Cage

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John Cage 1912-1992
« Happy new ears ! »
Eléments bibliographiques :
Jean-Yves BOSSEUR – John Cage - Minerve (Collection « Musique ouverte »), 1993, 2000
Richard KOSTELANETZ – Conversations avec John Cage – Edition des Syrtes – 1997, 2000
John CAGE – Pour les oiseaux (Entretiens avec Daniel Charles) – Editions L’Herne – 2002
CD-ROM La musique électroacoustique – INA/GRN – Editions Hyptique - 2000
Médiathèque de l’IRCAM : http://mediatheque.ircam.fr/ , Dossier-Compositeurs article John
Cage
(Intéressant notamment pour la nomenclature des œuvres principales de Cage).
SOMMAIRE
1- Biographie
p. 2
2- Influences
p. 3
Schönberg
Eric Satie
Thoreau
Bali, la pensée orientale
3- Démarche compositionnelle : principes généraux
Harmonie, micro-intervalles
Variations
Relation texte – musique
Esthétique de la citation ?
p. 5
Les exécutions simultanées
L’indépendance des instruments de l’orchestre
Le rôle du chef d’orchestre
4- Le rapport avec les autres Arts
p. 8
Arts graphiques
Danse : Cage et Merce Cunningham
Théâtre et musique ; Happenings
5- Le rôle de la partition chez Cage
p. 11
6- Hasard et indétermination
p. 11
I Ching
Time brackets
La question de l’improvisation chez Cage
7- La notion de silence chez Cage
p. 13
8- Cage et le temps
p. 14
9- La notion de timbre chez Cage
p. 15
10-
La relation compositeur – interprète
p. 17
11-
Le nombre
p. 17
1- Biographie
Né en 1912 à Los Angeles. Père scientifique, « Inventeur » (J. Cage)
Anime à 12 ans une émission de radio hebdomadaire. Apprends le piano dont il poursuit
l’étude à Paris à l’âge de 18 ans (séjour de 18 mois où il découvre également la peinture
contemporaine). Pratique à son retour en Californie la Peinture.
Rencontre avec Henry Cowell qui le pousse à la composition ; études avec Arnold
Schoenberg, à partir de 1933 à l’Université de Californie, pour lequel il voue un véritable
culte.
En 1937, il s'installe à Seattle où il forme un orchestre de percussions, avant d'en monter
d'autres à San Francisco, à Chicago et à New York (où il réside à partir de 1942). Dans cette
ville, rencontres avec André Breton, Mondrian, Marcel Duchamp (avec qui il apprend les
Echecs), Max Ernst. Se passionne pour Dada. Rencontre Merce Cunningham (en fait dans les
années 30), début d’une longue collaboration… (Direction musicale de sa compagnie).
Fin des années 40 (1946-47), découvre la philosophie orientale et pratique le bouddhisme zen.
(cours avec le Maître japonais Suzuki). Changement profond de sa conception de l’Art.
1949 : Paris, rencontre avec Schaeffer et Boulez, découverte des studios de la Radio et de la
musique concrète.
Années 60 : compositeur en résidence, itinérant aux USA. Commence à gagner de l’argent
avec sa musique… Conférences.
Par le simple rejet de l'intentionnalité jugée si nécessaire à la composition, John Cage a su
changer la nature de la musique telle qu'elle est perçue habituellement. Cage prône une
pratique radicale de l'aléatoire, niant l'idée même d'une décision de l'artiste
Principales œuvres :
-
Double music (1941), pour quatuor de percussions, écrite avec Lou Harrison
-
Credo in US (1942), première pièce écrite pour Cunningham
-
Chess Pieces (1944) , avec sa partition-échiquier
4’33 (1952), qui restera pour lui une œuvre fétiche : « Il ne se passe pas un jour sans
que j’en fasse usage dans la vie et dans mon travail ; j’y pense toujours avant d’entreprendre
une nouvelle pièce »
Imaginary landscape No 5 (1952) , collage sur bande magnétique de 42 disques de jazz
selon des méthodes de hasard.
Music of changes (1954), pour piano, fondée sur le méthode I Ching (prononcez Yi
King)
Concert for piano and orchestra (1958) « sorte de manifeste de sa conception de la
musique » (JY Bosseur p. 47)
Songbooks (1970) : 90 soli, en deux volumes, pour voix et éventuellement théatre et
dispositif électroacoustique
-
Variations I (1958), II (1961),, IV (1963), V (1965) …
-
Cartridge music (1960)
-
Inlets (1977 ) – utilisation de conques remplies d’eau
-
Freeman Etudes (1980) pour violon
2- Influences
Mozart, Grieg…
Mozart / Bach : « La différence, c’est la différence entre tout s’ajustant ensemble, comme
dans la musique de Bach, et venant pour nous rassurer sur l’existence de l’ordre. Mozart fait
autre chose. Il nous donne une musique qui se caractérise par la multiplicité. Cette tendance
m’intéresse plus que la tendance à l’unité. »
Cage estimera toute sa vie que les influences provenant d’autres disciplines sont plus vivantes
que celles que l’on reçoit de son propre domaine. Il faut rappeler qu’il a longtemps hésité à se
consacrer à la musique, ayant notamment songé à la peinture et aux arts graphiques.
1981 : publication, selon la technique des mesostiches* , de James Joyce, Marcel Duchamp,
Erik Satie : An alphabet. Trois personnages dont les oeuvres, selon Cage, « ont résisté à la
marche de l’entendement et sont donc aussi fraîches que lorsqu’elles ont été créées. »
*Mesostiche (mesos = milieu) : Alors que, dans l’acrostiche, le nom du dédicataire est inscrit
verticalement au milieu du poème, celui-ci se lit au milieu, une des règles étant de ne pas faire
réapparaître une lettre imprimée en majuscule dans l’espace qui la sépare de la précédente.
Ø
Schönberg
Cage fut son élève de 1933 à 1935.
Malgré son peu d’intérêt et son absence de sens pour l’harmonie… (relevé par
Schoenberg : « Ecrire malgré cela revient à se frapper la tête contre un mur » -> « Eh bien, je
passerai le reste du temps à me frapper la tête contre les murs ! »)
Elabore à cette époque une technique d’écriture personnelle qui divise les séries de 12
sons en groupes de motifs statiques dont chacun se voit attribuer une structure rythmique
spécifique.
« Dans les pièces des années 35-40, j’avais à l’esprit les leçons de Schoenberg (…), je
ne voyais guère l’utilité de la variation et j’accumulais les répétitions ».
« Schoenberg m’a convaincu que la musique avait besoin d’une structure pour
différencier les parties d’un tout ».
Ø
Eric Satie
Compositeur qu’il étudiera beaucoup pendant son séjour parisien de 49 notamment.
Influences diverses (textes, graphiques, partitions…)
Le rôle du nombre chez Satie jouera une grande importance chez Cage (Satie ne part
pas du 1 mais du 0, c’est-à-dire inclut la fonction structurelle du silence).
