antoine Joseph: *13.07.1758 à Hirson (Aisne), +20.03.1806 à Weinsberg (Bavière) ; 1777 aux
Chevaux Légers d’Orléans, 1799 à la 41e demi-brigade ; élevé à la Maîtrise le 22.07.1802 à l’Or∴ de Gênes
(Ligurie), présent à Luxembourg en 1802.
6
[Service Historique de l’Armée de Terre, Fort de Vincennes, Paris] SHAT 2YB 263, page 14 Le 4 janvier
1780, le bateau participe au siège de Pensacola (Florida) lors de la Guerre hispano-américaine.
7
Pichard Jean Joseph : *01.03.1770 à Aubervilliers (Seine); 1786 au 51e régiment d’infanterie ; élevé à la
Maîtrise en 199 à Perpignan, 1er Surveillant en 1803 à Luxembourg
8
SHAT 2YB 263, page 13 Pichard séjourne sur la frégate du 12.09.1790 au 28.05.1791.
9
Texier de la Pommeraye, Arnaud : *03.09.1768 à Poitiers (Vienne) ; « embarqué en qualité de matelot
volontaire a participé à trois campagnes en mer de 1787 à 1789 » (SHAT 2YB 325, page 84), an IX chef de
bataillon de la 104e demi-brigade d’infanterie de ligne, passe au 59e comme major ; membre de la Vraie
Fraternité à l’Orient de la 104e , 1805 Vénérable Maître de la Parfaite Union à l’Orient du 59e régiment
d’infanterie de ligne ; auteur du livre. Relation et bombardement du siège de Valenciennes, en mai, juin et juillet
1793 ; Douai, 1839, Imp. De V. Adam
10
L’ancien capitaine de cette frégate, prise par les Anglais au Sud de l’Irlande en 1796, est le bordelais Pévrieu.
Il se retrouve chef de la 5e division de la Flottille lors de l’attaque du 16 août 1801 lancée par Nelson contre la
ligne d’embossage à l’entrée du port de Boulogne.
Amiral Maurice Dupont : Les flottilles côtières de Pierre le Grand à Napoléon (de la Baltique à la Manche) ;
Economica, 2000, Paris ; page 145
11
Lebarbenchon : *13.10.1766 à Saint-Lô (Manche) ; embarqué lors de l’expédition en Irlande ; page 8
12
SHAT 2YB 325
13
Duportail Louis Léonard: *1768 à Bordeaux (Gironde); an VII capitaine à la 59e demi-brigade d’infanterie de
ligne, membre de la Légion d’Honneur ; SPR+ (Tableau de 1804)
14
« … dégradations, qui se font tous les jours à la forteresse par l’enlèvement des fers, des palissades etc. ; étant
impossible qu’avec 150 ou 200 vétérans, qui sont ici l’on puisse garnir tous les postes pour prévenir ces vols et
d’autres plus conséquent encore qui ont eu lieu. »
Archives de la Ville de Luxembourg LU II a-2-AI ; pages 76-77, n° 144
Pierre Leistenschneider dit donc vrai, lorsqu’il cite comme loge-mère des Enfans de la
Concorde fortifiés la Concorde15 à l’Orient de la 41e demi-brigade d’infanterie de ligne. 16
Formée le 21 février 1796, la 41e demi-brigade de bataille se trouve en 1800 aux antipodes de
Boulogne, au siège de Gênes. Enfermés au fort de Diamant, 350 de ses hommes ne rendent
pas suite aux sommations de reddition du comte de Hohenzollern. Le siège levé, la 41e se met
en route vers le Nord. Elle arrive bien en juin 1802 en garnison à Luxembourg.17 16 officiers
trouvent le temps de demander au Grand Orient de France la reconnaissance officielle de leur
loge, créée le 29 avril 1799 à l’Orient de Perpignan et souchée sur celle des Amis de la
Parfaite Union, elle-même souchée sur celle de même nom à l’Orient du Régiment de
Vermandois Infanterie.
Pierre Leistenschneider dit vrai, lorsqu’il raconte que la Concorde l’ « affilia …, le seul
vénérable reste de la Parfaite Union. » 18
Mais Leistenschneider passe sous silence l’affiliation d’un deuxième Frère luxembourgeois :
le peintre Jean-Pierre Hoffmann. Né le 4 janvier 1758 à Luxembourg, il fut membre fondateur
de la loge La Cordialité à l’Orient de Saint-Dizier (Haute-Marne) en 1787.19
Le 16 avril 1803, Leistenschneider et Hoffmann sont présent à l’installation officielle de la
Concorde et signent l’Obligation en tant qu’officiers dignitaires.
