Fondation Abbé-Pierre Evaluation du projet pilote « Dynamiques culturelles des quartiers » Année 2008 : « la concrétisation » Janvier 2009 Sylvie Malsan Sommaire Introduction ........................................................................................................................... 3 I – Première partie. Analyse générale du projet pilote ........................................................... 5 I.1. Cadre général de l’action et comité de suivi ................................................................. 5 Un rappel du contexte sur les trois sites ......................................................................... 5 Le comité de suivi : le point d’étape du 7 février 2008 .................................................... 6 Le 24 avril, un nouveau comité de pilotage technique et un premier bilan ...................... 8 La logique de mise en œuvre. Principe d’intervention, construction des partenariats et participation des habitants .............................................................................................. 9 Les effets de l’action. Evolution des pratiques professionnelles, changement du regard, transformations individuelles ........................................................................................ 12 Premiers enseignements en 2008 sur des améliorations à apporter pour atteindre les objectifs fixés................................................................................................................ 15 II - Deuxième partie. Le déroulement du projet sur chaque site ........................................... 17 II.1. Le projet du Boulonnais ............................................................................................ 17 Bref rappel des objectifs initiaux et du renouvellement de la démarche ........................ 17 Le projet Quartiers de Vie à Wimereux, un projet « porté » conjointement par le centre social et l’équipe artistique et « réajusté » en permanence........................................... 17 Une question qui reste en suspens : le public-cible du projet pilote a-t-il été atteint à Wimereux ? .................................................................................................................. 21 Le cas spécifique de Boulogne-sur-mer ....................................................................... 22 II.2. Le projet du quartier de Montfavet à Avignon ............................................................ 23 Bref rappel des objectifs et des actions précédentes .................................................... 23 Les « Brigades d’intervention poétique », des enfants et des adolescents engagés pour la première fois dans un projet collectif......................................................................... 23 La difficulté à toucher les adultes ................................................................................. 24 La poursuite des ateliers de peinture de rue ................................................................. 25 Des relations tendues avec les décisionnaires locaux qui fragilisent le centre social .... 25 « Variations sur les jardins », l’aboutissement du projet en dépit des difficultés rencontrées .................................................................................................................. 26 II.3 Le projet de Noisiel en Seine-et-Marne ...................................................................... 27 Un travail d’« approche » mis en place spécifiquement pour entrer en contact avec les populations visées : quelle place dans le projet pilote ? ............................................... 27 Le projet « Pierre » : un investissement à long terme et la création d’un espace public de parole ........................................................................................................................... 29 Annexe : détail du programme sur chaque site .................................................................... 31 Le projet Quartiers de Vies à Wimereux (Boulonnais) ...................................................... 31 FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 2 Introduction En 2005, à l’issue d’un séminaire qu’elle avait organisé sur les pratiques culturelles et le développement des quartiers1, la Fondation Abbé Pierre a décidé de coordonner un projet pilote sous le titre « Dynamiques culturelles dans les quartiers ». L’objectif de la Fondation était de se saisir d’un problème national – le mal d’habiter dans certains quartiers – et de s’engager dans une expérimentation qui lui permettrait de suivre de près des actions culturelles et artistiques bénéficiant des meilleurs professionnels et des meilleures conditions budgétaires possibles. Une mission d’évaluation était confiée au bureau d’études FORS-Recherche sociale, reconnu pour ses compétences en matière d’évaluation de projets culturels et artistiques, pour assurer le suivi du projet pilote et permettre d’en décrire précisément le déroulement – méthodologie choisies, difficultés rencontrées, effets observés sur les personnes, les structures et les quartiers – sur chacun des sites retenus en comité de pilotage national : le Boulonnais (comprenant les quartiers du Baston à Wimereux et du Chemin Vert à Boulogne-sur-Mer), le quartier de Montfavet à Avignon, la ville de Noisiel (sur trois populations-cibles : les gens du voyage de l’aire d’accueil de Noisiel, le foyer Adoma et deux copropriétés dégradées du quartier du Luzard). Afin de suivre en continu l’élaboration des projets sur les trois sites, il avait été demandé aux équipes locales de participer également au suivi de leurs propres actions tout en les laissant libres d’en définir les modalités. Ayant constaté les difficultés pratiques ou financières rencontrées pour mettre en place de manière pérenne et structurée ce suivi, la Fondation Abbé Pierre a décidé de compléter le travail des trois structures en faisant réaliser un suivi global, communément désigné sous le titre de « making of », au travers de plusieurs films vidéo réalisés par Clément Grasset et Jérémy Wagner. L’année 2008, année de concrétisation Ce rapport présente l’évaluation des actions pour l’année 2008. A l’origine, le projet pilote avait été conventionné pour une période de trois années consécutives. Certaines difficultés de mise en place ont cependant conduit la Fondation Abbé Pierre à prolonger les conventions jusqu’en décembre 2008. Le projet pilote aura donc bénéficié de quatre années complètes d’expérimentation sur les trois sites, chacune correspondant à une étape : en 2005 le mûrissement de la démarche, en 2006 la préparation du projet, en 2007 la mise en place des actions et en 2008 la poursuite de cette concrétisation. Sur les trois sites, un temps de réflexion s’est révélé nécessaire, courant 2007, pour passer d’un projet « interne » à une véritable « commande » artistique qui corresponde aux objectifs généraux du projet pilote, en particulier réussir à toucher d’autres populations que celles fréquentant habituellement le centre social ou la MJC du quartier. Faisant appel à des intervenants extérieurs, pour un temps déterminé, la commande modifie la donne et oblige 1 Cf. Fondation Abbé Pierre, Action culturelle et développement des quartiers, les enjeux du renouvellement des modes d’intervention, Paris, 2001. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 3 chaque structure porteuse à entrer dans une logique de projet qui lui impose un rythme et un type de structuration du travail particuliers. Le bureau d’études FORS, plus impliqué dans un accompagnement à l’ingénierie du projet de 2005 à mi-2007, s’est consacré en 2008 exclusivement à sa mission d’évaluation. Ceci au moyen de visites de sites, d’observations et d’entretiens informels et approfondis avec le public visé, les intervenants et l’ensemble des autres acteurs (animateurs, adultes-relais, représentants associatifs, représentants de décisionnaires locaux, membres du comité de pilotage). Les actions suivies sont les suivantes : Pour le Boulonnais (Wimereux) (Boulogne) Pour Montfavet à Avignon Pour Noisiel « Musée éphémère » (décembre 2007) Théâtre chez l’habitant, compagnie Vies à Vies (février 2008) « Parade brésilienne », compagnie Vies à Vies (mars 2008) Tournage du film « Le dernier locataire », compagnie Vies à Vies (octobre 2008) Ateliers « BIP », compagnie Mises en Scène (nov. 2007-juin 2008) Ateliers de peinture de rue, centre Espélido (avril 2008) Spectacle « Variations sur les jardins », compagnie Mises en Scène (juin 2008) Ateliers de parole-écriture avec des femmes du quartier du Luzard, MJC de Noisiel (nov. 2007-mars 2008) Tournage du film AB+ par la compagnie Etincelle sur l’aire des gens du voyage de Noisiel (janv.-mai 2008) Projet de pièce radiophonique par la compagnie Etincelle avec des résidants du foyer Adoma (avril 2008) « Pierre, la restitution », du théâtre l’Arpenteur (juin-nov. 2008) La grille d’évaluation validée par le comité de pilotage en juin 2007 comprend plusieurs axes de travail qui ont servi de fil conducteur à l’évaluation pour l’année 2008 : - niveau de prise en compte des problématiques des quartiers et des difficultés économiques et sociales de la population, - points spécifiques sur lesquels le projet met l’accent et cherche à apporter des réponses - forme de participation de la population recherchée dans le cadre du projet artistique, - place de l’artiste dans le projet et teneur de la mission qui lui a été confiée, - types de partenariats locaux ou régionaux sollicités, - partenaires financiers, - impact du projet sur les personnes, - impact du projet sur le quartier. - types de prolongement de l’action envisagée. En 2008, cette grille (voir le détail en annexe) a été soumise aux trois structures d’éducation populaire porteuses du projet sous la forme d’un questionnaire ad hoc. La présente évaluation s’appuie sur le travail de terrain réalisé par FORS mais aussi sur les réponses à ce questionnaire. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 4 I – Première partie. Analyse générale du projet pilote I.1. Cadre général de l’action et comité de suivi Un rappel du contexte sur les trois sites Il n’est pas inutile de rappeler que les trois sites concernés par le projet pilote ont été choisis parce qu’ils étaient des « territoires d’exclusion » et subissaient une forme de relégation physique (Montfavet, Boulogne) et/ou symbolique (le Baston à Wimereux, l’aire d’accueil des gens du voyage et le foyer Adoma de Noisiel)2 préjudiciable à toute forme de mobilité résidentielle ou sociale. La finalité première de la Fondation Abbé Pierre au travers du projet pilote est, rappelons-le, de permettre aux populations de ces quartiers, et en particulier à un public non captif, celui qui ne fréquente pas les structures de proximité du quartier, « de se réapproprier un imaginaire », comme le rappelait Didier Vanoni en comité de pilotage, « non pas en les renvoyant vers une fiction inaccessible, mais en leur parlant d’eux-mêmes et des questions qui les concernent ». Il s’agit notamment de s’appuyer sur des interventions culturelles pour provoquer une mise en mouvement des personnes les plus éloignées des dispositifs de droit commun ainsi qu’une mobilisation des institutions locales à leur côté. Les principaux indicateurs relatifs aux trois sites sont rappelés dans les tableaux suivants (réponses des trois structures d’éducation populaire porteuses du projet au questionnaire d’évaluation) : Inclusion des quartiers dans les dispositifs publics Quartier/site Dispositif Montfavet (Avignon) Chemin vert (Boulogne s/mer) Baston (Wimereux) Aire d’accueil gens du voyage (Noisiel) Politique de la ville Politique de la ville Conseil général SAN Val Maubuée / CAF/ conseil général Politique de la ville Politique de la ville Foyer Adoma (Noisiel) Copropriétés dégradées Luzard (Noisiel) Programme ANRU Oui (Zone 3) Oui (Zone 1) Non Non Non Oui Problèmes repérés dans le quartier Problèmes intergénérationnels Problèmes de mixité garçons-filles Pbs de mixité hommes-femmes Isolement des femmes Analphabétisme/ illettrisme Méconnaissance du français Conflits entre groupes Baston oui oui Chemin Vert Montfavet oui oui oui oui oui oui oui oui oui oui Noisiel oui oui oui oui oui oui oui 2 Dont les particularités ont été données dans un diagnostic social et urbain, approfondi et mis à jour, réalisé par FORS en 2007 à la demande de la Fondation Abbé Pierre. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 5 Pas de mobilité/ dépendance alcool Violence physique Déscolarisation précoce oui oui oui (gens du voyage) Difficultés socio-économiques Taux de chômage élevé Fort taux de RMIstes Faible montant des revenus Familles monoparentales Baston oui oui oui Chemin Vert oui oui oui oui Montfavet oui oui oui oui Noisiel oui oui Le comité de suivi : le point d’étape du 7 février 2008 Sur l’ensemble des trois sites, la phase de mise en place et de concrétisation des actions a pris effet dès la rentrée scolaire 2007. Le 7 février 2008, un comité de pilotage technique permet de faire le point sur l’avancement du projet. Dans le Boulonnais Le projet Quartiers de Vies a démarré à Wimereux avec la création du « musée éphémère » les 1er et 2 décembre 2007. C’est le moment où s’enregistrent les premiers effets tangibles de l’intervention. Le comité de pilotage prend acte de l’impulsion donnée à Wimereux par cette action qui, grâce à la qualité de sa préparation et de sa mise en scène, a profondément touché la sensibilité du public. « Notre équipe n’aurait pas été capable de créer une telle émotion », analyse le directeur du centre Audrey Bartier. Le film (making of du musée éphémère) projeté par C. Grasset et J. Wagner suscite plusieurs commentaires qui entérinent un début de traduction en acte des objectifs du projet pilote : « On a mis les gens dans la situation de donner quelque chose, et en même temps on s’est montré en mesure de recevoir. » (représentante de la confédération des MJC) « On constate que le projet pilote a vraiment progressé. » (représentante de la fédération des centres sociaux) Le musée est le point de départ d’une succession d’actions fédérées autour d’un événement final, une grande parade brésilienne prévue pour mars 2008. Rappelons cependant que le projet de Quartiers de Vies touche deux villes, Wimereux et Boulogne-sur-mer, et doit respecter un calendrier qui se termine en mars 2008 pour la première et en juin 2008 pour la seconde. Or à ce stade, plusieurs questions restent encore en suspens. A Wimereux, face à la faiblesse de participation à certains stages (notamment les majorettes pour le stage de hip-hop), la question se pose de savoir qui doit assurer le travail de médiation auprès du public visé : les animateurs et les adultes-relais (que le directeur de Vies à Vies trouvent trop faiblement mobilisés) ? l’artiste lui-même (qui selon le directeur du centre Audrey Bartier a ses méthodes propres) ? qui précisément dans les intervalles de temps où l’équipe artistique n’est pas présente sur le territoire ? FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 6 A Montfavet Dans le prolongement des Impromptus3, la compagnie Mises en Scène lance ses « brigades d’intervention poétique » (BIP) en novembre 2007. Les BIP alimenteront la pièce « Variations sur les jardins » qui sera créée par Mises en Scène à partir du matériau fourni par ces jeunes et d’autres habitants du quartier et jouée en juin 2008. Organisée au centre de l’Espélido, la réunion de lancement de novembre suscite l’intérêt de nouveaux jeunes, en particulier des adolescents qui fréquentent le centre social. Le travail réalisé au sein du collège a porté ses fruits puisqu’il a permis de former un petit noyau stable de jeunes. De plus, les deux équipes du centre social et de Mises en Scène bénéficient d’une antériorité dans le projet pilote : après une première année de travail (année scolaire 2006-2007), ils ont réussi à trouver un accord qui, bien qu’imparfait, leur permet de dépasser provisoirement leurs divergences (notamment sur la méthode de travail et la perception des enjeux). Cependant, il est plus difficile de maintenir ce groupe d’élèves, hors institution, dans le cadre d’une activité régulière (un week-end par mois jusqu’en juin 2008, avec un engagement ferme pour assurer le spectacle). L’arrivée au centre d’une jeune animatrice en fin de cursus de formation résout partiellement le manque de personnel affecté au projet pilote. Une partie de son temps (entre novembre 2007 et juin 2008) sera consacrée à accompagner les BIP (relance téléphonique, transport domicile-salle de répétition…). Parallèlement, la compagnie Mises en Scène tente de pousser plus loin le travail amorcé au sein des ateliers de parole qu’elle a préalablement organisés avec des adultes du groupe d’alphabétisation du centre social (et qui a donné lieu à la publication de la brochure « Variations sur les jardins » mêlant textes et photos). Mais la prise de contact avec les femmes issues de l’immigration du groupe d’alphabétisation s’avère très difficile. Pour la plupart, celles-ci refusent de recevoir des comédiens chez elles et/ou de participer à un nouveau groupe de parole indépendamment de leur fréquentation du centre social. La directrice de Mises en Scène a le sentiment que l’expérience acquise par sa troupe dans d’autres quartiers d’habitat social dégradés d’Avignon lui est de peu d’utilité, compte tenu du temps restant imparti au projet (d’ici juin 2008), pour mettre en confiance des femmes évoluant dans un milieu culturel qui leur laisse peu d’autonomie. Comme à Wimereux, la question se pose de la responsabilité du travail de médiation : les personnes qui auraient pu l’assurer, en particulier les deux adultes-relais du centre de l’Espelido, font défaut (l’une est en cessation de contrat, l’autre en congé maternité). A Noisiel Le 8 octobre 2007, à Noisiel, Hervé Le Lardoux, directeur du théâtre de l’Arpenteur, a fait paraître dans les colonnes du journal Paru-Vendu de Noisiel une petite annonce passée par un certain « Pierre », amnésique en quête de sa mémoire à Noisiel. Cette annonce est le point de départ d’un appel à témoins qui consiste, pour les habitants de la ville ainsi que les trois publics cibles du projet pilote (foyer Adoma, aire d’accueil des gens du voyage, copropriétés dégradées du Luzard), à imaginer leur rencontre avec cet homme qui pourrait être Pierre. Mais le nouveau directeur de la MJC de Noisiel n’a pris ses fonctions que récemment, en juillet 2007. Il prend la responsabilité du projet pilote en cours de route et n’a pas encore eu le temps d’en comprendre la finalité et de s'adapter à la méthode de projet 3 Petites scènes poétiques jouées dans les classes par les comédiens puis avec des élèves volontaires (année scolaire 2006-2007). FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 7 imposée, peu habituelle dans le cadre de ses activités d’administrateur. Il lui faut donc un certain temps pour être convaincu de l’intérêt du projet artistique « Pierre », se l’approprier puis entraîner avec lui une partie de son équipe. Cependant, début 2008, il a franchi le pas, puisqu’il explique, lors du comité de pilotage de février : « Je suis fier de faire partie d’un projet portant de telles expériences. Moi-même, d’ailleurs, je suis étonné de la manière dont le projet « Pierre » fonctionne à Noisiel et permet aux gens de s’exprimer. » (directeur de la MJC de Noisiel) Mais inquiet de la manière dont il va pouvoir entrer en contact avec les publics visés, très éloignés de la MJC, le nouveau directeur soumet à la Fondation Abbé Pierre un projet artistique intermédiaire (Parole Invisible)4, confié à la compagnie de théâtre Etincelle et l’association Culture et Solidarité. L’objectif est de créer un climat de confiance et des habitudes de relations entre les habitants concernés et le personnel de la MJC. Les deux calendriers du projet intermédiaire et de « Pierre » se superposent sans qu’une correspondance soit véritablement établie entre eux : le premier s’échelonne de fin novembre 2007 à fin mars 2008 (il sera retardé jusqu’à mai 2008 pour ce qui est de l’aire d’accueil des gens du voyage) ; le second, commencé en octobre, va se conclure par la représentation de la pièce, « Pierre, la restitution », les 21 et 22 novembre 2008. Ce n’est que tardivement, entre avril et mai 2008, que l’ambiguïté du projet intermédiaire Parole Invisible et son peu d’efficacité pour créer à court terme le climat de confiance recherché ne va commencer à être perçue. Le 24 avril, un nouveau comité de pilotage technique et un premier bilan En avril 2008, le projet pilote de la Fondation Abbé Pierre aborde sa dernière ligne droite. Il a déjà pris fin à Wimereux (hors journée de restitution), les prochaines échéances étant fixées à juin pour la représentation de la pièce « Variations sur les jardins » à Montfavet et en novembre pour la représentation de la pièce « Pierre, la restitution » à Noisiel. A Boulogne, en revanche, une série de blocages institutionnels mettent provisoirement en danger le projet – au point que le directeur du centre Audrey Bartier et Bruno Lajara envisagent un moment de renoncer – qui trouvera pourtant à se concrétiser en juillet 2008 autour d’une nouvelle forme artistique (un court-métrage sur la vie « du dernier locataire », en lieu et place d’une pièce de théâtre) pour se terminer en octobre de la même année. A ce point de l’expérimentation, les membres du comité de pilotage prennent acte d’une forte volonté commune d’avancer qui a permis de dépasser les incompréhensions initiales et surtout de surmonter les difficultés qui se présentent inévitablement. Chaque site a mis en place sa propre logique de répartition des tâches entre l’équipe de la structure porteuse et l’équipe artistique. Logique qui influe sur le processus lui-même. Le comité de pilotage technique du 24 avril est l’occasion pour les membres réunis de passer en revue les étapes parcourues à la lumière de l’ensemble du projet. Le bureau d’études FORS, après avoir rappelé quels étaient le cadre et les objectifs généraux du projet, livre ses premiers éléments d’analyse, que nous développons dans les pages suivantes. 4 Financé sur le budget du projet pilote. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 8 I.2. Eléments d’analyse pour l’année 2008 La logique de mise en œuvre. Principe d’intervention, construction des partenariats et participation des habitants Le principe d’intervention : un modus operandi propre à chaque site En 2008, les trois « programmes » sont engagés, et si les équipes rencontrent encore des obstacles plus ou moins importants pour toucher leur public, le temps n’est plus aux tergiversations. Habitués aux échéances brèves, les artistes savent qu’ils n’ont que quelques mois pour monter leur spectacle. Ils sont dans l’urgence. Et une urgence qui ne fait pas de concession à la qualité et aux moyens nécessaires à l’obtention de cette qualité. Au risque de bousculer l’équipe de la structure porteuse pour obtenir le minimum : matériel technique, autorisations légales, présence effective des personnes inscrites. De plus, Mises en Scène excepté, les équipes artistiques sont extérieures au territoire et ne peuvent intervenir que de manière assez espacée auprès des publics visés. De leur côté, les structures porteuses acceptent de composer tant bien que mal avec ce sentiment d’urgence, mais sans perdre de vue que ce sont elles qui sont au contact quotidien de leur « public » et devront lui rendre des comptes une fois le projet achevé : « L'artiste arrive sur le terrain différemment de l'animateur. Il veut faire un projet avec les gens et le groupe est recruté en fonction du projet. Pour nous, les animateurs, c'est la demande qui fera émerger le projet. On écoute d'abord et on décide ensuite. Parce que l'animateur est représentant de la parole des gens et garant de la pérennité de l'action. Qu'est-ce qu'on fait ensuite avec la créativité des gens? » (directeur de la MJC de Noisiel) Se sentant investies de la « parole libérée » et de la continuité de l’action, elles attendent que l’action se situe au cœur de la structure elle-même, voire que le public touché adhère à la structure. La recherche d’une position commune est donc difficile et souvent conflictuelle, mais elle se cristallise autour des mêmes enjeux : Qui porte la responsabilité de la captation du public ? Comment conserver la place et la crédibilité de la structure de quartier ? Comment enfin tenir bon sur le projet artistique en lui-même dans le contexte d’une création « collective » pleine d’aléas ? Chacun des projets est original et porté par des équipes qui se distinguent par leur histoire, le contexte de leur rencontre et la manière dont les objectifs du projet pilote ont pu à un moment ou un autre être partagés. Aussi, il se met en place, sur chaque site, un modus operandi qui se traduit concrètement par un partage des tâches et/ou des espaces d’intervention plus ou moins bien vécu de part et d’autre mais réellement assumé. Dans le Boulonnais, ce qui prime, c’est le dialogue et l’effort constant des deux parties pour faire avancer le projet. Le conflit n’est pas évité mais il est ouvert et toujours résolu provisoirement par la volonté d’aboutir à un terrain d’entente. Ni le centre social ni Vies à Vies ne baisse les bras en dépit d’une divergence de conception quant aux moyens de FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 9 toucher le public non captif. Le directeur de la structure s’efforce de mobiliser plus fortement son équipe et les adultes-relais, celui de la compagnie de théâtre fait appel à ses propres forces (comédiens dépêchés sur le terrain pour seconder les animateurs…). Une partie de la logistique est assurée par une animatrice du centre à qui la direction a confié une mission de coordination du projet, ce qui facilite non seulement la centralisation de l’information sur la programmation des actions mais aussi l’accueil des intervenants extérieurs sur le site, aussi bien les artistes d’ailleurs que les évaluateurs (le bureau d’études FORS et les vidéastes C. Grasset et J. Wagner). En revanche, à Boulogne, le centre social n’est pas sur son territoire. Et il se sent d’autant moins légitime que le projet n’a pas fait l’objet d’une concertation suffisante avec la ville et les services publics (et que ceux-ci ne mettent pas la meilleure volonté à s’impliquer dans un projet qui leur paraît peu en adéquation avec leur souci de « communication positive » sur la rénovation en cours du Chemin vert). L’énergie considérable que le directeur du centre social et Bruno Lajara déploieront pour contourner les lourdeurs administratives manqueront de peu d’avoir raison du projet. A Montfavet, les tensions initiales sur l’attribution des rôles (entre animateurs et artistes) conduisent très rapidement à la séparation des espaces d’intervention. Le centre social sert de point de départ à plusieurs actions au travers de son atelier théâtre et de son groupe d’alphabétisation, mais il n’est jamais rassembleur (il laisse Mises en Scène intervenir seule au collège). De son côté, Mises en Scène installe l’atelier des BIP dans l’Entrepôt, sa propre salle de répétition située à Avignon (à quelques kilomètres du centre social). Dans ces conditions particulières, qui amèneront l’un et l’autre à travailler dans des lieux séparés, la complémentarité a manifestement du mal à jouer. A Noisiel, c’est un principe de présence commune MJC/artiste à chaque étape et sur tous les lieux d’action qui est imposée par la direction de la MJC. Compte tenu des publics visés et surtout du manque de clarté des objectifs qui ont été fixés à la compagnie Etincelle, ce mode opératoire rogne la liberté de l’artiste et introduit une confusion des rôles qui laissera les deux parties relativement insatisfaites quant au résultat. En revanche, le partage des tâches avec la compagnie l’Arpenteur sera plus clair et plus aisé à mettre en place. Les leçons ayant peut-être été tirées des atermoiements précédents, la directrice-adjointe de la MJC se voit attribuer une mission de coordination de l’ensemble du projet et devient pour l’artiste un interlocuteur unique et disponible. Les deux parties mettent au point une méthode de travail et des outils qui leur permettent de suivre l’avancée de l’enquête fictive autour de « Pierre » et de recenser les témoins de la ville et des trois publics cibles. Le travail de médiation est assuré par la MJC, les rôles restent distincts sans nuire à la coopération : « La force de notre boulot, c'est de trouver des techniques pour impliquer des personnes, c'est autre chose que simplement informer les gens. L'artiste, sinon, il n'aura pas de gens. Après, je lui fais entièrement confiance sur le côté artistique. » (directrice-adjointe de la MJC) Enfin, l’adossement du projet « Pierre » à la Scène nationale de Marne-la-Vallée (la Ferme du Buisson à Noisiel), qui suit le travail d’Hervé Le Lardoux depuis une dizaine d’années, introduit de plus un troisième interlocuteur qui va être décisif dans la manière de conduire le projet pilote jusqu’à son terme. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 10 La construction de partenariats : la coopération du couple éducation populaire/artiste reste décisive Ces modus operandi ont une influence sur le déroulement du processus et notamment sur la manière de trouver les appuis nécessaires à la bonne marche du projet, car très peu de partenariats avec des structures sociales, culturelles, politiques ont été construits en amont du projet. Or, en 2008, nous avons pu constater que là où le couple éducation populaire/artiste était parvenu à un mode de coopération et à une vision commune des objectifs, les efforts portés de part et d’autre auront eu les meilleures chances de déboucher : - notamment à Boulogne-sur-mer, avec des associations d’insertion : Pendant plusieurs mois, les blocages sont tels, à Boulogne (le directeur de Vies à Vies demande la mise à disposition d’un appartement au Chemin Vert pour s’immerger dans le quartier), qu’une autre démarche est imaginée provisoirement : organiser un casting (des personnes en difficulté et des chômeurs qui seront les acteurs d’une pièce de théâtre sur le Chemin Vert) avec le concours des associations d’insertion de la ville. Sur les quatre associations (dont la Maison de l’emploi), rencontrées en commun par la structure et l’artiste, deux d’entre elles au moins, en dépit d’une demande qui leur paraît à la fois étrange et soudaine, répondent activement à cette demande tout en y voyant des possibilités de collaboration futures. - ensuite à Noisiel, avec la Scène nationale : L’implication initiale de la Ferme du Buisson dans le projet pilote permet d’associer indirectement celle-ci à la diffusion de l’appel à témoins sur « Pierre ». Ainsi, répondent au questionnaire non seulement les publics visés (par le truchement d’un travail d’animation au niveau de la MJC de Noisiel) mais aussi les citoyens « ordinaires » qui fréquentent la médiathèque implantée dans l’espace de la Ferme : « Il y a un pont qui se forme entre la MJC et la Ferme du Buisson. » (directeur de l’Arpenteur) En revanche, à Montfavet, toutes les tentatives du centre social de l’Espélido pour impliquer dans le projet des structures culturelles (notamment la Collection Lambert à Avignon) sont restées lettre morte. Un échec qui peut être attribué aussi bien aux choix politiques de la ville d’Avignon (dont l’action culturelle est déconnectée de tout travail sur ses secteurs les plus défavorisés) qu’à l’isolement réel dans lequel le centre social se trouve du fait de ses faiblesses structurelles (fragilité économique mais aussi manque de légitimité auprès des autorités de tutelle). Cependant, il est manifeste qu’en dépit de ces freins tout à fait objectifs, le fait qu’aucune initiative ne soit réellement portée en commun par le couple Mises en Scène/Espelido – par exemple dans des collaborations avec des associations ou des institutions locales – n’a fait que fragiliser la position initiale du centre social. La participation effective des habitants au projet artistique Conformément aux objectifs de la Fondation, chaque structure d’éducation populaire responsable, en accord et conjointement avec l’équipe artistique, s’était donné pour objectif d’amener les habitants du quartier à prendre part au projet de manière effective au sein d’un FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 11 projet artistique (musique, théâtre, cinéma, photographie, écriture, témoignage-récit) et en s’engageant sur une certaine durée jusqu’à la manifestation finale. Les trois directeurs artistiques impliqués s’inspirent tous, dans leur travail de création, d’une rencontre avec des habitants qu’ils considèrent en tant que personnes au travers de leur propre histoire. Et c’est à ce titre que ces habitants ont été invités à participer pleinement au récit à Noisiel, au tournage du film à Boulogne, à la représentation de la pièce à Montfavet, … Toutefois, si le projet artistique ne peut pas à proprement parler avoir de visée sociale… « L’impact sur les populations, ça ne doit pas être en amont du projet artistique. C’est la qualité de la rencontre qui provoque la parole, mais on ne sait pas où on va, c’est d’ailleurs ce qui attire les gens. » (directeur de l’Arpenteur) … les structures porteuses, elles, ont des impératifs propres, liés à leur mission d’éducation populaire. C’est ainsi que l’on peut expliquer le choix du Boulonnais d’avoir associés les participants non seulement aux actions elles-mêmes mais aussi à leur conception, ou tout au moins aux objectifs visés au travers du projet (dans le cadre d’un séminaire de lancement du projet : « Je ne veux pas que des gens spectateurs. Je veux un engagement… pour qu’ils apprennent à mieux maîtriser leur environnement et demain en être l'un des acteurs. » (directeur du centre Audrey Bartier) - et sur les trois sites la volonté de favoriser un brassage large des populations, soit par agglomération de divers publics autour de la structure porteuse (Wimereux, Noisiel), soit en inscrivant l’action dans des lieux qui favorisent la mixité (collège de Montfavet, ateliers mixtes habitants de Montfavet et d’Avignon). Les effets de l’action. Evolution des pratiques professionnelles, changement du regard, transformations individuelles