Les esquisses d’ Entracte par le fait qu’elles ne comportent pratiquement que des
indications numériques (nombre de mesures d’une séquence, de reprises…).
En 1963, Cage fait réaliser, en première audition, la version intégrale de Vexations ,
une page pour piano que Satie demandait de répéter 840 fois (durée du concert : 18h40).
1969 : Cheap imitation, dérivation aléatoire à partir du Socrate de Satie. Chorals
(1978) : ç mélodies basées sur des chorals pour piano de Satie.
1989 : Swinging , courte pièce pour piano où une ligne de rythmes – empruntée à
Satie, « La balançoire » dans Sports et divertissements – interfère avec du texte contenant les
lettres du nom du compositeur.
« Chez Satie, les structures sont en relation avec le temps, pas avec la hauteur »
Ø
Thoreau
Philosophe et politologue américain du XIXème siècle mort à l’âge de 44 ans, dont il explore
les textes et dessins à partir de 1967.
Pour Thoreau, le oui et le non sont des mensonges ; la seule vraie réponse, instable et
mouvante, réside entre les deux.
Selon lui, « une réponse vraie ne vise pas à établir quoi que ce soit mais plutôt à bien
lancer une idée ».
Thoreau compare le silence à une sphère, chaque sono étant comme une bulle à la
surface de celle-ci. -> la question de l’émergence d’un événement à partir d’un état de nonaction.
« La meilleure forme de gouvernement est pas de gouvernement du tout » Essay on
Civil Disobedience , phrase sur laquelle s’appuie le solo 35 des Songbooks.
Renga (1976), œuvre pour orchestre – 102 parties non spécifiées - dont la notation
intègre des dessins figurant dans le Journal de Thoreau (cf. iconographie dans Bosseur page
115).
-
Peinture : plusieurs Drawings by Thoreau (années 70), Déreau, On the surface (80-82).
Ø
Bali, la pensée orientale
Très tôt, pour alimenter son orchestre de percussions (1929-1932), il entreprend la
composition de Construction in métal pour percussions métalliques : gamelan, plaques de
tôle, plaques de freins…
Son initiation à la pensée de l’Inde et de l’Extrême Orient date de la fin des années 40,
après son divorce : philosophie de Coomaraswamy puis cours de Suzuki sur le bouddhisme
zen à l’Université de Columbia. « Grâce à l’étude de la philosophie du bouddhisme zen avec
Suzuki, j’ai vu la musique comme une façon de changer la pensée. Naturellement, j’ai voulu
d’abord changer ma propre pensée ».
Les Sonatas et Interludes (19 ), sorte de méditation sur les émotions permanentes de
l’Inde, rangées en trois groupes (1-, associées au blanc : héroïsme, érotisme, joie et
émerveillement. 2-, associées au noir : crainte, colère, dégoût et douleur. 3- la tranquillité qui
n’est associée à aucune couleur).
« C’est avec Amores (1943, deux pièces pour trio de percussions et deux pour piano
préparé) que l’influence de la pensée orientale semble apporter à la musique de Cage une
nouvelle tonalité où l’ego tend à s’estomper pour s’ouvrir plus largement à l’influence du
monde » (JY Bosseur page 27).
-
Le I Ching et le recours à des opérations de hasard : cf. plus loin
Le solo 58 des Songbooks sont indiqués des échelles de hauteur et des nombres
évoquant des ragas et des talas imaginaires.
Renga (1976), 102 parties non spécifiées qui peuvent être confiées aussi bien à des
instruments conventionnels qu’orientaux.
Le Haïku japonais, forme de poésie traditionnelle très concise sans signification unique
– pas de relation syntaxique entre les mots. Forme de poésie qui s’apparente à une
improvisation collective au cours de laquelle plusieurs poètes écrivent chacun un vers à tour
de rôle. Dans le renga, chacun essaie d’écrire une ligne dont la signification est aussi distante
que possible de la précédente. Cage reprend dans cette œuvre les contraintes de cette forme
poétique.
-
Haïkaï (1986) pour gamelan
La notion de continuité est également héritée de l’Orient, l’idée que la musique est quelque
chose de continu reliant sons et silence.
Ø
Marcel Duchamp
Peintre mort en 1968
-
« Une manière d’écrire de la musique : étudier Marcel Duchamp »
Chess Pieces (1944), partition destinée à une exposition en hommage à Duchamp –
avec qui il partagea la passion des Echecs. Cf. partition (iconographie dans JY Bosseur page
25). Une « partition-échiquier » que l’interprète peut parcourir en tous sens.
Not wanting to say anything about Marcel, œuvre graphique en hommage à Duchamp
(1969)
-
Poésie : Thirty six Acrostics re and not re Marcel Duchamp (1970)
« M. Duchamp a dit qui’il revenait au regardeur, ou à l’auditeur, d’achever l’œuvre
d’art ; de sorte qu’il a transposé cet aspect social de la musique dans l’art de la peinture. »
Ø
James Joyce, dont les premières partitions liées à son œuvre datent des années 40. Cage
découvre cette œuvre littéraire en 1938. The wonderful widow of eighteen springs, pour voix
et accompagnement sur piano fermé d’après des impressions de Finnegans Wake, est une des
première partition liée à cette œuvre littéraire – elle date du début des années 40.
Ø
Et Merce Cunningham bien sûr…(cf. plus loin). Credo in US (1942) est la première
musique écrite à son intention.
3- Démarche compositionnelle : principes généraux
« Recommençons à zéro : bruit, silence, temps, activité »
« Je ne travaille pas avec des paramètres musicaux »
« Je n’entends pas la musique au moment où je l’écris. J’écris pour entendre quelquechose
que je n’ai pas encore entendu ».
« Je dirais que la fonction de la musique est de changer la conscience pour qu’elle s’ouvre à
l’expérience » in Richard KOSTELANETZ – Conversations avec John Cage, page 78.
Deux tendances dans l’évolution des recherches de Cage :
a)
Aller d’une structure, d’un objet défini, vers les processus mêmes de composition.
b)
Aller du contrôle au hasard, de la détermination à l’indétermination.
Au début des années trente, sa musique était « mathématique », elle fixait et délimitait la
structure au moyen d’ostinati et de configurations rythmiques. Sous l’influence de Schönberg,
il utilise également des séries dodécaphoniques. Par la suite, dans les années quarante, les
notes remplissent le temps mais ne déterminent pas, ne délimitent pas la structure.
Cage fonde sa réflexion, vers la fin des années quarante, sur quatre concepts fondamentaux :
·
la structure (division du tout en parties)
·
la forme (contenu, morphologie de la continuité), qui sert à la fois à identifier et à
différencier, sorte de « code génétique ».
·
la méthode (« moyen de contrôler la continuité note par note »)
·
le matériau (sons et silences)
La composition est ainsi un « jeté de sons dans le silence » et le rythme qui était respiration
devient continuum de sons et de silences.
