science aristotélicienne. Souvenons-nous que la physique d’Aristote est une ontologie, elle est
en quête d’une essence de ce qui est. La physique de Galilée n’est pas une ontologie. Elle ne
cherche pas l’essence des phénomènes, mais leur expression en langue mathématique. « Ce
n’est pas à la nature de s’accommoder des arrangements et des dispositions qui peuvent nous
sembler les meilleurs, c’est à nous d’adapter notre esprit à ce qu’elle a produit. » La nature
étant par avance assujettie aux règles de la géométrie. Ce sont elles qui doivent guider l’étude,
et non la perception.
Soyons précis. Quelle fut la contribution fondamentale apportée par Galilée dans la
compréhension du lien qui unissait les mathématiques au monde ? La description géométrique
des phénomènes n’avait évidemment rien de nouveau : ainsi l’astronomie grecque décrivait
déjà en termes géométriques les trajectoires astrales. Mais cette description concernait la part
‘immédiatement (visiblement) géométrique’ du phénomène : on soumettait à la mathématique
la forme inaltérable d’une trajectoire, ou la surface déterminée d’une aire (ex : travaux de
Ptolémée IIe s. apr. J.C. jusqu’à ceux de Kepler (1571-1630)) – c'est-à-dire des étendues
immobiles. Galilée, lui, pense le mouvement lui-même en termes mathématiques, et en
particulier le mouvement en apparence le plus changeant : le mouvement de chute des corps
terrestres. Il dégage par-delà la variation de la position et de la vitesse, l’invariant
mathématique du mouvement – c'est-à-dire l’accélération. Dès lors, le monde devient
mathématisable de part en part (voir la thèse cartésienne : « Ce qui est mathématiquement
pensable est absolument possible »). Surgit désormais un monde capable d’autonomie : un
monde où les corps comme leurs mouvements sont descriptibles indépendamment de leur
qualités sensibles –saveur, odeur, chaleur, etc. Le monde de l’étendue cartésienne (res
extensa), (sujet qui sera développé prochainement), - ce monde qui acquiert l’indépendance
d’une substance, ce monde que l’on peut désormais penser comme indifférent à tout ce qui lui
en correspond au lien concret, vital, que nous nouons avec lui - , un monde glaciaire se
dévoile alors aux modernes, dans lequel il n’y a plus ni haut ni bas, ni centre ni périphérie, ni
droite ni gauche, ni rien qui en fasse un monde voué à l’humain.
La science moderne naît de l’événement métaphysique qui consiste à projeter
brusquement, sur le monde dans son ensemble, la dimension apodictique de type
mathématique mise au jour par les géomètres grecs. (Apodictique : qui a une évidence de
droit et non pas seulement de fait. Nécessaire.) C’est grâce à une réflexion philosophique
originale, déterminante, que Galilée est parvenu à une nouvelle conception du monde.
Réflexion philosophique originale mais qui a une source d’inspiration lointaine certes, mais
évidente, qui se trouve chez Platon.