1 « La philosophie aujourd`hui –la philosophie demain = au service

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« La philosophie aujourd’hui –la philosophie
demain = au service des peuples, appropriable
par eux ? »
CONGRES CUPHI III
LOS ANGELES – le 12 JUILLET 2014
CONTRIBUTION DE GUY CREQUIE
Ce jour, il m’a été demandé de vous parler de philosophie, mais je
précise de suite que je veux éviter un malentendu. Il n’y a pas d’un
côté, un beau parleur magistral, un enseignant qui théorise certes à
partir d’un langage philosophique adapté, qui a ses règles.
Cependant, comme l’a indiqué DIDEROT : « hâtons-nous de rendre
la philosophie populaire ». Tout le monde peut intervenir sur les
problématiques humaines à condition d’en respecter une
déontologie de principes et parler philosophie, c’est aussi vivre
comme philosophe, c’est une pratique comme l’a rappelé
GRAMSCI.
Un philosophe n’est pas nécessairement celui qui écrit une œuvre,
crée un système. SOCRATE est selon HEGEL : un vrai philosophe
précisément : parce qu’il a vécu sa doctrine au lieu de l’écrire. Le
philosophe ALAIN et ses chroniques relevaient de la même
approche.
Etre philosophe disait SOCRATE ne consiste pas à savoir
beaucoup de choses mais à être tempérant.
C’est seulement par déviation, et depuis, que la philosophie est
devenue un métier, une forme d’enseignement rétribuée que la
notion de philosophe a perdu sa signification originaire de type
exemplaire de chercheur désintéressé, soutenu par sa seule
vocation. Depuis lors, il n’y a plus de philosophes remarque HEGEL
mais des philosophies, des systèmes de pensée.
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Longtemps, les philosophes ont récapitulé le savoir de leur époque.
Beaucoup étaient à la fois : des scientifiques, des herboristes, des
poètes des philosophes…Présentement avec le développement
prodigieux des sciences et des techniques, les autres disciplines
autonomes n’ont pas besoin de l’aura du philosophe pour leurs
travaux. Par contre, pour la vulgarisation de leurs découvertes et
ses relations avec la conscience, l’éthique, la morale, la philosophie
si elle n’est pas une science en tant que telle = intervient donc sur
des connaissances établies en dehors d’elle ; elle a une fonction
critique et de mise en relations qui sont essentielles, elle est faite
pour fonctionner.
L’ambiguïté de la notion antique de SOPHIA (Recherche de la
sagesse) qui évoque à la fois un savoir de la vérité et une pratique
de la morale, a suscité deux interprétations de la philosophie :
- La première qui remonte aux physiciens ioniens (VIe siècle
avant J.C) se développe chez HEGEL et dans le positivisme
anglo-saxon, et conçoit la philosophie essentiellement comme
une connaissance rationnelle, une recherche d’intelligibilité.
- La seconde qui se recommande de SOCRATE, de KANT, de
l’existentialisme moderne, considère la philosophie comme
une recherche morale, celle de notre destinations véritable et
comme un apprentissage de la vertu.
Cependant, s’il est vrai qu’il puisse y avoir des philosophes qui
n’aient point écrit de philosophie comme SOCRATE ou votre
modeste serviteur, la notion de philosophe n’ en implique pas
moins le développement d’un savoir rationnel, d’un système de
pensée.
J’ai parlé du philosophe ALAIN, il est un philosophe parce qu’il fut
un essayiste ; la philosophie d’ALAIN correspond à l’ensemble de
ses idées mises en système.
On parle au contraire de la philosophie de KANT, de HEGEL, de
SARTRE, de HEIDDEGER.
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La philosophie est donc par vocation une tentative d’explication
cohérente du réel.
Je sais que l’essentiel des présents ici ne sont pas spécialistes en
philosophie ; c’est pourquoi, j’essaie de ne pas utiliser un langage
trop compliqué.
Aujourd’hui, par exemple avec la mondialisation des échanges, des
images, des signes, ou tout va vite, trop parfois tout est dense,
maitriser sa discipline tout en ayant la faculté rapide d’une
autonomie de pensée devient nécessaire et de ce point de vue
j’admire par exemple notre ami Ernesto KAHAN, lequel, à mon avis,
préfigure en ce XXIème siècle ce que devra être au XXIIème siècle,
un intellectuel complet de notre temps à la fois : scientifique, poète
et philosophe.
Au rythme de nos contingences actuelles, on peut se poser la
question : que faire dans le monde ou quoi faire dans ce monde :
l’enjeu ?
