1 « La philosophie aujourd’hui –la philosophie demain = au service des peuples, appropriable par eux ? » CONGRES CUPHI III LOS ANGELES – le 12 JUILLET 2014 CONTRIBUTION DE GUY CREQUIE Ce jour, il m’a été demandé de vous parler de philosophie, mais je précise de suite que je veux éviter un malentendu. Il n’y a pas d’un côté, un beau parleur magistral, un enseignant qui théorise certes à partir d’un langage philosophique adapté, qui a ses règles. Cependant, comme l’a indiqué DIDEROT : « hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ». Tout le monde peut intervenir sur les problématiques humaines à condition d’en respecter une déontologie de principes et parler philosophie, c’est aussi vivre comme philosophe, c’est une pratique comme l’a rappelé GRAMSCI. Un philosophe n’est pas nécessairement celui qui écrit une œuvre, crée un système. SOCRATE est selon HEGEL : un vrai philosophe précisément : parce qu’il a vécu sa doctrine au lieu de l’écrire. Le philosophe ALAIN et ses chroniques relevaient de la même approche. Etre philosophe disait SOCRATE ne consiste pas à savoir beaucoup de choses mais à être tempérant. C’est seulement par déviation, et depuis, que la philosophie est devenue un métier, une forme d’enseignement rétribuée que la notion de philosophe a perdu sa signification originaire de type exemplaire de chercheur désintéressé, soutenu par sa seule vocation. Depuis lors, il n’y a plus de philosophes remarque HEGEL mais des philosophies, des systèmes de pensée. 2 Longtemps, les philosophes ont récapitulé le savoir de leur époque. Beaucoup étaient à la fois : des scientifiques, des herboristes, des poètes des philosophes…Présentement avec le développement prodigieux des sciences et des techniques, les autres disciplines autonomes n’ont pas besoin de l’aura du philosophe pour leurs travaux. Par contre, pour la vulgarisation de leurs découvertes et ses relations avec la conscience, l’éthique, la morale, la philosophie si elle n’est pas une science en tant que telle = intervient donc sur des connaissances établies en dehors d’elle ; elle a une fonction critique et de mise en relations qui sont essentielles, elle est faite pour fonctionner. L’ambiguïté de la notion antique de SOPHIA (Recherche de la sagesse) qui évoque à la fois un savoir de la vérité et une pratique de la morale, a suscité deux interprétations de la philosophie : - La première qui remonte aux physiciens ioniens (VIe siècle avant J.C) se développe chez HEGEL et dans le positivisme anglo-saxon, et conçoit la philosophie essentiellement comme une connaissance rationnelle, une recherche d’intelligibilité. - La seconde qui se recommande de SOCRATE, de KANT, de l’existentialisme moderne, considère la philosophie comme une recherche morale, celle de notre destinations véritable et comme un apprentissage de la vertu. Cependant, s’il est vrai qu’il puisse y avoir des philosophes qui n’aient point écrit de philosophie comme SOCRATE ou votre modeste serviteur, la notion de philosophe n’ en implique pas moins le développement d’un savoir rationnel, d’un système de pensée. J’ai parlé du philosophe ALAIN, il est un philosophe parce qu’il fut un essayiste ; la philosophie d’ALAIN correspond à l’ensemble de ses idées mises en système. On parle au contraire de la philosophie de KANT, de HEGEL, de SARTRE, de HEIDDEGER. 3 La philosophie est donc par vocation une tentative d’explication cohérente du réel. Je sais que l’essentiel des présents ici ne sont pas spécialistes en philosophie ; c’est pourquoi, j’essaie de ne pas utiliser un langage trop compliqué. Aujourd’hui, par exemple avec la mondialisation des échanges, des images, des signes, ou tout va vite, trop parfois tout est dense, maitriser sa discipline tout en ayant la faculté rapide d’une autonomie de pensée devient nécessaire et de ce point de vue j’admire par exemple notre ami Ernesto KAHAN, lequel, à mon avis, préfigure en ce XXIème siècle ce que devra être au XXIIème siècle, un intellectuel complet de notre temps à la fois : scientifique, poète et philosophe. Au rythme de nos contingences actuelles, on peut se poser la question : que faire dans le monde ou quoi faire dans ce monde : l’enjeu ? L’importance est la dimension vécue de la philosophie ce qui nous renvoie aux débats entre SARTRE et MERLEAU-PONTY. En effet, nourri des concepts sans que cela ne présente aucune incidence sur nos vies semble réduire la philosophie à un pur jeu spéculatif, à la simple expression d’une virtuosité. Comme l’indiquait SENEQUE : « vois si c’est dans la science philosophique ou dans la pratique même de la vie que tu as progressé ». Si la philosophie décrit mais ne prescrit rien, c’est un souci ! La philosophie est une attitude dans le monde, non une abstention. Le socle de la vie philosophique constitue aussi cette recherche d’une transformation de soi, à même de nous grandir en nous permettant de forger cette existence consciente d’elle-même, aussi cohérente que possible, visant la maitrise indépendante et créative dans les voies qu’elle forge, d’aventuriers du concept, intensément présente à elle-même et aux autres. 4 Elle reste certes attentive et en œuvre sur l’étude millénaire des catégories philosophiques mais branchée sur les pratiques sociales des savoirs et au rapport global de notre pensée et de nos actions aux faits, aux gens et aux choses. Si mon expression est difficile pour vous, elle l’est pour moi également, la vulgarisation philosophique reste de nos jours et hélas, un exercice compliqué ceci, alors qu’un jour, dans un autre siècle, viendra le moment où il n’y aura plus besoin de philosophe de métier, ceci si la philosophie est considérée comme une discipline d’apprentissage moral, y compris dès le système scolaire et ce pour toutes les disciplines y compris scientifiques. Alors, à quoi sert la philosophie au XXI è siècle ? Ses interpellations, enjeux, défis à résoudre ? A QUOI SERT LA PHILOSOPHIE AU XXI è siècle : QUELQUES REFLEXIONS NON EXHAUSTIVES. L’étude philosophique au stade actuel de la mondialisation est-elle encore une aide pour déchiffrer le présent et mieux envisager l’avenir ? Est-elle réservée aux élites dans les chaires philosophiques ou peut-elle éclairée les consciences citoyennes ? Notre monde post-moderne est devenu complexe, subtil et opaque. Notre monde malgré les raccourcis médiatiques, les petites phrases politiques le plus souvent à court terme, résiste à nos analyses et exige une attitude théorique inédite plus patiente moins emplie de certitudes. Le temps toujours plus rapide est devenu un enjeu décisif dans nos sociétés avancées et se développant à un rythme effréné. Le défi que pose la société aux théoriciens est plus à chercher dans sa virtualité, ses formes d’exclusion, ses risques, ses opportunités, ses dissimulations, dans sa présentation d’elle-même bref dans sa métaphysique. La société est invisible non pas au sens où elle disparaît sous nos yeux ou qu’elle est devenue virtuelle mais plutôt parce qu’un écart demeure entre ce qui est et ce que l’on voit. Au lieu d’être simples et directes, les causes des phénomènes 5 apparaissent dans leur dissimulation c’est pourquoi elles nous obligent à la prudence, à la patience et à une nouvelle ouverture. Au Moyen Age, à l’époque de la pensée scolastique, le paysan avait l’horizon du château de son seigneur qui exigeait de lui mais le protégeait ; aujourd’hui avec un bouton appuyé sur la TV ou un clic sur un réseau social, on peut être transporté au bout du monde, y découvrir ou lire, des images et quelques propos qui élargissent à la fois et déconcertent notre conscience. Les espaces loin d’être séparés et nets semblent se toucher, s’interpénétrer et se confondent avec l’horizon infini. Si les territoires de jadis s’entremêlent aujourd’hui, cela dépasse le cadre du marché des échanges mais nos esprits sont perturbés ; ceci car la mobilité et la vitesse brouillent les frontières et que la notion de limite tend à se perdre dans les réalités projetées ou dispersées. On s’interroge présentement sur le territoire local, régional …. Mais également sur d’autres sujets : prolonger la vie, rajeunir, changer son physique ; la science connaît des bouleversements considérables. Lorsque l’on pense à la disparition des frontières, à la création d’union ou zones de pays ou régions, on pense à la perte de repères traditionnels, on note de ce fait la fin de la politique classique accomplie dans le cadre d’un état moderne immuable qui opérait à partir de dialectiques métaphysiques définies par des oppositions classifiées : ami – ennemi ; intérieur-extérieur ; privépublic …… Le monde actuel est l’affaire de cultures ; certains parlent même de subcultures vivant en interactions obligées, subies et de nouvelles formes de vivre ensemble apparaissent. Il y eut le temps des minorités culturelles identifiées, classifiées, rassemblées souvent hélas pour ne pas dire parquées, considérées plus comme une gêne que comme une richesse. De nos