En 1952, il existe toujours une structure dans la durée dans laquelle interviennent des
opérations de hasard. Dans ses travaux des années soixante, Cage recherche plutôt le
processus (« mettre en marche un processus qui n’a ni commencement, ni milieu ni fin et ni
sections nécessaires »
La conception « micromacroscopique » de la structure (premières œuvres surtout) :
Les petites sections sont reliées les unes aux autres de la même manière que les plus grandes.
Rôle fondamental du nombre (de mesures, de sous-parties…) cf. plus loin.
La durée, paramètre fondamental
« Le paramètre important du son n’est pas la fréquence mais plutôt la durée, parce que la
durée est ouverte au bruit aussi bien qu’à ce qui a été appelé musical ». in Richard
KOSTELANETZ – Conversations avec John Cage, page 88.
è
Varese
è
Webern
« Je me suis dit : s’il ne doit pas y avoir de tonalité dans ma musique, il va me falloir quelque
chose qui soit une structure de rechange ; et ce fut le rythme.
Aspect protéiforme de l’œuvre de Cage.
Origine culturelle (citations, inspiration) ou naturelle (événements sonores) comme sources
d’inspiration de ses processus de composition. Origines culturelles ou naturelles très diverses.
Recherche, du fait du rejet du système tonal, d’instruments indépendants de son histoire.
D’où, très vite, les instruments à percussion. Puis de tous les autres…
Cage se situe du côté de l’abondance, du multiple, même si des œuvres « maximalistes », qui
brassent un nombre important de phénomènes, alternent avec des œuvres « minimalistes » qui
préconisent une grande économie de moyens. Son penchant pour la prolifération se manifeste
aussi par le principe d’exécutions simultanées d’œuvres ou des Happenings (cf. plus bas).
La relation entre l’œuvre et l’artiste créateur
Pour Cage, l’œuvre ne saurait se confondre avec son créateur et doit suivre son propre cours
indépendamment des volontés éventuelles de celui-ci.
Refus de « l’intention » : « A partir de 1968, j’ai trouvé deux manières de transformer
l’intention en non-intention : « Musicircus »* (Simultanéité d’intentions non reliées les unes
aux autres) et musique de contingence (inmprovisation avec le recours à des instruments où
l’on peut observer un décalage entre la cause et l’effet). »
*à lier à la question des Happenings
Cage transgresse ainsi le rapport de propriété et de dépendance existant traditionnellement
entre le compositeur et son œuvre, ce qui l’oppose par exemple à Stockhausen – les deux
hommes ont eu à ce sujet plusieurs discussions.
Pragmatisme
« Cage est l’homme de la pratique et du faire » (JY Bosseur page 135). Pas de théorie
abstraite bâtie avant d’avoir été expérimentée, Cage professant une méfiance constante pour
les concept et l’abstraction. Aspect fondamental de l’expérience concrète, les idées faisant
trop souvent écran entre les choses et nous.
Ses dernières œuvres sont toutefois précises en ce qui concerne le matériel sonore, cf. les
Etudes Freeman pour violon, d’une rare complexité. Cage y fait en outre rarement usage de
moyens électroniques.
Ø
Harmonie, micro-intervalles
« L’autre chose qui m’ennuie, outre la mélodie et la régularité rythmique, c’est l’harmonie »
(1975)
Quand il utilise du matériau tonal – essentiellement des citations : musique traditionnelle
américaine, Mozart… - il le rend non intentionnel
Ce que Cage entend par « Harmonie » : une harmonie en état d’apesanteur, qui n’exclut a
priori aucune relation d’intervalle, se construit et se déconstruit au fil des rencontres, toujours
uniques et éphémères entre les sons, sans polarité définie.
Cage aime à circonscrire les interventions instrumentales dans des ambitus très étroits et faire
un usage fréquent des micros intervalles. Dans Two4, par exemple (œuvre pour violon et sho),
il procède à une division du demi-ton en 6 parties.
Ø
Variations
La notion de variations (terme qu’il utilise toujours au pluriel), chez Cage, se rattache
systématiquement à un ensemble de partitions ou à des œuvres graphiques. « Peut-être s’agitil d’une réponse toute personnelle à la notion de variation telle que la comprend Schönberg ?
» (JY Bosseur page 133).
Ø
La forme
« La forme, c’est l’auditeur qui la perçoit. Je ne me préoccupe pas du problème d’une forme
préétablie ».
Cage a évolué sur cette question de la forme. En 1937, il affirmait que «le principe de la
forme sera notre seul lien constant avec le passé » ; la définition qu’il donnait de ce lien était «
le principe de l’organisation ou la capacité commune de l’homme à penser ». Il associe
encore, un peu plus tard, la forme avec la « morphologie d’une continuité » et « un contenu
expressif ».
En 1961, ses dires sont radicalement différents : « Je m’intéresse davantage aujourd’hui à la
désorganisation et à cet esprit qu’on appelle non-pensée dans le bouddhisme zen ».
Cage ne se donne ainsi plus la peine d’utiliser le mot « forme » du fait qu’il s’occupe de
fabriquer des processus dont il dit ne pas pouvoir prédire la nature. « L’idée de mesure et celle
de structure ne sont pas des idées qui me préoccupent pour le moment » (1965).
Ø
Relation texte – musique
Le texte du solo 80 des Songbooks est constitué du résultat, en quelque sorte aléatoire,
des touches de la machine à écrire que l’interprète doit frapper dans le solo 69.
Pour le solo 35 de la même œuvre, Cage conseille de brouiller l’émission vocale du
texte dans les domaines de la hauteur et de la prononciation.
-
Ø
Solo 50 : l’interprète « fredonne les mélodies » comme s’il en avait oublié le texte…
Esthétique de la citation ?
Cage utilise dans de nombreuses œuvres de fragments de pièces d’autres compositeur,
notamment Satie :
-
Swinging (1989) : Satie, cf. plus haut
-
Chorals (1978), idem
Europeras (1987) : les chanteurs entremêlent des airs du répertoire d’opéra tandis que
les parties instrumentales sont des collages de 64 opéras, de Glück à Puccini.
Quartet I-VIII (1976) : « pulvérisation » d’un répertoire d’hymnes et de chorals de
compositeurs américains du XVIIIème siècle (commande pour le Bicentenaire).
Apartment House 1776 (1976) : brassage de chants protestants, sépharades, indiens,
d’esclaves africains pour quatre solistes.
-
Cheap imitation (1969), à partir du Socrate de Satie, pour piano
Dice game , œuvre dans laquelle vingt passages de Mozart de 64 mesures chacun ont
été programmés par l’odinateur.
Ø
Les exécutions simultanées
« Depuis environ 1968, j’ai essayé de ne pas centrer l’attention sur une seule chose et j’ai
utilisé ce principe – que j’appelle « musicircus » - d’avoir plusieurs choses qui se jouent en
même temps ».
-
Musicircus (1967), œuvre jouée mais jamais notée,
Songbooks (1970) : plusieurs chanteurs peuvent superposer des soli de même que
ceux-ci sont combinables avec d’autres partitions de tendance indéterminée : Variations,
Cartridge music et Rozart Mix.
