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Varef-Marseille
28 Janvier 2016
Vivre dans une société multiculturelle et multi cultuelle
Christian Salenson
ISTR-Marseille
Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’argumenter pour montrer que l’on vit
dans des sociétés plurielles ? Le fait est là, prégnant et durable. La pluralité culturelle
et religieuse existait auparavant mais la société était plus uniforme. L’hégémonie de
l’Église catholique absolue sous l’Ancien régime après la révocation de l’Édit de
Nantes en 1685, s’est poursuivie au XIXe et jusqu’à une période récente. Les
musulmans étaient présents dans la République bien avant les années 1960 puisqu’il y
avait trois départements algériens. Mais quelle considération la République avait-elle
de ces Algériens musulmans ? Rappelons que contrairement à ce que prévoyait la loi
de 1905, en son article 43, la séparation entre État et religion musulmane ne fut jamais
appliquée en Algérie.
La République a été ébranlée au cours de son histoire par la présence et le rejet
du judaïsme. L’affaire Dreyfus a déchiré la France à la fin du XIXe. Les catholiques
furent presque unanimement antidreyfusards. Rares furent ceux qui tels Péguy
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, ou
Léon Bloy
2
prirent le parti inverse. Cet antijudaïsme qui a fini par anesthésier les
consciences, s’est terminé comme l’on sait avec le nazisme, la collaboration de l’État
français et le silence assourdissant des responsables de l’Église catholique lors des lois
antijuives
3
. Peu nombreux furent aussi ceux qui prirent le parti de la résistance et
souvent à l’encontre de leurs supérieurs hiérarchiques
4
.
La question de l’altérité culturelle et religieuse se pose aujourd’hui de façon
nouvelle, au sein de la société française à la faveur d’un métissage social, culturel et
religieux, que l’on ne peut plus ignorer. Il est le résultat de l’immigration en particulier
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Charles Péguy, « les cahiers de la quinzaine, Œuvres complètes, Gallimard.
2
Léon Bloy, Le salut par les juifs.
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le premier Statut des Juifs du 3 octobre 1940, préparé par Raphaël Alibert, interdit aux Juifs français
d'exercer un certain nombre de professions : fonctionnaire, enseignant, journaliste, dirigeant de certaines
entreprises, etc.
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Les Cahiers du témoignage chrétien ; De Lubac, Lettre à mes supérieurs. Ou encore Yves de
Montcheuil, Chaillet etc.
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d’Afrique du Nord avec le passage d’une immigration de travailleurs à une
immigration des familles, et plus généralement de la globalisation du monde qui voit
désormais des populations fuir la guerre et/ou la famine.
I- La République face à la pluralité culturelle et religieuse
La République se trouve devant une situation inédite. Elle avait appris à
composer avec les églises et particulièrement avec l’Église catholique qui, à la faveur
d’une interprétation positive de la loi de séparation avait fini par accepter la laïcité. La
République doit désormais relever le défi aussi de l’islam. Or cette religion a une
visibilité sociale plus forte que les églises chrétiennes. Les pratiques religieuses
s’inscrivent socialement dans des règles alimentaires, des nourritures prohibées, des
périodes de jeûne etc. et dans des coutumes religieuses vestimentaires, quasiment
absentes avec le christianisme. Or cette visibilité sociale dérange un certain nombre de
citoyens, d’autant plus que la religion est l’islam.
De nombreux français réduisent la religion à la liberté de conscience et
s’imaginent, encouragés en cela par les discours médiatiques, que la religion doit être
un phénomène privé. Or la religion est par nature publique. Depuis la loi de 1905,
l’Église catholique n’est plus de droit public mais de droit privé au même titre que les
partis politiques, les syndicats ou les associations mais elle se manifeste dans la sphère
publique et participe comme les autres organisations sociales au débat démocratique.
Au moment de loi dite du « mariage pour tous » un certain nombre de citoyens ne
concevaient pas que des catholiques puissent manifester publiquement leur désaccord.
Le défi est double. La République doit apprendre à vivre avec cette pluralité
religieuse. A contrario, les religions en général et l’islam en particulier, doivent
apprendre à vivre dans des régimes démocratiques, dans lesquelles la religion n’est pas
une évidence et ne s’impose pas à tous.