jours, la multitude des brassages conduit nombre de nos contemporains à penser que des réseaux invisibles car non 6 reconnus comme tels gravitent dans notre présent et notre représentation du social. Dans ce monde délimité par notre juridiction, l’Etat, l’espace devient cependant obscur et à défaut d’identifier clairement les causes qui sont souvent des abstractions c’est le fait de la bourse, des agences de notation, la mondialisation, l’OPEP, le dollar ….. La peur s’installe et l’autre, l’étranger, devient un danger. Or, alors que la mondialisation exigerait l’hospitalité, les peurs créent des difficultés du vivre ensemble ! Accepter les surprise, dire oui à ce qui change sans cesse tels sont les défis de nos sociétés de plus en plus libérales et fluides. De ceci, il y a des incidences sur la vie politique, sur la relation entre la science et la philosophie. Il devient de plus en plus difficile pour nos gouvernements d’avoir une vision d’avenir, d’anticiper. Il nous faut réinventer notre réalité autant que le langage et la pratique du pouvoir. Celui-ci doit avoir moins de propension pour le contrôle, et accepter que le pouvoir se répartisse autrement. Après la première guerre mondiale, l’Europe a perdu son rang de première civilisation planétaire et sa primauté politique traquée par l’afflux de cultures soucieuses seulement de se ménager un territoire, la philosophie en a oublié sa vocation de conquérir l’universalité de la rationnelle sur les chemins de la pensée critique. La philosophie du XXI è siècle n’a-t-elle pas à rappeler que depuis ISAIE, l’esprit s’appelle l’intelligence. Celle de conquêtes de l’intelligence et d’elle seule comme l’indiquait PLATON. Le passage du courant électrique de 110 à 220 volts au lendemain de la Libération a bouleversé l’automatisation de l’équipement ménager mais n’a pas changé la nature de l’électricité. La croyance selon laquelle le qualitatif naitrait du quantitatif demande une réflexion psychologique d’un type nouveau ; ceci parce que le meurtre multiplié par cent mille dans les chambres à gaz et bien davantage encore qu’il le serait par l’armement nucléaire de la planète s’il en change les conséquences en nombre, ne change pas 7 davantage la nature de l’animalité pas plus qu’un million de volts ne change la nature du courant de 110 volts. Si la science progresse à pas de géant, et dont l’utilisation dans le sens du progrès humain ou dans son contraire dépendent de notre relation et conception à l’essence de notre humanité. Si toute science est guidée par la logique qui la précède et l’éclaire ce qui fait dire que l’hypothèse précède l’expérience. Il faut donc penser, élaborer, réfléchir, conceptualiser, être les aventuriers du concept. La biogénétique a démontré que le capital chromosomique de l’homme est celui du chimpanzé à proportion de 98%. La portée copernicienne de cette découverte aux conséquences infinies n’a nullement été perçue par les élites mondiales de la connaissance. La possession du langage des hommes, leur capacité à concevoir, créer les dispensent-ils du besoin d’une philosophie de l’existence ? Le présupposé religieux selon lequel l’homme serait un être trans zoologique en son essence, et trainerait seulement quelques séquelles malencontreuses de ses origines animales sous le motif que ses ailes d’ange ont pris récemment le nom d’idéaux ; et que le mythe de la rédemption a été adroitement porté sur les fonts baptismaux de la démocratie et d’une théologie des droits de l’homme est une hypothèse périmée. Aussi bien que celle des astres intelligents dans le Timée de PLATON ou du pilotage de la guerre de Troie par les dieux dans HOMERE ou de la colombe, qui selon KANT, s’il n’y avait pas le vide volerait beaucoup mieux. La science progresse à grands pas. La recherche de planètes en dehors du système solaire se poursuit : exemple, 400 planètes ont été découvertes en 2010. Le concept de vie cosmique se développe depuis que des bactéries ont été retrouvées à 41 kms dans la stratosphère ayant des comètes pour origine présumée. 8 Le génome humain peut être séquencé. Il a été totalement décrypté de sorte que nous sommes connaissons maintenant notre identité moléculaire en détail. Plus de la moitié de notre ADN est fait de séquences virales et ces bribes d’ADN informent des risques potentiels de maladie et pourraient permettre de déceler une évolution future. Certains chercheurs estiment qu’avec une bonne hygiène de vie et une consommation judicieuse de vitamine C, que notre constitution psychobiologique et physique nous permettraient de vivre jusqu’à 120 ans. Certains arrivent à éluder la réalité de la mort, ou en avoir peur. Or, MONTAIGNE l’a dit : « philosopher c’est apprendre à mourir ». GOETHE a écrit pour sa part : « ceux qui n’ont pas l’espoir d’une autre vie sont déjà morts dans celle-ci ». Ainsi, regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de cette vie, c’est élargir cette vie. Le monde a besoin de réflexion philosophique y compris à l’université, dans les filières scientifiques ceci, car dans ses écrits « Sens et Origine » de l’histoire le philosophe Karl JASPERS avait déjà noté 4 moments où l’être humain a connu de profondes transformations de ses modes de vie et de la pensée : - Le tournant du Néolithique, - La constitution des grands empires antiques (premier millénaire de notre ère, les grands courants de sagesse) - La période actuelle ; celle de post modernité qui met l’accent sur le désenchantement. Nourrir la planète, toujours plus nombreuse, dans des conditions sanitaires respectant les populations est un enjeu, ceci alors que tant d’affaires en défraient la chronique ! Le chercheur P. RABHI avec son concept d’agro-écologie a mis en exergue que nos modes de productions industrielles dans l’agriculture avec les engrais chimiques, les nitrates, les fongicides 9 et pesticides, la déforestation forcenée … bref tout ceci épuise les sols, réduit l’environnement, perturbe notre relation harmonieuse avec la nature, détruit les insectes, les oiseaux etc… utile à la reproduction de la nature. Alors de ci, delà, des innovations naissent en Inde, au Brésil, au Chili, en Egypte…. Ce sont des notions qui englobent des pratiques et des concepts strictement biologiques autorisant l’usage à minima de certains produits chimiques considérés peu ou pas nocifs pour l’être humain et la nature. Une agriculture fondée sur une approche globale qui protège l’environnement mais repose sur la reconnaissance du savoir-faire traditionnel de la promotion de l’humain qui travaille la terre. L’amélioration des moyens de subsistance des petits exploitants et la préservation des écosystèmes ralentissent la tendance à l’urbanisation, contribue au développement rural et laisse à la génération suivante les moyens de répondre à ses propres besoins. Le drame de notre époque comme l’a écrit le philosophe Jacques ELLUL est que nous nous alignons sur les technologies que nous créons. Nous avons l’obsession du changement à tout prix, toujours plus vite, et plus loin. Nous courrons après le progrès. Nous sommes dominés par nos créations : comme le marché ou la bourse. Nous ne sommes plus comme l’écrivait KANT « les législateurs de notre propre vie ». A propos de la bourse et de la technologie, certains chercheurs parlent même de déterminisme. Edgar MORIN, philosophe, sociologue a exprimé quelques pages de grande portée lors d’une interview de David SOLON pour TERRAECO. « Nous sommes dans une époque où la chronologie s’est imposée. Dans les temps anciens, vous vous donniez rendez-vous quand le soleil se trouvait au zénith. Au Brésil, dans des villes comme Bélem, encore aujourd’hui, on se retrouve « après la pluie ». Dans ces schémas, les relations s’établissent selon un rythme scandé par le soleil. Mais la montre-bracelet, par 10 exemple, a fait qu’un temps abstrait s’est substitué au temps naturel. Et le système de compétition et de concurrence, celui de notre économie marchande et capitaliste, fait que pour la concurrence, la meilleure performance est celle qui permet la plus grande rapidité. La compétition s’est donc transformée en compétitivité, ce qui est une perversion de la concurrence. …Nous sommes prisonniers des idées de rentabilité, de productivité et de compétitivité, notions exacerbées par la concurrence mondialisée, dans les entreprises, puis répandues ailleurs. Idem dans le monde scolaire et universitaire ! La relation entre le maitre et l’élève nécessite un rapport beaucoup plus personnel que les seules notions de rendement et de résultats. En outre, le calcul accélère tout cela. Nous vivons un temps où il est privilégié pour tout. Aussi bien pour tout connaître que pour tout maîtriser. Les sondages qui anticipent d’un an les élections participent du même phénomène. On en arrive à les confondre avec l’annonce du résultat. On tente ainsi de supprimer l’effet de surprise toujours possible. …Nous sommes entrés dans une crise profonde sans savoir ce qui va en en sortir. Des forces de résistance se manifestent. L’économie sociale et solidaire en est une. Si on observe une poussée vers l’agriculture biologique avec des petites et moyennes exploitations et un retour à l’agriculture fermière, c’est parce qu’une grande partie de l’opinion commence à comprendre que les poulets et des porcs industrialisés sont frelatés et dénaturent les sols et la nappe phréatique. Une quête vers les produits artisanaux, les Amaps (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) indique que nous souhaitons échapper aux grandes surfaces qui, elles-mêmes, exercent une pression du prix minimum sur le producteur et tentent de répercuter un prix maximum sur le consommateur. Le commerce équitable tente, lui aussi, de court-circuiter les intermédiaires prédateurs. Certes, le capitalisme triomphe dans certaines parties du monde, mais une autre frange voit naître des réactions qui ne viennent pas seulement des nouvelles formes de productions, mais de l’union consciente des consommateurs. 