-
HPSCHD (1969)
Plusieurs œuvres de la fin de sa vie peuvent également donner lieu à des exécutions
simultanées : One8 (1991) pour violoncelle peut ainsi être superposée à 108 pour orchestre,
ainsi qu’à One9 et Two3. 103, une de ses toutes dernières partitions, peut être interprétée avec
le film One11.
Cage ira encore plus loin en proposant de faire jouer simultanément des œuvres de
compositeurs différents ((cf. Réunion , en 1968, avec des pièces de David Behrman, David
Tudor, Gordon Mumma et Lowell Cross).
Ø
L’indépendance des instruments de l’orchestre
Le traitement de l’orchestre dans l’esthétique de Cage fait une large place à l’indépendance de
chacun des instruments ; il pousse même le principe jusqu’à un certain radicalisme. On pense
à Webern et son orchestre de soliste, un principe poussé par Cage à l’extrême. La question de
la relation compositeur – interprète sera développée plus loin : elle permet d’approfondir et de
mieux comprendre cette notion d’indépendance des instruments de l’orchestre.
« Lorsqu’il écrit pour orchestre, il procède à une sorte d’éclatement des responsabilités qui
place les instrumentistes dans un situation d’interprètes de musique de chambre (…) ». JY
Bosseur page 142. L’unité orchestrale est ainsi misse en pièce. De nombreux exemples
illustrent cette technique d’écriture, issus le plus souvent de la dernière période créative de
Cage :
Music for … (1984), dont le titre doit être complété en fonction du nombre de
participants, pièce dans laquelle les musiciens restent relativement indépendants. Chacun
assume sa partie, les sonorités produites interpénétrant « sans heurt » celles des partenaires.
101 (1989), 103 (1991), 108 et 60 (1992) , pour des effectifs orchestraux importants,
où l’on observe une dissémination de la matière sonore.
Indépendance au sens large maintenant : Europeras (1987), le point essentiel de
l’œuvre étant que nul élément ne soit délibérément relié à un autre et que les éventuelles
rencontres ne soient que pures coïncidences. Notion de collage plutôt donc… De la même
manière que le Concerto pour piano and orchestra, beaucoup plus ancien, comportait treize
parties instrumentales et un solo de piano qui n’avaient entre eux aucune relation de
coordination…
Ø
Le rôle du chef d’orchestre
Cage en arrive à supprimer le chef d’orchestre (voire même la partition), comme dans 101 où
les différentes parties instrumentales ne sont pas fixées.
Dans le Concert for piano and orchestra, les musiciens se repèrent aux positions des bras du
chef d’orchestre pour la durée de leurs séquences. Les durées, préalablement choisies, devront
être elles-mêmes modulées en fonction des mouvements d’accélération et de ralentissement
de ses gestes. Le chef n’a toutefois jamais la possibilité de contrôler les actions des musiciens,
ceux-ci n’ayant de « comptes à rendre » qu’à eux-mêmes et doivent prendre la responsabilité
de réaliser chacun une version de la partie qui leur est donnée.
Toute hiérarchie entre compositeur, chef d’orchestre et musicien est ainsi abolie.
4- Le rapport avec les autres Arts
Les rapports entre les différentes disciplines s’organisent au XX ème siècle selon trois axes
principaux :
·
L’analogie, le renforcement d’un mode de communication artistique par un autre. Le
type de relation qui a prévalu jusqu’à nos jours dans le ballet aussi bien que dans les relations
texte-musique. Remis en cause au début du XX ème siècle (par Kandinsky et Schönberg
notamment).
·
La distance, pouvant aller jusqu’à l’opposition (cf. le Wozzeck de Berg dans ses
rapports avec le texte théâtral).
·
L’indépendance, les différents arts mis en relation opérant sans contrainte ; les
connections s’établissent dans la conscience de l’auditeur-spectateur. Cette tendance s’est
essentiellement développée dans la seconde moitié du XX ème siècle.
Bien évidemment, John Cage s’est engagé dans cette dernière voie, notamment dans les
relations avec la danse et les chorégraphies de Merce Cunningham.
Ø
Arts graphiques
Rappelons tout d’abord qu’avant d’étudier avec Schoenberg Cage avait pratiqué la Peinture.
C’est lors de ses deux années d’études avec le Viennois qu’il décide de se consacrer à la
musique.
A noter également que les préoccupations de nature visuelle sont décelables dans
nombre de ses partitions : Chess Pieces (1944) par exemple, mais aussi – beaucoup plus tard –
la série des Variations ou Cartridge Music.
La première série de gravure qu’il exécute au Crown Point Press de San Francisco date
de 1978. A partir de cette date, il consacre chaque année la moitié de son temps à cette
activité artistique. En quatorze ans, Cage réalise 160 éditions ou ensemble d’épreuves
uniques.
Les mêmes influences y transparaîssent que dans ses œuvres musicales : Thoreau (17
Drawnings by Thoreau ; Dereau, 1982) – à noter qu’il avait déjà écrit une partition intitulée
Score (40 drawnings by Thoreau) et que Renga est construite à partir des dessins du Journal
de ce philosophe -, l’Orient (Where R = Ryoanji, 1983) , référence à un jardin de Kyoto et à
l’esprit zen, les mésostiches (9 collages intitulés Mesostics, 1985)
Ø
Danse : Cage et Merce Cunningham
Une collaboration d’un demi-siècle… Cage fût très longtemps Directeur musical de la
compagnie du chorégraphe.
Leur premier projet commun date de 1944. Le musicien travaillait alors sur une conception de
la structure dite « macromicroscopique » (cf. plus haut). La plupart des danses sont ainsi
construites sur les structures rythmiques conçues dans ce cadre par Cage. « Cette approche
permettait de séparer la musique et la danse pour ne les réunir qu’à des points structuraux »
(Cunningham). Cette structuration du temps permet ainsi aux deux créateurs de travailler de
manière indépendante.
A cette époque toutefois, certaines collaboration témoignent encore de l’intention des deux
hommes de partager une même thématique : les 18 dances for soloist and compagny of three
(1951) par exemple, autour de chacune des émotions spécifiques propres à la tradition de
l’Inde. « La strcturation de la pièce consistait en ce que chaque danse correspondait à une
émotion spécifique, et était suivie d’un interlude ». Fait notable, c’est la première fois dans
cette œuvre que Cage recourt à des opérations de hasard dans sa technique de composition.
Pour rompre avec l’esthétique du ballet classique, Merce Cunningham prend donc rapidement
conscience de la nécessité d’abandonner le parti-pris conventionnel d’une interdépendance
entre les deux domaines. L’hypothèse selon laquelle la danse doit se calquer sur la musique
répond en effet au sentiment que l’une et l’autre sont attachées à des critères d’expressivité et
renvoient à un univers de significations, à un récit linéaire chargé émotionnellement.
Cunningham veut ainsi considérer le geste de danseur pour lui-même, la danse comme Art
autonome. En détachant la danse d’un support sonore obligé, il l’affranchit de toute
subordination et lui confère une existence qui vaut pour elle-même.
