Le statut de deux catégories lexicales négligées : [NVeur]N (derviche tourneur) et [NVant] N (benne basculante) Cette recherche porte sur le statut de deux catégories d'unités lexicales négligées par la recherche et généralement absentes des grammaires de référence et des articles de synthèse sur la composition, [NVeur]N (oiseau coureur, autos tamponneuses) et [NVant]N. (dock flottant, plante grimpante). Les unités de la première catégorie sont formellement semblables à des suites syntaxiques N + Adj déverbal où l'adjectif est qualifiant telles que (un) mari coureur, mais elles sont lexicalisées, ce que montrent les test classiques (un mari très coureur, *un oiseau très coureur). Elles se caractérisent par le fait que le second élément est un déverbal agentif, et que la tête correspond à l'agent du verbe présent dans celui-ci, ce qui apparaît dans les définitions : "un marteau piqueur est un marteau qui pique, une mère porteuse est une mère qui porte (un enfant)" (comme dans toute composition, l'information est compactée et, par exemple, l'unité mère porteuse sous-spécifie le procès dénommé par le verbe). Sur le plan morphologique, le français n'ayant pas d'accent lexical qui pourrait constituer un indice de composition, la question est de savoir si ces unités sont des composés. Il se trouve que les dérivés agentifs en -eur/euse peuvent être des noms ou des adjectifs, et il est délicat de décider si on a affaire à une structure [NN]N telle qu'on la trouve dans un composé subordinatif ascriptif comme récif barrière ou bien [NAdj]N avec adjectif catégorisant comme dans ours brun. Si l'on suit le principe théorique de ne pas attribuer à la morphologie (et donc à la composition) ce qui peut être formé par la syntaxe (Fradin 2009), et en tenant compte des suites occasionnelles à adjectif qualifiant évoquées plus haut, on peut considérer qu'on a affaire à des suites syntaxiques N + Adj lexicalisées. Mais il se pose alors deux problèmes : d'une part, les composants droits de médecin inspecteur ou aviso escorteur n'ont rien d'adjectival, problème qu'on peut sans doute régler par une analyse de ces unités en composés [NN]N coordinatifs, d'autre part ceux de train désherbeur, esprit frappeur, raton laveur, n'ont pas d'existence en dehors des unités ci-dessus, et donc on ne peut envisager la lexicalisation d'une suite nom + adjectif préexistant. Si l'on admet que les classes de mots des composants ne sont pas pertinentes à l'intérieur des composés (voir $Fabb 1998), on peut alors envisager un mécanisme morphologique complexe rappelant, toutes choses étant égales d'ailleurs, celui qui forme les composés dits synthétiques des langues germaniques, sur la structure desquels il existe des analyses contradictoires. La classe [NVant]N est sémantiquement proche de la précédente, le nom correspondant à l'agent du procès représenté par le verbe sous-jacent : une plaque tournante est une plaque qui tourne. L'accord du déverbal avec le nom exclut une analyse en participe présent, et il y a là aussi une similarité avec des suites syntaxiques N + Adj verbal: horloge parlante ~ attitude parlante. Pour les mêmes raisons que pour la classe [NVeur]N, on peut faire l'hypothèse d'un mécanisme complexe de composition. Fabb, Nigel, 1998, "Compounding", In Spencer, Andrew et Zwicky, Arnold M., éds., The Handbook of Morphology, Oxford, Blackwell, pp. 66-83. Fradin, Bernard, 2009, "IE, Romance: French", In Lieber, Rochelle et Štekauer, Pavol, éds., The Oxford Handbook of Compounding, Oxford, OUP, pp. 417-435.