Une comédie policière savoureuse saupoudrée de merveilleux.

Une comédie policière savoureuse
saupoudrée de merveilleux.
Dans un village des Pyrénées, un cadavre disparaît. Peut-être enlevé par un
nécrophile.
Après s’être essayés à l’anticipation (Les Derniers Jours du monde) et au thriller hitchcockien
(L’amour est un crime parfait), Arnaud et Jean-Marie Larrieu reviennent sur leur terrain de
prédilection avec ce nouveau film qui mêle l’excentricité de Fin d’été ou du Voyage aux
Pyrénées avec la facture cossue et le casting haut de gamme de Peindre ou faire l’amour.
Quand on évoque leur “terrain de prédilection”, il faut l’entendre aux sens premier et second
des termes. Ce terrain est à la fois un territoire (un village des Pyrénées) et un écosystème
esthétique et thématique fait de sexualité ouverte et de légendes provinciales.
Galerie de personnages cocasse
A quelques jours du bal du 15 août, la Parisienne Caroline (Isabelle Carré, superbe) revient
dans la vallée pour enterrer sa mère. Elle fait connaissance avec un échantillon de la population
locale, voisins qui côtoyaient la défunte. La galerie de personnages est cocasse, fantasque,
singulière, bien dans l’esprit des Larrieu.
On trouve ici André, mi-homme, mi-bête au physique de Quasimodo priapique (c’est le génial
Denis Lavant), Pattie, sympathique quadra sexy qui raconte joyeusement ses aventures
sexuelles avec force détails (Karin Viard, très à l’aise en obsédée du cul), Pierre, gendarme
cartésien et séduisant (l’excellent Laurent Poitrenaux), ou encore Kamil, un ado qui semble
cacher des secrets…Les Larrieu s’y entendent pour imprimer un lieu, dessiner des
personnages identifiables en quelques scènes, et capter notre attention par une simple et
flâneuse mise en place, avant même que le cœur du récit ne s’enclenche.
Etrange bête aux yeux rouges
Ce qui finit par arriver de façon inattendue : le corps de la défunte disparaît. Mystère. Qui peut
avoir l’idée saugrenue de dérober un cadavre? Un obsédé sexuel nécrophile peut-être? C’est la
piste suivie par le gendarme. A moins qu’un gamin ait voulu faire une farce macabre? Ou que
cet escamotage soit lié à une dimension moins prosaïque, plus surnaturelle? 21 nuits avec
Pattie oscille ainsi entre comédie policière, naturalisme rural et contes et légendes du fond des
âges, entre Chabrol, Guiraudie et Weerasethakul. Notre cher cinéaste thaïlandais est d’ailleurs
explicitement cité quand le fantôme de la mère apparaît aux yeux de sa fille, ou quand Caroline
croise une étrange bête aux yeux rouges dans une forêt alentour.
Le film balance aussi entre la chair (présence des corps, désirs suintants, chaleur d’août…),
l’esprit (toute la dimension fabuleuse des fantômes et de la forêt…) et le verbe. On a mentionné
les récits intimes de Pattie, qui sont aussi désopilants que la tête effarée de Caroline qui les
écoute poliment mais forcée son étonnement tenant autant au déballage explicite qu’au fait
qu’elle connaît à peine Pattie. Habitués à filmer la nudité et l’amour, les cinéastes inversent ici
leur approche : Pattie parle tout le temps cul mais n’est jamais dévêtue à l’écran. La charge
sexuelle passe dans la parole, laissant à l’image la suggestion, la promesse éventuelle du
plaisir.
Variations sur le travail de deuil
Le verbe s’incarne aussi dans le personnage de Jean, écrivain et ancien amant de la mère de
Caroline, joué par André Dussollier dont la ressemblance avec un écrivain réel déclenche un
running gag dont on laisse la surprise au spectateur. On ne révélera pas non plus comment les
diverses pistes du film convergent lors du bal enfiévré du 15 août, mais on dira que les Larrieu
livrent l’une des variations sur le travail de deuil les plus joyeuses, solaires, romanesques et
réconfortantes qui soient. 21 nuits avec Pattie fait partie de ces films que non seulement on
apprécie comme spectateur, mais où l’on aimerait aussi vivre – voire mourir. Serge Kaganski
© Les Inrocks
24 novembre 2015
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