SPEECH/00/485 M. Frits Bolkestein Membre de la Commission européenne en charge du marché intérieur et de la fiscalité Le développement du capital-risque, clé de la compétitivité et de la création d'emplois dans l'Union européenne Déjeuner/débat à la chambre de commerce franco-néerlandaise Paris, le lundi 4 décembre 2000 Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, C’est pour moi un honneur et un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui et je voudrais remercier Monsieur van der Ende ainsi que la Chambre de Commerce franconéerlandaise de m’avoir invité à ce déjeuner-débat, au moment ou la France préside l’Union Européenne. En tant que Membre de la Commission européenne en charge du marché intérieur et des services financiers, le thème dont je souhaiterais vous entretenir aujourd’hui est celui du capital-risque, parfois dénommé «capital-investissement» et bien connu sous son appellation américaine de «venture capital». Compte tenu du temps qui m’est imparti, je m’efforcerai, dans cette brève présentation, d’examiner successivement: Le rôle du capital risque dans la «nouvelle économie» et les obstacles à surmonter en Europe; Le bilan des efforts de l’Union européenne en faveur de la promotion du capital risque. Le rôle du capital risque dans la «nouvelle économie» et les obstacles à surmonter dans l’Union européenne Le capital-risque, facteur-clé pour la «nouvelle économie» Un grand nombre d’études et travaux de recherche académiques confirme l’idée intuitive selon laquelle les économies performantes s’appuient d’abord sur des systèmes financiers modernes et bien développés. Dans ce contexte, le capitalrisque, malgré ses dimensions modestes par rapport aux autres marchés financiers, joue un rôle essentiel de fournisseur de fonds propres aux entreprises jeunes et innovatrices. Ces sociétés, parfois appelées «gazelles», aspirent à devenir les champions de demain, les créateurs et principaux fournisseurs des biens et services du XXIème siècle. Elles développent tous azimuts des nouvelles technologies qui, une fois répandues dans le système productif, y compris dans les grandes entreprises, favoriseront une croissance plus rapide de la productivité et par conséquent de la compétitivité. De ce point de vue, l’existence d’un marché de capital-risque bien développé a des conséquences stratégiques indéniables, surtout dans un monde de plus en plus globalisé. L’exemple des Etats-Unis dans la dernière décennie offre une démonstration éclatante de cette analyse. Ces sociétés nouvelles sont aussi des vecteurs de création d’emploi. De nombreux indices montrent qu’en Europe l’emploi augmente plus rapidement dans les sociétés qui ont bénéficié de capital-risque. En effet la majeure partie du capitalrisque, de l’ordre de 80%, est dépensée en salaires. Par ailleurs, les emplois créés sont de qualité et d’avenir. Pour donner un exemple plus précis, aux Etats, Unis entre 1991 et 1995, 3% des entreprises considérées comme «gazelles» ont représenté 80% de la création d’emploi, soit 6 millions sur les 7,7 millions d’emplois supplémentaires créés par l’économie américaine pendant cette période. 2 Les obstacles restant à surmonter dans l’Union européenne Dans le but d’accélérer l’innovation et la création d’emplois en Europe, la Commission Européenne a adopté, en avril 1998, un plan d’action ambitieux pour éliminer les barrières qui subsistent encore au bon fonctionnement des marchés de capital-risque dans l’Union européenne. A cette occasion, la Commission a pu identifier six types de barrières au développement du capital-risque en Europe : La fragmentation des marchés financiers européens; Les obstacles institutionnels et réglementaires tels que, par exemple, l’absence d’un prospectus unique pour les émissions en bourse, des règles de comptabilité différentes, l’absence de fonds de pensions dans certains pays ; L’existence de régimes fiscaux très divers et peu favorables au développement du capital-risque; Le manque d’ingénieurs dans le secteur des technologies de l’information, où se créent généralement les nouvelles sociétéset l’absence – au stade actuel - d’un brevet communautaire; Le nombre très insuffisant de spécialistes du capital risque et de techniciens pour maîtriser les nouvelles technologies; Les obstacles culturels, avec des règles de faillite et d’insolvabilité très contraignantes, qui ne permettent pas de donner une seconde chance aux entrepreneurs et le caractère récent de l’investissement en actions dans certains Etats membres. Ce Plan d’Action a été identifié comme une priorité par le Conseil européen de Lisbonne de mars dernier, qui a souhaité sa mise en oeuvre d’ici 2003. Les conclusions de Lisbonne ont mis l’accent sur le rôle majeur joué par l’efficacité des marchés de capital-risque pour le développement de PME innovatrices à forte croissance ainsi que pour la création d’emplois nouveaux et durables. Ces conclusions prennent toute leur portée au regard de l’ambition formulée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement à Lisbonne: faire de l’Europe, d’ici 2010, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Pour réaliser cet objectif stratégique, il est clair que nous devons créer et développer d’ici là de nombreuses sociétés liées aux nouvelles technologies. Toute la capacité innovatrice de l’Europe doit être mise à contribution. Nos marchés de capital-risque doivent être prêts à relever le défi. Le bilan des efforts de l’Union européenne en faveur de la promotion du capital-risque Tout d’abord, où en sommes-nous ? L’année 1999 a été une bonne année pour le marché du capital risque dans l’Union européenne, qui a connu une croissance vigoureuse par rapport aux années précédentes. 