la nature à laquelle s’appliquent les lois de l’entendement et qui relève du conditionné, et un
monde moral, celui de la liberté dans lequel doit s’exercer l’influence des Idées de la raison
qui relèvent de l’inconditionné. Or, cette représentation de mondes différents ne peut pas
satisfaire la raison. Les législations de la raison et de l’entendement s’exercent en effet selon
deux domaines, mais Kant affirme qu’elles se rapportent à un seul et même territoire, celui
de l’expérience. A cette distinction du sensible conditionné et du suprasensible inconditionné
correspond, du point de vue du
Gemüt
la distinction de la faculté de connaître et de la
faculté de désirer. La première faculté correspond à la philosophie théorique qui articule des
concepts de la nature sur le domaine desquels l’entendement légifère. A la faculté de désirer
correspond la philosophie pratique, au sens de philosophie éthique, qui a trait au concept de
liberté sur le domaine duquel la raison est législatrice.
Dans cette perspective, le rapport du Gemüt au monde et à la nature tel qu’il est
retranscrit dans la Préface de la
Critique de la Faculté de juger
est très problématique: aux
domaines sur lesquels légifèrent entendement et raison, qui sont les parties des champs où
une connaissance est pour nous possible, Kant oppose l’unité d’un seul territoire sur lequel
viennent véritablement s’opposer deux législations. Or, si le monde de la liberté peut être
pensé sans contradiction, on ne peut en établir une connaissance certaine. Le seul monde
qu’il nous est possible de connaître, c’est celui qui est déterminé par les lois de
l’entendement, c’est-à-dire ce que Kant appelle la
natura formaliter spectata
. Celle-ci n’est
pas autre chose que l’ordre et la régularité des phénomènes; correspondant aux formes de
synthétisation a priori du
Gemüt
, elle est un système de lois qui concernent l’expérience
possible, et non pas réelle, parce que ces jugements sont les principes de l’entendement pur.
Tout y est nécessaire selon des causes et des lois, formellement déterminé par la légalité de
l’entendement.
« C’est donc nous-mêmes qui introduisons l’ordre et la régularité dans les
phénomènes que nous nommons nature, et nous ne pourrions les y trouver, s’ils n’y avaient
été mis originairement par nous ou par la nature de notre esprit. »
. Cette nature est donc
« la conformité des phénomènes à la loi dans l’espace et le temps. »
.
Cette nature, est problématique à plusieurs niveaux: premièrement, parce que son
fondement suprasensible est inconnaissable et que tout y est déterminé, même si Kant a
montré que la liberté ne saurait être exclue dans la chose en soi, dans le monde comme
noumène. Deuxièmement, parce qu’elle n’épuise pas le territoire sur lequel viennent
s’appliquer les deux législations dégagées. En effet, cette nature, c’est celle que considère
formellement une physique mathématique qui appréhende les phénomènes avec une liaison.
Mais elle ne constitue qu’un seul des domaines des deux législations de l’entendement et de
la raison qui s’appliquent sur un seul territoire de l’expérience sur lequel s’exerce en outre la
faculté de juger, faculté de subsumer un particulier sous un universel, qui est la seule faculté
dont les concepts ne possèdent pas de domaine. Sur ce territoire se rencontre en effet une
multiplicité de genres et d’espèces pour lesquels l’entendement, qui établit les conditions de
possibilité de l’expérience qui sont aussi conditions de possibilité des objets de l’expérience,
ne peut pas trouver de lois.
Le thème de l’empiricité est donc le lieu d’une opposition fondamentale entre la
nature générale, au sens de déterminée par l’entendement qui édicte les conditions de
l’expérience en général, et la nature dans la diversité de ses êtres et de ses genres que Kant
appelle dans l’Introduction à la
Critique de la Faculté de juger
« la nature dans la diversité de
ses lois empiriques ». En quoi l’applicabilité de conditions de l’expérience édictées par
Kritik der reinen Vernunft Ak IV, 85.
Kritik der reinen Vernunft, Ak III, 126.