11 Cette force inemployée est faible car dispersée. Si cette force prend conscience des produits de qualité et des produits nuisibles, superficiels, une force de pression incroyable se mettra en place et permettra d’influer sur la production ». Si nous ne nous dotons pas d’une solide philosophie de l’existence : nous sommes menacés par deux formes de barbarie : celle fondée sur le mépris humain qui vient du fond de l’histoire et la seconde, froide, glacée, fondée sur le calcul et le profit. Ces deux barbaries se conjuguent et nous sommes appelés à les combattre sur ces deux fronts. Alors si la catastrophe paraît probable c’est de l’improbable que surgissent l’espoir et les transformations. Bien des savants, prophètes, philosophes, hommes politiques qui ont surgi dans l’histoire à un moment donné étaient improbables, de Bouddha à Jésus, Mahomet ; de DESCARTES à GALILEE, de Marx à De Gaulle, Churchill etc…. La philosophie peut être cette renaissance pour vivre ensemble cette formule du « bien vivre », « BIEN VIVIR » du président de l’Equateur Rafael CORREA reprise ensuite par le président bolivien E. MORALES. Elle signifie un épanouissement humain non seulement au sein de la société mais aussi de la nature. Mais pour cela, il faut juguler les choses comme la spéculation internationale, le nationalisme forcené et le fanatisme religieux, la volonté guerrière, la puissance dont le nucléaire est le symbole. Ceci alors que nous sommes confrontés au matraquage idéologique des idéologies de légitimation sur toutes les TV, radios, journaux, tout le monde tient le même langage celui du mode de pensée occidental arrogant qui s’estime la référence indiscutable du monde et ce, au nom de la démocratie, laquelle est le plus souvent formelle et n’a plus rien à voir avec la démocratie athénienne. Je prends l’exemple de la situation en Ukraine. Certes loin de moi l’idée de glorifier le président russe Wladimir POUTINE qui a des décisions autoritaires expéditives et 12 qui a la nostalgie de la grande Russie tsariste, qui s’attaque aux libertés individuelles et collectives en Russie. Cependant, tous les médias occidentaux et la diplomatie occidentale se sont déchainés contre POUTINE qui a cependant des liens historiques avec l’Ukraine et lui assurait des aides financières. Un dialogue ferme mais complet aurait pu intégrer le rôle décisif que la Russie peut tenir dans le conflit syrien avec les massacres qui continuent, la solliciter et reconnaitre son apport et rechercher une solution équilibrée juste et humaine en Ukraine par le dialogue. Or, la venue régulière et toujours plus nombreuse de djihadistes en Syrie venant y compris de pays occidentaux va faire peser sur ces pays lors du retour des survivants de Syrie, des risques d’attentats terroristes et donc de danger contre la démocratie. Or le court terme l’a emporté avec des relents de guerre froide de part et d’autre, avec côté européen le souci prioritaire de rallier l’Ukraine à l’U.E et le camp occidental dans l’OTAN. J’en viens au rôle et aux enjeux de la philosophie au XXI è siècle ? Auparavant, quelques précisions : comme l’a exprimé le neurobiologiste Hervé CHNEIWEISS dans le N° 2565 de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur en janvier 2014 : extraits : « ….. Mais qu’est-ce que l’intelligence ? Il ne s’agit pas de faire plus vite ou de manière plus massive, mais de développer une certaine créativité, de s’adapter à un environnement dont les règles changent. Les prophètes de la singularity considèrent notre cerveau comme un disque dur. Mais ce n’est pas parce l’on sait fabriquer un super-disque dur qu’il comprendra les liens avec autrui, les relations amoureuses, familiales … La 13 performance technologique ne remplacera jamais ce qui fait sens pour l’homme. ….. Nos élites sont formées à l’économie, à l’administration, à la finance. Elles ne connaissent pas grand-chose aux questions scientifiques, encore moins à la biologie. Les cellules souches, l’ADN … tout cela est un peu en dehors de leur champ de conscience. Pour eux, cela n’existe pas ou pire, cela leur paraît dangereux. …..Cependant, n’oublions jamais que notre corps n’est pas un assemblage mécanique. Il y a un moment où vous avez beau changer les pièces, comme pour une voiture, la carcasse fait son temps. La péremption biologique a été sélectionnée par l’évolution. Notre mort est programmée, et on est très loin de décrypter les mécanismes biologiques complexes qui commandent cette « mort active » et plus loin encore de connaître les coûts ou les effets secondaires (sensibilité à la souffrance, nouvelles maladies …) qui seraient induits en essayant de les bloquer. » L’homme est en train de changer à une vitesse qui n’a plus rien à voir avec l’évolution darwinienne. La mise en perspective philosophique de notre relation aux faits de la vie humaine dans son évolution du point de vue des conséquences psychologiques, sociales et culturelles ne peut éluder certains constats. Les humains actuels sont – en moyenne et d’une façon fulgurante à l’échelle des temps biologiques – devenus plus grands et plus obèses ; ils vivent bien plus vieux ; l’âge de la puberté s’abaisse, surtout pour les filles, alors que partout le sperme des garçons contient presque deux fois moins de spermatozoïdes qu’il y a quarante ans ; ces mêmes garçons connaissent une diminution de …. Leur distance ano-génitale, celle qui sépare l’anus de la base postérieure des bourses et constitue un indice de féminisation – tout comme la baisse concomitante du taux de testostérone, qu’attestent de nombreuses études ; à force de vivre à l’intérieur et de ne 14 contempler que de proches écrans en guise d’horizons lointains, la proportion des myopes explose. Notre flore intestinale se modifie au gré des aliments nouveaux nous rendant inaptes à digérer les anciens – tout en multipliant les allergies. Ces bouleversements se produisent à une vitesse effarante. Même si nous avons peu « évolué » il devient impossible de soutenir que l’homme « moderne » n’a pas changé depuis le néolithique. Cependant la sélection naturelle n’a pas totalement disparu et fait peu de résistance. On le voit avec certaines maladies, dont le paludisme, qui tue des millions d’enfants avant l’âge de la reproduction – et les empêche de perpétuer leurs éventuels facteurs de vulnérabilité vis-à-vis du parasite. Et le fait de manger des nourritures toujours plus molles, hachées d’avance, réduit le rôle de l’appareil masticatoire, qui se réduit – et pose problème avec les dents de sagesse devenues inutiles. Mais il faut bien constater que nous sommes de moins en moins des « enfants de Darwin » et que d’autres facteurs de changement sont à l’œuvre – par les mœurs, la médecine, l’alimentation et surtout …. Le pouvoir d’achat : l’homme est dorénavant sous l’influence de choses qui découlent de lui. Il s’agit de facteurs qui, pour plusieurs, sont potentiellement réversibles : ainsi, l’allongement de l’espérance de vie, croisé avec la crise économique, risque-t-il de ne pas durer – et, en attendant de se concrétiser par un « gain » en années … de maladie. Certaines statistiques de l’INSERM constatent déjà, pour la France, que « l’espérance de vie sans maladie chronique » est en diminution. Je sais que sur votre continent se trouvent ce qui est appelé les minorités culturelles : indiens, autochtones, indo-américains… et ces appellations ont souvent une connotation péjorative, ceci, alors que ces autochtones sont dans l’histoire, ceux qui ont contribué à façonner la civilisation. Ainsi, Claude LEVI-STRAUSS a montré que les processus mentaux impliqués dans la mythologie, les rituels et le symbolisme religieux des peuples les plus divers de la planète ne diffèrent en rien de ceux tour à fait remarquables et propres à l’imagination et à la science qui 15 interviennent dans l’édification par exemple de l’astronomie contemporaine. Il est vrai que notre savoir scientifique