Le communautarisme
Le communautarisme est souvent montré du doigt. Il se présente comme une
tentation de repli de groupes religieux sur une culture native, réelle ou fantasmée. Il est
souvent dénoncé, à juste titre pourrait-on dire, si on entend par la fait que des
groupes culturels ou religieux se retrouvent entre eux dans une sorte d’endogamie
culturelle. Toutefois, on doit faire preuve de prudence et user de ce terme avec
circonspection. Il me semble qu’il y a communautarisme quand il y a refus de
participer à la vie et au destin de la communauté nationale mais qu’on ne peut accuser
des groupes de communautarisme quand les manifestations d’appartenance culturelles
ne contreviennent pas aux valeurs et aux règles de la République.
L’intégration
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On oppose au communautarisme l’intégration. Mais ce concept lui-même
mérite aussi quelques distances critiques. Que veut dire intégration ? Et intégration à
quoi ? S’il s’agit d’accepter les lois qui gèrent le pays, la question ne supporte aucune
discussion. Mais si par intégration, on entend l’uniformisation, chacun est en droit de
la refuser. Chacun a le droit de manger ce qu’il veut, de s’habiller comme il l’entend et
de prendre les loisirs qu’il souhaite et cela en vertu d’un droit humain fondamental
qui est la liberté et la liberté d’expression. Il peut même y avoir des volontés
d’intégration qui soient destructrices. Ce témoignage d’un djihadiste doit être pris avec
prudence et surtout pas comme une justification mais il fait comprendre aussi
comment des individus peuvent être déstabilisés :
« J’ai arrêté mes études. Mais c’est un choix, un suicide volontaire. J’ai
été un élève plutôt brillant mais lorsque j’ai compris que le mode de vie que me
proposait le système social français ou européen ou occidental cherchait à me
déposséder de mon identité musulmane, de me désintégrer pour me faire
adhérer aux valeurs dites nouvelles, j’ai senti que j’étais en danger dans ma
personnalité
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».
De fait la question se pose. De quelle intégration s’agit-il ? Chacun doit
distinguer entre ses propres réactions viscérales et apprendre à vivre avec la désormais
inévitable diversité du peuple français. Quelqu’un peut ne pas aimer le fait que des
femmes portent le voile dans la rue, sa réaction est parfaitement légitime mais il ne
peut vouloir l’interdire. Parfois on appelle intégration ce qui relève plutôt d’une
volonté d’assimilation. Certains partis osent le mot.
Claire Ly, qui est une immigrée du Cambodge, internée dans les camps de Pol-
pot, convertie à la foi chrétienne, substitue au concept d’intégration celui d’adoption.
Cette notion a l’avantage de montrer la réciprocité et de l’inscrire dans une sorte
d’apprivoisement mutuel dans la durée. On ne peut pas demander à quelqu’un
d’adopter la France sans qu’en retour il soit adopté.
La laïcité
Face à ce défi la République dispose du principe de laïcité. Elle l’affirme dans
sa constitution de 1958. « La République est laïque. » La laïcité est un principe
juridique issu de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Cette loi a été
durement acquise contre l’hégémonie de l’Église de France et à l’encontre des
courants antireligieux ou gallicans qui entendaient en faire une loi de combat contre
l’Église et d’achèvement de la déchristianisation. Cette loi fut en fait une loi
d’apaisement que l’on doit à deux hommes d’exception que furent Aristide Briand et
Jean Jaurès.
Elle instaure une séparation stricte entre l’État et les Églises : « l’État ne salarie
ni ne subventionne aucun culte ». Mais elle est aussi une loi qui veille à ce que non
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Revue Esprit, n° 421, janvier 2016, p. 51.
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seulement personne ne soit inquiété pour ses croyances, sa religion ou ses opinions
mais encore que chacun puisse pratiquer la religion de son choix. A tel point que l’État
subventionne des aumôniers dans les lycées, les hôpitaux et les prisons pour que
chacun puisse vivre sa religion.
De tous temps la laïcité a été traversée de courants qui l’interprétèrent
différemment. De nos jours, face à l’islam, certains courants anticléricaux ont même
repris un regain de vitalité et trouvent la médiatisation dont ils ont besoin comme on le
voit avec Michel Onfray par exemple. D’autres courants ont vu le jour. La laïcité qui
était traditionnellement une idée de gauche a migré à droite, d’abord reprise par la
droite républicaine qui pensait que désormais la laïcité n’inquiétait plus les catholiques
de France et qu’elle pouvait être un bon argument électoral. La loi Stasi du 15 mars
2004, initié par François Barouin, en est un fruit. La droite républicaine n’avait pas
imaginé que cette idée lui serait subtilisée par l’extrême droite. Les adeptes des
religions en général et un nombre conséquent de démocrates demandent une laïcité
ouverte. Ces conceptions différentes de la laïcité s’affrontent dans le champ social
comme on l’a vu ces derniers jours entre le premier ministre Manuel Valls et Jean
Louis Bianco, proche du président et responsable de l’Observatoire sur la laïcité, dans
l’esprit de la loi de 1905. Un des problèmes majeurs est l’instrumentalisation politique
de la laïcité par les partis politiques. Si la laïcité devient la religion civile de la société,
alors le principe juridique qui garantit la vie en commun perd son efficacité. On
comprend que les adeptes des religions prennent des distances avec ce qui deviendrait
alors la religion civile de la République, comme l’a malencontreusement dit
récemment un ministre.
