Thèbes s’étendait ainsi à travers la Bœôtia depuis les frontières de la Phokis1 au
nord-ouest jusqu’à celles de l’Attique au sud.
La nouvelle position acquise ainsi par Thèbes en Bœôtia, et achetée au prix de
l’anéantissement de trois ou de quatre cités autonomes, est un fait d’une grande
importance par rapport à la période qui nous occupe maintenant, non seulement
parce qu’elle agrandit et enfla la puissance des Thêbains eux-mêmes, mais
encore parce qu’elle suscita partout contre eux dans l’esprit hellénique un
sentiment fortement défavorable. Précisément dans le temps où les Spartiate
avaient perdu presque une moitié de la Laconie, les Thêbains avaient annexé à
leur propre cité un tiers du territoire bœôtien libre. La remise en vigueur du droit
de cité messênien libre, après une existence suspendue de plus de deux siècles,
avait récemment été accueillie avec une satisfaction universelle. Combien dut
être choqué ce même sentiment, quand Thèbes anéantit, pour son propre
agrandissement, quatre communautés autonomes, toutes de sa parenté
bœôtienne, l’une de ces communautés encore étant Orchomenos, respectée tant
à cause de son antiquité que de ses légendes traditionnelles ! On ne s’occupa
guère de discuter les circonstances du cas, et de rechercher si Thêbes avait
excédé la mesure de rigueur autorisée par le code de la guerre à l’époque. Dans
les conceptions nationales et patriotiques de tout Grec, la Hellas consistait en un
agrégat de communautés municipales, autonomes et fraternelles.
L’anéantissement de l’une d’elles ressemblait à l’amputation d’un membre faite à
un corps organisé. Une répugnance à l’égard de Thèbes, que fit naître cette
conduite, affecta fortement l’opinion publique du temps, et se manifesta surtout
dans le langage des orateurs athéniens, exagérée par la mortification que leur
causait la perte l’Orôpos2.
Le grand corps des Thessaliens, aussi, bien que les Magnêtes et les Achæens
Phthiotes, était au nombre de ceux qui obéissaient à l’ascendant de Thêbes.
Même le puissant et cruel despote, Alexandre de Pheræ, était compté dans ce
catalogue3. Les cités de la fertile Thessalia, possédées par de puissantes
oligarchies avec de nombreux serfs dépendants, étaient généralement en proie à
des luttes intestines et à une rivalité municipale ; le désordre y régnait aussi bien
que l’absence de foi4. Les Aleuadæ, chefs à Larissa, — et les Skopadæ à
Krannôn, — avaient été jadis les familles dominantes du pays. Mais dans les
mains de Lykophrôn et de l’énergique Jasôn, Pheræ avait été élevée au premier
rang. Toutes les forces de la Thessalia étaient réunies sous Jasôn comme tagos
(général fédéral), avec une quantité considérable de tributaires circonvoisins,
Macédoniens, Épirotes, Dolopes, etc., et en outre une armée permanente de
volontaires bien organisée. Il pouvait rassembler huit mille chevaux, vingt, mille
1 Orchomenos était contiguë avec le territoire phokien (Pausanias, IX, 39, 1).
2 ) Isocrate, Or. VIII, De Pace, s. 21 ; Démosthène, adv. Leptinem, p. 490, s. 121 ; pro
Megalopol., p. 208, s. 29 ; Philippiques, II, p. 69, s. 15.
3 Xénophon, Hellenica, VII, 51 4 ; Plutarque, Pélopidas, c. 35. Waschsmuth affirme, à mon sens,
d’une manière erronée, que Thêbes fut désappointée dans la tentative qu’elle fit pour établir son
ascendant en Thessalia (Hellenisch. Alterthümer, vol. II, X, p. 328).
4 Platon, Kritôn, p. 53 D ; Xénophon, Mémorables, I, 2, 24 ; Démosthène, Olynthiennes, I, p. 15,
s. 23 ; Démosthène, Cont. Aristokratês, p. 658, s. 133.
Pergit ire (le consul romain Quinctius Flamininus) in Thessaliam : ubi non liberandæ modo civitates
erant, sed ex omni colluvion et confusione in aliquam tolerabilem formam redigendæ. Nec enim
temporum modo vibis, ac violentiâ et licentiâ regiâ (i. e. les Macédoniens) turbati erant ; sed
inquieto etiam ingenio gentis, nec comitia, nec conventum, nec consilium ullum, non per
seditionem et tumultum, jam inde a principio ad nostram usque etatem, tradticentis (Tite-Live,
XXXIV, 51).