Le climat de la vallée de la Garonne : un climat propice à l’agriculture ?
La vallée de la Garonne est réputée depuis longtemps pour sa douceur de vivre et ses paysages
humanisés qui l’ont fait souvent comparer à la Toscane. Cette réputation est en grande partie liée
aux caractères généraux de son climat sans excès notable. Pourtant à y regarder de plus près, le
climat du Val de Garonne n’est pas sans nuances, ni exempt de violences. La variabilité des
précipitations comme celle des températures peuvent avoir des conséquences importantes sur les
rythmes agricoles ; mais plus encore que la variabilité générale, connue de tous, ce sont les accidents
climatiques, par définition imprévisibles qui sont les plus dangereux. Cette étude tente de mettre en
exergue les principaux risques encourus par l’agriculture liés aux accidents climatiques principaux
que sont ici le gel et la grêle. Dans une troisième partie, nous nous attacherons aussi à montrer les
problèmes que pose le réchauffement climatique annoncé et déjà à l’œuvre en particulier pour les
vignobles de la vallée de la Garonne.
I - Un climat tempéré de transition.
Le climat de la vallée de la Garonne appartient à la famille des climats tempérés, et à la sous famille
des climats de type océanique ; une transition de plus en plus nette se produit de l’aval vers l’amont,
pour aboutir dans la région toulousaine à un climat aux nuances méditerranéennes marquées.
1- Les données générales
1
.
La rareté des températures extrêmes.
Si l’on ne prend en compte que les températures moyennes annuelles, il y a une évidente
homogénéité du val de Garonne : + 12,8° à Bordeaux, + 12,7° à Agen, et + 12,9° à Toulouse. De la
même façon, l’amplitude thermique moyenne se situe entre 9,6° à Bordeaux et 9,8° à Agen pour 9,7°
à Toulouse. Quelques nuances peuvent cependant être mises en valeur au niveau de la vallée.
En effet, si l’on observe les températures moyennes, entre le mois de mai et octobre, c’est à
Toulouse qu’il fait le plus chaud. A l’inverse entre novembre et mars c’est à Bordeaux que l’on
relève les moyennes les plus douces. Cette différence s’explique facilement par la position des deux
villes. Bordeaux bénéficie d’un climat franchement ouvert aux influences maritimes, alors que
Toulouse plus à l’intérieur des terres, est moins bien gulée. Entre les deux, Agen se caractérise par
un hiver légèrement plus frais.
Les amplitudes thermiques montrent que le climat bordelais connaît d’assez fortes irrégularités en
hiver et au printemps. Dans le Toulousain, c’est surtout l’été qui peut se révéler caniculaire.
L’agenais enfin, se singularise par les plus fortes amplitudes de la vallée sur l’ensemble de l’année.
L’analyse du nombre de jours avec gelée confirme les premières données de l’analyse
thermométrique. Agen connaît les gelées les plus étendues dans le temps avec 40,7 jours en moyenne
par an, contre 38 à Bordeaux et 36,9 à Toulouse. Statistiquement les gelées se produisent toutes entre
octobre et avril avec la même répartition en fréquence sur l’ensemble de la vallée : janvier,
décembre, février, mars puis novembre sont les mois les plus risqués par ordre décroissant. En
octobre et en avril les gelées sont plus exceptionnelles, mais elles peuvent avoir de grands effets sur
l’agriculture de la vallée. Plus que les jours avec gelée, il faut en fait considérer le nombre de jours
de gel. Au minimum on se situe entre 11 et 15 jours par an. A l’opposé, les années les plus
rigoureuses totalisent entre 55 jours à Toulouse et 65 jours à Bordeaux (parmi celles-ci, 1962, 1964,
1965, 1970 et 1973 sont restées gravées dans les mémoires).
Une pluviométrie capricieuse.
La hauteur annuelle des précipitations montre des différences plus marquées que pour les
températures. On enregistre à Bordeaux 923,1 mm contre seulement 716 mm à Agen et 655,7 à
Toulouse. Ces différences importantes traduisent simplement l’effet de la baisse de l’influence
océanique lorsque l’on se déplace d’aval en amont dans la vallée.