Les opérations de hasard seront au centre de maintes collaboration entre Cage et Cunnigham,
le chorégraphe se servant de techniques de même nature dans sa Suite conçue en lien avec la
Music for piano : le plan spatial en fût cette fois le point de départ (7 danses).
Un trait décisif de leurs colaborations ultérieures, souligné par Merce Cunningham :
l’abandon de la mesure. « Nous, les danseurs, devions nous baser sur notre propre sens du
temps pour préserver la durée de chaque phrase et la synchronisation d’une danse complète ».
Une exception toutefois, la chorégraphie Second Hand sur une partition de Cage qui avait la
particularité d’être entièrement fixée, Cheap Imitation d’après Satie.
Les Variations V (1965)
Cage décide pour cette œuvre de rechercher les moyens par lesquels le mouvement pourrait
influer sur le son ; deux procédés furent expérimentés. Tout d’abord, une série de 12 perches
réparties sur l’espace scénique, d’un rayon d’action sonore de 1m20 : un danseur pénétrant
dans ce rayon déclenchait un son. Chaque antenne possédait bien sûr des particularités
sonores différentes. La seconde source sonore était constituée de cellules photo-électriques
placées sur le sol de chaque côté de la scène. C’est la lumière des projecteurs qui les
déclenchaient. Pour des raisons techniques, le dispositif fut modifié et les cellules placées au
pied des antennes. Les danseurs déclenchaient ainsi les sources sonores qui étaient ensuite
modulées par les techniciens et musiciens pourvus d’un important dispositif électroacoustique.
Dans le travail de Cunningham comme dans celui de Cage prédomine l’idée que la création
artistique ne doit pas être coupée du quotidien mais s’en nourrir : « Le geste de la danse va du
quotidien à la virtuosité » (Cunningham).
La conception de l’espace
Merce Cunningham fait exploser l’espace, ou plus exactement l’investit entièrement,
considérant que chaque point de l’espace est, en soi, un pôle d’intérêt, que tout lieu peut être
doté d’un potentiel événementiel d’égale importance.
Un espace à trois dimensions, à la différence de la vision classique, bidimensionnelle.
Ø
Théâtre et musique ; Happenings
C’est – à l’instar des principes développés par Cunningham pour la danse - l’idée d’un théâtre
où chaque événement est centré sur sa propre expérience qui guide Cage, à l’opposé « du
travail de Barrault qui (…) représente le théâtre de l’expressivité ».
Les principes d’indétermination mis au point par Cage l’amènent à déborder le champ
d’action strictement musical. Ainsi créera-t-il des Happenings, le début des années 50. Mais
sa musique elle-même aborde le théâtre :
Aspect théâtral de l’exécution d’ une œuvre comme Cartridge Music de part
l’utilisation en direct des microphones de contact, des amplificateurs et des haut-parleurs.
Certaines manipulations électroacoustiques effectuées par un interprète peuvent en effet être
contrecarrées par celles d’un autre… Aspect théâtral encore des déplacements hors de
l’espace scénique et de son retour selon diverses modalités de jeu du soliste des Songbooks
(soli 37, 44, 88).
La conception de la partition chez Cage (cf. plus bas) induit enfin un rôle de l’interprète (id.)
qui ne se réduit plus à la simple exécution de l’œuvre mais lui confère également une certaine
forme de théâtralité, une théâtre d’actions conjointement visuelles et sonores : Water Music
(1952) par exemple, où le pianiste se sert également d’une radio, de sifflets, de bassines d’eau
et d’un jeu de cartes. Les diagrammes mis en œuvre par Cage influent aussi bien sur le plan
visuel que sonore ; il s’agit bien là d’une forme de musique qui évolue d’elle-même vers le
théâtre.
Happenings
Un mouvement artistique dont Cage est l’inventeur et qui vise à considérer les expériences
visuelles et auditives comme de plus en plus nécessairement imbriquées. « J’avais lu Le
théâtre et son double d’Antonin Arthaud. Cela m’a donné l’idée d’un théâtre sans littérature ».
Theater Piece (1960) dans laquelle chacun des exécutants (de un à huit) compose son propre
répertoire d’actions visuelles et musicales en écrivant des noms ou verbes sur des fiches.
1966 : Museum Event à St Paul de Vence, en compagnie de David Tudor et Merce
Cunningham. La notion d’ Event implique des événements à chaque fois uniques en fonction
d’un espace et d’une circonstance donnée.
Ø
Diversité : One11 (1992)
Cette œuvre – une de ses dernières réalisations - est en effet un film, uniquement basé sur des
jeux de lumière produits par une batterie de projecteurs et enregistrés par des caméras. Toutes
les données furent élaborées selon un programme informatisé conçu en collaboration avec
Andrew Cuver. « Pas d’intrigue, juste des variations de blancs, de noirs et de gris ».
5- Le rôle de la partition chez Cage
Chez Cage, la partition devient progressivement, au fil des années, un ensemble de signes qui
interrogent l’interprète plus qu’ils ne lui donnent des ordres. L’acte de notation est ainsi
comme mis en état de relativité, épousant précisément les intentions propres à chaque projet.
Le graphisme utilisé n’est pas nécessairement destiné à représenter ce que l’on entendra. La
partition est ainsi pour Cage une « photographie de circonstances » qui, pour leur part, sont
extrêmement mouvantes. Il recommande ainsi, parfois, de ne pas s’en tenir strictement à ce
qui est délimité par la partition. Il s’agit souvent d’un cadre (parfois vide, de simples
durées…) dans lequel inscrire chaque action. A l’extrême (101, 1989), il n’y a plus même de
partition, le compositeur de contentant de décrire verbalement l’évolution de la pièce.
On retrouve ainsi son goût pour le visuel, pour les arts graphiques : partition-échiquier de
Chess Music, multiples utilisations des dessins de Thoreau (placés selon des opérations de
hasard, Renga, 1996), des cartes géographiques…
La notation s’avère également chez lui très diversifiée : pour écrire le Concert for piano and
orchestra, il utilise quatre-vingt quatre systèmes de notation différents. De la même manière,
la diversité est de mise dans les notations utilisées pour les Songbooks : conventionnelle (solo
18), ambiguë (solo 3 ou il propose une carte géographique et propose à l’interprète d’en
déduire une mélodie)… « L’écriture de chaque solo est conçue de manière à ménager à
l’exécutant la marge d’interprétation qui lui interdira précisément de s’en remettre à la
partition ». La notation se réfère également chez Cage à l’attitude qu’il suggère à l’interprète
d’adopter : « Que les notations se réfèrent à ce qui doit être fait et non pas à ce qui doit être
entendu ».
6- Hasard et indétermination
« J’utilise le hasard comme une discipline »
L’une des choses dont Cage est le plus fier est d’avoir montré la possibilité de faire des
œuvres d’art non intentionnelles.
La différence entre une opération de hasard et l’indétermination :
« Les opérations de hasard peuvent servir à faire quelque chose de fixe (cf. Music of
Changes). Je me suis servi du I Ching pour noter quelque chose qui oblige un exécutant à
passer par une série d’actions données.