se fonde sur l’analyse et l’expérimentation systématiques mais fondamentalement la pensée créatrice impliquée est similaire à celle qui est à l’œuvre dans les mythes et les idées de peuples les plus simples. Alors, dans ce monde de l’immédiateté des images médiatiques et commentaires raccourcis pour influencer les opinions publiques, la philosophie est-elle en panne ou a-t-elle atteint sa plénitude depuis le milieu du XX è siècle ou a-t-elle encore à nous dire ? Certes, Si l’existence est étroitement liée au temps qui passe et à l’histoire (ce que nous disent par exemple : SARTRE, JASPERS, BLOCH) c’est-à-dire une certaine continuité des entreprises humaines. Ainsi SARTRE indiquait que l’existence est une entreprise. Cependant, le bonheur réside en même temps dans une certaine indépendance à l’égard du temps qui passe. Jean Jacques ROUSSEAU connaît la plus haute jouissance, lorsqu’immobile dans une barque sur le lac de Bienne, il ne perçoit que le pur fait d’exister et se comprend indépendant de tous les mouvements du temps : il éprouve comme une sorte d’intemporalité, d’éternité …. Cette société qui favorise les plus riches, qui connaît nombre de corruptions, de mensonges d’Etat, de détournements d’argent et d’abus de pouvoirs, est-elle éternelle ? Des philosophes comme PLATON, SPINOZA, JASPERS, RICOEUR, nous proposent la conversion de l’esprit comme préalable à toute recherche du bonheur, de liberté et d’émancipation humaine. Le souvenir des temps passés, estimés meilleurs, ne constitue pas le regret d’une perte, il constitue une tâche. Il est une anticipation qui se prend pour un souvenir. 16 Le temps de l’accomplissement est le présent lui-même. Selon SCHOPENHAUER, seul le présent existe et ce qui pour SARTRE caractérise la conscience, c’est la présence à soi qui est aussi la présence au monde et le présent lui-même. Le présent est la conscience de la puissance d’exister. Le tout est de définir le chemin qui mène vers le progrès et le respect de la dignité de la vie, de toute vie humaine mais également : animale, végétale, minérale …. La philosophie peut-elle apporter sa pierre à ce que l’instant soit créateur comme l’a expliqué le scientifique Gaston BACHELARD dans son livre « L’intuition du présent ». Mais l’attente d’un monde meilleur, pour devenir le moment même de l’histoire comme l’a mentionné Ernst BLOCH dans « Le principe espérance » s’appuie sur la recherche de la plénitude et de l’harmonie, aussi bien que des progrès de la culture, que ces progrès et des révolutions institutionnelles, les messianismes et les millénarismes, n’étaient que la première formulation encore mythologique de cet esprit de l’utopie et de cette attente existentielle et politique. Mais pour que l’attente puisse être heureuse, féconde, glorifiante, il faut qu’elle soit à un moment ou à un autre, comblée par l’existence de l’expérience vécue et la philosophie doit œuvrer à éclairer les consciences. Sans cet accomplissement, l’attente devient mystification qui provoque violence, découragement ou qui suscite des despotismes. De ce point de vue, en Europe, bien des peuples désabusés, découragés par la politique oublient le passé et peuvent s’en remettre aux idéologies réactionnaires. L’attente doit être précédée d’un travail de préparation des consciences. C’est ce que reconnaissent des penseurs politiques de la liberté comme : MACHIAVEL, SAINT-JUST, 17 MARX, JAURES et des philosophes de l’action comme Ernst BLOCH ou Jean Paul SARTRE. L’attente peut être passive, résignée ou dévoyée ; elle doit être l’aboutissement d’un processus dynamique et constructif. L’enjeu de la philosophie au XXI è siècle n’est plus de prêter attention aux seules doctrines, mais aux expériences qui les fondent puis les valident. Le philosophe doit éclairer l’existence comme le dit JASPERS et non se substituer à elle par prétention ou suffisance. La praxis reste l’instance de la relation entre pensée et faire. Ce sont les personnes qui font l’Histoire mais éclairées par une conscience guidée par l’humanisme contemporain. Prenons des dossiers concrets pour réfléchir et appréhender une vision de l’avenir d’humains, porteurs de sens pour le vécu des générations futures : ceci, car la philosophie c’est la mise en œuvre du critère de l’expérience sensible critiquée par la pensée et validée par la pratique. Il nous arrive en provenance d’universitaires anglo-saxon ce qui est appelé la théorie du genre : Ainsi, selon celle-ci, il faudrait différencier le sexe biologique et l’identité sexuelle, et surtout : abolir toutes les altérités liées au genre. Or, cette théorie diversement appréciée n’a aucune validité scientifique et académique. Par contre, à la supposé nature féminine affirmée comme nature inférieure à celle masculine par certains courants de pensée, de tels déterminismes hélas sont issus de constructions sociales, de représentations incorporées par des individus dans des stéréotypes dès l’enfance ! Or, les inégalités : ne sont donc pas immuables, fondées par principe, ni naturelles par constitution psychobiologique différente entre les femmes et les hommes ! 18 Ensuite, à propos d’autres débats sociétaux : Procréation médicalement assistée, Gestation pour autrui, mariage pour tous, euthanasie, etc. Leurs partisans = ont des arguments à entendre, mais souvent : c’est l’idée de progrès humain qui est valorisé ! Or, ce qu'il y a de curieux, voire d'anormal et même d'irrationnel, dans l'utilisation de cette idée de progrès, c'est que le terme « progrès » n'est jamais défini. Il est accueilli comme une sorte de « dogme », qui suppose cependant l'acceptation tacite d'une équivalence bien précise : celle entre progression de l'humanité et extension des «libertés» de l'individu, conçu comme capable et autonome sans règles sociales collectives. Dans cette définition « implicite » de progrès, aucun autre critère ne semble être pris en compte ; sauf : la possibilité pour un individu de faire ce qu'il veut de ce qui lui « appartient », y compris de sa vie. Dans ce cadre, il devient alors compréhensible que la libéralisation de l'avortement, le mariage pour « tous », la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, l'euthanasie, et toutes les autres possibilités agrandissant la prétendue liberté des individus, soient identifiés au « progrès » et donc à un bien. Et que le discours que s'y oppose soit associé à un mal à éviter. Et pourtant, il y aurait lieu de se demander s'il est bon de penser que la liberté d'autodétermination d'un individu représente un bien à poursuivre à tout prix, et s'il est juste d'identifier cela avec le véritable progrès vers lequel la société devrait se diriger. D’ailleurs, il y aurait une contradiction entre des domaines : ou la personne déciderait seule et librement, et d’autres, où les 19 contraintes collectives, les normes sociales imposées lui retirent tout pouvoir : Ainsi quel pouvoir a un individu pour refuser la pression fiscale qui lui est imposé, stationner à un emplacement interdit sans risque de pénalité, quel pouvoir individuel par exemple en Europe un citoyen dispose-t-il pour refuser une directive européenne imposée à un Etat ?.... En effet, comme il est vrai que « tout ce qui brille, n'est pas or », dans le cas qui nous occupe ici, l'association de progrès et de liberté d'autodétermination risque aussi de briller sans valoir l'or qu'elle promet. Le point faible de cette position réside – me semble-t-il - dans les contradictions qu'elle soulève lorsqu'elle est confrontée, par exemple, aux vies les plus vulnérables. Dans Tristes Tropiques : Claude LEVI STRAUSS, rappelait que l’évolution de la société part du principe de prohibition d’inceste, que sortir de son groupe social est la condition d’une perpétuation de l’humanité. Alors, s’agissant des débats passionnés relatifs à : le mariage pour tous, la gestation pour autrui, la procréation médicalement assistée = je déplace la problématique, en ne me prononçant pas contre à priori, par conception de principe idéologique, mais ceux-ci-ci doivent-être sérieusement définis et encadrés. La vie sociale : n’est pas celle uniquement celle d’une juxtaposition de décisions personnelles, mais de principes communs = repères admis pour tous et toutes. Que l’on me comprenne bien : Il n’y a pas de ma part aucune charge par exemple contre la réalité de couples homosexuels. Cette situation n’est pas une tare, ni un choix, mais un constat de leur réalité psychobiologique affective. Etres humains, ils ont les mêmes exigences droits et devoirs. J’aurais préféré, que la constitution de couples homosexuels se fasse comme union avec certes, et logiquement les mêmes droits civiques, sociaux et administratifs. Union : ceci, pour 20 caractériser une différence non d’infériorité, mais de degré avec les couples hétérosexuels composés des 2 composantes de l’humanité de sexe : féminin et masculin. Lesquels : naturellement et directement peuvent engendrer une descendance. Non, ma crainte