Un des risques encourus est une laïcisation de la société, avec une volonté
d’éradiquer les religions et toute manifestation religieuse de l’espace public. Ce serait
contraire à la loi de 1905. Le cardinal Ricard a alersur ce point dans une conférence
importante donnée à Rome : « L’État est laïc la société non ! » Entendons par que
dans la laïcité, l’État est neutre mais non la société. La neutralité des agents de l’État
ne peut s’étendre à tous
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. Les religions ont leur place dans l’espace public et dans le
débat démocratique.
Conclusion de cette première partie :
Face à tout cela une question plus fondamentale se pose. Pourquoi la différence
dérange-t-elle à ce point ? L’histoire européenne nous prédispose pas à une
considération positive de l’altérité depuis les grecs qui qualifiaient les autres de
barbares, les chrétiens et leur rejet des juifs, les indiens du nouveau monde dont on se
demandaient s’ils avaient une âme, l’esclavage des noirs aux Antilles, les indigènes
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Question posée par la crèche baby-loup.
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des colonies citoyens de seconde zone et jusqu’à la relation homme femme avec
laquelle on en a pas fini, ni dans la société ni dans l’Église.
La révélation chrétienne nous fournit cependant des éléments de réflexion. Le
mythe de Babel nous a appris le danger de l’uniformisation, d’une trop grande volonté
d’unité, du refus des différences, de la volonté d’intégration. Il y a mieux à faire entre
nous quand le récit de Pentecôte, sous la symbolique des langues de feu fait valoir
l’unicité de chacun comme expression différenciée d’une unité originelle. Le même
récit dit de manière fort imagée que lorsque chacun parle sa langue, il peut être
entendu de tous. Le pape Jean-Paul II dans un célèbre discours de son pontificat a
développé l’idée que l’unité est le fondement
7
. Entre deux êtres humains la différence
n’est presque rien en rapport avec ce qu’ils ont en commun. Christian de Chergé a
montré comment la différence est simplement une manière de décliner cette unité
foncière.
II- Le choix et l’engagement de l’Église catholique
Ceci me conduit à la deuxième partie de cet exposé. Je voudrais rappeler
l’engagement de l’Église afin que nous puissions dans un troisième temps situer la vie
des établissements dans cet engagement. Au concile Vatican II l’Église s’est
solennellement engagée dans le dialogue entre les religions. Mais ce choix ne revèle
vraiment sa pertinence que si nous l’inscrivons dans l’histoire récente. Le dialogue
interreligieux a son origine dans le drame de la Shoah.
La shoah
La shoah est l’événement décisif du XXe siècle. Il reste pour une bonne part
incompréhensible. Il marque une rupture décisive de civilisation. Il est le coup de
grâce porté à la chrétienté, laquelle a largement participé à ce drame par des siècles
d’antijudaïsme qui ont anesthésié les consciences. Pendant la guerre, la hiérarchie
catholique fut largement pétainiste et son assourdissant silence lors du décret du statut
des juifs
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augurait du silence complice d’une grande majorité d’entre eux
9
. A la
libération le très catholique de Gaulle a imposé le départ du nonce, et demandé le
départ de 25 évêques que le nouveau nonce, le philosémite Roncalli, futur Jean XXIII
et fin diplomate, parviendra à ramener ultimement à trois. La trahison de l’Église de
France, et pire encore de l’Église d’Allemagne
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, ne doit pas faire oublier la réaction
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Jean Paul II, « Discours aux cardinaux et aux membres de la curie du 22 décembre 1986 ».
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Le premier statut des juifs, octobre 1940.
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Le 30 septembre 1997 les évêques français ont reconnu leurs torts dans un acte de repentance lu à
Drancy par olivier de Berranger. « Trop de pasteurs de l’Église ont par leur silence offensé l’Église
elle-même et sa mission. Aujourd’hui nous confessons que ce silence fut une faute… »
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Quelques chrétiens allemands, peu nombreux, entrèrent en résistance, dont Dietrich Bonhoeffer.
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