A Bordeaux, les précipitations sont à la fois relativement abondantes et régulièrement distribuées.
Le diagramme pluviométrique forme un « V » presque parfait montrant un maximum d’hiver, un été
relativement sec et des saisons intermédiaires moyennes. Au total, les précipitations s’étalent sur un
peu plus de 170 jours en moyenne par an, avec un minimum de 11 jours en juillet et 17 jours au plus
en janvier.
Dans le Toulousain, la distribution annuelle traduit une nette tendance au maximum de printemps,
avec un creux très relatif en été et en automne. Cette répartition confirme l’influence
méditerranéenne sensible jusque dans le Toulousain. Contrairement à une idée communément
répandue, toutefois, les précipitations sont assez fréquentes puisqu’elles s’étalent sur 146 jours en
moyenne. Par contre la répartition mensuelle est beaucoup plus tranchée que dans le Bordelais.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, Agen ne constitue pas un type intermédiaire entre
Bordeaux et Toulouse sauf en ce qui concerne le total des précipitations et le nombre de jours de
pluie par an. Pour le reste, l’Agenais développe des caractères propres (décalage du creux d’été en
septembre en particulier).
2- Les caractères spécifiques du climat garonnais.
Le régime des vents : des grands flux d’ouest au vent d’autan
2
.
Concernant le régime des vents, il est rare de rencontrer sur un espace aussi restreint une telle variété
de cas de figures.
Située en position sub-littorale, largement ouverte sur l’océan et par ailleurs à l’abri d’aucun relief
particulier dans quelque direction que ce soit, Bordeaux présent une rose des vents assez équilibrée.
Les vents modérés (2 à 4 mètres par seconde) sont assez largement dominants et représentent plus de
la moitié des fréquences cumulées. Cependant ce sont des fractions Ouest-Nord-Ouest et Sud-Ouest
que viennent la très grande majorité des vents forts, c'est-à-dire au-delà de 8 mètres par seconde
(m/s) pouvant aller jusqu’à la tempête. Les vents forts se concentrent essentiellement en hiver et dans
une moindre mesure au printemps, l’automne étant la saison où les directions s’équilibrent le mieux.
A l’autre extrémité du Val de Garonne, le Toulousain présente une situation bien différente. La rose
des vents y est très déséquilibrée. Les fréquences les plus élevées se situent d’une part dans le quart
Nord-Ouest et d’autre part dans le quart Sud-Est. La première direction trahit les influences
océaniques, alors que la seconde relève de la composante méditerranéenne. Dans les deux cas, la
proportion de vents forts est très nettement supérieure à ce que l’on enregistre dans le Bordelais.
Toulouse n’est donc à l’abri ni des tempêtes océaniques, ni du vent d’autan. Sur l’ensemble de
l’année la ville connaît 39,1 jours de vent violent (vitesse supérieure à 16m/s) contre seulement 33,5
à Bordeaux. A l’automne et au printemps souffle l’autan noir, le plus redouté. En hiver et au
printemps les flux océaniques se font davantage sentir. Plus rarement en hiver (lié à un beau temps
froid et sec), et encore plus rarement en été lié cette fois à un temps très chaud) l’autan blanc peut
faire sentir ses effets.
L’Agenais enfin, représente un troisième type encore distinct des deux précédents. Il est marqué par
la très grande faiblesse moyenne des flux aériens ; 40 % des vents n’atteignent pas 2m/s. Par ailleurs,
l’effet couloir joue ici à plein et explique la très grande prépondérance des flux d’Ouest et d’Est. Les
vents forts ne sont présents en moyenne que durant 20,4 jours dans l’année. En hiver, ils ne sont que
les échos lointains des turbulences océaniques ; parfois également le vent d’autan arrive à faire sentir
quelques effets, surtout au printemps, mais on est là aux limites de son aire d’influence.
Brumes et brouillards de vallée
3
.