Comment peut-on analyser les effets du projet ? Est-ce qu’un temps long est nécessaire ? Sur quels résultats faut-il s’appuyer ? En 2008, l’accélération du projet en vue de la programmation des manifestations de clôture nous ont permis d’observer des changements parfois très nets non seulement chez les individus (au travers d’entretiens approfondis réalisés avec des habitants de tous les âges) mais aussi dans les structures porteuses. Une réelle dynamique s’est mise en place, réservant parfois des surprises aux acteurs euxmêmes. L’introduction de changements dans les pratiques des professionnels L’implication de la structure dans l’urgence du projet pilote a eu des effets inédits et relativement rapides sur la structure elle-même. Cependant, l’ampleur des changements constatés est proportionnelle à l’investissement de départ. Ainsi, plus l’effort déployé par les structures, et notamment par la direction, pour accompagner le projet a été important et FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 12 constant – en termes d’investissement en temps et en personnel, et d’attention portée aux attentes légitimes des artistes5 –, plus elles ont montré leur capacité à modifier leurs propres pratiques et à changer leur regard sur les populations dont elles ont la charge. Avec des enseignements de type différent. - Une nouvelle place accordée à l’action culturelle au sein du centre A Wimereux, l’émotion générale suscitée par le musée éphémère est le point de départ, début 2008, d’une réflexion de la direction sur la nature de l’action culturelle et sur ce qui est en jeu à travers elle pour la population d’un quartier. Qu’est-ce qui distingue l’action culturelle de l’animation proprement dite ? Comment s’appuyer sur des projets de cette nature pour encourager les habitants à agir sur leur cadre de vie ? « C'est aussi une remise en question d'une structure comme la nôtre : quelle est la place de l'animateur ? quel est l'apport de l'animateur ? quelle doit être l'action culturelle ? avec quels moyens ? » (directeur du centre Audrey Bartier) - Une réflexion sur le travail d’animation dans le cadre d’un objectif à court terme Dans un registre proche, le fait pour l’équipe du centre Espélido de collaborer avec un intervenant artistique apportant avec lui ses exigences propres – discipline et respect d’une échéance brève – a provisoirement remis en question sa conception de la prise en charge des publics défavorisés. Alors qu’ils étaient habitués à travailler sur des objectifs précis dans un temps indéterminé, les deux principaux animateurs engagés dans le projet prennent conscience qu’il est possible de travailler autrement : dans un temps relativement court, en modifiant au besoin le projet initial lorsque des difficultés se présentent : « Il y a une urgence qui est posée par l’artiste que l’habitant va accepter et qu’il n’acceptera pas d’un centre social. Ce que nous avons compris, c’est que l’exigence n’est pas un obstacle à la participation des personnes. Au contraire, elle peut les amener à s’engager réellement, à retrouver une confiance et une estime de soi. Cela reste à méditer. C’est un message que nous devrions faire passer aux institutionnels. » (animatrice du centre Espelido responsable du projet pilote) - Une approche différente du public de la structure de quartier Le travail autour de l’enquête « Pierre » a des effets inattendus. Un groupe d’adolescents du quartier vient régulièrement occuper le hall d’entrée de la MJC sans y avoir été invité et sans but particulier. Or, à sa grande surprise, la direction constate que l’un de ces adolescents accepte de répondre au questionnaire sur Pierre. C’est de cette manière que la direction décide d’introduire cet incident dans une réflexion plus globale sur le fonctionnement de la MJC : la structure doit-elle s’adresser uniquement aux adhérents qui viennent suivre une activité ou bien joue-t-elle un rôle d’animation plus vaste ? notamment en prenant en compte les visiteurs occasionnels, voire en allant à leur rencontre au cœur même du quartier ? Notamment lorsque ces derniers ont besoin d’un soutien technique (matériel sono, location et/ou installation d’une salle…) ou d’un relais pendant leur absence du territoire (rappel des dates de stages par les animateurs…). 5 FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 13 « Que fait-on avec ce public ? Avec ces jeunes qui ne viennent pas dans nos locaux pour participer à un atelier ? “Pierre” nous a obligés à nous poser cette question, mais du coup nous nous la posons aussi pour tous les autres projets. » (directeur de la MJC de Noisiel) Changement de regard et transformations individuelles (voir aussi la deuxième partie présentant des monographies de chaque site) - Une transformation du regard sur le territoire et sur ceux qui l’habitent « Parce que là, on a une scène et tout le monde se voit. On peut se mettre dans les gradins, et tout le monde nous voit. On est en situation de voir le monde qui est en face de nous, même si on les connaît. » (Jeune fille, BIP) « J ’ai une voisine qui m’a dit : On dit toujours qu’il n’y a rien dans le quartier, et bien moi, je vais participer ». (Adulte-relais, collecteur d’objet, musée éphémère) « C’est une opportunité magnifique. Il y a déjà eu des projets. Mais le fait de faire appel à des professionnels, ça prend tout de suite une autre dimension, ça peut donner du dynamisme, que les gens se sentent impliqués. » (Chef de projet politique de la ville, Habitat du Littoral) - La libération de la parole et des émotions au travers de la pratique artistique Par rapport aux autres villes où il a expérimenté son projet artistique, le directeur du théâtre l’Arpenteur estime que l’enquête-fiction autour de « Pierre » a créé à Noisiel un véritable espace de parole où non seulement les gens parlent de leur ville, mais ils parlent aussi beaucoup d’eux-mêmes : « Nous avions eu des réponses assez décevantes au questionnaire à Noisiel, mais il s’est passé des choses extraordinaires dans le bureau d’enquête. Ici plus qu’ailleurs, c’est un espace de parole qu’on donne aux gens. » (Hervé Le Lardoux) - Une meilleure confiance en soi « Ce que le centre m’a apporté, c’est une sérénité pour parler, plus de sérénité, de détente, de pouvoir aller vers les gens. C’est une très belle expérience. Ces projets m’aident aussi à ne pas penser à mes propres problèmes. On essaie de me faire rigoler, de me détendre… » (jeune femme, spectacle brésilien) - L’ouverture aux autres Indépendamment des objectifs de mixité sociale que s’étaient donné les éducateurs, l’extrême adaptabilité du projet aux ressources qui pouvaient être mobilisées a eu des effets de rencontres inattendus : FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 14 « Un habitant a évoqué pour la première fois ses souvenirs de la ville lorsqu’il était adolescent, du coup, il a étonné un autre habitant qui le connaissait bien mais pas sous ce jour. » (comédienne, l’Arpenteur) « J'avais un petit peu d'appréhension en me disant : moi je suis la plus âgée, j'ai 38 ans, je suis d'un milieu social différent, il y en a dans le groupe qui ne travaillent pas, il y a une Rmiste… Mais c'est enrichissant, on est toutes différentes, on se canalise plus ou moins, si il y a des réactions un peu excessives … peut-être que mon expérience leur profite. Elles, leur jeunesse, ça me motive, ça me pousse à me dépasser, c'est super… » (femme, spectacle brésilien) Premiers enseignements en 2008 sur des améliorations à apporter pour atteindre les objectifs fixés Cette année 2008 de concrétisation s’est avérée particulièrement riche en enseignements au regard des conditions dans lesquelles une expérimentation de ce type peut atteindre au mieux ses objectifs. Ceci est à mettre sur le compte des possibilités qui ont été données d’en suivre les étapes pas à pas mais également du recul que l’on peut prendre sur la méthodologie suivie – et ses ajustements – après quatre ans d’intense focalisation des équipes et des partenaires sur le projet. Les premières pistes qui se dégagent sont les suivantes. - Faire s’appuyer le projet sur trois types d’acteurs L’exemple de Noisiel a montré l’importance pour le projet artistique de s’appuyer non seulement sur la structure de proximité mais aussi sur l’institution culturelle qui accompagne habituellement l’artiste. L’idéal pour un projet de ce type est donc de s’appuyer sur trois entités : - un équipement de proximité (de droit commun) et son équipe, - une institution culturelle, - une compagnie artistique indépendante. - Solidité et légitimité de la structure porteuse Le projet pilote ou au minimum la structure porteuse doit disposer d’une reconnaissance des institutions publiques. Sans cette reconnaissance, pas de co-financements possibles (Montfavet), pas d’autorisation légales en cas de besoin (Boulogne), pas d’ouverture à un public plus élargi si la structure de quartier veut développer l’action culturelle. Un animateur seul n’a pas les épaules assez solides pour porter un projet de cette ampleur. A Montfavet, l’absence de la direction à certaines étapes décisives et la trop grande délégation du projet pilote aux animateurs risquent de conforter les institutionnels dans leur attentisme et de donner un coup d’arrêt à tout projet d’ambition artistique. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 15 - Sensibilisation des animateurs/éducateurs à la culture Des membres volontaires de l’équipe éducatrice doivent être associés au projet le plus clairement et le plus tôt possible : sans leur concours, le projet est déqualifié ou inexistant au sein de la structure. L’idéal serait même que les animateurs et/ou éducateurs impliqués dans un tel projet aient été préalablement formés ou du moins sensibilisés à l’action culturelle. Sur les trois sites, les responsables et les animateurs fortement impliqués dans le projet pilote ont tous convenu avoir été totalement convaincus de la force d’un projet culturel et artistique de la nature de celui engagé dans le cadre de la convention avec la Fondation Abbé Pierre à partir du moment où ils ont pu en observer les effets sur les habitants. - Reconnaissance institutionnelle et sensibilité à la question sociale chez les artistes L’équipe artistique choisie doit nécessairement avoir une solidité financière mais surtout bénéficier d’une reconnaissance institutionnelle. Celle-ci notamment est garante de la liberté de l’artiste et des possibilités qui lui sont données d’imaginer des « protocoles » qui restent ambitieux y compris – d’autant plus, devrions-nous dire – pour des gens en difficulté. Mais l’artiste n’a pas un rôle d’accompagnateur social. Aussi, sa recherche doit-elle être fondée non sur un objectif social mais sur l’approche humaine d’une question, par exemple la représentation de la ville pour Hervé le Lardoux (« ce qui m’intéresse, c’est en quoi la mémoire nous construit dans le présent » « les lieux gardent notre mémoire »), la rencontre avec des personnages singuliers pour Bruno Lajara (« c’est le fondement même de mon inspiration », dit Bruno Lajara) - L’évaluation comme garante de la poursuite du processus Enfin, il aura été intéressant de noter, en 2008, que la présence de l’évaluateur (FORS ou bien l’équipe de vidéastes) sur les lieux de l’action a souvent donné un coup de pouce aux intervenants parce qu’elle replaçait l’expérimentation dans son objectif plus général et permettait de prendre du recul sur ce que