Plus tard, quand j’ai entrepris ma série de Variations, j’avais décidé de faire un genre de
composition qui soit indéterminée dans son exécution même, une composition qui
n’imposerait pas ce qu’il fallait faire ». (1976)
Très vite, dès son recours au piano préparé, Cage cherche à diminuer son contrôle sur le
résultat sonore. Mais il ira bien sûr beaucoup plus loin, proposant parfois une orchestration
indéterminée (orchestre occidental ou oriental…). Cage se révèle ainsi ouvert aux
conséquences inattendues au lieu de viser un résultat déterminé. Il va même jusqu’à
revendiquer l’absence d’intention avant de commencer un spectacle (indétermination).
a) Opérations de hasard : la méthode I Ching (Le livre des transformations) Recueil d’oracles
de la Chine ancienne.
Aux gens qui pensent que l’utilisation du hasard tient au fait qu’il ne veut pas choisir, Cage
répond : « mes choix consistent à choisir quelles questions poser ». Le principe qui sous-tend
les résultats de ces opérations, ce sont les questions. Il s’agit ainsi d’un transfert de la
responsabilité de faire des choix à celle de poser des questions.
Cage utilise pour la première fois, dans les Sixteen Dances pour M. Cunningham, des
diagrammes qui lui permettent de systématiser une structure rythmique de manière quasiautomatique. Le chorégraphe utilise lui aussi des procédés faisant intervenir le hasard et ils se
retrouveront dans cette problématique pour l’écriture de la Suite for Five in Time and Space
(1956) fondée sur le processus mis au point par Cage pour sa Music for piano.
La méthode I Ching : quelques exemples
-
Freeman Etudes
Une série d’études pour violon écrites pour l’instrumentiste Paul Zukofski.
Outre la méthode I Ching, Cage utilise dans cette œuvre des cartes du ciel.
Les questions qu’il pose au I Ching sont décrite assez précisément dans le livre de Kostelanetz
page 141-142. De la même manière, Cage explicite son utilisation des cartes (id., page 133) à
propos des Etudes australes.
Imaginary Landscape No 5 (1952), collage sur bande magnétique à partir de 42
disques de jazz, est réalisée selon des méthodes de hasard.
Williams Mix, œuvre électroacoustique (collage de 600 bouts de bandes selon un
procédé dérivé du I Ching).
Music of Changes (1952), pour piano (I Ching). Tempo et choix des notes sont soumis
au tirage au sort..
Songbooks : la première question que Cage posa au I Ching se rapporta au nombre de
pièces : la réponse fut 90. Le I Ching intervint ensuite pour déterminer la nature de chaque
solo (chant, théâtre, chant avec dispositif électro-acoustique), ainsi que la technique
compositionnelle.
De nombreux sites internet expliquent le fonctionnement du I Ching. Par exemple, le site
http://www.astrolim.com/fichi.htm permet une approche concrète de cette méthode
divinatoire.
Autre démarche, totalement extérieure au recours au I Ching, celle adoptée pour Imaginary
Landscape No 4 pour 12 postes de radio : la partition indique les changements de volume et
de longueur d’onde, mais le résultat dépend totalement du lieu et de l’heure choisis pour la
réalisation !
Ajoutons pour finir que Cage a utilisé d’autres procédés de hasard que la méthode I Ching :
jets de dés, de pièces de monnaie, utilisation des tarots, des carrés magiques…
b) Indétermination
A partir de 1952, « il semble manifeste que Cage ne pose plus seulement la question de
l’indétermination au niveau du matériau sonore (…) mais à celui de l’acte même de
composition ». (JY Bosseur page 36) cf. la série des Variations.
L’indétermination relève d’une prise de distance du compositeur vis à vis de l’effet sonore,
d’une intention qualitative. On la retrouve dans la plupart des partitions indéterminées de
Cage.
Cartridge Music : le temps d’une exécution et la nature des matériaux sonores sont
libres. Plus qu’une composition indéterminée, c’est même une exécution indéterminée, le
résultat sonore étant en effet hautement imprévisible puisque certaines manipulations
effectuées par un interprète peuvent être contrecarrées par un autre. Il n’y a donc plus
nécessairement de relation de cause à effet entre une action exécutée par un musicien et le son
qui en résulte. Notion de life electronic music.
34’46.776 for 2 pianists : la préparation des pianos n’est précisée
qu’approximativement (les matériaux à utiliser).
La série des Variations : des compositions qui n’imposent pas ce qu’il faut faire. Cf.
plus haut le commentaire sur les Variations V (relations entre la musique et la danse).
Ø
Time brackets
Le principe :
Ce système est destiné à suggérer les durées dans lesquelles doivent se dérouler certains
événements sonores sans les fixer de manière précise. A gauche de chaque page apparaît une
colonne de durées qui correspond au laps de temps à l’intérieur duquel chaque instrumentiste
devra commencer à produire le son à jouer. A droite, une autre colonne correspond au laps de
temps à l’intérieur duquel il devra achever son intervention.
Cage met en œuvre ce principe dans plusieurs œuvres dont Two (pour flûte et piano, 1987),
101 (1989), One12 (pour voix, 1992).
Ø
La question de l’improvisation chez Cage
Le compositeur apparaît très critique sur cette question de l’improvisation : « On joue des
phrases que l’on pense originales alors que l’on ne fait que répéter des agencements entendus
il y a plus ou moins longtemps. Dans l’improvisation, on croit tenir son discours et on tient
celui des autres. », Cage parlant à ce sujet de « prétendue originalité », se disant également
très « gêné par ces manifestations démesurées de l ‘ego » (à propos du jazz).
Tout de même, par exemple dans le solo 58 des Songbooks, Cage suggère à l’interprète
d’improviser sur des modes orientaux imposés (ragas et talas) et éventuellement de
s’accompagner à la percussion à partir de talas rythmiques. De la même manière, Renga
reprend un principe d’écriture fortement marqué par la notion d’improvisation (cf. plus haut).
7- La notion de silence chez Cage
Le silence est défini chez Cage comme l’ensemble des bruits non organisés, non maîtrisés à la
suite d’un acte de composition. L’absence d’opposition entre son et silence donne ainsi à ce
dernier un statut actif : ce que l’on appelle en général silence n’est en réalité qu’une
disposition d’esprit alors que nous sommes en réalité entouré de sons (« Le silence n’existe
pas »). Cage préfère ainsi distinguer les sons que nous produisons intentionnellement de ceux
qui surviennent indépendamment de notre volonté. (Qu’est-ce que le silence représente pour
vous ? « Tous les sons que je ne détermine pas » Entretiens avec JY Bosseur 1970, ouvr. Cité
page 155). Cette manière de penser la musique revient également à abolir la dualité
fond/forme.
4’33 représente dès lors l’aboutissement de cette démarche dans le sens de la nonorganisation, dans le sens du refus de limiter le compositeur à une intention (cf. plus haut).