L’importance est la dimension vécue de la philosophie ce qui nous
renvoie aux débats entre SARTRE et MERLEAU-PONTY.
En effet, nourri des concepts sans que cela ne présente aucune
incidence sur nos vies semble réduire la philosophie à un pur jeu
spéculatif, à la simple expression d’une virtuosité.
Comme l’indiquait SENEQUE : « vois si c’est dans la science
philosophique ou dans la pratique même de la vie que tu as
progressé ».
Si la philosophie décrit mais ne prescrit rien, c’est un souci ! La
philosophie est une attitude dans le monde, non une abstention.
Le socle de la vie philosophique constitue aussi cette recherche
d’une transformation de soi, à même de nous grandir en nous
permettant de forger cette existence consciente d’elle-même, aussi
cohérente que possible, visant la maitrise indépendante et créative
dans les voies qu’elle forge, d’aventuriers du concept, intensément
présente à elle-même et aux autres.
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Elle reste certes attentive et en œuvre sur l’étude millénaire des
catégories philosophiques mais branchée sur les pratiques
sociales des savoirs et au rapport global de notre pensée et de nos
actions aux faits, aux gens et aux choses.
Si mon expression est difficile pour vous, elle l’est pour moi
également, la vulgarisation philosophique reste de nos jours et
hélas, un exercice compliqué ceci, alors qu’un jour, dans un autre
siècle, viendra le moment où il n’y aura plus besoin de philosophe
de métier, ceci si la philosophie est considérée comme une
discipline d’apprentissage moral, y compris dès le système scolaire
et ce pour toutes les disciplines y compris scientifiques.
Alors, à quoi sert la philosophie au XXI è siècle ? Ses
interpellations, enjeux, défis à résoudre ?
A QUOI SERT LA PHILOSOPHIE AU XXI è siècle : QUELQUES
REFLEXIONS NON EXHAUSTIVES.
L’étude philosophique au stade actuel de la mondialisation est-elle
encore une aide pour déchiffrer le présent et mieux envisager
l’avenir ?
Est-elle réservée aux élites dans les chaires philosophiques ou
peut-elle éclairée les consciences citoyennes ?
Notre monde post-moderne est devenu complexe, subtil et opaque.
Notre monde malgré les raccourcis médiatiques, les petites
phrases politiques le plus souvent à court terme, résiste à nos
analyses et exige une attitude théorique inédite plus patiente moins
emplie de certitudes. Le temps toujours plus rapide est devenu un
enjeu décisif dans nos sociétés avancées et se développant à un
rythme effréné.
Le défi que pose la société aux théoriciens est plus à chercher dans
sa virtualité, ses formes d’exclusion, ses risques, ses opportunités,
ses dissimulations, dans sa présentation d’elle-même bref dans sa
métaphysique. La société est invisible non pas au sens où elle
disparaît sous nos yeux ou qu’elle est devenue virtuelle mais plutôt
parce qu’un écart demeure entre ce qui est et ce que l’on voit. Au
lieu d’être simples et directes, les causes des phénomènes
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apparaissent dans leur dissimulation c’est pourquoi elles nous
obligent à la prudence, à la patience et à une nouvelle ouverture.
Au Moyen Age, à l’époque de la pensée scolastique, le paysan avait
l’horizon du château de son seigneur qui exigeait de lui mais le
protégeait ; aujourd’hui avec un bouton appuyé sur la TV ou un clic
sur un réseau social, on peut être transporté au bout du monde, y
découvrir ou lire, des images et quelques propos qui élargissent à
la fois et déconcertent notre conscience.
Les espaces loin d’être séparés et nets semblent se toucher,
s’interpénétrer et se confondent avec l’horizon infini.
Si les territoires de jadis s’entremêlent aujourd’hui, cela dépasse le
cadre du marché des échanges mais nos esprits sont perturbés ;
ceci car la mobilité et la vitesse brouillent les frontières et que la
notion de limite tend à se perdre dans les réalités projetées ou
dispersées. On s’interroge présentement sur le territoire local,
régional …. Mais également sur d’autres sujets : prolonger la vie,
rajeunir, changer son physique ; la science connaît des
bouleversements considérables.