Malgré les difficultés inhérentes à l’étude de phénomènes aussi fugaces et localisés que les brumes et
les brouillards, toutes les données concordent pour dire que le Val de Garonne appartient aux régions
françaises qui connaissent le plus grand nombre annuel moyen de jours avec brouillard. Si l’on ne
compte que 38 jours en moyenne par an de brouillard à Toulouse, on monte à 59 jours à Bordeaux et
65 à Agen. La situation agenaise s’explique par le fait que l’air froid des basses couches est bloqué
par l’effet vallée ; il joue ainsi le rôle de couvercle pour l’humidité liée au fleuve et à ses environs.
En même temps, le contact entre la masse d’air froid stationnaire dans le fond de la vallée et l’eau
relativement plus chaude du fleuve provoque une condensation importante, qui génère des brumes et
des brouillards d’une grande stabilité. L’automne et l’hiver sont les saisons les plus touchées.
II - Altération des rythmes et accidents climatiques.
L’analyse des données générales et des caractères spécifiques a permis de dégager une personnalité
climatique du Val de Garonne, nuancée suivant que l’on se situe en amont ou en aval. Mais au-delà
de l’affirmation des grands traits du climat, les oscillations dans le temps sont nombreuses, et de
divers ordres. Contrairement à une idée communément admise, la variabilité climatique est forte et
les accidents climatiques sont fréquents. Les conséquences sur l’agriculture sont loin d’être
négligeables.
1- L’altération des rythmes climatiques normaux.
Une variabilité climatique sensible
4
.
L’observation de la variabilité pluviométrique fait ressortir une différence assez nette entre Bordeaux
d’un côté et Agen et Toulouse de l’autre. C’est à Bordeaux que les précipitations apparaissent les
plus irrégulières et sur la plus large période. Le quintile supérieur montre que de mai à novembre le
quintile supérieur dépasse l’indice 150. A Agen et Toulouse seuls deux mois sont concernés
(respectivement septembre-octobre et août-octobre). Si l’on observe le quintile inférieur, c'est-dire
les mois déficitaires par rapport à la moyenne, on retrouve à peu près le même constat. A Bordeaux,
sept mois de l’année peuvent tomber au dessous de l’indice 50 de juin à décembre, quatre seulement
à Agen et six à Toulouse. On peut donc tirer de cette analyse deux conclusions principales. La
première est que contrairement à une idée généralement répandue, le climat océanique bordelais est
beaucoup plus fantasque de celui de l’Agenais et a fortiori du Toulousain. Toutefois les
conséquences de la variabilité pluviométrique sur l’agriculture ne sont pas identiques dans tous les
cas. Dans le Bordelais, l’excès d’eau que l’on constate une année sur cinq en moyenne entre le
printemps et l’automne est souvent préjudiciable à la viticulture de qualité. Au contraire, et bien
qu’étant plus rare, les excès constatés en Agenais et dans le Toulousain entre l’été et le début de
l’automne sont beaucoup mieux perçus dans une région dominée par la maïsiculture et
l’arboriculture fruitière. Inversement, le manque d’eau n’est pas fondamentalement dommageable
pour la vigne, alors qu’il peut s’avérer catastrophique pour les autres cultures.
L’analyse de la variabilité thermique selon le me procédé est moins riche d’enseignements. Deux
faits seulement sont notables ; d’une part la quasi identité de comportement d’un bout à l’autre de la
vallée. La seule différence vient de ce que les excès dans un sens ou dans l’autre sont plus importants
à Toulouse et à Agen qu’à Bordeaux, ce que l’on savait par ailleurs. Paradoxalement, le fait le plus
important concerne les froidures éventuelles en mars-avril qui peuvent se révéler très menaçantes en
fonction de l’état végétatif des cultures. On retrouve ce risque une année sur cinq environ.
Cependant, l’étude statistique ne sert ici qu’à mesurer un aléa (occurrence). Pour étudier le risque
réel il faut aller beaucoup plus loin dans l’analyse.
Variations climatiques : l’impact d’une période de sécheresse.
Document 1 : Les précipitations annuelles à Agen.