l’on fait ; et aux habitants parce qu’elle donnait une visibilité à leur propre participation. Il aura cependant manqué d’une coordination au niveau national pour faire circuler l’information entre les sites sur le déroulement du projet et les manifestations en cours. En résumé, les atouts d’une action favorisant la dynamique culturelle des quartiers Un pilotage national et local La présence d’intervenants extérieurs (les artistes, les partenaires associatifs et institutionnels mais aussi l’évaluateur) qui permettent de sortir du huis clos Des enjeux partagés : la participation effective d’habitants à une expérience culturelle et artistique de qualité Un temps d’expérimentation suffisamment long Une échéance précise qui incite les acteurs à coopérer et à trouver des solutions pour atteindre un même but, celui de l’événement final (le spectacle, qui obéit à des règles strictes de programmation), qui est aussi le terme de l’expérimentation La construction de partenariats associatifs et institutionnels locaux FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 16 II - Deuxième partie. Le déroulement du projet sur chaque site II.1. Le projet du Boulonnais Bref rappel des objectifs initiaux et du renouvellement de la démarche L’objectif dans le Boulonnais était de « permettre à l’habitant de trouver à s’exprimer et à se valoriser dans des pratiques culturelles et artistiques sous la direction d’un artiste professionnel » (directeur du centre Audrey Bartier). Le projet pilote devait prendre appui sur une activité mise en place par le centre Audrey Bartier, une comédie musicale organisée avec une centaine d’habitants-comédiens depuis quatre ans. Mais cette activité, qui avait ses propres objectifs et sa propre logique, s’est avérée impropre à être reprise dans le cadre du projet pilote. C’est au début de l’année 2007 que décision a été prise de passer de ce projet « interne » à un projet culturel et artistique totalement nouveau qui serait confié à une compagnie de spectacle vivant et à des artistes reconnus pour leur expérience en matière d’action culturelle dans les quartiers. Le projet « Quartiers de Vies » est initié après un week-end de réflexion organisé par le centre Audrey Bartier et auxquels ont été conviés des habitants. Le projet fait l’objet d’une « redéfinition » autour des objectifs suivants : rompre l’isolement des habitants, leur permettre de retrouver une confiance en soi et d’avoir un regard neuf sur le quartier et sur le monde « extérieur », à laquelle s’ajoute un objectif d’élargissement du public du centre socioculturel. Deux professionnels seront retenus dans le cadre de cette « commande » : Bruno Lajara, directeur de la compagnie de théâtre Vie à Vies (sur proposition de la communauté d’agglomération du Boulonnais) et le cinéaste-documentariste Jean-Phlippe Grédigui (via le Centre régional de ressources audiovisuelles du Nord-Pas-de-Calais et sur proposition du directeur du centre social). Une grande variété de disciplines artistiques seront mobilisées au profit du projet : théâtre, danse, vidéo, musique, poésie, scénographie. (Cf. rappel des différentes actions en annexe) Le projet Quartiers de Vie à Wimereux, un projet « porté » conjointement par le centre social et l’équipe artistique et « réajusté » en permanence Une confiance dans le projet véritablement installée après le musée éphémère L’action proprement dite a commencé à se concrétiser fin 2007, avec la mise en place du musée éphémère. Le « musée » en lui-même est le temps fort d’une manifestation qui dure deux jours et combine plusieurs événements culturels : une soirée-cabaret poétique auxquels des habitants sont conviés à participer (apport d’un plat confectionné à la maison ; invitation à partager la scène avec les artistes en lisant un court poème) et une exposition sur l’histoire du quartier qui doit se prolonger par une visite guidée du Baston. Cette première manifestation marque un tournant dans le sens où elle a totalement convaincu l’équipe dirigeante elle-même (le directeur et le président du conseil d’administration du centre socioculturel) du fort impact émotionnel et mobilisateur des FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 17 énergies qu’une action culturelle de cette qualité peut avoir sur les participants et sur le public. « On voit bien l’évolution de la culture. Même si à l’époque on avait anticipé comment elle allait devenir, jamais on n’avait pensé qu’elle allait prendre cette tournure-là… les habitants, finalement, mettre l’artiste à côté d’eux, leur montrer autre chose, c’est ça la réussite. On a vu cette semaine ce qui a été créé et le résultat. Ça va faire boulede-neige. » (Le président du conseil d’administration du centre Audrey Bartier) Il s’agit, analyse le directeur du centre : « de se servir de certaines personnes moteurs par un moyen de mixité sociale », c’est-à-dire en faisant se rencontrer des catégories de personnes issues de milieux différents, « pour créer du lien social, changer le regard, faire disparaître des a priori ». Dès lors, le projet va être porté de manière plus sereine par les deux équipes, éducatrice et artistique, jusqu’à la manifestation finale, le spectacle de danse brésilienne, dont deux représentations sont données les 21 et 22 mars 2008 et auquel participent des habitants (une quinzaine d’habitants et 25 musiciens de fanfare6) aux côtés de danseurs et de musiciens professionnels. Rebondir après chaque difficulté : une adaptation permanente du projet qui n’entame en rien les effets escomptés Les difficultés rencontrées à ce stade, inhérentes au projet lui-même, sont relatives à la plus ou moins grande facilité avec laquelle il a été possible d’impliquer et d’amener à s’engager les personnes entrant dans les objectifs du projet. Difficultés qui ont été intelligemment contournées par les artistes qui sont allés à la recherche d’autres catégories de personnes et ont modifié le projet en fonction de ces éléments nouveaux. C’est notamment parce qu’il n’a pas été possible d’inclure le groupe des majorettes de Boulogne dans sa totalité pour le spectacle de danse brésilienne qu’il a été fait appel à la Musique de Wimereux (25 musiciens), donnant ainsi à la manifestation une tout autre ampleur et aux musiciens concernés, appartenant à une petite association qui a dû lutter pour sa survie au sein de la ville, de se confronter à un registre musical et à un type de manifestation auxquels elle n’était pas du tout habituée. Avec un engagement, un effet d’émulation et une confortation du plaisir de la pratique artistique qui touche les amateurs les moins confiants : « Je me sens gênée à cause de mon âge… mais je vois que ça plaît. Comme je joue des percussions, avec la musique brésilienne ça changeait tout. J’ai dit aux musiciens : là, on n’entend pas que vous ! Ça m’a rassurée. Maintenant, je vais me donner à fond, il faut faire voir qu’on aime [la musique] » (une percussionniste, encouragée par sa fille il y a cinq ans à entrer dans une formation musicale) « Les musiciens ont tous fait l’effort de venir un maximum, c’était en plus de nos répétitions, c’était des jours différents. On joue jamais aussi vite que ça, et il y avait un travail d’adaptation au spectacle. Avec le résultat, c’est bien. » (le président de la Musique de Wimereux) 6 Voir le détail des participants dans le tableau des actions de Wimereux en annexe. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 18 De même, si l’une des deux pièces jouées à domicile dans le cadre du « théâtre chez l’habitant » a été accueillie chez une personne de la classe moyenne (une maman qui accompagne ses enfants au centre social), plus susceptible que quelqu’un de plus modeste de s’engager dans une action de cette nature, le résultat n’est pas à négliger au regard des objectifs du projet puisque cette opération débouche sur de nouvelles relations de voisinage et un sentiment d’appartenance à son quartier intéressants en termes de cohésion sociale : « Le fait d'ouvrir la maison, ça permettait de franchir un cap et de casser un peu des barrières. Parce que on est tous pareil, le matin, on part travailler, le soir, l'hiver il fait noir, on ne voit personne, on ne cherche pas à savoir ce qui se passe à côté. J'étais très surprise parce qu'il y avait une trentaine de personnes à la maison. Il y avait la lecture par l'acteur. J'avais un peu peur parce qu'on connaît pas très bien si les gens sont sensibles à ce genre de choses ou pas, c'est un peu hasardeux. A la fin de la lecture, on a parlé un peu avec l'acteur, on avait préparé ce qu'il fallait pour manger, faire un truc sympa. Ça a été très drôle parce que tout le monde se connaissait. Estce que c'est le fait d'être voisins d'un même quartier? Il n'y avait vraiment pas de barrières. Et j'ai su après qu'il y a des gens qui avaient sympathisé et qui étaient en contact depuis le théâtre chez l'habitant… » (une habitante) On notera une déception imputable aux aléas du spectacle vivant en extérieur : l’annulation pour cause d’intempérie de la parade brésilienne prévue en ouverture du spectacle (lequel avait été fixé en mars de manière à conserver le temps restant sur 2008 à la réalisation du projet sur Boulogne-sur-mer). La parade devait suivre un itinéraire reliant symboliquement la ville haute (socialement défavorisée et stigmatisée comme telle) à la ville basse (centre-ville). L’effet recherché – donner une visibilité à cette action auprès des citoyens de la ville afin de changer le regard porté sur le quartier – n’a donc pas pu être atteint. « Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y ait pas eu le défilé, les gens n’ont pas pu voir les jolis costumes. Je suis sûre qu’il y a des gens qui ne savent pas qu’il y a eu un spectacle. » (une femme de l’atelier de couture du centre social ayant participé à la confection des costumes) Et les enfants du collège ont été privés également du plaisir de voir défiler les chars et les panneaux qu’ils avaient fabriqués de leurs mains en s’inspirant librement du thème du Brésil. Réclamée par les participants au projet, la parade n’a pas pu être reprogrammée faute de temps. Un certain nombre de points forts : mixité sociale, rassemblement des forces vives du centre social, ouverture sur de nouvelles initiatives La portée du projet ne se mesure pas au seul événement final. Cependant, point culminant d’une succession d’actions – musée éphémère, théâtre chez l’habitant, préparation de la parade –, le spectacle de danse brésilienne est l’occasion de rassembler en son sein (en réunissant pour une manifestation de même qualité amateurs et professionnels, individus et membres d’associations) et autour de lui (les forces vives du centre social : animateurs, bénévoles, personnel technique, participants des ateliers cuisine et couture, adolescents du quartier…) et de capter un nouveau public autour du projet (familles des participants et FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 19 personnes qui ne fréquentaient pas voire même étaient en opposition avec l’activité du centre7). Entre-temps, l’implication de nouvelles catégories de personnes, au fil des difficultés et/ou des opportunités rencontrées (musiciens, habitants de quartiers plus résidentiels…) a créé une forme de mixité particulièrement intéressante. Le projet ne s’adresse plus aux seuls exclus mais à toute la population du quartier, représentée dans sa diversité résidentielle et sociale. Avec pour résultat également, comme