De l’indépendance de la presse financière ! Hakim Ben Hammouda Le monde de la presse financière est sens dessus dessous depuis quelques mois. En effet, les grands capitaines d’industrie ont décidé de s’attaquer à ces groupes de la presse financière qui ont réussi à garder une grande autonomie et indépendance en dépit de la tendance à la concentration dans le domaine de la presse et des médias. Cette tendance de prise de contrôle et de rachat de la presse financière ne se limite pas à la France avec les tentatives de l’homme d’affaires Bernard Arnault et de son groupe LVMH de prendre le contrôle du quotidien Les Echos. Ainsi, aux Etats-Unis l’homme d’affaires Robert Murdoch a offert 5 milliards de $ pour racheter le groupe d’informations financières Dow Jones qui contrôle le quotidien Wall Street Journal et l’agence Dow Jones. Par ailleurs, l’agence britannique Reuters longtemps leader sur le marché de la presse financière a été racheté par le Canadien Thomson pour 13 milliards de $. En France, le groupe LVMH a offert jusqu’à 250 millions d’euros pour le rachat du quotidien Les Echos au groupe Pearson. Comment expliquer cet intérêt récent au marché de l’information financière et ces tentatives de rachat et de prise de contrôle dans un secteur resté longtemps en dehors des mouvements de concentration ? Il est évident de ce point de vue que la taille gigantesque de ce secteur est un facteur d’attraction des industriels. Il faut rappeler qu’aujourd’hui la presse et l’information financière représentent un chiffre d’affaires de 12 milliards de $. Un chiffre qui ne laisse pas indifférent les groupes en quête d’opportunité d’investissement. Il faut également mentionner le dynamisme de ce secteur pour expliquer les convoitises récentes en direction des groupes d’information financière. En effet, plusieurs groupes importants sont de création récente dont le groupe Bloomberg qui a été crée en 1983 et a réussi à devancer Reuters pour devenir le leader mondial dans le domaine de l’information financière. Par ailleurs, d’autres groupes comme les chaînes de télévision CNBC (1989) et MSNBC (1996) sont de création toute récente. Mais, plus important et au moment où le marché de la presse générale est entrain de baisser celui de la presse financière est entrain de connaître une croissance rapide. En effet dans ses temps de globalisation le besoin de l’information financière en temps réel est de plus en plus important et les opérateurs économiques sont en quête des dernières informations sur les prix, les cours des actions, les évolutions des marchés…Cet attrait pour l’information financière s’est également traduit par une progression rapide des résultats des groupes et de leur rentabilité financière. Ainsi, par exemple le groupe Bloommberg, leader de ce secteur, pour un chiffre d’affaires de moins de cinq milliards de $ a réalisé un résultat d’exploitation de 1,5 milliards de $ alors que le résultat de News Corporation, l’empire de Robert Murdoch et le leader mondial de la presse d’information générales, est de 3,5 milliards de $ pour un chiffre d’affaires cinq fois plus importants et avoisinant les 25 milliards de $. Ainsi, les groupes de presse financières présentent des résultats importants et deviennent par conséquent la cible privilégié des investisseurs internationaux et surtout des grands groupes industriels. Or, ces mouvements de rachat et de contrôle suscitent beaucoup d’inquiétudes pour preuve les mouvements de grève des journalistes qui ont accompagné les prises de contrôle des organes de la presse financières par d’autres groupes industriels. Ces inquiétudes ont été exprimés de manière claire dans des journaux comme le Financial Times ou le NewYork Times, pourtant connues pour leur retenue dans le domaine, mais qui ont publié des éditoriaux très opposés au rachat par Murdoch du Wall Street Journal. Dans son éditorial Martin Wolf, le célèbre journaliste du FT, souligne que « les journaux économiques sont là pour informer. Le moindre doute quant à leur rigueur et à leur indépendance dans le traitement de l’information détruit leur valeur ». Ainsi, la question de l’indépendance et de la neutralité de la presse économique est au centre de ses mouvements de concentration et de prise de contrôle dans ce secteur. Plusieurs observateurs se posent la question du traitement de l’information pour les entreprises filiales du même du groupe. Un journal financier aura-t-il la liberté de traiter des difficultés financières d’une autre filiale ? Pourra-t-il traiter de manière objective les performances des autres filiales du même groupe ? Les opérateurs économiques feront-ils confiance aux informations diffusées par un journal appartenant à un groupe industriel ? Autant de questions qui expliquent l’inquiétude suscitée par les rachats des groupes d’information économique. Conscient de ces risques et de ces inquiétudes R. Murdoch s’est engagé à mettre en place une structure qui garantirait l’indépendance du Wall Street Journal. Mais, en dépit de ses assurances, la concentration en cours posera un grand défi pour l’avenir de la presse d’information économique. Hakim Ben Hammouda.