La 41e demi-brigade quitte Luxembourg pour le Rhin en octobre 1803. Peu de temps après,
elle est dissoute et versée au 17e Régiment d’Infanterie de Ligne.
Le 41e Régiment n’a jamais mis les pieds sur un bateau !
Pierre Leistenschneider passe sous silence les autres acteurs de la naissance de la francmaçonnerie au Luxembourg, afin de laisser les auréoles à la 41e.
La deuxième demi-brigade présente en l’an XI à Luxembourg est la 65e, constituée en 1794.
La demi-brigade n’ayant de loge propre, les Frères se joignent à la Concorde, puis aux Enfans
…. De cette unité, nulle soldat n’a posé les pieds sur un bateau avant 1802. En février 1803, la
demi-brigade est au camp de Brest. Deux bataillons feront partie de l’expédition d’Irlande.
La troisième demi-brigade qui est présente lors de l’installation de la loge civile à l’Orient de
Luxembourg est la 59e. Formée le 17 mai 1794, elle est issue du ci-devant Régiment de
Bourgogne. Se distinguant sur un bon nombre de champs de bataille du Premier Empire, elle
garde depuis le 2 mai 1803 un pied dans la forteresse de Luxembourg par le biais de son 3e
bataillon. C’est à l’Orient de Luxembourg que se passent les travaux de la loge du régiment.
Considéré comme un ramassis de têtes fortes, mais les plus décorées, le 59e sera encore à
Luxembourg après la reddition de la forteresse en 1814. Les Frères de la Fraternité assisteront
aux tenues de la Loge Friedrich zur Vaterlandsliebe.20
Les baroudeurs du 59e Régiment n’ont jamais mis les pieds sur un bateau !
15
[Bibliothèque Nationale de France, Paris] BNF FM2 23
Commandant Bernard : Historique du 41e ; SHAT, Fort de Vincennes, Paris
17
Emplacement des troupes de la République française à l’époque du 1er messidor an XI. A Paris, de
l’imprimerie de la République
18
La Loge La Parfaite Union fut créée en 1770 à l’Orient de Luxembourg, capitale du duché du même nom.
Reconnue par la grande Loge provinciale des Pays-Bas autrichiens en 1776. Forte de 148 membres appartenant à
la petite noblesse, à la noblesse de robe, à la bourgeoisie et à l’armée, la Parfaite Union ne compta aucun marin
sur son Tableau. Elle se saborde après la déclaration du 15 mai 1786, explicitant l’Edit du 5 janvier1786 qu’il ne
peut y avoir qu’une seule loge par capitale de province dans ses Etats.
19
BNF FM2 395
20
La loge militaire Friedrich zur Vaterlandsliebe fut créée le 4 août 1812 à l’Orient de Mitau [< Jelgava,
Lettonie], en pleine campagne de Russie par des officiers prussiens.
16
La quatrième « fée » à se pencher sur le berceau des Enfans …est la 98edemi-brigade
d’infanterie de ligne.21 Cette dernière unité est créée en janvier 1799.22 A peine arrivée au
début de 1803 en garnison à Luxembourg, les Frères demandent le 27 avril l’affiliation à la
loge la Concorde.
Leur loge, La Parfaite Union, naît au moment où la 98e demi-brigade de ligne se
trouve à Schweinfurth (Bavière, Allemagne), « ville Impériale dans la franconie sur la rive
droite du mein [Main] a 18 lieues de Nuremberg »23. Le 1er mars 1801, ses membres se
réunissent pour une première tenue officielle sous les maillets des T∴ C∴ F∴ Jean François
Clere, Jean Louis André Viroux et Auguste François Charles Foucault. A l’ordre du jour
figure la demande en Constitution auprès du GODF. Sont élus à l’unanimité Vénérable Maître
le chef de Brigade Clere (à l’instar des colonels-propriétaires de régiment de l’Ancien
Régime), le chef de bataillon Viroux 1er Surveillant surveillant, le capitaine Foucault 2nd
Surveillant, le capitaine Jean Baptiste Guerrier Maître des Cérémonies et Tuileur. 24.La Loge
prend rang le 23 mai suivant sous le numéro d’enregistrement 3873. Le 14 juin de la même
année, la Loge fête le premier anniversaire de la bataille de Marengo (26 prairial an VIII).25 A
cette occasion, elle fait frapper médaille.26 Le Tableau du 11 novembre 1801 compte déjà 19
Frères, dont le quartier-maître trésorier, 11 des 17 capitaines, dont Alexis Mataigne et 3 des
17 lieutenants.
