
damné d’avance (et avec lui toute son œuvre) à
l’insuccès, à la non réussite, à la stérilité ?
Il ne peut y avoir deux réponses à cette question.
L’histoire est implacable pour les apostats. Pascal n’a pas
évité le sort commun. Il est vrai que ses œuvres conti-
nuent à être imprimées, qu’aujourd’hui encore on le lit,
qu’il est même loué, célébré ; que des cierges brûlent con-
tinuellement devant son image, et brûleront longtemps,
très longtemps. Mais personne ne l’écoute : d’autres sont
écoutés, ceux-là contre qui il luttait, ceux-là qu’il haïssait.
C’est chez d’autres que lui qu’on va chercher la vérité à
laquelle il sacrifia sa vie. Ce n’est pas Pascal, c’est Des-
cartes qui est considéré comme le père de la philosophie
nouvelle ; et ce n’est pas de Pascal, c’est de Descartes que
nous acceptons la vérité ; car où cherchera-t-on la vérité
sinon dans la philosophie ? Tel est le jugement de
l’histoire : on admire Pascal, et on passe son chemin.
C’est un jugement sans appel.
Si Pascal pouvait être rappelé à la vie, que répondrait-il
à ce jugement de l’histoire ? Question oiseuse, dira-t-on ;
l’histoire compte avec les vivants, et non avec les morts.
Je le sais ; mais j’estime que pour une fois, et puisqu’il
s’agit de Pascal, il est légitime d’obliger l’histoire à comp-
ter avec les morts. Il est vrai que l’entreprise est fort diffi-
cile et fort embarrassante ; il est vrai que l’histoire devra
inventer pour se justifier une philosophie nouvelle, car
celle de Hegel (tous l’adoptent, ceux même dont Hegel
n’est pas le maître ; et, dès longtemps avant Hegel, nom-
breux étaient ceux qui la professaient) — celle de Hegel
se montrera inapplicable.