Galilée (1564 – 1642) Galileo Galilei est né à Pise. Pour nous, il

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Galilée (1564 – 1642)
Galileo Galilei est né à Pise. Pour nous, il symbolise le martyr qui a souffert pour les
droits de la raison et de l’expérience face aux dogmatismes philosophiques et qui a ouvert
l’ère de la science positive. Condamné par le Saint-Office en 1633 pour avoir pris parti en
faveur de la réalité du mouvement de la Terre, Galilée a fini ses jours en reclus, dans les
souffrances physiques et morales, tandis que ses écrits et son exemple devenaient, à la
confusion de ses juges, le ferment de l’Europe savante. Fondamentalement il a fait confiance
aux suggestions de l’observation pour conjuguer l’analyse et les contrôles expérimentaux
rudimentaires en ce qui concerne l’oscillation du pendule, la chute des corps, la trajectoire
des projectiles.
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12 AVRIL 1633
Le procès de Galilée.
« Oui, la Terre est fixe, au centre du monde » : le savant italien doit renier
devant le Saint-Office la conclusion de toute une vie de recherches
scientifiques. L’Eglise ne reconnaît qu’en 1965 l’autonomie de la science.
Le procès de Galilée devant le Saint-Office, en 1633 (ici représenté par le
peintre Robert Fleury, en 1847), a marqué l’histoire des relations entre la
science et l’Eglise catholique.
L’Eglise ne reconnaît qu’en 1965 l’autonomie de la science
Il s’est opéré au XVIIe siècle en Europe une révolution théorique qui, pour la première
fois, de façon péremptoire et absolue, va identifier le monde à un gigantesque complexe
mathématique, dont la science aura désormais pour but de révéler l’agencement. Le XVIIe
siècle consacre le passage de la physique aristotélicienne à la physique moderne. Plus
exactement, le savant florentin incarne au tournant du XVIIe siècle, la conception mécaniste
du savoir qui, triomphant peu à peu des résistances, définira bientôt en Europe l’idéal
scientifique et le code de procédure de la connaissance rigoureuse.
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Galilée le dit en termes explicites :
« La philosophie est écrite dans cet immense livre qui est constamment ouvert sous
nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord
à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit en
langue mathématique et ses caractères sont des triangles, cercles et autres figures de
géométrie, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot.
Sans eux, c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. »
Cette affirmation de Galilée, la mathématisation de la nature, est une pétition de principe
dénuée du moindre fondement scientifique mais relève d’une inspiration métaphysique. Ce
geste de Galilée fut même qualifié de coup de force dirigé contre la nature.
Ainsi selon Galilée l’univers est pré actualisé sous une forme mathématique. Avec cet
acte de foi naît la science moderne. Cette rupture épistémologique est à l’origine de
l’avènement de la science moderne et la nouvelle physique est pure théorie. Les
préoccupations pratiques et les soucis d’applications sont totalement inexistants.
La science moderne se distingue avant tout par le caractère mathématique universel de
ses théories. Elle correspond au remplissage d’un cadre prédéterminé, où chaque phénomène
doit être rapporté à une construction mathématique. Ainsi le physicien n’invente pas son
monde, son rôle est beaucoup plus modeste et il doit se contenter de découvrir ce qui est.
N’oublions pas qu’à la fin du Moyen Âge, la métaphore du livre de la nature était une sorte de
lieu commun dès lors que le monde avait été créé par le Verbe de Dieu.
Pour déchiffrer la Création, les mathématiques jouent le rôle de l’alphabet :
« Pour moi, à vrai dire, j’estime que le livre de la philosophie est celui qui est
perpétuellement ouvert devant nos yeux ; mais comme il est écrit en des caractères différents
de ceux de notre alphabet, il ne peut être lu par tout le monde. Les caractères de ce livre ne
sont autres que des triangles, carrés, cercles, sphères, cônes et autres figures mathématiques
(c.-à-d. la géométrie grec) parfaitement appropriées à telle lecture. »
On voit donc que la physique moderne se donne pour programme de reconstruire le
monde avec les mathématiques pour seul matériau. La physique de Galilée procède par
abstraction au sens actif du terme : elle met de côté ce qui ne peut pas être géométrisé. La
description géométrique de la chute d’une pierre fait abstraction d’autres propriétés de la
pierre, sa couleur, sa consistance… Donc pour l’essentiel on procède par abstraction,
mathématisation… réduction.
Galilée était platonicien. Il se réclamait d’autant plus ouvertement de Platon q’il devait
contrer les partisans de la physique d’Aristote. La physique moderne s’est édifiée contre la
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science aristotélicienne. Souvenons-nous que la physique d’Aristote est une ontologie, elle est
en quête d’une essence de ce qui est. La physique de Galilée n’est pas une ontologie. Elle ne
cherche pas l’essence des phénomènes, mais leur expression en langue mathématique. « Ce
n’est pas à la nature de s’accommoder des arrangements et des dispositions qui peuvent nous
sembler les meilleurs, c’est à nous d’adapter notre esprit à ce qu’elle a produit. » La nature
étant par avance assujettie aux règles de la géométrie. Ce sont elles qui doivent guider l’étude,
et non la perception.