A Paris, le général Bonaparte rêve depuis un certain temps de renouveler l’exploit de Jules
César : envahir l’Angleterre. A cet effet, il met sur pied l’Armée gallo-batave27. Comme
point de départ, le choix tombe, comme à l’époque romaine, sur Boulogne. En ce qui
concerne les moyens de transport, Bonaparte suit les conseils prodigués par l’ingénieur
Forfait : « Plus de vaisseaux que pour la forme, ils ne servent à rien qu’à nos ennemis.
Couvrons la Manche de canonnières et vous la traverserez que vous voudrez pendant les mois
de juillet et d’août où règnent les calmes. »28 En tacticien prévoyant, l’amiral anglais
Horatio Nelson29 (∴) porte le 4 août 1801, une première attaque sur le port de Boulogne, afin
de prévenir toute descente des troupes française en Angleterre.30 Sous le commandement de
l’amiral Latouche-Tréville31 (∴), ayant sous ses ordres la Flottille de la Manche, les
chaloupes-canonnières et de bateaux-canonniers de la ligne d’embossage tiennent bon. Sous
le feu nourri des batteries côtières, la tentative d’enveloppement de la ligne française par la
21
Au sujet de la 98e, un grand merci à feu notre Frère Jean Bossu « des loges de Recherches de Neuilly, Londres,
New-York », habitant en son temps Epinal.
22
La 98e demi-brigade est composée d’hommes du ci-devant régiment Bouillon.
23
BNF FM2 27 f° 197r, indication ajoutée de main étrangère
24
BNF FM2 27 f°199r, v
25
Jean Palou : La Franc-Maçonnerie, Paris, 1964, coll. petite bibliothèque payot, n° 304, page 223
26
Cette pièce en cuivre rouge d’un diamètre de cinq centimètres est due au graveur B. Auguste. Elle porte côté
face, une couronne de lauriers courant autour de l’effigie de Bonaparte ayant au-dessus d’elle la
mention : « Bonaparte Premier Consul de la Rép. Françe » et en-dessous d’elle: « Bataille de Marengo 25 et 26
Prairial An 8 ». [14-15 juin 1801] Au revers se lit la phrase : « Le premier Consul commandant l’Armée en
personne : Enfans rappelez-vous que mon habitude est de coucher sur les champs de bataille. » Ces indications
ont été aimablement communiquées par Madame Marijo Anciaux de Luxembourg. La médaille figure au
Catalogue de la Collection de Monnaies et Médailles du Prince d’Essling, Paris, 1927.
27
SHAT 2YB 346 :98e de ligne, volume unique, an X – an XI.
28
Michèle Battesti : Napoléon et la « descente » en Angleterre. 1repartie : Les multiples projets de 1778 à 1803.
Napoléon.org http://www.napoleon.org/fr/TemplatePrint/article.asp?idPage=458031 - ancre3
29
Voir la rubrique : Nelson Horatio ; in : Dictionnaire des Marins Francs-Maçons (dir. Jean-Marc Van Hill) ;
Nantes, [2008], Aspoma ; page 215
30
Philippe Masson : Napoléon et l’Angleterre (1ère partie) : Napoléon contre la Marine anglaise (1797-1805) ;
http://www.napoleon.org/fr/cd/bib/articles/textes/sn400/sn400_napoleon_angleterre.html
31
Voir la rubrique : Louis-René Levassor ; in : Dictionnaire des Marins Francs-Maçons ; op. cit. page 164
flotte anglaise et ses bateaux-mortiers échoue.32 Du haut des falaises, l’un des aides de camp
du Premier Consul, Savary, futur duc de Rovigo, assiste au combat. Il cite le « courage
imperturbable de nos braves marins et de leurs frères d’armes ».33 Les soldats de la 98e demibrigade d’infanterie de ligne ont assisté à cette scène en tant que spectateurs. Le lendemain
vient leur tour à être embarqués sur des bateaux de la 8e division. Le 6 septembre 180134 a
lieu devant Etaples la scène, décrite ci-dessus, par le Frère Leistenschneider. Mention est
portée sur le rôle de la 98e que les soldats suivants : le sergent-major Jean Herrmann,35 le
sergent canonnier Jacques Beaudry,36 le capitaine canonnier Jean-Baptiste Richardeau,37
François Boin,38 Jean-Baptiste Guerrier (∴) et Alexis Mataigne (∴), se trouvent engagés
au combat naval. Voilà les deux auteurs qui lancent en plein carnage le signe de détresse
maçonnique.
