Paroles à venir – Rencontre autour du livre Mai-Juin 68 Sous la direction de
D. Damamme, B. Gobille, F. Matonti et B. Pudal, Editions de l’Atelier, Paris, 2008
grâce à l'ouverture des archives après le délai légal de trente ans. En effet, deux
ouvrages collectifs surnagent dans cette actualité éditoriale « spécial Mai » : du côté
des sciences sociales et politiques, Mai-Juin 68, dirigé par Dominique Damamme, Boris
Gobille, Frédérique Matonti et Bernard Pudal, aux éditions de l'Atelier ; du côté de
l'histoire, 68, Une histoire collective (1962-1981), dirigé par Philippe Artières et
Michelle Zancarini-Fournel, à La Découverte.
« Il serait stupide de disqualifier le regard des témoins, mais il est bon aussi
d'étudier Mai 68 sans avoir de comptes à régler. »
Le premier est davantage un état de la recherche ; le second, un vrai livre d'histoire
ouvert également sur les événements internationaux, les objets culturels, les portraits
d'acteurs oubliés, et construit pour un public large. Mais les deux ouvrages ont des
points communs : considérer Mai-Juin 68 dans une époque (1962-1981 pour les
historiens, 1945-1975 pour les sociologues), avoir été conçus et écrits « dans
l'intergénérations », autrement dit avec – naturelle pyramide des âges oblige – une
bonne proportion d'auteurs trop jeunes pour avoir été acteurs de 68. « Il serait stupide
de disqualifier par principe le regard des témoins et acteurs, confie Boris Gobille, 35
ans, chercheur en sciences politiques, qui travaille sur le sujet depuis quinze ans, mais il
est bon aussi de l'étudier sans avoir de comptes à régler : je n'ai ni à faire oublier que
j'ai été gauchiste, ni non plus à me rattraper sur un événement à côté duquel je serais
passé. » Même son de cloche chez Philippe Artières, né en mai 1968 : « Mai 68 m'a
donné envie d'être historien, de même que la Commune a suscité beaucoup de vocations.
L'histoire que je pratique, toutes les méthodes historiques actuelles sont issues de
cette époque. Mais les historiens qui ont vécu 68 répugnent à s'en faire une spécialité
parce qu'ils craignent de faire une histoire d'ancien combattant. J'ai été l'élève de
Michelle Perrot, à qui l'on doit les premiers travaux sur 68 [sur les ouvriers et sur la
Sorbonne, NDLR] ; elle ne m'en a jamais parlé. »
Etudier Mai 68, c'est aussi ressentir ce « manque du manque » que l'historien
Christophe Prochasson (1) repère comme caractéristique du travail historique sur
l'époque contemporaine : le trop-plein, trop de documents, trop de témoignages, trop de
mémoires où se rejouent les affrontements d'hier... Dans le cas de Mai 68, ce « trop »
est particulièrement « trop ». « Pour la guerre d'Algérie ou pour Vichy, c'était le silence
qui faisait écran, analyse Boris Gobille, pour Mai 68, c'est la logorrhée. » « Il s'agit
donc, affirme l'historienne Michelle Zancarini-Fournel, une des pionnières sur ce sujet,
de dépasser cette gangue d'interprétations générales tout en considérant que ces
lectures mémorielles font désormais partie de l'Histoire. »
Dès 1978, Serge July, oubliant la radicalité de ses engagements maoïstes, avance
le mot de « libéral-libertaire ».
Les « lectures mémorielles » en question sont surtout celles, construites par certains
des acteurs eux-mêmes dès les années 70, qui consistent à ne voir dans Mai 68 que le
prurit révolutionnaire d'une jeunesse plutôt dorée contre ses pères, ou la révolte des
Trente Glorieuses contre la société bloquée d'un gaullisme finissant ; bref, un grand
vent d'irrespect joyeux d'individus jouisseurs. Dès 1978, Serge July, oubliant la