est celle d’ici 30, 50 ans, plus ou moins, est celle que l’idée de mariage devienne un engagement avec une signification si libre, si large, qu’elle perde toute signification d’une certaine solennité et comportement entre époux. Ainsi, d’autres demandes peuvent surgir, dont on n’imagine pas la possibilité : comme il y a encore 30 ans, on n’aurait jamais imaginé possible un mariage entre personnes du même sexe. D’ailleurs, ce mariage concrétise le réalisme et vécu partagé de vie commune de personnes de même sexe avant cette légalisation du mariage en France et dans d’autres pays. Ce mariage : ne pose pas à priori d’objection éthique pour des conduites humaines, et les règles de vie familiale. Précision : dans les années 50, alors enfant dans ma ville de naissance, j’ai connu une famille de 2 sœurs et un frère qui vivaient ensemble car ils s’aimaient, et déjà, ils évoquaient l’idée de l’avenir d’une situation matrimoniale permettant des droits sociaux, civiques et fiscaux régularisant leur situation, d’où ce qui suit. Ainsi, par exemple, ultérieurement dans cette logique sans tabou, ni normes sociales collectives établies : dans quelques décennies : on verra apparaître des demandes d’union entre frères et sœurs, et même, lors du décès de l’un des 2 parents dans des situations d’amour filial extrême = l’union d’un père avec sa fille, ou du fils avec sa mère….. Certes, ce que je dis est 21 présentement fantaisiste, peut apparaître farfelu et irrationnel ; cependant, qui aurait prévu, il y a encore 30 ans en arrière l’union entre personnes du même sexe ? L’euthanasie : me semble être l’une des problématiques sur la question du sens qui nous renvoie à cette notion de progrès. D’abord, il me semble que la généralisation des soins palliatifs et dans ce cadre celle de l’accompagnement en fin de vie permettrait au malade de disposer d’interlocuteurs pour dialoguer et se confier d’une autre nature que la famille et le corps médical. Ensuite, la discipline scientifique médicale représentée par l’équipe médicale doit répondre à des interpellations pertinentes : - Telle ou telle maladie est-elle réellement incurable ? - Dispose –t-on réellement des moyens d’arrêter la souffrance ? - Si le patient est en état végétatif, celui-ci peut-il durer ainsi des mois voire des années ? - Le patient est-il en situation suffisante de conscience et de réflexion pour émettre une alternative à sa situation ? - Comment l’épreuve de la famille est-elle appréhendée du point de vue de la notion de progrès ? Après les réponses apportées à ces questionnements, alors, le malade nous pose le devoir d’entendre son choix s’il est décidé à quitter sa vie sur cette terre ci et ce, en relation lucide et débattue avec les membres de l’équipe médicale qui le soigne, les psychologues de l’hôpital qui l’ont suivi, et sa famille. 22 La liberté individuelle sans règles se substituant à celle d’intelligence de la nécessité individuelle et collective = est ce fondé, réfléchi à long terme, ou uniquement des mesures électoralistes comme fuite en avant ? Encore une fois, je ne tranche pas le sujet, mais pose des interpellations ! Un Comité consultatif national d’éthique se devrait d’exister non seulement à l’échelle nationale, mais également au sein de l’UNESCO et de l’OMS. N’oublions pas la réalité du complexe d’œdipe = (Théorisé par Sigmund Freud dans sa première topique, il est défini comme le désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent du sexe opposé (inceste) et celui d'éliminer le parent rival du même sexe (parricide). Ainsi, le fait qu'un garçon tombe amoureux de sa mère et désire tuer son père répond à l'impératif du complexe d'Œdipe.) Alors, dans ce millénaire, ce constat du désir sexuel entre parent et enfant, frère et sœur, serait validé socialement par la législation universelle ? Avons-nous oublié, ce principe kantien selon lequel une action est morale à partir du moment où elle peut subir avec succès l’épreuve de l’universalisation En caricaturant à l’extrême ces comportements : c’est l’existence même de l’humanité, ses fondements, la reproduction harmonieuse de l’espèce humaine qui sont engagés. Une réflexion éthique sur ces délicats dossiers s’impose : ceci, non seulement à l’échelle nationale ou continentale, mais à l’échelle universelle au sein de l’OMS et de l’UNESCO, avec 23 certes des préconisations universellement adaptables, mais s’imposant à tous les Etats. En regardant ses vies, on se rend compte alors que ce qu'on appelle ... « progrès », en l'identifiant seulement avec un projet d'autodétermination de l'individu, est aussi ce qui peut conduire à l'« invisibilité » et à l'exclusion des vies les plus vulnérables ! C'est là, que réside la contradiction la plus patente de la position qui identifie progrès et projet exclusif de liberté individuelle de la personne. Cette contribution n’a pas pour sujet de faire un historique sur l’histoire de la philosophie. Ce serait trop fastidieux, et chacune, chacun peut se procurer les écrits de son choix : ce jour, je me limite à la période contemporaine. Durant la dernière décennie l’éparpillement des postulats philosophiques s’est poursuivi ce qui hélas éloigne toujours davantage les citoyennes et les citoyens d’une discipline toujours plus abstraite et élitiste et qui apparaît inaudible à leurs attentes et préoccupations. Lorsque je me suis rendu au Japon en janvier 2009, lors d’un débat au sein de l’Université du Hosei à Tokyo, je m’étais intéressé à ce qui était présenté comme la 3e voie philosophique = celle de l’école de Kyoto inspirée par les philosophes Kitaro NISHIDA et Tetsuro WATSUJI, lesquels, insistent sur l’être dans le lieu, ceci, alors que BERGSON et HEIDDEGER insistent sur l’être dans le temps. Selon ces philosophes, l’éveil à soi débute là où la conscience de soi atteint ses limites. On pense à soi à partir des autres, de l’interrelation et non à partir de soi. Cette école philosophique estime que la pensée occidentale a une propension à diviser, classer, séparer, ce qui peut- être uni. A contrario, il existe le courant appelé « Philosophie analytique » issu des travaux logiques et philosophiques de Bertrand RUSSEL et Ludwig WITTGENSTEIN. Pourquoi philosophie analytique ? Par défiance envers les grands mots et les grandes 24 entités où ne résonnent selon ces auteurs sans raisonner : que des idées vides. A la question traditionnelle de l’essence = qu’est- ce que c’est ? Qui est une question métaphysique, le tournant linguistique substitue la question de l’énoncé : comment cela se dit-il qui est une question logique. Ainsi, la syntaxe appelée souvent grammaire par les philosophes analytiques remplace-t-elle la métaphysique. Avec la philosophe américaine Patricia CHURCHLANG, la neurophilosophie est une philosophie de l’esprit qui prend appui sur les découvertes des neurosciences. Le phénoménisme : est un point de vue selon lequel la connaissance ou la pensée n’est pas relative aux choses ellesmêmes, mais à la façon dont elles nous apparaissent. A la différence de l’idéalisme, le phénoménisme ne nie pas forcément l’existence au sein du monde, seulement, il affirme qu’il est comme tel inaccessible. Présentement apparaît la position de l’ultra humain : c’est-à-dire un dépassement de Teilhard de CHARDIN qui intègre la théorie de l’évolution de DARWIN dans sa pensée. La théorie philosophique du post humain s’appuie sur le dépassement biologique. Selon cette position, la connaissance des mécanismes cérébraux et biologiques permet d’envisager une action directe sur des fonctions vitales et cérébrales. A ce tableau, je peux ajouter la politique de la reconnaissance du canadien Charles TAYLOR, qui est au cœur de la conception du communautarisme. D’après cette théorie, les différences culturelles représentent une expression essentielle de la dignité humaine. La reconnaissance des différences culturelles est aux yeux de cette approche aussi importante que l’égalité des droits économiques et sociaux. 