Pour Nelson comme pour Bonaparte, les dieux de la guerre n’exaucent point leurs vœux :
détruire la flottille française pour le premier, envahir l’Angleterre et dégager l’Armée
d’Egypte pour le second. Alors, la politique reprend le pas sur l’art de la guerre. En
conséquence des préliminaires à Londres du Traité de Paix d’Amiens, la flottille est désarmée.
Le 7 brumaire an X (le 29 octobre 1801) les soldats du 98e régiment d’infanterie de ligne sont
« débarqués » à Boulogne.39 Surviennent les harcèlements de la flotte anglaise qui retardent
l’installation de la jeune Loge.
Leistenschneider dit vrai lorsqu’il mentionne un transport de troupes « de Boulogne à je
ne sais quel autre point de la côte». Leistenschneider dit donc faux en plaçant les faits
guerriers lors de cette translation de la demi-brigade. La demi-brigade entame effectivement
un tel voyage en bateau, peu de temps après son « débarquement », mais de Rouen au
Havre.40 Le bateau correspond sans doute à ce que Leistenschneider décrit comme « un
vaisseau lourd et mal armé ».Les 2e et 3e bataillons étant à terre, les Frères de la Parfaite
Union s’installent eux-mêmes à l’Orient du Havre le 11 novembre 1801. La tenue a lieu
« dans le local commun aux RR∴ LL∴ des Vrais amis et des Trois H », dont des
représentants se trouvent sur les colonnes.41
Leistenschneider enjolive son histoire en prêtant au Premier Consul le refus de la démission
des officiers de la 98e. De fait, ce dernier ordonne en décembre au 3e bataillon à embarquer à
32
Pour plus de détails, voir l’article présenté récemment par : Rémi Monaque (contre-amiral [2S] : LatoucheTréville, l’amiral de Napoléon ; Lettre périodique d’Histoire Maritime Cercle Thomas Dunckerley ; n° 13,
mars 2008
33
Amiral Maurice Dupont : op. cit. pages 142-143. Le « Dictionnaire des Colonels » fait lui mention de Charles
Joseph Louis Marie Savary, né le 30.06.1772 à Marcq (Ardennes), frère du Duc de Rovigo. Adjudant à l’Etatmajor de St ; Domingue, il devient chef de bataillon au 59e le 29 août 1803 à Luxembourg.
34
L’option pour la présente date, choisie entre plusieurs possibilités pour l’incident en question, fut prise en
1995 lors de la rédaction de notre mémoire de DEA : La présence maçonnique au Département des Forêts (18021814) ; Université de Franche-Comté, 1995-1996. La date (nuit du 15 au 16 août 1801), présentée par le contreamiral Rémi Monaque dans son article (voir la note 14), devrait être la plus probable, vu les fonds d’archives à la
disposition de ce dernier.
35
Jean Herrmann, * 30.7.1774 à Paris (Seine), entre en décembre 1793 comme chasseur à cheval au 13e
régiment ; 11 pluviôse an VII : sergent major au 98e.
36
Jacques Beaudry, *4.3.1752 à Marennes (Charente inférieure) ; 13.5.1792 : soldat au 2e bataillon de la
Charente inférieure au 109e régiment ; 21 pluviôse an VII : remis en activité au 98e en sa qualité de sergent
canonnier.
37
Jean-Baptiste Richardeau, * 24.8.1760 à La Ferté (Loiret) ; 1.5.1973 : canonnier au 4e bataillon du Loiret ; 8
frimaire an VII : capitaine au 98e régiment, passe en cette qualité au 92e.
38
François Boin, *8.9.1761 à Lignières Souconcourt (Saône) [ ? canton de Neufchâtel, Suisse] ; entre le 8 avril
1781 au 45e régiment ; se trouve au 9 thermidor an VII au 98e.
39
SHAT 2YB 346 : 98e de ligne (an X – an XI)
40
Emplacement des troupes de la République française à l’époque de la République française au 1er nivôse an
X ; op. cit.
