Antonella Noya : « l’économie sociale est un véhicule puissant d’innovation » Jeudi 5 février 2009 par Alain Goguey (NORD-SOCIAL INFO) Antonella Noya est analyste senior des politiques et manager du Forum des innovations sociales à l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique). Elle travaillent sur le développement économique et la création d’emplois au niveau local et en particulier sur la cohésion sociale Invitée à participer à la journée de réflexions et de débats organisée par Les Echos et le Ceges sur le thème « Economie sociale : quelles stratégies de développement », elle nous fait part ci-dessous du regard que porte l’OCDE sur l’économie sociale. Quelle vision vous avez de l’économie sociale en Europe et quel regard à l’OCDE vous portez sur l’économie sociale ? Antonella Noya : L’OCDE s’intéresse à l’économie sociale depuis une quinzaine d’années, ce qui n’est pas forcément connu à l’extérieur. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que, parmi les organisations internationales, l’OCDE a été pionnière dans l’analyse de ce domaine. Nous avons commencé à travailler sur l’économie sociale en parallèle avec les travaux que la commission européenne lançait avec une action pilote sur le troisième secteur. Et nous avons élargi notre regard, car l’OCDE ne s’intéresse pas qu’à l’Europe, en comparant ce qui se passait dans le contexte de l’économie sociale et l’entrepreneuriat social en Europe et aux Etats-Unis et dans d’autres pays membres de l’Organisation. Nous avons commencé ces analyses d’abord par un repérage des initiatives, surtout dans le domaine de l’entrepreneuriat social. Car si l’économie sociale était déjà connue, la connaissance de l’entrepreneuriat social n’était pas très développée à cette époque là. Nous avons mené plusieurs analyses sur la base de l’idée que l’on devrait promouvoir une économie plurielle qui réconcilie la dimension économique et la dimension sociale et qu’il fallait prôner l’intervention dans l’économie de plusieurs acteurs, chacun avec son identité. Car il y a de la place pour tout le monde y compris pour des acteurs moins traditionnels mais qui apportent leur contribution en termes de croissance économique et de bien être social L’économie sociale est un secteur qui peut être un véhicule intéressant d’innovation sociale. Il n’est pas le seul. Car l’innovation n’est pas le monopole d’un seul acteur. Au contraire, c’est sur la base d’une concertation et d’un partenariat que des idées fertiles et nouvelles peuvent se développer. Mais, de par leurs objectifs, les entreprises de l’économie sociale sont sans doute un véhicule puissant d’innovation. Le bien être des communautés et des individus sont des objectifs recherchés et explicites et non pas des externalités positives, c’est-à-dire des conséquences inattendues d’une action économique. Le regard que l’on porte sur l’économie sociale est donc un regard globalement positif. Il reste important d’ d’évaluer l’impact de l’économie sociale et sa contribution à nos économies. On parle de 10 % des emplois en Europe pour l’économie sociale A.N. : C’est important de quantifier l’impact en termes de créations d’emplois mais ce n’est qu’un aspect de la question. Il y a d’autres manières de contribuer à la croissance économique et à la cohésion sociale de nos sociétés : quoi dire des projets d’utilité sociale et des services d’intérêt général, si essentiels ? Comment évaluer l’action des entreprises sociales dans les quartiers en difficulté non seulement en terme de redynamisation économique mais aussi de redynamisation du tissu social, d’injection de capital social ? Tout cela est difficile à mesurer mais il est nécessaire d’identifier des outils qui cernent ces « facteurs intangibles » si important dans nos économies d’aujourd’hui marquées par une crise qu,’avant même d’être une crise financière et économique, et une crise de confiance et de valeurs. De votre poste d’observatrice, comment les structures de l’économie sociale réagissentelles face à la crise ? A.N. : Je ne suis pas sur le terrain. C’est donc difficile pour moi de juger. Je crois que les entreprises de l’économie sociale doivent faire face à la crise et beaucoup d’entreprises de l’économie sociale sont des entreprises qui sont sur le marché et elles ont donc les mêmes contraintes que les autres entreprises Je crois par contre que, si elles ne le font pas, elles devraient justement saisir l’opportunité, si l’on peut utiliser ce terme d’opportunité dans un tel contexte, cette opportunité qu’offre la crise, de pouvoir mettre en avant une manière différente de faire de l’action économique en s’appuyant sur d’autres valeurs, qui sont des valeurs qui n’ont rien à voir avec un capitalisme effréné qui cherche seulement des gains illimités et dont on a vu les résultats. Et bien évidemment il est important, et c’est la position aussi de l’OCDE en général sur la manière de répondre à la crise économique et financière (une position qui ne se réfère pas spécialement à l’économie sociale), de remettre l’éthique au centre de l’action économique quel que soit le secteur. Et je pense que l’économie sociale qui incarne ou devrait incarner certaines valeurs a, de ce point de vue, un rôle exemplaire à jouer ou à retrouver. Vous avez dit que, dans un contexte de crise, l’innovation sociale était la plus fertile et que vous aviez identifié six exemples qui illustrent ce propos. A.N. : Je faisais référence à l’innovation dans le domaine financier. Dans nos dernières études, on a identifié six domaines qui, dans le financement de l’économie sociale, apparaissent assez novateur Il y a par exemple le capital risque philanthropique, il y a aussi l’idée, qui en est encore à ses premiers balbutiements dans quelques pays, de bourses sociales. Il y a également ce rôle revisité des investisseurs institutionnels qui devraient aller vers des outils financiers de type différents comme le capital patient. Il s’agit d’investissements sur un moyen , long terme pour lesquels les investisseurs n’attendent donc pas un retour financier rapide. Par exemple, La Fiducie du Chantier de l’économie sociale au Canada (Québéc) offre des prêts sans remboursement de capital avant 15 ans. Ce capital patient permet de soutenir les opérations des entreprises et d’appuyer des investissements immobiliers pour le développement de nouvelles activités. O assiste aussi à l’apparition d’investisseurs individuels qui gèrent des portefeuilles assez importants et qui orientent leurs investissements vers des entreprises de l’économie sociale. ’idée que je veux souligner, c’est qu’il y a une marge énorme pour la créativité dans le domaine de l’innovation financière. Mais on peut aussi observer la fertilité de l’innovation sociale dans de nombreux domaines comme la culture, le tourisme, les services à la personne, dans les relations entre acteurs ou entre territoires. Elle est le résultat d’efforts communs sur la base d’une vision commune, et de toutes façons en essayant de recomposer des intérêts qui peuvent être des intérêts divergents mais en gardant à l’esprit l’intérêt général. C’est une terre encore largement inexplorée et pour laquelle il y a besoin de créativité. Mais l’innovation sociale n’est pas le monopole de l’économie sociale. Certains prétendent que l’innovation sociale est la révolution du futur. Je ne sais pas si on peut aller jusque là mais c’est à tout le moins une piste très prometteuse pour l’avenir. Propos recueillis par Alain Goguey Site Internet : www.nord-social.info