25 Ensuite : il est les théories de survenance de Richard DWORKIN et de fonctionnalisme de Hilary PUTMAN et Jerry A. FODOR. Le premier cité considère l’esprit comme ce qui émerge à partir du cerveau sans se confondre avec lui. Pour les seconds qui récusent le dualisme et le monisme, il existe une identité occasionnelle entre les états mentaux et les états physiques. Fondée sur la distinction bien connue en informatique entre le Hardware (le matériel) et le Software(le logiciel) cette conception pose que la psychologie d’un système ne dépend pas de la matière qui la constitue, mais de la manière dont il est assemblé. Cependant, tout ceci est très élitiste, éloigné de la connaissance des personnes non spécialisées et surtout : ne contribue pas à favoriser l’appropriation par le plus grand nombre d’une démarche philosophique utile au genre humain et branché sur les pratiques sociales confrontées aux enjeux de notre temps. J’abandonne un moment l’analyse philosophique, et en viens quelques instants à votre continent : Même si mes circonstances historiques ne m’ont pas permis d’apprendre le langage usuel de votre belle langue castillane, j’aime la chanter ! Votre langue est issue du latin populaire parlé autour de la région cantabrique au nord de la péninsule ibérique et s’est diffusée en suivant l’extension du Royaume de castille, puis fut menée en Afrique, aux Caraïbes et en Asie pacifique avec l’extension de l’empire espagnol entre le XVe et le XIX siècle. Aujourd’hui, environ 410 millions de personnes ont le castillan comme langue maternelle, environ 480 millions si l’on compte les pratiquants secondaires, plus de 500 millions avec les pratiquants comme langue étrangère. Ceci, la hisse au second rang mondial en termes de locuteurs derrière le chinois mandarin. Votre belle langue est la seconde parlée ici aux Etats-Unis. 26 Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans rendre hommage à des penseurs de votre continent sud-américain. J’ai un principe par respect pour la culture du pays d’origine : je suis toujours prudent, mesuré, lorsque je parle d’auteurs et artistes d’autres continents. Ceci, de crainte d’altérer ou d’ignorer des aspects importants de leur vécu ou de leur œuvre. Malgré tout : le brassage des origines qui caractérise nombre de vos pays, me fait penser à l’apport du philosophe Français Jacques DERRIDA. Alors, qu’il est souvent parlé des minorités culturelles, d’autochtones, et parfois de façon plus péjorative des indiens, DERRIDA, a toujours tenté de déconstruire les dualités, et les oppositions ou esprit de suffisance en pensant à la richesse de la multiplicité. C’est l’inexistant propre de cette multiplicité par des pouvoirs qui est un inexistant dans ce monde. L’inexistant, dans ces conditions, n’a pas de caractérisation ontologique, mais uniquement une caractérisation existentielle déterminée. L’apport de DERRIDA, est un vibrant appel s’inscrivant dans les orientations de l’UNESCO d’inscrire l’inexistant au-delà des impositions discursives, c’est-à-dire au-delà des catégories de la pensée dominante. Ensuite : parler de vos auteurs : je ne peux m’empêcher de citer Octavio PAZ, l’un des grands poètes du XX e siècle ! Combattant anti fasciste, le créateur d’une cosmogonie personnelle et originale. Toujours en avance sur le changement, sa poésie spatiale et ses expressions visuelles nous enchantent et il reçut le prix Nobel de littérature en 1990, et celui Alexis de TOCQUEVILLE par le Président français François MITTERRAND en 1989. J’ai eu lu José Emilio PACHECO qui reçut le prix CERVANTES, et qui a été l’un des nombreux cinéphiles formé à l’Institut français d’Amérique latine à Mexico. Bien entendu : comment ne pas citer ce génie argentin Jorge Luis BORGES dont les lettres françaises dans les années 50 rendirent hommage à ce talent unique. Bien que quasiment aveugle durant une longue période, sa conférence au Collège de 27 France le 12 janvier 1983, quelques années avant sa disparition reste un moment inoubliable dans l’histoire de la vénérable Institution. Comment ignorer l’histoire du tango chanté par Carlos GARDEL, lui-même fils d’une immigrante toulousaine. Ce tango : qu’Enrique DISCEPOLO définit comme une pensée triste qui se danse. Le tango, illustre bien la richesse des apports constitutifs de votre culture ; lié à l’immigration notamment de la période (1860-80), il est l’héritage de la diversité du métissage : les plaintes obsédantes du Flamenco, les rythmes du candomblé (dansé par les esclaves noirs), le Habanero d’origine cubaine, et les Cadenas langoureuses de la Milonga (venue de la pampa argentine). D’abord interprété par la flûte, le violon, la guitare… il le fut ensuite par le piano et le bandonéon. Cette année, vient de disparaître Gabriel GARCIA MARQUEZ, surnommé affectueusement GABO dans tout l’Amérique latine, prix Nobel de littérature en 1982, l’un des plus grands écrivains du XX siècle, dont l’œuvre traduite au plan mondial s’est traduite en plus de 50 millions d’exemplaires. Son œuvre : »100 ans de solitude » est un succès planétaire qui fut publiée par un éditeur français » Les Editions du Seuil « C’est à la fois une épopée familiale, un roman politique, et un récit fabuleux. Selon Pablo NERUDA autre génie de la littérature, ce fut le plus grand roman écrit en langue castillane depuis Don Quichotte de CERVANTES. Tout l’Amérique s’est reconnue dans cette saga de la famille BUENDIA héroïque et baroque. Gabriel GARCIA-MARQUEZ : c’est une œuvre sans une seconde d’enlisement, sans une distraction, un langage puissant, à la fois exubérant et parfaitement maîtrisé. A propos de Pablo NERUDA : penseur chilien, poète moderne, écrivain homme politique, prix Nobel de littérature en 1971, lauréat de prix internationaux de la paix dont les circonstances 28 de sa mort lors de la dictature du Général PINOCHET (suspecté de l’avoir fait empoisonné) restent un sujet de doute et le dossier judiciaire n’est pas clos. Lors de son décès l’émotion fut immense de par le monde. Cependant, je pourrais citer bien des personnes présentes à ce congrès pour rendre compte de l’extraordinaire vitalité poétique de votre continent dont certaines m’honorent de leur amitié. Comme cette contribution est axée sur la philosophie, je ne peux m’empêcher de citer Francisco GARCIA –CALDERON, lequel, lors du congrès mondial de philosophie en 1908, s’appropria les philosophes européens : la scolastique importée, les idées de liberté et de contrat social, l’âge positif d’Auguste COMTE et de SPENCER, déterminé par les valeurs de la science. Puis, il y a cette recherche d’identification de la philosophie en relation avec les racines, le terreau national. Ainsi : les travaux de José INGENIEROS concernant la relation entre philosophie et nationalité et sa conception de la philosophie comme une promesse. Puis, les recherches de Léopold ZEA, Ortega Y GRASSET, Andrea BELO, qui étudieront les drames de l’Europe dans ses dérives du racisme, du fascisme, et de ses formes de totalitarisme. Ensuite, il y a des recherches contemporaines visant à faire de la philosophie avec son lieu de production l’Amérique latine un jeu complexe d’identification, à un peuple, une langue, à des destins nationaux et régionaux. Le philosophe du Venezuela Briceno GUERRERO s’intéressa au philosophe français Michel FOUCAULT, et à sa critique des pouvoirs. Il détermina la philosophie comme ENERGEIA :façon occidentale de faire la philosophie, comme DYNAMIS, disposition naturelle donnée à la Cosmonie, comme ERGON, réduite au fruit de sa propre production. 29 Le philosophe Angel CAPELLETTI, lors du congrès international de philosophie en 1977 à Caracas, s’est intéressé à la compréhension intuitive de la source des présupposés, et à l’esthétique de l’existence. Selon lui : l’idée de morale obéissant à un code de règles est en train de disparaître. La philosophie vivante, ce serait par la prise de conscience de sa responsabilité à l’égard de la condition humaine et par l’action partagée d’une communauté philosophique vraiment communicante. Ce serait une tâche vraiment actuelle pour la philosophie au IIIe millénaire engagé. L’Europe et la France, relativement à la philosophie, ont encore une approche ethnocentriste s’intéressant surtout aux penseurs européens. Cependant, comment ne pas s’intéresser au philosophe colombien Guillermo HOYOS VASQUEZ, et à ses recherches sur la phénoménologie et sur l’ontologie. Je peux encore citer et j’oublie forcément de talentueux chercheurs le philosophe argentin Mario BUNGE, qui analyse avec son approche scientifique les parties séparées au même titre que la prise en compte du tout dans sa globalité. Je poursuis ma conversation avec vous sur le ton de la confidence et des interrogations et suggestions, je suis comme vous, je ne dispose que de mon esprit et mon cœur. Dans notre société, il est ce constat de la séparation toujours plus réelle entre l’un et le tous. Le souci écologique avec la pollution ressentie dans les grandes agglomérations, le réchauffement climatique constaté, rend plus sensible aux alertes sur la disparition progressive de la banquise, la déforestation de l’Amazonie, la pollution des mers, la disparition d’espèces animales et végétales, ceci, même s’il reste bien à faire. De même, à l’échelle proche, il est remarqué d’une façon plus humaine : la préoccupation des malvoyants, le respect égalitaire 30 à l’égard des homosexuels, le respect de la diversité malgré ses drames encore de ci de là,. Cependant, à l’échelle collective, il y a ce paradoxe. Dans le même temps, les injustices strictement sociales en terme de revenus, de statut, de soins médicaux, ont littéralement régressé depuis 2 décennies et cela dans une indifférence quasi générale. En Europe, comme en Amérique du Nord, le constat est alarmant : qu’en est-il selon vous dans d’autres régions du monde, à commencer dans votre continent ? La pauvreté est considérée comme une atteinte aux droits humains