Lorsque l’on pense à la disparition des frontières, à la création
d’union ou zones de pays ou régions, on pense à la perte de
repères traditionnels, on note de ce fait la fin de la politique
classique accomplie dans le cadre d’un état moderne immuable qui
opérait à partir de dialectiques métaphysiques définies par des
oppositions classifiées : ami – ennemi ; intérieur-extérieur ; privépublic ……
Le monde actuel est l’affaire de cultures ; certains parlent même de
subcultures vivant en interactions obligées, subies et de nouvelles
formes de vivre ensemble apparaissent.
Il y eut le temps des minorités culturelles identifiées, classifiées,
rassemblées souvent hélas pour ne pas dire parquées, considérées
plus comme une gêne que comme une richesse.
De nos jours, la multitude des brassages conduit nombre de nos
contemporains à penser que des réseaux invisibles car non
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reconnus comme tels gravitent dans notre présent et notre
représentation du social.
Dans ce monde délimité par notre juridiction, l’Etat, l’espace
devient cependant obscur et à défaut d’identifier clairement les
causes qui sont souvent des abstractions c’est le fait de la bourse,
des agences de notation, la mondialisation, l’OPEP, le dollar ….. La
peur s’installe et l’autre, l’étranger, devient un danger.
Or, alors que la mondialisation exigerait l’hospitalité, les peurs
créent des difficultés du vivre ensemble !
Accepter les surprise, dire oui à ce qui change sans cesse tels sont
les défis de nos sociétés de plus en plus libérales et fluides.
De ceci, il y a des incidences sur la vie politique, sur la relation
entre la science et la philosophie. Il devient de plus en plus difficile
pour nos gouvernements d’avoir une vision d’avenir, d’anticiper.
Il
nous
faut
réinventer
notre
réalité
autant
que le langage et la pratique du pouvoir. Celui-ci doit avoir moins
de propension pour le contrôle, et accepter que le pouvoir se
répartisse autrement.
Après la première guerre mondiale, l’Europe a perdu son rang de
première civilisation planétaire et sa primauté politique traquée par
l’afflux de cultures soucieuses seulement de se ménager un
territoire,
la philosophie en a oublié sa vocation de conquérir
l’universalité de la rationnelle sur les chemins de la pensée critique.
La philosophie du XXI è siècle n’a-t-elle pas à rappeler que depuis
ISAIE, l’esprit s’appelle l’intelligence. Celle de conquêtes de
l’intelligence et d’elle seule comme l’indiquait PLATON.
Le passage du courant électrique de 110 à 220 volts au lendemain
de la Libération a bouleversé l’automatisation de l’équipement
ménager mais n’a pas changé la nature de l’électricité. La croyance
selon laquelle le qualitatif naitrait du quantitatif demande une
réflexion psychologique d’un type nouveau ; ceci parce que le
meurtre multiplié par cent mille dans les chambres à gaz et bien
davantage encore qu’il le serait par l’armement nucléaire de la
planète s’il en change les conséquences en nombre, ne change pas
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davantage la nature de l’animalité pas plus qu’un million de volts ne
change la nature du courant de 110 volts.
Si la science progresse à pas de géant, et dont l’utilisation dans le
sens
du
progrès
humain
ou
dans
son
contraire
dépendent de notre relation et conception à l’essence de notre
humanité.
Si toute science est guidée par la logique qui la précède et l’éclaire
ce qui fait dire que l’hypothèse précède l’expérience. Il faut donc
penser, élaborer, réfléchir, conceptualiser, être les aventuriers du
concept.
La biogénétique a démontré que le capital chromosomique de
l’homme est celui du chimpanzé à proportion de 98%. La portée
copernicienne de cette découverte aux conséquences infinies n’a
nullement été perçue par les élites mondiales de la connaissance.
La possession du langage des hommes, leur capacité à concevoir,
créer les dispensent-ils du besoin d’une philosophie de
l’existence ?
Le présupposé religieux selon lequel l’homme serait un être trans zoologique en son essence, et trainerait seulement quelques
séquelles malencontreuses de ses origines animales sous le motif
que ses ailes d’ange ont pris récemment le nom d’idéaux ; et que le
mythe de la rédemption a été adroitement porté sur les fonts
baptismaux de la démocratie et d’une théologie des droits de
l’homme est une hypothèse périmée. Aussi bien que celle des
astres
intelligents
dans
le
Timée
de
PLATON
ou du pilotage de la guerre de Troie par les dieux dans HOMERE ou
de la colombe, qui selon KANT, s’il n’y avait pas le vide volerait
beaucoup mieux.
La science progresse à grands pas. La recherche de planètes en
dehors du système solaire se poursuit : exemple, 400 planètes ont
été découvertes en 2010. Le concept de vie cosmique se développe
depuis que des bactéries ont été retrouvées à 41 kms dans la
stratosphère ayant des comètes pour origine présumée.