nous l’avons vu, le développement de nouvelles relations de voisinage. Sur le plan individuel, des envies s’expriment, sous diverses formes : relance ou dynamisation d’un projet personnel ou professionnel, envie de prolonger le plaisir éprouvé à donner de soi, se confronter au regard de l’autre, s’exprimer au travers d’une pratique artistique : « Ça m’a ouvert l’esprit sur le travail de création, j’ai vu ce que font les artistes. On n’arrive pas toujours traduire un son. Du coup, j’essaie de faire plus de création, pour imposer un style personnel. Et maintenant, j’ai un projet avec un label techno. » (un jeune DJ du quartier du Baston) « Quand ça va pas, je le fais ressentir dans mes chorégraphies, quand je suis en pleine forme, ça se voit aussi, quoi. C'est marrant. C'est une forme de s'exprimer… Bruno [Lajara] m'a repérée, c'était la première fois, ça m'a fait plaisir… alors je vais faire des formations à Lille, je vais essayer de sortir un peu, parce qu'à Boulogne, il n'y a rien. » (une jeune danseuse du quartier du Chemin Vert) « J'ai peur de me tromper. Ce n'est pas que j'aie peur des gens… mais est-ce que je vais être capable d'être devant plutôt que derrière ? » (une danseuse du quartier du Baston) Si modeste soit-il, un espace d’expression a été aménagé sur la mémoire (constitution par un habitant d’un fonds d’archives sur l’histoire du Baston exposé en marge du musée éphémère8) et sur la manière d’habiter son quartier (notamment lors des entretiens avec l’évaluateur) : « La résidence, c‘est morne, c’est triste, c’est réservé… ça me fait du bien de m’exprimer. » (un habitant du quartier du Baston) « On dit toujours que dans le quartier il n’y a rien, et bien moi, j’ai dit : je vais participer… » (une dame âgée qui a prêté un objet pour le musée) Ce qui donne lieu, après le spectacle et l’abattement provoqué par la fin du projet, à une demande pour que quelque chose se perpétue : L’investissement du centre social dans des voyages de découverte des pays en développement était perçu par certaines personnes que nous avons interviewées comme un luxe et un mépris des conditions économiques ou sociales difficiles vécues par les habitants mêmes du quartier. 8 La visite guidée qui devait prolonger cette mini-exposition sur l’histoire du quartier a été annulée elle aussi pour cause d’intempérie. 7 FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 20 « C'est angoissant. J'appréhende demain soir, j'avoue que j'appréhende la fin. Il y aura sûrement d'autres choses à faire, d'autres choses à donner. J'attends de voir, qu'on me mette sur la voie. [Réinterrogée un mois plus tard :] On aurait voulu reconduire le spectacle. J’avais pensé faire une fête de printemps pour 2009, comme un grand cabaret. » (une danseuse) Une question qui reste en suspens : le public-cible du projet pilote a-t-il été atteint à Wimereux ? Pénétré de l’idée que le projet pilote, sous la forme qu’il a prise en 2007 avec Quartiers de Vies et l’appui d’artistes professionnels reconnus, peut être le point de départ de nouvelles actions culturelles de même qualité impulsées par le centre social, le directeur du centre Audrey Bartier se réserve coûte que coûte9 la possibilité d’organiser un temps de restitution propre à relancer la démarche. Le but est d’associer la population à la mise en œuvre de nouveaux projets culturels (financés par exemple à l’aide « fonds de participation des habitants » du centre social ») qui, grâce à la dynamique créée, peuvent avoir pour effet de renforcer le lien social, aider à améliorer les conditions du vivre ensemble et revaloriser l'image du quartier. Dans ces conditions, le directeur du centre Audrey Bartier a de son point de vue atteint ses deux objectifs d’élargir le public de ses adhérents et d’inciter la population du quartier à agir sur son cadre de vie. Le directeur de la compagnie Vies à Vies quant à lui est plus circonspect. Très impliqué du point de vue des objectifs sociaux du projet pilote, il a le sentiment que les personnes touchées à Wimereux ne sont pas tout à fait celles qui étaient visées, en particulier ce ne sont pas celles qui se trouvent le plus en difficulté économiquement et socialement, par comparaison avec les habitants du quartier en cours de restructuration du Chemin Vert. Il est vrai que si à Boulogne le projet a été très difficile à mettre en place, ce n’est pas seulement parce que le centre Audrey Bartier, la compagnie Vies à Vies et la Fondation Abbé Pierre ont été pris dans des enjeux politiques locaux sur lesquels ils n’avaient pas prise. C’est aussi parce que la présence de Bruno Lajara dans un immeuble destiné à la démolition et la nature de son projet pouvait attirer l’attention, de manière fort mal venue au niveau national, sur la misère et le quasi-abandon vécus par des occupants de logements sociaux relevant de programmes de rénovation de pointe. Il n’est pas question ici de mésestimer le travail considérable réalisé à Wimereux, dont nous pensons même qu’il a permis de réunir les ingrédients nécessaires à une réactivation des solidarités locales traditionnelles, notamment au moment fort du final qui a vu se fondre dans un même élan enthousiaste la population du quartier, les artistes professionnels et amateurs et une bonne partie du personnel et des bénévoles du centre social. Mais la question reste posée de savoir si, avec le travail réalisé par la compagnie Vies-à-Vies à Boulogne, plus qu’ailleurs, on ne se situe pas au cœur même du projet expérimental. 9 En immobilisant notamment une partie des fonds dans cette perspective. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 21 Le cas spécifique de Boulogne-sur-mer Des obstacles considérables qui ont différé le projet de plusieurs mois - un positionnement particulièrement ambigu et inconfortable du centre Audrey Bartier . - l’absence de clarté des autorités locales vis-à-vis du projet. - la réticence des services techniques. - une réactivation du conflit entre le centre Audrey Bartier et la compagnie ViesàVies, notamment sur le budget accordé au projet artistique sur Boulogne, conflit créé par une certaine perte de confiance, de part et d’autre, dans les possibilités de conduire l’action jusqu’au bout comte tenu des mauvaises conditions de réception locales. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 22 II.2. Le projet du quartier de Montfavet à Avignon Bref rappel des objectifs et des actions précédentes A Avignon, les objectifs initiaux du projet pilote se sont affinés pour se centrer autour de certains publics : les familles (en particulier des femmes) qui ne sortent pas de leur quartier, et les enfants du collège issus de quartiers différents (avec l’idée de construire un groupe de jeunes motivés dans un lieu comme le collège, où la mixité est acceptée). Le centre social et culturel de l’Espelido espérait également profiter de cette expérimentation pour renouveler ses propres pratiques, notamment sur le volet culturel du centre, et capitaliser les nouvelles méthodes acquises. Entre 2006 et 2007, les premières actions avaient été conduites avec l’association Arts et développement pour des ateliers de peinture de rue dont l’objectif était autant d’accroître la présence du centre social au cœur des quartiers les plus sensibles de Montfavet (les Broquetons, Ste Catherine) que d’inciter les jeunes à entrer dans le projet pilote. La compagnie Mises en Scène était ensuite invitée dans le cadre de la nouvelle « commande » à construire son spectacle autour des deux groupes-cibles initiaux, les femmes isolées du quartier et les collégiens. Deux actions s’étaient terminées avant la fin de l’été 2007 : les Impromptus, petites scènes poétiques montées au collège, et une expositionlivre de photos montée dans le cadre du groupe d’alphabétisation du centre social. Mises en Scène travaillait autour d’un thème central, intitulé « variations sur les jardins », thème issu des premiers échanges organisés au centre social. La compagnie envisageait, avec l’accord du centre social, de monter son spectacle dans les jardins prêtés par la ville des familles défavorisées du quartier (des « jardins ouvriers » mis en place à l’initiative du centre de l’espélido). Les « Brigades d’intervention poétique », des enfants et des adolescents engagés pour la première fois dans un projet collectif Le nombre de participants fluctue, puis se stabilise autour d’une vingtaine de jeunes. Grâce à l’arrivée d’une animatrice à qui le centre confie la responsabilité de suivre le groupe des BIP, il tient bon ses engagements : « A chaque fois, il faut quand même que je les rappelle, même s'ils se sont engagés sur l'année, il faut les rappeler quand même, leur redire que c'est ce week-end, donc souvent, en milieu de semaine, je rappelle, je fais un peu le tour… » Les tensions entre Mises en Scène et certains animateurs du centre social en sont d’autant plus apaisées. L’animatrice, enthousiaste et convaincue que les adolescents vont avoir l’expérience de vivre quelque chose d’unique, s’implique fortement auprès d’un petit groupe qu’elle voit évoluer et prendre progressivement consistance : FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 23 « Moi je dis que c'est le projet du siècle, parce que en fait, c'est mobiliser des jeunes et leur permettre de découvrir la danse, le théâtre, et de le faire à l'extérieur de la structure, c'est-à-dire dans un vrai théâtre, ce n'est pas donné à tout le monde. Ils découvrent la vie en collectivité, la discipline. Ça leur permet de côtoyer un professionnel, de pratiquer une discipline qu'ils n'auraient jamais pu pratiquer… » L’exigence des comédiens est forte, mais elle est compensée par la fièvre de leur art, qu’ils savent faire passer, et la prise en compte des contraintes des adolescents : « Anna, c'est spécial ! mais elle sait nous donner du punch, elle sait nous passer sa joie, elle sait nous passer sa passion pour le théâtre. Et c'est peut-être ça qui nous relie tous, je pense. » (une jeune des BIP) « En plus, ils ont pensé à nous, pendant les vacances. Ils ne nous ont pas mis le BIP pendant les vacances. En pensant à ça, on se dit, ils ont réussi à faire un effort. Donc, à nous de faire un effort. On vient régulièrement. » (une autre jeune des BIP) Ce qui n’est pas toujours compris au départ par les éducateurs de l’Espelido : « L'objectif de l'artiste est ambitieux, il a une rigueur et une ambition forte. » (un animateur) Le groupe ainsi constitué est mixte du point de vue du sexe et de l’âge. Le but ultime du spectacle donne un sens à ce qu’ils font. De véritables transformations individuelles et une solidarité entre pairs, très nouvelle pour des jeunes nés à l’ère de la concurrence (entre bons et mauvais élèves, entre garçons et filles, entre communautés d’origine), sont en train de naître : « Au début, oui, on se regardait pas, on était pas très …, mais après on se regardait tous. Le deuxième week-end, c'est bon, c'était partit, tout le monde parlait, tout le monde rigolait, c'est ça qui est bien. On fait d'autres connaissances, parce qu'il y avait des gens que je ne connaissais pas, au BIP, maintenant je les connais. On s'échange les numéros de portable, on se rappelle les dates de BIP, on ‘textote’… » (une jeune des BIP) « Le groupe a beaucoup évolué. Il n’y a pas de moqueries entre eux, alors que d’habitude, les ados se « vannent toujours entre eux. C’est là où on a gagné, il y a un groupe quoi. » (animatrice) « L'ambiance ! On s'entend