selon l’UNESCO ; cependant, en dépit des lamentos pathétiques elle n’émeut pas au point de réagir vis à vis des gouvernements et des Institutions internationales ; Hors, y compris parmi les économistes du FMI, de l’OCDE, ou autres, ou d’experts comme les américains Andrew BERG et Paul KRUGMAN, le même diagnostic est fait. Les inégalités aggravées pénalisent la croissance. Les politiques redistributives ne seraient pas un cadeau social, mais une preuve d’intelligence économique. Les raisonnements d’hier qui prétendaient que l’équité avait un coût sont devenus absurdes. Au contraire, ce qui a un coût en terme de dynamique sociale et économique, c’est : l’austérité budgétaire, les sacrifices imposés aux classes populaires, aux classes moyennes de plus en plus partout. Si l’on veut relancer l’harmonie sur la planète, il faut réduire les inégalités. Pour redonner des opportunités à toutes et à tous et respecter les 2 composantes de l’humanité qui sont de sexe et féminin, et masculin. Alors certes : les réseaux sociaux sont un moyen incroyable de rapidité et de contact de masse, simplement, sur le plan qualitatif des consciences, sans éducation à la philosophie sociale, on peut : comme cela a été le cas pour les révolutions arabes, se mobiliser par dizaine de milliers lors de manifestations, et 31 cependant voter « Frères Musulman et Ennhada lors des consultations électorales. Puis, se trouver avec un pouvoir qui ne correspond pas à la mobilisation sociale et qui exige de nouvelles mobilisations. Il en a été ainsi en Egypte et en Tunisie avec les évolutions politiques que l’on connaît depuis. Dans un contexte tout autre, le Venezuela a vécu ces derniers mois des situations difficiles et des violences de la part d’un gouvernement cependant présenté comme celui représentant les aspirations populaires. L’agir de ce début de millénaire passe par des réseaux d’inter relation mais disposant d’une large autonomie de connaissances et de jugement, et alors, ce que disait le grand poète indien Rabindranath TAGORE, que je cite en l’honneur de Monsieur Arun GANDHI, prendra tout son sens et sa portée : Il déclarait : » L’homme passe à côté de lui-même lorsqu’il est isolé, il trouve en soi le plus grand et le plus authentique dans un large éventail de rapports humains. » Alors, pour cela, avec d’autres disciplines, la philosophie a de l’avenir si elle devient un élément du savoir au service des peuples. Ainsi, de l’historique à l’actuel : quels sont les moyens d’espérer mais avec des risques ? Le siècle écoulé aura eu tendance à oublier cette leçon : une pensée n’existe vraiment que si elle est comprise. Dépouillée petit à petit par la science des secteurs du savoir qui faisaient d’elle depuis les Grecs la connaissance par excellence, la philosophie a souvent eu pour réaction de se réfugier dans les ténèbres de ses abstractions. Elle cultiva avec un soin tout particulier la manie du négatif ; l’impossible sous toutes ses formes (l’incompréhensible, l’incommunicable, l’intraduisible …..) devint son maitre mot, le fin fond de sa pensée. Comme l’a indiqué le philosophe français Christian GODIN : « l’univers de la philosophie, dont le big-bang eut lieu presque en 32 même temps en Grèce, en Inde et en Chine, il y a vingt-cinq siècles, est loin de constituer une unité homogène. S’il partage avec l’univers physique cette caractéristique d’être en expansion, il se disperse rapidement en lieux qui n’ont pratiquement pas de relations d’échange entre eux. Les hommes, les doctrines font bien davantage que différer : ils se contredisent. Qui dira jamais la vérité sur l’art, le sentiment, le gouvernement des hommes ou la croyance religieuse ? Des questions que l’homme ne peut pas s’empêcher de poser tout en étant dans l’incapacité de les résoudre de manière définitive – voilà l’espace symbolique dans lequel se déploie le monde de la philosophie ». La diversité de la philosophie n’est pas sans faire songer au monde de l’art. La philosophie éclate en une multitude d’écoles et de courants divers, voire contradictoires. Chaque philosophie est un point de vue. Alors qu’une statue n’a qu’une seule masse, il y a mille manières de la regarder : tandis que la science la mesure, la philosophie la regarde. La mesure dépend de l’instrument, le regard dépend du point de vue. Christian GODIN, dans son ouvrage « La philosophie pour les nuls » Editions First, Paris 2007 propose ce tableau synthétique précis et les propos suivants : « LES CINQ SPHERES DE LA PHILOSOPHIE Vue de l’extérieur, la philosophie apparait comme une espèce de monde unifié. Et les philosophes eux-mêmes colportent volontiers cette légende lorsqu’ils se sentent en danger : rien de tel qu’une menace, réelle ou supposée, pour resserrer les rangs. En réalité, la philosophie est dispersée en cinq lieux principaux qui ont ménagé peu de passages les uns avec les autres : - Les classes de terminales de lycée : pour l’immense majorité des gens, c’est la seule occasion de contact avec la philosophie. - L’université : la philosophie s’y transmet en vase clos et hermétique, la plupart des professeurs se prennent encore 33 pour les grands prêtres d’un culte qui réunit de moins de fidèles. - Les médias : ils sont fréquentés par ceux que le grand public appelle « philosophes », car pour eux, la philosophie est d’abord incarnée par ces personnages publics. - L’espace public des cafés philo et des salles de conférence : la philosophie s’y pratique de manière libre et quelque peu sauvage. - Le bureau de quelques dizaines de philosophes : ceux-ci exercent une activité de recherche et d’écriture et, dans le meilleur des cas, parviennent à publier des ouvrages qui ne seront lus que par quelques centaines de lecteurs. » Cependant des exigences naissent dans notre monde, message à la fois confus mais porteur d’avenir. La mondialisation n’est pas seulement une affaire de banquier. Il ne faudrait tout de même pas oublier qu’elle a commencé avec la philosophie, il y a longtemps, dans la Grèce ancienne. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est la dispersion géographique et culturelle des philosophes : de même qu’un athlète des Philippines ou du Zimbabwe peut aujourd’hui gagner une médaille d’or à une épreuve des Jeux Olympiques (encore naguère dominés par une petite poignée de pays), des philosophes travaillent actuellement un peu partout dans le monde. On ne les connait pas encore car, le plus souvent, on ne les traduit pas, mais toujours est-il qu’ils existent. Internet, à la fois vecteur et signe d’une mondialisation qui ne fait que naître, donne à la philosophie une existence publique qu’elle n’avait jamais eue auparavant. Des milliers de bloggers anonymes lancent des idées dans cet océan de signes, se réunissent en forums de discussion, échangent leurs arguments. Jamais dans toute l’histoire passée on aura autant de philosophes qu’aujourd’hui. Si l’histoire de la discipline nous enseigne quelque chose, c’est que cette pratique que l’on appelle philosophie depuis Pythagore 34 a été exercée de manière si diverse, su contradictoire (on peut faire de la philosophie en prophète, en savant, en poète, en écrivain, en professeur, en amateur, en rêveur, en provocateur, en politique …) qu’aucune modalité ne peut à priori être décrétée impossible. C’est probablement en cela que la philosophie se différencie nettement des sciences et des techniques. Le dépérissement progressif du statut de philosophe officiel se fera, ceci, à la condition de respecter les règles épistémologiques et la rigueur exigeante de la discipline philosophique et ses énoncés critiqués par la pensée et validés par les pratiques sociales ainsi instruites. Pour faciliter cette évolution, l’enseignement progressif de la philosophie dans le système scolaire dès la classe de 6e, et pour toutes les disciplines lors du statut d’étudiant contribuerait à cette évolution sociétale. Celle-ci dépend de la volonté des peuples et de l’intervention lucide des gouvernements pour le bien commun de l’humanité et ce, avant les intérêts étatiques égoïstes et les ambitions personnelles. Ce pendant et effectivement j’entends bien l’objection : ne pensons pas, que ce que je préconise se réalisera sans difficultés ou conditions et encore moins rapidement. Les principales ambitions pour la philosophie décrites par Emmanuel KANT, restent d’une profonde actualité : »Que pouvons-nous savoir ? Que devons-nous faire ? Que nous-est-il- permis d’espérer ? Toutes questions qui l’amèneront à s’interroger sur celle fondamentale : « Qu’est-ce que l’homme » et qui reste à approfondir aujourd’hui. Cependant, comme l’indique le philosophe français Lucien SEVE, dans un ouvrage à paraître en septembre 2014 » penser avec MARX aujourd’hui » « Entre DESCARTES, HOBBES, SPINOZA, LEIBNIZ, la démonstration commune est évidente (ajout de Guy CREQUIE : c’était un développement 35 philosophique en spirale). Mais, entre NIETZSCHE, BERGSON, WITTENGENSTEIN, LUKAS, il est