Soyons précis. Quelle fut la contribution fondamentale apportée par Galilée dans la
compréhension du lien qui unissait les mathématiques au monde ? La description géométrique
des phénomènes n’avait évidemment rien de nouveau : ainsi l’astronomie grecque décrivait
déjà en termes géométriques les trajectoires astrales. Mais cette description concernait la part
‘immédiatement (visiblement) géométrique’ du phénomène : on soumettait à la mathématique
la forme inaltérable d’une trajectoire, ou la surface déterminée d’une aire (ex : travaux de
Ptolémée IIe s. apr. J.C. jusqu’à ceux de Kepler (1571-1630)) – c'est-à-dire des étendues
immobiles. Galilée, lui, pense le mouvement lui-même en termes mathématiques, et en
particulier le mouvement en apparence le plus changeant : le mouvement de chute des corps
terrestres. Il dégage par-delà la variation de la position et de la vitesse, l’invariant
mathématique du mouvement – c'est-à-dire l’accélération. Dès lors, le monde devient
mathématisable de part en part (voir la thèse cartésienne : « Ce qui est mathématiquement
pensable est absolument possible »). Surgit désormais un monde capable d’autonomie : un
monde où les corps comme leurs mouvements sont descriptibles indépendamment de leur
qualités sensibles –saveur, odeur, chaleur, etc. Le monde de l’étendue cartésienne (res
extensa), (sujet qui sera développé prochainement), - ce monde qui acquiert l’indépendance
d’une substance, ce monde que l’on peut désormais penser comme indifférent à tout ce qui lui
en correspond au lien concret, vital, que nous nouons avec lui - , un monde glaciaire se
dévoile alors aux modernes, dans lequel il n’y a plus ni haut ni bas, ni centre ni périphérie, ni
droite ni gauche, ni rien qui en fasse un monde voué à l’humain.
La science moderne naît de l’événement métaphysique qui consiste à projeter
brusquement, sur le monde dans son ensemble, la dimension apodictique de type
mathématique mise au jour par les géomètres grecs. (Apodictique : qui a une évidence de
droit et non pas seulement de fait. Nécessaire.) C’est grâce à une réflexion philosophique
originale, déterminante, que Galilée est parvenu à une nouvelle conception du monde.
Réflexion philosophique originale mais qui a une source d’inspiration lointaine certes, mais
évidente, qui se trouve chez Platon.
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Selon la doctrine platonicienne, l’intelligible ne s’apprend pas du visible, il appartient à
l’âme qui doit le tirer de son fonds. L’intelligible est ce que l’âme sait déjà, et qu’elle
découvre par la réminiscence. Cette conception est aussi fondamentalement celle de Galilée :
« Moi je vous dis que si quelqu’un ne sait pas la vérité de par lui-même, il est impossible
qu’un autre le lui fasse connaître ; on peut bien enseigner les choses qui ne sont ni vraies ni
fausses, mais les vraies, c'est-à-dire les nécessaires, celles dont il est impossible qu’il en soit
autrement, tout esprit ou bien les sait de lui-même, ou bien il est impossible qu’il les sache
jamais. »
La pensée de Galilée est tellement inspirée de Platon que c’est en étudiant celui-ci que
l’on peut comprendre celui-là. (Voir le cours suivant.)
Toutefois il ne faut pas perdre de vue l’extraordinaire différence de contexte spirituel
entre la Grèce classique et l’Europe de la Renaissance d’autre part. Pour les Grecs le monde
était incréé : « Ce monde-ci, le même pour tous, ni un dieu ni un homme ne l’a fait, mais il
était toujours et il est et sera. » (fragment d’Héraclite)
Dans l’Europe de la renaissance, la théologie chrétienne a fait son œuvre. Dans un
monde créé par le Dieu des Ecritures toutes les choses ont été produites. La nature est une
architecture dont les phénomènes sont l’indice. Le but de la science devient, dès lors, la mise
à jour de cette structure qui est.
La science galiléenne est la science d’un monde sans l’homme. L’univers se résout en
un ensemble d’objets, dont toutes les significations qualitatives ont été centralisées pour
mieux s’adapter aux exigences de l’intelligibilité physico-mathématique. Avec la
mathématisation de la nature nous nous trouvons confrontés à la pensée possible d’un monde
se passant de la pensée, inaffectée par le fait d’être pensé ou non.
La vérité de l’univers est indifférente à la réalité de l’homme.
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