41
BNF FM2 27 f° 209
Brest Saint-Domingue42 Le corps expéditionnaire, sous la conduite du général Leclerc, a pour
mission de reconquérir l’ancienne colonie. Les 1er et 2e bataillons de la 98e prennent
brièvement garnison à Luxembourg en mars 1803. Dans la « Gibraltar du Nord », déchue à
une morne place de garnison, il n’y a guère de réjouissances si ce ne sont les fêtes de la
République. En juillet 1803, le maire, voulant donner à la nouvelle de l’ « heureuse conquête
de Hanovre43 toute la pompe qu’elle exigera », demande au général d’armes de la place
Vimeux « une force armée et la musique de la 98e demi-brigade pour précéder le cortège ».44
Le jour le plus festif pour les Frères présents est la création le 28 mai 1803 de la loge civile
sous le titre distinctif des Enfans de la Concorde fortifiée. Selon une interprétation logique,
les mots « Enfans » et «Concorde » sont employés, parce que la nouvelle loge est issue de la
loge militaire au titre distinctif la Concorde. Le mot « Enfans » peut aussi renvoyer au texte
qui se trouve au revers de la médaille commémorative, frappée la 98e demi-brigade : « LE
PREMIER CONSUL COMMANDANT L’ARMEE DE RESERVE EN PERSONNE: ENFANS RAPPELEZVOUS QUE MON HABITUDE EST DE COUCHER SUR LE CHAMP DE BATAILLE. Frères militaires et
civils fêtent en commun la St. Jean d’été le 24 juin suivant. La tenue est présidée par le Frère
Clere (98e) et le Frère André (98e) occupe la stalle de l’Orateur. Cette occasion se prête à
merveille pour l’initiation du sous-lieutenant Charles Boban (98e).45
Après des jours paisibles coulés en garnison, les deux bataillons de la 98e demi-brigade
passent en juin à l’île de Walcheren, puis se rend à Evreux. Par lettre du 19 février 1804, elle
fait part au GODF que son effectif sera versé en entier au 92e régiment à l’exception du
Vénérable Maître Clere « qui est passé colonel du 28e régiment » 46 et du Frère Viroux qui
passe au 18e.47 Elle demande une copie des Statuts de l’Ordre, le Frère Clere ayant oublié de
les remettre à la loge. Cette copie, les Frères la réclament encore du camp d’Utrecht où ils
séjournent en juillet 1804. La question de leur représentant, parisien, auprès du GODF n’est
pas résolue non plus. Après le refus du GODF de reconnaître comme tel le Frère Viroux, non
domicilié à Paris, le choix de la Loge se porte sur le Frère Billioux, chef de Bureau de
l’Artillerie de la Marine. Ce Frère, sans raison apparente, « garde le Silence »48. La Loge
propose alors le T∴C∴ F∴ Mercadier, « maçon distingué ».49 La suite n’est pas connue,
puisque le voile de l’Histoire retombe sur les activités des 60 Frères composant le dernier
Tableau daté du 24 Juin 1805 de la Respectable Loge de Saint Jean de Jérusalem sous le titre
distinctif de la « Parfaite Union ».
Quant à la Loge issue de la Concorde à l’Orient de la 41e demi-brigade, elle est encore
aujourd’hui la souche et l’un des cinq ateliers de la Grande Loge de Luxembourg.50
* L’auteur est membre de la Loge de Recherche La Pérouse (Nantes).
http://rllaperouse.org
42
Parmi les partants se trouvent les Frères : Pierre Guerain (adjudant-major), Charles Jean-Baptiste Bazin
(capitaine), Antoine Eyma (lieutenant) et Jean Augeraud (lieutenant). BNF FM2 27 f° 217v
43
Le Roi d’Angleterre George III, rompant la paix d’Amiens, déclare le 16 mai 1803 la guerre à la France. La
ville de Hanovre, possession du roi , tombe le 5 juin 1803 aux mains des troupes françaises.
AVL LU II 10 a 2/AI page 313, note 818
44
idem
45
Charles Boban entre au 15 août 1792 au 13e bataillon des Vosges. Il passe le 11 pluviôse an VII comme
sergent de la 70e au 98e. SHAT 2YB 346
46
Geheimes Staatsarchiv Preussischer Kulturbesitz, Berlin : FM 5.1.15/111 f° 4r
47
BNF FM2 27 f° 224v
48
BNF FM2 27 f° 227r
49
BNF FM2 27 f° 233v
50
A l’heure actuelle, la Grande Loge de Luxembourg ne compte qu’un seul membre officier de la marine
marchande : un capitaine au long cours (en sommeil).
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