Source : J.F. Berthoumieu : Réchauffement climatique et conséquences. Août 2007. Diapo 33/128.
2- Des accidents climatiques durement ressentis.
Des gelées printanières assez fréquentes mais dont l’occurence est en voie de
diminution.
L’étude du gel s’avère particulièrement délicate, surtout lorsqu’il s’agit d’appréhender ses
conséquences dans le domaine agricole. Celles-ci dépendant en effet d’au moins cinq facteurs
déterminants
5
. Concrètement l’analyse des données disponibles montre que les risques sont élevés
dans la vallée de la Garonne. Entre 1970 et 1991, il n’y a pas eu une seule année sans gelée entre les
mois de mars et de mai. Historiquement, les plus sévères d’entre elles, celles qui ont provoqué le plus
de dégâts ont été celles de 1954, 1955, 1956, 1962, 1967, 1970, 1975, 1977, 1991, 1993.
Historiquement cependant, une étude plus large menée par l’ACMG, montre que l’occurrence du
nombre de nuits gélives diminue lentement. On est passé d’une moyenne de 12 nuits de gel par an
avant 1980 à 8 aujourd’hui. Il ne faut surtout pas se tromper sur l’interprétation de cette tendance. La
diminution du nombre moyen de nuits gélives enregistrées chaque année ne signifie pas leur
disparition. D’autre part comme nous pouvons le voir sur le document 2, les dégâts ne sont pas
proportionnels au nombre de jours de gel ; une seule journée en 1977 et deux jours en 1991 ont suffit
pour provoquer des pertes généralisées. Inversement, en 1985 de nombreuses journées de gel ne se
sont pas traduites par des dégâts importants ; en 1987, des gelées ont eu lieu jusqu’au mois de
mai, il n’y a pas eu de dégâts significatifs non plus. C’est que le risque est lié à la combinaison de
plusieurs facteurs. Cela signifie que la diminution du nombre de jours de gel n’élimine en rien le
risque agricole ; on peut cependant craindre que certains exploitants n’anticipent cette situation, et ne
prennent pas en compte ce risque dans le calcul de rentabilité économique de leur exploitation.
Document 2 : Les gelées et leurs dégâts en Val de Garonne entre 1977 et 1991.
Année
Dates des gelées
Stade
végétatif
(a)
A(vance)
N(ormal)
R(etard)
(b)
Seuil
critique
du pêcher
(c)
(d)
Dégâts occasionnés
1977
30-31/03
08-09/04
I
I
A
A
- 1,3
- 1,0
- 1,0
Dégâts importants et généralisés.
1978
06-08/03
18-19/03
10-12/04
15-17/04
21-22/04
B-D
C-F
F-H
G-I
F-I
R
R
R
R
R
- 3,0 à 3,5
- 2,5
- 1,5
- 1,0
- 1,0
- 2,2
- 1,2
- 1,2 à 2,5
0,0
Dégâts sur pêchers, pruniers et
poiriers surtout dans les vallées. Les
gelées et la faiblesse des T° durant
l’hiver, combinées à une pluviométrie
importante ont provoqué de fortes
chutes physiologiques et une faible
récolte.
1979
26-28/02
04-05/05
A-C
H-I
A à N
N
Non
- 1,0 à 1,7
- 1,3
Destruction des bourgeons au stade C
sur pêchers et nectarines, russeting
sur golden.
1980
02-05/03
13/03
22/03
29/03
03/04
06/04
09-10/04
23/04
A-D
C-G
E-H
G-I
A
A
A
A
Non
- 2,2
- 1,5
- 1,0
- 4,8
- 3,2
- 1,3
Dégâts faibles. Cependant, dans le
courant du mois de mai, une
importante chute physiologique laisse
supposer une influence a posteriori es
basses T° du mois de mars
1981
16-19/03
17-28//04
C-F
G-J
A
A
- 2,4
- 1,0
- 1,5
Quelques dégâts sur pêchers les plus
précoces. Du 18 au 28 avril peu de
dégâts sur fruitiers, mais surtout sur
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