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Le génome humain peut être séquencé. Il a été totalement décrypté
de sorte que nous sommes connaissons maintenant notre identité
moléculaire en détail. Plus de la moitié de notre ADN est fait de
séquences virales et ces bribes d’ADN informent des risques
potentiels de maladie et pourraient permettre de déceler une
évolution future.
Certains chercheurs estiment qu’avec une bonne hygiène de vie et
une consommation judicieuse de vitamine C, que notre constitution
psychobiologique et physique nous permettraient de vivre jusqu’à
120 ans.
Certains arrivent à éluder la réalité de la mort, ou en avoir peur. Or,
MONTAIGNE l’a dit : « philosopher c’est apprendre à mourir ».
GOETHE a écrit pour sa part : « ceux qui n’ont pas l’espoir d’une
autre vie sont déjà morts dans celle-ci ».
Ainsi, regarder la mort en face et l’accepter comme partie
intégrante de cette vie, c’est élargir cette vie.
Le monde a besoin de réflexion philosophique y compris à
l’université, dans les filières scientifiques ceci, car dans ses écrits
« Sens et Origine » de l’histoire le philosophe Karl JASPERS avait
déjà noté 4 moments où l’être humain a connu de profondes
transformations de ses modes de vie et de la pensée :
- Le tournant du Néolithique,
- La constitution des grands empires antiques (premier
millénaire de notre ère, les grands courants de sagesse)
- La période actuelle ; celle de post modernité qui met l’accent
sur le désenchantement.
Nourrir la planète, toujours plus nombreuse, dans des conditions
sanitaires respectant les populations est un enjeu, ceci alors que
tant d’affaires en défraient la chronique !
Le chercheur P. RABHI avec son concept d’agro-écologie a mis en
exergue que nos modes de productions industrielles dans
l’agriculture avec les engrais chimiques, les nitrates, les fongicides
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et pesticides, la déforestation forcenée … bref tout ceci épuise les
sols, réduit l’environnement, perturbe notre relation harmonieuse
avec la nature, détruit les insectes, les oiseaux etc… utile à la
reproduction de la nature.
Alors de ci, delà, des innovations naissent en Inde, au Brésil, au
Chili, en Egypte…. Ce sont des notions qui englobent des pratiques
et des concepts strictement biologiques autorisant l’usage à
minima de certains produits chimiques considérés peu ou pas
nocifs pour l’être humain et la nature. Une agriculture fondée sur
une approche globale qui protège l’environnement mais repose sur
la reconnaissance du savoir-faire traditionnel de la promotion de
l’humain qui travaille la terre.
L’amélioration des moyens de subsistance des petits exploitants
et la préservation des écosystèmes ralentissent la tendance à
l’urbanisation, contribue au développement rural et laisse à la
génération suivante les moyens de répondre à ses propres besoins.
Le drame de notre époque comme l’a écrit le philosophe Jacques
ELLUL est que nous nous alignons sur les technologies que nous
créons.
Nous avons l’obsession du changement à tout prix, toujours plus
vite, et plus loin. Nous courrons après le progrès. Nous sommes
dominés par nos créations : comme le marché ou la bourse.
Nous ne sommes plus comme l’écrivait KANT « les législateurs
de notre propre vie ». A propos de la bourse et de la technologie,
certains chercheurs parlent même de déterminisme.
Edgar MORIN, philosophe, sociologue a exprimé quelques pages
de grande portée lors d’une interview de David SOLON pour
TERRAECO. « Nous sommes dans une époque où la chronologie
s’est imposée. Dans les temps anciens, vous vous donniez
rendez-vous quand le soleil se trouvait au zénith. Au Brésil, dans
des villes comme Bélem, encore aujourd’hui, on se retrouve
« après la pluie ». Dans ces schémas, les relations s’établissent
selon un rythme scandé par le soleil. Mais la montre-bracelet, par
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exemple, a fait qu’un temps abstrait s’est substitué au temps
naturel. Et le système de compétition et de concurrence, celui de
notre économie marchande et capitaliste, fait que pour la
concurrence, la meilleure performance est celle qui permet la
plus grande rapidité. La compétition s’est donc transformée en
compétitivité, ce qui est une perversion de la concurrence.