Cette démarche avait en fait été entamée dès Waiting (statut actif du silence) ou le Concerto
for prepared piano et même bien longtemps avant, le musicien affirmant que ses œuvres
écrites pendant les années trente se ressentent de cette conception, son professeur ( ) critiquant
alors que « dès que j’avais commencé, je m’arrêtait ». . Cage fait le parallèle avec les toiles
totalement noires ou blanches du peintre Robert Rauschenberg, datant de 1949. «Lorsque je
les ai vu je me suis dit : Oui, il faut que je le fasse ; (…) autrement, la musique sera en reste ».
«Lorsqu’on prend comme base le silence, le son est libre de se produire à n’importe quel
moment (…). Si l’on prend comme base le son, alors il faut réaliser une construction. » id.
p.156.
8- Cage et le temps
« Le temps me paraît être la dimension la plus radicale de la musique ».
« Faire une musique qui ne dépend pas du temps ».
Au milieu des années soixante, Cage accorde une importance primordiale à cette composante
de la musique dans la mesure où, par opposition à ses compositions précédentes (années
cinquante et antérieures), il tente d’exprimer dans sa musique une conception où « le temps a
été abandonné ». C’est ainsi qu’il faut comprendre les œuvres de cette époque, 0’00,
Variations III et IV : « Ce que ces trois œuvres ont en commun, c’est qu’il n’y a pas de
mesure du temps, pas de chronomètre » comme il y en avait dans sa musique des dix années
précédentes.
Ø
Temps et forme, temps et hasard
« Tant qu’il y a structure, tant qu’il y a méthode, ou plutôt tant que structure et méthode
existent en renvoyant au mental, à l’intelligence, le temps est possédé – ou bien l’on
s’imagine posséder le temps » (in Le temps des oiseaux, p.39).
Cette manière de percevoir la question du temps chez Cage n’est pas sans relation avec sa
volonté d’introduire hasard et indétermination dans son œuvre ; elle induit également une
autre conception de la forme (cf. plus haut). Cage, d’une certaine manière, renonce à
structurer en utilisation des procédés de hasard pour « libérer le temps » (Daniel Charles),
procédant ainsi à une tentative de « laisser le temps être tel qu’il est » (D. Charles) : « mettre
en présence beaucoup d’événements qui, chacun, ont leur propre temps et vivent leur propre
vie » sans se faire obstruction mais tout en s’interpénétrant.
Il y a chez Cage une philosophie de l’instant, sans doute influencée par sa connaissance et
l’influence de la pensée orientale et qui s’oppose à la conception occidentale du temps. Cage
refuse l’idée d’une durée construite. « A l’interprète de choisir son chemin et son temps, et à
l’auditeur d’entendre réellement le temps se faire musique(…) » JY Bosseur, à propos du
Concert for piano, p. 52-53. « Le temps contient déjà des choses », le compositeur n’est pas
nécessairement obligé de « remplir le temps » davantage. Ceci nous ramène à la conception «
cagienne » du silence et de la forme…
Ø
Exemples concrets
·
Dès les années trente (Three pieces for flute duet par exemple), on remarque dans
l’écriture du compositeur un recours au silence qui s’écarte de son utilisation à des fins
dramatiques, une gestion du temps qui consiste en la répétition de motifs – notamment
rythmiques –, un processus qui ne mène nulle part. « La musique n’allait nulle part, donc elle
pouvait parfaitement s’arrêter » (1975).
·
1952 : Cage commence la Music for Carillon ; étudiant les sonorités de cet instrument,
il constate que le temps de résonance des cloches ne peut pas être strictement délimité. Il
décide donc pour la première fois de laisser flexible la notation de la durée…
·
Pièces sans durée définie : le Concerto for piano par exemple, œuvre pour laquelle le
temps global de réalisation est décidé avant chaque exécution. Comme pour Atlas Eclipticalis
(1961), une exécution de la pièce se situe quelque part entre un minimum d’activité (le
silence) et un maximum (tout ce qui est écrit). Plus radicalement encore, les Variations III, IV
et VI peuvent être préparées au cours de l’exécution publique, Cage allant jusqu’à suggérer
d’arriver sur scène en ignorant le déroulement de la performance.
·
Le temps dans les relations musique-danse : l’abandon de la mesure, qui demande aux
danseurs de « se baser sur (leur) propre conception du temps pour préserver la durée de
chaque phrase et la synchronisation d’une danse complète » (Merce Cunningham), la partition
de Cage n’étant plus fondée sur une rythmique fixe.
9- La notion de timbre chez Cage
Avec les questions du temps et de la durée, la problématique du timbre est au cœur de la
démarche du compositeur ; un texte de 1937 (Credo) insiste ainsi sur la nécessité pour lui de
produire de la musique à partir des matériaux du XX ème siècle, électriques notamment. C’est
dans cette perspective en effet qu’il faut placer la création de son orchestre de percussions
dans les années trente et l’instrumentation de nombre de ses premières œuvres : non spécifiée
dans la Sonata for two voices (1933), recherche d’instruments ayant le moins de rapport
possible avec l’histoire de la Tonalité (les percussions sont tout désignés), recherches de
sonorités orientales (gamelans) et de « bruits » divers pour ses Constructions in metal (1937) :
plaques de tôle, de freins… Deux ans plus tard, Living Room Music met en œuvre « tous les
instruments de batterie que l’on peut s’attendre à trouver dans une salle de séjour » : tables,
journaux, livres… La liste des matériaux divers et insolites utilisés par Cage dans son œuvre
serait trop longue à établir ; citons pour finir Water Music (1952) pour un pianiste se servant
aussi d’une radio, de sifflets, de bassines d’eau (« à la différence de l’œuvre de Haendel,
celle-ci éclabousse vraiment »…) et d’un jeu de carte. Cette dimension du timbre fait donc
l’objet de la part de Cage d’une véritable et vaste exploration. Il est ainsi à l’origine du «
water gong », l’instrument étant plongé dans l’eau, inventé pour les ballets nautiques de
l’université californienne UCLA afin que les danseurs aient la possibilité d’en percevoir les
sons.
En 1938, pour des raisons pratiques (lire ci-dessous), Cage invente le piano préparé ; cette
transformation préalable des sonorités originelles du piano prend naissance dans l’utilisation
qu’en faisait le compositeur et ami Henri Cowell, en grattant et pinçant les cordes ou passant
une aiguille entre celles-ci. « Je suis allé à la cuisine, ai pris un moule à tarte, je l’ai mis avec
un livre sur les cordes et j’ai vu que j’étais sur la bonne voie » (in Kostelanetz, op. cité p. 97).
Piano préparé
(article extrait du CD-ROM La musique électroacoustique)
La préparation d’un piano consiste à introduire entre les cordes de celui-ci divers objets en
caoutchouc, bois, métal, etc. afin de modifier les attaques et les résonances naturelles de
l’instrument. La transfiguration du timbre qui en résulte rappelle souvent certaines sonorités
d’Asie, en particulier celles des « gamelans » javanais ou balinais.