devenu introuvable, où est-elle encore la philosophie ? (Mention de Guy CREQUIE : c’est un surcroit de sens qui se disperse dans nombre de directions et de domaines d’investigation qui débordent l’ontologie et les exigences épistémologiques. Lucien SEVE poursuit : » le nouveau : ce n’est pas la profondeur des divisions, Il est qu’au-delà des divisions règle la dispersion. On a de la difficulté à débattre quand on ne s’entend même plus sur la matière des litiges. » Or, si la philosophie est partout dans les cafés- philo, dans les lycées, sur internet chez soi, etc… ce n’est pas parce qu’on pense philosopher, que l’on est véritablement philosophe. Encore faut-il pour cela constituer une œuvre novatrice. Ceci, sous-entend d’inventer des concepts susceptibles de donner un sens nouveau aux choses. C’est ainsi, qu’on appelle un peu vite « philosophes » des essayistes certes souvent très médiatisés, prolixes, mais qui ne font souvent que transmettre à leur sauce des idées précédemment émises avant eux, ou en dehors d’eux. Alors, pour les simples citoyens, la philosophie ne devient qu’une collection d’expressions sans profondeur, d’œuvres d’individualités profitant du tapage médiatique, mais ne pouvant masquer qu’elle ne pouvait plus faire « somme ». La philo, et non plus la philosophie, tend parfois à se substituer laïquement à la religion défaillante. Lucien SEVE, dans l’ouvrage cité à paraître : « rappelle que transcendantal est une catégorie expressément créer par KA NT, pour dire ce qui revient au sujet à priori. Mais ce travail de critique philosophique, exige une rigoureuse culture catégorielle et la distinction qualitative entre concept scientifique et catégorie philosophique ». Le travail philosophique consiste donc d’un même mouvement à critiquer tout le réel et à en altérer toutes les catégories. 36 Précédemment, j’ai parlé que l’enjeu et la formation d’une vraie capacité critique chez le citoyen futur par l’enseignement progressif de la philosophie dès la classe de 6ème. Cependant, la question primordiale n’est pas l’âge mais le sens de ce qui est enseigné. Il n’y a plus de courant dominant pour la philosophie qui n’a plus à s’enfermer dans tel ou tel « isthme ». La philosophie est aussi libre à nouveau de pouvoir s’étonner du réel, sans avoir à s’inscrire dans des réponses déjà trouvées au service d’une vraie ambition intellectuelle. Cependant, il reste à la philosophie, des règles à respecter, des exigences à respecter, des impératifs à respecter. Lucien SEVE, le dernier grand philosophe du matérialisme philosophique l’exprime dans son livre à paraître à l’automne 2014 « Penser avec MARX aujourd’hui » - tome 3 – la philosophie- pages de conclusion de l’ouvrage, éditions La Dispute, Paris. « Si la philosophie comme imaginaire savoir du monde – transcientifique est caduc, le travail philosophique comme élucidation rigoureuse du sens de tout savoir est de permanente nécessité. La philosophie a été un champ de bataille continu commun de progrès capitaux de la pensée philosophique : le cogito cartésien, ou le Je transcendantal kantien en passant par l’entendement humain, puis à l ’idée hégélienne de la conscience critique et auparavant, de l’ éthique spinozienne et du devoir kantien. Dans les années 60, le travail philosophique qui émergeait était alors en France celui d’individualités marquantes : LEVINAS, RICOEUR, ALTHUSSER, DELEUZE, FOUCAULT… » Dans sa conclusion, Lucien SEVE fixe l’ambition philosophique de son travail en précisant, en s’appuyant sur MARX, que chercher à dégager l’essence de ce qui est, ce n’est pas l’inscrire dans l’intemporalité de l’idée, mais à déceler son procès producteur, donc aussi sa relativité historique. Il rappelle l’essence critique depuis KANT, qu’il faut mettre à jour les conditions de possibilité du savoir vrai, et de l’agir bien. 37 Si la philosophie, comme imaginaire savoir du monde, transcientifique est caduc, le travail philosophique comme élucidation rigoureuse du sens de tout savoir est de permanente nécessité. La présentation de la démarche philosophique est celle de la concevoir en connexion continue avec l’enseignement de chaque matière, et de rendre les élèves attentifs et réfléchis aux catégories de pensée qu’elle mobilise. Exemples : médiation des signes dans la langue, intuition et déduction en mathématiques, causalité et finalité dans les sciences de la vie, de la terre, logiques temporelles en histoire … Il s’agit en bref d’une instauration effective de la philosophie, comme dimension de toute culture, condition de tout savoir, compagnon de toute pratique. N’oublions pas, du quantitatif ne surgit pas fatalement le qualitatif utile à la conscience évoluée des peuples. De ce point de vue, le chantier reste intact, et à ce jour, il n’est pas assuré d’être approprié bénéfiquement par les personnes. Le risque de perte du sens épistémologique et de la rigueur de l’approche philosophique est réel : tant sa dispersion en une multitude de regards par une vulgarisation trop superficielle, en altère la recherche profonde de l’exigence. Alors, dans cette perspective, des travaux de chercheurs universitaires faisant état de nouveaux concepts irriguant la pensée humaniste et le mouvement des connaissances, peuvent servir d’accélérateur à la fonction populaire de la philosophie comme le souhaitaient DIDEROT, GRAMSCI. Je pense, par exemple : aux travaux du dépassement par la créativité du professeur GALTUNG, à la démarche ABC introduite par le sociologue et philosophe Léo SEMASHKO avec sa pléiade de chercheurs, aux propositions pour la paix élaborées depuis plus de 30 ans par Monsieur Daisaku IKEDA, aux travaux du dernier grand philosophe marxiste Lucien SEVE… Toutes initiatives qui s’appuient sur la pensée 38 universelle de penseurs connus, et qui amplifient le chemin de la connaissance, par la mise en chantier de concepts réfléchis, innovants, susceptibles d’offrir des perspectives de transformation pacifique du cœurs et des corps comme possible futur des nouvelles générations. Le résultat de l’élection européenne le 25 mai 2014 a démontré une nouvelle fois, que lorsque les peuples ne disposent pas d’une conception philosophique suffisamment ancrée du sens de l’existence, ils peuvent donner écho aux théories xénophobes et antisémites lorsque leurs conditions sociales d’existence sont angoissantes et quand l’incapacité des élus politiques à offrir une perspective est évidente. Pour conclure mon intervention : de ce foisonnement philosophique favorisé par l’éducation, les pratiques instruites, et développées par les affres de la mondialisation ( dont l’essor des sciences et techniques) peut surgir, comme l’indique Christian GODIN dans l’ouvrage cité précédemment : « ce dont nous ne disposons plus depuis la mort de MARX, je veux parler d’une théorie de la justice qui soit réellement universelle, une théorie du respect de la complémentarité des sexes, une théorie des réalités de l’exploitation d’êtres par d’autres êtres …. Bref, il nous manque, présentement, une théorie du soupçon dans notre monde, et c’est pourquoi il ne va pas si bien notre monde actuel. » Notre monde fait la part belle à la communication des idéologies de légitimation, il lui faut assurer la transmission d’une pensée revitalisée et éclairée. Sortir de nos mondes d’évidence, pour parvenir au monde partagé, voici l’un des impératifs de notre temps pour une planète de paix et d’harmonie avec une vision anticipatrice de l’évolution du monde. Exemple : si l’Afrique est considérée comme le berceau de l’humanité, à l’horizon 2100, avec 4 milliards 200 millions d’habitants contre 800 millions en 2000 (soit 5 fois plus et représentant 1/3 de la planète du globe) elle dépassera le poids 39 démographique de la Chine, des Amériques et elle détient de nombreuses richesses minérales, hydrauliques, des forêts considérables …. De nouveaux rapports internationaux seront à envisager, et alors, il faudra une solide conscience philosophique pour faire des changements non pas des peurs ou des tares, mais des richesses inévitables et fécondes. Enfin, comme nous sommes en Amérique, la pensée philosophique ne peut ignorer les travaux de John RAWLS (et sa théorie de la justice) ou ceux de Michael WALZER (les sphères de la justice), et de bien d’autres : de Richard RORTY à Robert WOZICK, de Daniel DENNETT à Thomas KUHN et j’ai cité précédemment Patricia CHURCHLAND. Merci pour votre patience et votre attention à avoir écouté ma contribution qui fut également difficile pour moi à réfléchir et à rédiger. Hommage à Monsieur Arun GANDHI, Vive le Congrès CUPHI III. Merci à ses organisateurs. Vive le continent sud-américain, ses poètes, artistes, penseurs, et ses peuples, Vive l’amitié et la solidarité entre les peuples. L’avenir, notre avenir, ne dépend pas de la seule bonne volonté des gouvernements, mais de vous : qui en êtes la richesse de ce monde, dans ce monde, pour un futur de paix et d’harmonie. Copyright Guy CREQUIE 40