bien / Tout le monde s'entend bien. Tout le monde parle avec tout le monde. Si on a quelque chose à reprocher à quelqu'un on lui dit / Il n'y a pas de remarque stupide / Il n'y a pas quelqu'un qui déteste quelqu'un / Il n'y a pas de messe basse. Il y a l'humour de Sam… ! » (plusieurs jeunes des BIP) La difficulté à toucher les adultes En dépit de sa bonne connaissance de la population des quartiers défavorisés d’Avignon, la compagnie Mises en Scène se heurte à la crainte de certaines personnes d’être approchées FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 24 pour des entretiens individuels. Mises en Scène a probablement manqué de temps mais aussi de s’interroger sur ses méthodes d’approche dans de telles circonstances et auprès d’un tel public. Mais l’absence de véritable coopération de la part du centre social et culturel, en dehors des trois animateurs réellement impliqués, fait obstacle à la bonne réalisation du projet pilote. Il existe tout d’abord à cela des raisons d’ordre structurel, qui ont été soulignées à plusieurs reprises par les animateurs, notamment la précarité de la structure elle-même sur le plan financier et le manque de personnel, certains postes désertés n’ayant plus été réaffectés. La compagnie Mises en Scène rebondit toutefois en organisant une rencontre d’habitants entre différents quartiers d’Avignon (dont celui de Montfavet) avec l’aide du Secours populaire : elles recueillera des textes qui vont nourrir la pièce et qui exprimeront le mal-être des habitants. La poursuite des ateliers de peinture de rue Le problème du centre social a semble-t-il été de vouloir courir deux lièvres à la fois pour essayer d’atteindre la population du quartier la plus à l’écart, notamment les adolescents du quartier des Broquetons : les ateliers de peinture de rue, et le projet pilote de la Fondation. Or, d’une part ces deux actions n’avaient pas la même finalité, comme cela avait été dit dans le cadre de l’évaluation du projet pilote (voir notamment le rapport 2007), d’autre part le centre social n’avait pas les reins assez solides pour mettre à la disposition des moyens humains et financiers sur ces deux activités en même temps. Et si des tentatives ont été faites pour imaginer des complémentarités entre elles (ex : les jeunes des BIP ont été invités aux côtés d’autres jeunes du quartier à créer des affiches pour le spectacle), l’occupation d’une double fonction par les animateurs lors des ateliers de peinture de rue – à la fois animateurs socioculturels et artistes10 – et le maintien symbolique de ces ateliers dans le cadre du projet pilote de la Fondation Abbé Pierre a rendu ce dernier assez confus et compliqué les relations avec la compagnie Mises en Scène. Des relations tendues avec les décisionnaires locaux qui fragilisent le centre social Les institutions locales (service municipal de la politique de la ville, caisse d’allocations familiales, conseil général), qui avaient encouragé le projet la première année, cessent de le soutenir. Le directeur du centre Espélido se plaint de leur abandon. Insuffisance de conviction de leur part ? Attentisme ? Manque de communication ? Manque de lisibilité de l’action du centre ? Au travers des entretiens que nous avons pu réaliser avec le conseil général, la caisse d’allocations familiales et la mission politique de la ville d’Avignon, toutes ces raisons semblent entrer en ligne de compte et pointent surtout : 10 Faute de moyens financiers suffisants, ces ateliers, organisés en 2006 et 2007 sous la responsabilité et en présence de l’association Art et développement, ont été poursuivis en 2008 de manière exclusive par les animateurs du centre de l’Espélido. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 25 1) le manque de crédibilité de la structure au moment où le choix a été fait de la faire entrer dans l’expérimentation : le centre social est perçu, à tort ou à raison, comme fonctionnant de manière isolée et peu professionnelle (notamment en matière de présentation de dossiers de demandes de subvention) ; 2) la faible légitimité de l’action culturelle à destination de quartiers d’habitat social, au-delà de l’action phare de la ville qui est le festival d’Avignon. De plus, la somme engagée par la Fondation Abbé Pierre (« C’est une somme importante ») la font paraître comme une sorte de concurrent déloyal vis-à-vis du service public. Dans son « Action culturelle dans les quartiers. Enjeux et méthodes »11, Bruno Colin, analyse les limites de la décision politique : « Les porteurs de projet associatifs en ont souvent fait l’expérience, il est toujours plus aisé de s’inscrire dans le cadre d’une impulsion donnée par les pouvoirs politiques dont la collaboration sera généralement incontournable pour amorcer l’action plutôt que de s’efforcer, surtout en l’absence de relations privilégiées avec les milieux de décideurs, de faire reconnaître un projet novateur n’entrant dans aucun cadre déterminé. » « Variations sur les jardins », l’aboutissement du projet en dépit des difficultés rencontrées Le projet de Mises en Scène était de créer un spectacle joué par des comédiens et des amateurs (les jeunes des BIP) à partir d’un texte nourri de la parole des habitants du quartier. Mais comme nous l’avons vu, les ateliers de parole organisés avec les adultes sur la base de la dynamique des ateliers d’alphabétisation « n’ont pas permis de créer quelque chose de collectif » (directrice de la compagnie Mises en Scène). C’est en organisant des rencontres entre Montfavet et des habitants d’autres quartiers d’Avignon où Mises en Scène travaille depuis plusieurs années que la compagnie a pu recueillir le matériau qui lui était nécessaire pour écrire la pièce. Une pièce dans laquelle ces habitants, précisément, se retrouvent « J’ai retrouvé des choses que j’avais dites, mais sur le moment, c’était pas à la rigolade [la pièce est traitée comme une comédie]. C’est sentir que d’autres personnes se sentent perdues… je croyais qu’il n’y avait que moi. Il faudrait que dans les centres sociaux il y ait des groupes de parole. Il n’y a aucun endroit pour parler de ce qu’on vit… pour résoudre ensemble… comment on peut faire. » (une habitante) L’absence de mise en contexte du spectacle Le soir du spectacle, aucune présentation n’a été faite de cette initiative : pourquoi un projet culturel, porté par le centre social, dans ce quartier ? quels sont ses objectifs ? au service de qui ? pour aller vers quoi ? Cela donnait le sentiment que les habitants assistaient à ce spectacle (dont par ailleurs la qualité est à souligner) comme à n’importe quel autre, ce qui est regrettable compte tenu de l’ambition que s’est donné le projet pilote de déboucher sur des initiatives qui ne soient pas seulement celles du centre social mais aussi de la population du quartier et des acteurs locaux. 11 Numéro hors série de Culture et Proximité, Paris, Ed. Opale, octobre 1998. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 26 II.3 Le projet de Noisiel en Seine-et-Marne Un travail d’« approche » mis en place spécifiquement pour entrer en contact avec les populations visées : quelle place dans le projet pilote ? Au moment même où le projet Pierre est amorcé avec la publication de l’annonce « Pierre a perdu la mémoire », le directeur de la MJC Noisiel poursuit son idée de « préparer le terrain » auprès des trois catégories de population considérées comme prioritaires pour le projet pilote : les résidants du foyer Adoma, les gens du voyage séjournant sur l’aire d’accueil de Noisiel et les habitants de deux copropriétés dégradées du Luzard. Le projet, comme nous l’indiquions dans le rapport 2007, comprend trois étapes, et il est confiée à la compagnie de théâtre Etincelle. Celle-ci intervient depuis plusieurs années sur l’aire d’accueil des gens du voyage aux côtés d’une association locale, Culture et solidarité. Elle connaît donc bien cette population, et c’est à ce titre qu’elle avait été sollicitée par la direction précédente de la MJC pour intervenir dans le projet pilote. Intitulé Parole invisible, le projet est divisé en trois parties (Parole invisible I, II, III) correspondant aux trois types de populations. La réalisation du projet est confiée à la compagnie Etincelle pour les deux premières parties, la troisième partie, qui concerne le quartier du Luzard, est prise en charge par le directeur de la MJC en personne. Le projet « intermédiaire » dans son ensemble doit permettre d’intégrer les personnes concernées dans un projet artistique afin de les familiariser avec l’existence de la structure MJC et son équipe et, progressivement, accepter de participer au projet Pierre lui-même. L’ambiguïté de ce projet de « préparation du terrain » Parole invisible I12 a donné lieu à la réalisation d’un court métrage vidéo dont le scénario a été proposé par un habitant de l’aire d’accueil. La compagnie Etincelle a distribué les rôles de manière à réunir des membres de plusieurs familles résidantes (adultes, adolescents et jeunes enfants) ainsi que des professionnels de l’équipe de la MJC, favorisant ainsi le contact des gens du voyage avec la structure. Le scénario reflète les préoccupations de cette catégorie de population en France qui, tout en étant français tient à conserver sa spécificité culturelle. En dépit des obstacles importants rencontrés par la MJC pour obtenir l’autorisation de la ville de tourner sur l’aire d’accueil (« le loueur a tout pouvoir sur les résidants, ces gens n’ont pas de droits, il est très difficile d’obtenir une autorisation pour tourner ou projeter un film », dit le directeur de la MJC de Noisiel) et d’utiliser le local commun résidentiel pour travailler avec les gens du voyage, le tournage peut avoir lieu. Manifestement, les familles directement concernées y prennent un très vif plaisir. Karim Houfaïd, metteur en scène et directeur d’Etincelle, leur livre une cassette vidéo qui, aux dires des gens du voyage eux-mêmes, est visionnée en famille non seulement à Noisiel mais aussi sur les autres aires d’accueil en France à l’occasion de leurs déplacements habituels. Parole invisible II a été un échec. Ceci pour plusieurs raisons, le directeur prend conscience de la difficulté de proposer un projet collectif à des résidants qui n’appartiennent pas à une communauté et qui ne veulent surtout pas être identifiés comme tels. Il impute aussi l’échec 12 Les trois projets intermédiaires se déroulent entre novembre 2007 et mars 2008. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 27 de cette action, d’une part à l’accueil que la direction du foyer de l’époque fait au projet ainsi qu’à l’incompétence de l’équipe artistique. La compagnie Etincelle regrette l’absence d’objectifs clairs, de soutien technique suffisant de la part de la MJC, et au bout du compte a le sentiment d’avoir été utilisée. Ses demandes d’échange sur les difficultés rencontrées ne seront jamais entendues. Parole invisible III s’est déroulé sous la forme d’un atelier de parole conçu et animé par le directeur de la MJC de Noisiel et visant en priorité des femmes de la copropriété. Il a été organisé dans le local commun résidentiel du quartier du Totem, un endroit régulièrement fréquenté par des habitants de ce quartier pour rencontrer la médiatrice du quartier, laquelle, par sa présence, permettait de mettre en confiance les femmes (et le cas échéant les hommes) qui venaient lui rendre visite vis-à-vis du directeur de la MJC. L’objectif de celui-ci était de recueillir auprès d’elles des récits partiels de vie, avec la promesse que ces récits seraient publiés dans une plaquette éditée par la MJC. Au passage, quand il sentait que cela était possible, le directeur de la MJC faisait remplir un questionnaire pour l’enquête autour de « Pierre » (ou bien il recueillait lui-même les réponses). Courant 2008, le directeur de la MJC ne cache pas cependant qu’il se sent mal à l’aise quant aux poursuites éventuelles de cette action. Si le recueil de quelques témoignages va lui permettre en effet d’éditer une plaquette de « poésie » des quelques habitants ayant participé épisodiquement à cet atelier, il considère que cette libération d’une créativité ou d’une expression ne peut pas en rester là (au risque d’avoir instrumentalisé les personnes concernées et de ne plus rien leur offrir en retour) et qu’il lui faudra trouver les moyens de créer un espace permanent d’expression pour les habitants de ce quartier, dont les difficultés sociales sont, de fait, considérables (isolement et domination des femmes, précarité des ménages, méconnaissance du français…). Cette volonté de créer un espace collectif d’expression pour les habitants des quartiers les plus enclavés de Noisiel va certainement dans le bon sens. On peut considérer que, sans le projet pilote de la Fondation Abbé Pierre, cette idée aurait pu ne jamais émerger. Cependant, que penser de cette confusion des rôles ? En voulant endosser lui-même le statut d’artiste, ou d’enquêteur, le directeur outrepasse ses fonctions d’une manière qui ne sert pas forcément les personnes concernées. Si, en tant que représentant d’une structure d’éducation populaire, il est légitime pour proposer des activités qui permettent de libérer la parole, peut-il être garant, en tant qu’intervenant, de la qualité de ce qui est entrepris ? Un projet de trop courte durée par rapport aux objectifs de travail en profondeur avec ces populations Les gens du voyage ont été accueillis en quasi-huis clos à la MJC. Aucun véritable relais n’a été pris pour leur présenter les activités de la MJC. Il est certain que pour travailler avec cette population, il faut disposer de beaucoup plus de temps et organiser des collaborations avec des associations susceptibles de faire une véritable médiation culturelle, ce qui n’était pas le rôle de la compagnie de théâtre (quid de l’association spécialisée au départ sur cette entrée). Une inexpérience qui, parce qu’il n’est pas sûr de pouvoir bâtir une relation durable avec cette population, conduit le directeur à limiter la liberté de l’artiste en lui imposant la présence systématique d’un membre de son équipe, empêchant de fait, à l’artiste d’expérimenter sa relation libre à la population concernée). FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 28 Le projet « Pierre » : un investissement à long terme et la création d’un espace public de parole Si le projet artistique « Pierre », rappelons-le, a été conçu par le metteur en scène Hervé Le Lardoux indépendamment des habitants, il repose toutefois, et nécessairement, sur la participation de ces mêmes habitants, alors même que l’artiste a déjà une connaissance de la ville de Noisiel : « Pierre n’est qu’un prétexte pour que les gens arrivent à parler de leur ville » « La ferme du Buisson est le seul lieu en France qui suit mon projet depuis dix ans, c’est donc une ville que je connais bien, j’avais déjà une approche de cette ville. » Toutefois, le projet pilote est l’occasion pour lui d’une (re)découverte des lieux sous un nouveau jour, à travers la création d’un espace d’expression unique : « Là, je découvre l’existence d’une coupure entre ville ancienne et ville nouvelle, ça prend un nouveau sens ». « Je suis frappé de voir, plus qu’ailleurs, comment les gens se sont saisis de l’histoire pour dire quelque chose, il y a très souvent une référence au passé de Noisiel. » Un cadre précis qui va permettre à chacune des équipes d’inventer une méthode de répartition des tâches Le projet artistique de la compagnie l’Arpenteur se déroule en plusieurs étapes préalablement définies. - Lancement du questionnaire autour du personnage fictif de Pierre (octobre 2007-juin 2008) : Après la publication de l’annonce, les personnes que la MJC cherche à impliquer dans le projet sont invitées par un animateur de la MJC, à « jouer », c’est-à-dire à répondre au questionnaire sur le personnage fictif de « Pierre ». Cette étape est intéressante dans la mesure où elle permet de prendre le temps d’entrer en contact avec différentes catégories de personnes, celles qui font partie de la cible du projet pilote, mais aussi n’importe quel autre habitant de la ville, par plusieurs institutions (MJC, Ferme du Buisson, médiathèque, local commun résidentiel du quartier…) et en expérimentant plusieurs méthodes (questionnaires laissés à disposition sur les lieux, animateurs abordant les personnes, médiateurs impliquant leurs habitués…). C’est au cours de cette étape que la compagnie l’Arpenteur et la direction de la MJC conçoivent une méthode de travail et de correspondance (la compagnie se situe à Rennes) pour cerner progressivement le public visé, le moyen de l’atteindre et de le situer dans son quartier : les trois catégories de populations concernées par le projet pilote, mais aussi les autres habitants de la ville. La directrice-adjointe est missionnée par le directeur pour coordonner sur le terrain le projet pilote de la Fondation Abbé Pierre en général et le projet Pierre en particulier. Un choix qui, bien qu’un peu trop tardif, va grandement faciliter FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 29 l’aboutissement du projet. (mais combien de personnes (habitants des 3 sites visés) sont effectivement impliqués ? question valable sur chaque site) - Audition des témoins ayant rencontré le personnage fictif Pierre (juin-septembre 2008) : L’installation du bureau d’enquête fictif dans les locaux de la MJC et la réception d’une partie des personnes ayant répondu au questionnaire (juin et septembre 2008) pour entendre leur « témoignage » crée une présence insolite dans le hall d’entrée de la MJC. Des conversations se nouent avec les animateurs-éducateurs, des liens nouveaux se créent. A l’intérieur du bureau d’enquête, les témoins trouvent un espace d’expression qu’ils utilisent de manière totalement libre. Dans le même temps, le tournage d’une trentaine de films avec des témoins « auditionnés » dans le cadre de l’enquête permet à ces derniers de « se réapproprier un imaginaire qui ne les renvoie pas vers une fiction inaccessible mais à des questions qui les concernent » (Didier Vanoni, FORS). L’un d’eux dévoile : « Je trouve ça amusant parce qu’on rentre dans le personnage sans le vouloir, on raconte son histoire. » Le spectacle est l’aboutissement d’un projet qui concerne les habitants au plus près de leurs préoccupations et cette donnée ne devrait pas être passée sous silence La même question se pose pour « Pierre, la restitution » que pour celui du spectacle de la compagnie Mises en Scène à Montfavet. Lors des deux représentations, aucune mise en contexte n’a été orchestrée par la direction de la MJC de Noisiel. La question peut donc se poser, de manière plus générale, de savoir si la structure d’éducation populaire ne devrait pas adopter une posture particulière au regard de la finalité du projet. L’enjeu pour la Fondation Abbé Pierre n’était pas d’apparaître comme un mécène. Il était que le projet pilote puisse être le point de départ d’un espace d’expression ouvert aux habitants avec pour objectif la lutte contre le mal-logement et les phénomènes d'exclusion. On peut donc se demander s’il n’était pas du devoir de la direction de la MJC, par exemple d’annoncer un moment de restitution locale du projet et le pourquoi de cette restitution. Mais cette question à notre sens reste ouverte. FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 30 Annexe : détail du programme sur chaque site Le projet Quartiers de Vies à Wimereux (Boulonnais) Diagnostic initial : Isolement de la population Objectif social : « Faire se rencontrer les habitants de différents quartiers ; élargir le public du centre socioculturel. Favoriser l'expression de la population en permettant aux habitants de trouver les ressources nécessaires pour dénoncer leurs conditions de vie. » (directeur du centre Audrey Bartier) Direction artistique : Bruno Lajara, directeur de la compagnie Vies à Vies Partenaires financiers du projet pilote : FAP et Drac Nord-Pas-de-Calais. Partenaires opérationnels : Centre socioculturel Audrey Bartier de Wimereux (permanents, bénévoles, adultes-relais) avec les animateurs vidéo Stéphane et Leonard. dates action 1/08/07 Musée 2/12/07 événement intervenants descriptif public résultats/publics Inauguration de Bruno Lajara Réalisation d'une visé touchés Habitants Une trentaine de éphémère : l'exposition (1er (compagnie Exposition décembre ViesàVies) ; Jean- collecte d'objets- du quartier personnes à souvenirs auprès des du Baston l’origine d’un prêt temporaire + 2007) Philippe Grédigui, habitants du quartier, d’objet et filmées, réalisateur d'un film mettant en dont certaines + scène les non connues du Formation propriétaires des centre d'animateurs/habitants objets et d'une à la collecte des exposition temporaire objets de deux jours Moustapha Aouar Soirée poétique avec Habitants Une centaine de (le soir de (Compagnie de la scène ouverte aux du quartier personnes l’inauguration du Gare) habitants. Principe de du Baston final court métrage 1/12/07 2/12/07 - Soirée-cabaret musée l'auberge espagnole éphémère) (les habitants un plat) - Visite guidée du Baston Visite d'une heure, Habitants Visite annulée historique et urbaine du quartier pour cause du Baston d’intempérie 1/02/08 Théâtre chez Pièces Bruno Lajara et un Une personne Habitants Deux fois une 2/02/08 l'habitant proposées Les comédien de la accueille chez elle ses du quartier trentaine de FORS-Recherche sociale – FAP « Dynamiques culturelles dans les quartiers » – Evaluation 2008 31 doigts écorchés compagnie ViesàVies voisins. du Baston personnes (à partir de 14 ans), Spectacle de clown (à partir de 6 ans) 2/02/08 Théâtre « Coup Représentation Bruno Lajara Habitants 2/02/08 de Blues » de la pièce (compagnie Vies à du quartier écrite avec les Vies) du Baston anciennes ouvrières de Lévis', Coup de Blues 29/10/07 Hip Hop Intégration du Farid Ounchiouene Formation avec les 12 Stages annulés à 16/04/08 (stage de groupe de (compagnie Farid'O) majorettes du Baston personnes partir du 31 danse) majorettes et du Chemin Vert à partir de octobre parce dans la grande Stages prévus les 29, 14 ans qu'ils ne touchent parade 30 et 31 octobre pas assez de 2007; les 1er et 2 monde novembre 2007. les 14, 15 et 16 avril 2008. 3/11/07 Danse Grande parade Johanna Classe, Répétition avec des 12 à 15 Parade annulée 22/03/08 brésilienne bésilienne chorégraphe danseurs et musiciens personnes pour cause de (stage de Spectacle final professionnels. à partir de mauvais temps Création de chars par 12 ans (neige) danse) les enfants de l’école Spectacle en Repas Feijoada : intérieur : participation à un atelier de cuisine brésilienne - accueil de 250 spectateurs (+ inscriptions refusées faute de place) * Participation de 8 personnes de 8 à 38 ans, 3 majorettes, 1 DJ, 1 musicien-percussionniste, 25 musiciens de fanfare, 1 danseur brésilien de la région, 7 professionnels. 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