
au tournant du siècle
, protège l’exercice futur de droits et privilèges. Elle rend compte en
particulier de la protection légale accordée de diverses manières à des notions aussi flottantes
que le « goodwill »
d’une entreprise commerciale ou les différentes manifestations de la
propriété intellectuelle
.
Les droits de propriété ne consacrent donc pas une valeur économique pré-existante, qu’elle
soit mesurée en termes technologiques de coûts de production ou de travail incorporé ou
qu’elle soit évaluée en termes psychologiques d’intensité relative de satisfaction des désirs et
d’évitement des peines, comme le pensaient respectivement les économistes classiques d’une
part et les néo-classiques d’autre part. Au contraire, ils la créent en ouvrant la possibilité
d’établir des transactions non seulement aujourd’hui, mais également dans le futur. Par ce
biais, ils peuvent également contrôler partiellement les comportements d’autrui. En
conséquence, la valeur économique des droits tient au pouvoir qu’ils donnent à leurs titulaires
sur les actes et les désirs d’autrui. En ce sens, la propriété porte sur des entités immatérielles :
des attentes de comportement, un pouvoir d’exclusion et de négociation garanti par l’Etat, une
responsabilité actionnable devant une juridiction, une immunité par rapport aux conséquences
dommageables de ses propres actes… En d’autres termes, la propriété correspond à des droits
de tirage sur la production et la consommation futures. Ils forment une réalité sui generis.
Leur valeur économique tient à l’estimation présente en termes monétaires de ces droits de
tirage par les différentes parties à la transaction. Ces estimations permettent alors d’établir ses
propres plans d’action et de prendre des décisions quant à l’usage des ressources sur
lesquelles un contrôle est exercé. Dans cette construction, il n’y a plus de réalité économique
auto-suffisante, objective ou subjective, sur laquelle viendrait se surajouter des constructions
légales, d’ordinaire limitatives. Il y a par contre une appréhension de la réalité au travers de la
qualification juridique des choses et des hommes. Ceci ne revient naturellement pas à nier la
rareté des ressources ou l’existence de préférences individuelles. Mais, sans la médiation du
droit, ces caractéristiques ne suffisent pas à déterminer les termes de l’échange.
1.c. C’est sur base de cette analyse que Commons va pouvoir établir à la fois la grammaire et
la typologie des relations transactionnelles
-Au niveau de la grammaire, la formule de la transaction rend explicite la présence conjointe
de conflits et de dépendances mutuelles entre les parties à une transaction, qu’elles soient
réelles ou potentielles. On retrouve chez Commons la concomitance nécessaire d’un intérêt
partagé à la coopération et d’un conflit potentiel sur les termes procéduraux de cette
coopération et sur le partage du surplus réel qui en résulte. Ceci est bien sûr une question
classique de la philosophie politique
.
Dans Legal Foundations, Commons retrace minutieusement les mutations données au concept légal de
« propriété » par la jurisprudence des Cours et Tribunaux. Il montre qu’ils sont passés progressivement d’une
acception restrictive de la protection constitutionnelle accordée à la propriété conçue comme contrôle
physique à une conception extensive conçue comme pouvoir économique. Il plaide alors pour l’extension de
la notion correspondante de « pouvoir de police », c’est-à-dire de régulation de l’usage fait des droits de
propriété en fonction de considérations d’intérêt général.
John R. Commons, Institutional Economics, op. cit., pp. 667 et s..
John R. Commons, Legal Foundations of Capitalism, Madison, The University of Wisconsin Press, (1957
[1924], pp. 274 et s..
C’est encore la question à laquelle doit répondre la philosophie politique pour J. Rawls : identifier les
institutions qui permettent d’assurer une coopération juste pour adopter les normes, pour résoudre les conflits de
manière impartiale, c’est-à-dire au moyen de procédures justes. Cfr., John Rawls, A Theory of Justice,
Cambridge, Harvard University Press, 1971, p. 4. On retrouve ces mêmes questions dans les travaux de J.
Habermas, par exemple dans Faktizität und Geltung, Frankfurt a./M, Suhrkamp, 1991.