Cette invention est due à John Cage, et remonte à 1938 (soit dix ans avant les débuts de la
musique concrète). Ce qui la provoqua fut une contrainte d’ordre économique. Ayant à
composer une musique pour un ballet, les ressources du piano lui semblant insuffisantes, et
l’exiguïté du théâtre ne lui permettant pas d’accueillir des percussionnistes, Cage raconte
comment il commença à faire des essais à l’intérieur de son piano. Ainsi naquit en 1938
Bacchanale, où « le piano était devenu un orchestre à percussion contrôlable par un seul
exécutant. » (John Cage).
Il continua cette recherche par la suite en la systématisant et en notant scrupuleusement les
procédures à suivre pour chaque préparation, selon l’œuvre à interpréter. Le travail minutieux
que représentent certaines « préparations » peut durer plusieurs heures.
Parmi les principales œuvres pour piano préparé de John Cage, citons, outre la Bacchanale :
Sonates et interludes (1946-49), Music for Marcel Duchamp (1947), A book of music (1944,
pour deux pianos).
Outre les percussions et le piano préparé, Cage est également à l’origine de la première œuvre
électro-acoustique : Imaginary landscape No 1 (1939, à ans avant le manifeste de Schaeffer)
utilise ainsi deux électrophones à vitesse variable sur lesquels sont placés des disques 78
tours, ces sources sonores (le bras est levé et baissé manuellement pour contrôler les durées)
étant mêlées aux sons d’instruments traditionnels (piano, cymbale). Cage avait d’ailleurs
envisagé la création d’un centre de musique expérimentale concernant notamment la
recherche acoustique.
L’utilisation de micros placés près de la gorge de l’interprète des Songbooks permet
également, outre l’amplification, une transformation du timbre de la voix. La respiration
devient ainsi phénomène sonore à part entière dans le solo 22.
Dans une œuvre comme Rioanji , composée vers la fin de sa vie (1983-85), Cage ne spécifie
même plus les dynamiques – indiquant tout de même qu’elles doivent être plutôt faibles que
fortes – et recherche la création d’ « événements sonores » plus que de sons musicaux (pour
ses glissandi notamment). La recherche de sonorités extra-européenne reste une
préoccupation présente jusque dans ses dernières oœuvres (Haikai, pour gamelan, 1986).
L’indétermination fait bien sûr partie de la conception que Cage développe du timbre dans ses
œuvres ; outre l’absence de spécification de l’instrument relevée plus haut, assez fréquente, on
peut noter dans une œuvre comme 101 (1989) des consignes d’interprétation allant très
largement dans ce sens : conseils de fausses positions de doigtés aux instrumentistes à vent
pour obtenir des sons partiellement incontrôlables, recherche pour les instrumentistes à cordes
de sons apparentés ceux de percussions frottées à hauteur indéterminée… De la même
manière, Inlets (1977) utilise des conques remplies d’eau d’une manière indéterminée.
Pour conclure de manière plus anecdotique cette question du timbre chez Cage, ces phrases
assez évocatrice de son attitude expérimentale…. « Pour une chorégraphie de Merce
Cunningham, je me suis servi de cactus. J’ai produit les sons sur des cactus et quelques autres
échantillons de plantes. Cela m’a donné l’idée d’amplifier un parc, puis l’idée que j’ai trouvé
si fascinante : de la musique jouée avec des animaux et des papillons (…) » in Kostelanetz,
op. cité pp. 136-137.
10-
La relation compositeur – interprète
Cette relation dérive très largement de tous les principes et démarches Cagiens que nous
avons déjà développés plus haut (non-intention, indétermination…). Elle participe également
d’un mouvement plus vaste qui, avec Boulez, Stockhausen et Boucourechliev, dans les années
cinquante, à donné naissances à des œuvres telles que la 3ème sonate pour piano, le
Klavierstück 11 ou encore Archipels. Ce qui est en question dans cette problématique de
l’aléatoire est bien évidemment la liberté laissée à l’interprète par le compositeur, par la
composition. Mais, si ces musiciens travaillent pour l’essentiel – en ce domaine – sur la
forme, Cage joue plutôt sur le temps et l’indétermination pour donner une liberté à
l’interprète.
Le Concerto pour piano and orchestra de 1958 abolit ainsi toute hiérarchie entre
compositeur, chef d'orchestre et interprète il est ainsi possible ou non d’utiliser une partie de
« chef d’orchestre » qui détermine les durées, celui-ci possédant une autonomie pour gérer le
temps. Les musiciens sont quant à eux totalement libres de réaliser chacun une version de la
partie qui leur échoit. Il s’agit donc bien de confier plus de responsabilités aux interprètes, le
compositeur ayant tendance à se retirer du jeu. Cage éprouve toujours une méfiance quant au
langage musical, vecteur de communication d’idées et de sentiments personnels. L’interprète
choisit ainsi dans cette œuvre « son temps et son chemin ».
Il ira par la suite beaucoup plus loin avec des partitions à construire – pour partie - par
l’interprète : des points et des lignes (Variations I, 1958, cf. iconographie in Bosseur p. 59)
sont fournies à l’interprète qui doit effectuer les opérations nécessaires à leur traduction
musicale dans le temps et l’espace : distinction quantitative entre les sons interprétés selon la
grosseur des points par exemple, ou encore tracé de perpendiculaires entre les points et les
lignes, ces segments représentant des propriétés acoustiques... L’interprète est ainsi
personnellement responsable du devenir du jeu. Le même principe est adopté dans les
Variations II (1961), le musicien devant de surcroît choisir un certain type de mesure afin de
définir la fréquence, l’amplitude, le timbre, la durée de chaque événement sonore dans un
temps donné. La partition devient ainsi plus un mode d’emploi pour construire l’œuvre
qu’une pièce musicalement prédéterminée. Ainsi n’y a-t-il plus véritablement de relation
directe de cause à effet, du point de vue de la musique, entre une intention du compositeur et
la production sonore entendue par le public : d’où l’insistance de Cage sur les « incidents »
qui peuvent se produire au cours d’une exécution : « Je veux faciliter la venue de ces incidents
mais non pas prévoir ce qui va se passer » (Entretiens avec JY Bosseur, op. cité p. 161).
11-
Le nombre chez Cage
Nombre et Structure, nombre et hasard.
Il joue un rôle générateur des les premières compositions de Cage : principe de la «
racine carrée » par exemple. Les pièces sont ainsi conçues selon un nombre de mesures
possédant une racine carrée, « de telle sorte que les longues sections sont dans le même ordre
de relation avec le tout que les sections courtes à l’intérieur d’une unité particulière ». On
retrouve ce même principe dans des œuvres des années cinquante comme Music of Changes
(rapport 8 / 64) ou Imaginary Landscape 4.
ainsi le 16 correspond-il aussi bien au nombre d’instruments de sa First Construction in
metal qu’à celui des parties successives de la partition.
-
Les schémas numériques et autres diagrammes fonde très régulièrement ses partitions.
-
Le I Ching se fonde sur le nombre 64
Eric MICHON
IA-IPR éducation musicale
Académie d'Orléans-Tours
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