3 Par exemple, le nombre de réseaux de «business angels» a presque doublé en 1998 et 1999, atteignant le niveau de 110 réseaux actifs. En ce qui concerne le capital-risque plus structuré, on relève en 1999 une augmentation de 70% par rapport à 1998 et on passe d’un investissement d’environ 7 milliards d’euros en 1998 à quelque 12 milliards d’euros en 1999. Le nombre de sociétés financées a été d’environ 7.300, soit une hausse de 44% par rapport à 1998. Malgré ces progrès, le marché du capital-risque en Europe reste fragmenté et modeste par rapport à notre grand partenaire que sont les Etats Unis. C’est particulièrement vrai pour les investissements de départ («early stage») et les investissements dans les secteurs technologiques. En effet, aux Etats Unis, l’investissement en capital-risque s’est élevé à 33 milliards d’euros en 1999, soit une augmentation de 150% par rapport à 1998. Sur ce total, 13 milliards correspondent à des capitaux de départ, soit un montant supérieur à la totalité des investissements en capital-risque dans l’Union européenne et quatre fois plus important que les investissements en capital de départ dans l’Union. En un mot, l’Europe dépense, approximativement, par tête d’habitant, un cinquième de l’effort consenti par les Etats Unis. Afin de combler l’écart considérable avec les Etats-Unis et d’être en mesure d’atteindre l’objectif stratégique «2010» fixé à Lisbonne, il nous faut agir dans plusieurs domaines. Que nous reste-t-il à faire ? Dans sa communication sur le capital-risque, approuvée en octobre dernier, la Commission européenne a retenu trois types de mesures prioritaires, visant à : Accélérer l’intégration du marché européen; Accélérer les réformes structurelles nécessaires pour alléger les contraintes d’origine nationale; Promouvoir l’esprit d’entreprise. Afin d’atteindre l’objectif d’intégration du marché financier européen, la Commission met tout en œuvre pour la réalisation de son plan d’action sur les services financiers, d’ici 2005, comme l’a souhaité le Conseil européen de Lisbonne. A titre d’exemple, le 11 octobre dernier, la Commission a adopté une proposition de Directive concernant la surveillance prudentielle des institutions de retraite complémentaires, qui garantit à la fois un haut niveau de sécurité aux futurs retraités et une liberté suffisante de gestion aux institutions de retraite complémentaires. D’autres mesures seront prises dans un futur prochepour encourager l’intégration des marchés de gros, telles que l’amélioration des procédures transfrontalières relatives aux prospectus d’émission, l’adoption de règles comptables communes, ou des mesures visant à contrer la manipulation des marchés. Enfin, le «Comité des Sages» présidé par M. Lamfalussy et créé à l’initiative de la Présidence et de la Commission pour analyser la régulation des marchés boursiers européens a rédigé un rapport d’étape qui a reçu un très bon accueil au Conseil ECOFIN du 27 novembre dernier. Le Comité rendra son rapport définitif à la mifévrier 2001, en vue d’une adoption au Conseil européen de Stockholm en mars 2001. 4 Dans un deuxième domaine, celui des réformes structurelles au niveau national, il appartient aux Etats de prendre des mesures pour alléger certaines contraintes. Il s’agit, tout d’abord, des restrictions réglementaires au placement en capital-risque visant les investisseurs institutionnels. Il s’agit, également, des contraintes administratives pesant sur la constitution d’une société ou des dispositions régissant la faillite et l’insolvabilité. Il s’agit enfin, d’un certain nombre d’obstacles de nature fiscale. J’invite donc les Etats membres à agir sans tarder et à lever ces barrières. Dans un troisième domaine, celui des obstacles d’ordre culturel au développement de l’esprit d’entreprise, il faut stimuler davantage la création d’entreprise par des chercheurs. D’une manière générale, de nombreuses mesures ont déjà été prises pour développer l’esprit d’entreprise, tant par l’Union que par les Etats membres aux niveaux national et régional. C’est un effort de longue haleine et il nous faudra être persévérants. A titre d’exemple, en juillet dernier, la Commission européenne a adopté une proposition de règlement relative à un brevet Communautaire, qui permettra de réduire les coûts supportés notamment par les PME innovatrices, tout en renforçant leur sécurité juridique. Pour conclure, Monsieur le Président, il est clair que les institutions communautaires et chacun des Etats membres doivent prêter un intérêt particulier au développement du capital-risque, tant du côté de l’offre que du côté de la demande. Nous devons travailler tous ensemble, y compris les universités, les centres de recherche et l’industrie en général. Ce qui est jeu, c’est la compétitivité de nos entreprises et la création d’emplois de qualité et d’avenir. Il est de notre devoir de combler notre retard par rapport aux Etats-Unis et de créer une nouvelle économie plus moderne, plus dynamique et innovatrice, à la hauteur des ambitions exprimées par les chefs d’Etats et de Gouvernement à Lisbonne. La prochaine décennie devra être la décennie du capital risque et nous devons être prêts à y coopérer. Je vous remercie de votre attention. 5