…Nous sommes prisonniers des idées de rentabilité, de
productivité et de compétitivité, notions exacerbées par la
concurrence mondialisée, dans les entreprises, puis répandues
ailleurs. Idem dans le monde scolaire et universitaire ! La relation
entre le maitre et l’élève nécessite un rapport beaucoup plus
personnel que les seules notions de rendement et de résultats.
En outre, le calcul accélère tout cela. Nous vivons un temps où il
est privilégié pour tout. Aussi bien pour tout connaître que pour
tout maîtriser. Les sondages qui anticipent d’un an les élections
participent du même phénomène. On en arrive à les confondre
avec l’annonce du résultat. On tente ainsi de supprimer l’effet de
surprise toujours possible.
…Nous sommes entrés dans une crise profonde sans savoir ce
qui va en en sortir. Des forces de résistance se manifestent.
L’économie sociale et solidaire en est une. Si on observe une
poussée vers l’agriculture biologique avec des petites et
moyennes exploitations et un retour à l’agriculture fermière,
c’est parce qu’une grande partie de l’opinion commence à
comprendre que les poulets et des porcs industrialisés sont
frelatés et dénaturent les sols et la nappe phréatique. Une quête
vers les produits artisanaux, les Amaps (Associations pour le
maintien d’une agriculture paysanne) indique que nous
souhaitons échapper aux grandes surfaces qui, elles-mêmes,
exercent une pression du prix minimum sur le producteur et
tentent de répercuter un prix maximum sur le consommateur. Le
commerce équitable tente, lui aussi, de court-circuiter les
intermédiaires prédateurs. Certes, le capitalisme triomphe dans
certaines parties du monde, mais une autre frange voit naître des
réactions qui ne viennent pas seulement des nouvelles formes
de productions, mais de l’union consciente des consommateurs.
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Cette force inemployée est faible car dispersée. Si cette force
prend conscience des produits de qualité et des produits
nuisibles, superficiels, une force de pression incroyable se
mettra en place et permettra d’influer sur la production ».
Si nous ne nous dotons pas d’une solide philosophie de
l’existence : nous sommes menacés par deux formes de barbarie
: celle fondée sur le mépris humain qui vient du fond de l’histoire
et la seconde, froide, glacée, fondée sur le calcul et le profit. Ces
deux barbaries se conjuguent et nous sommes appelés à les
combattre sur ces deux fronts.
Alors si la catastrophe paraît probable c’est de l’improbable
que surgissent l’espoir et les transformations. Bien des savants,
prophètes, philosophes, hommes politiques qui ont surgi dans
l’histoire à un moment donné étaient improbables, de Bouddha à
Jésus, Mahomet ; de DESCARTES à GALILEE, de Marx à De
Gaulle, Churchill etc….
La philosophie peut être cette renaissance pour vivre ensemble
cette formule du « bien vivre », « BIEN VIVIR » du président de
l’Equateur Rafael CORREA reprise ensuite par le président
bolivien E. MORALES. Elle signifie un épanouissement humain
non seulement au sein de la société mais aussi de la nature.
Mais pour cela, il faut juguler les choses comme la spéculation
internationale, le nationalisme forcené et le fanatisme religieux,
la volonté guerrière, la puissance dont le nucléaire est le
symbole.
Ceci
alors que nous sommes confrontés au matraquage
idéologique des idéologies de légitimation sur toutes les TV,
radios, journaux, tout le monde tient le même langage celui du
mode de pensée occidental arrogant qui s’estime la référence
indiscutable du monde et ce, au nom de la démocratie, laquelle
est le plus souvent formelle et n’a plus rien à voir avec la
démocratie athénienne. Je prends l’exemple de la situation en
Ukraine. Certes loin de moi l’idée de glorifier le président russe
Wladimir POUTINE qui a des décisions autoritaires expéditives et
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qui a la nostalgie de la grande Russie tsariste, qui s’attaque aux
libertés individuelles et collectives en Russie.
Cependant, tous les médias occidentaux et la diplomatie
occidentale se sont déchainés contre POUTINE qui a cependant
des liens historiques avec l’Ukraine et lui assurait des aides
financières.
Un dialogue ferme mais complet aurait pu intégrer le rôle décisif
que la Russie peut tenir dans le conflit syrien avec les
massacres qui continuent, la solliciter et reconnaitre son apport
et rechercher une solution équilibrée juste et humaine en
Ukraine par le dialogue.
Or, la venue régulière et toujours plus nombreuse de djihadistes
en Syrie venant y compris de pays occidentaux va faire peser sur
ces pays lors du retour des survivants de Syrie, des risques
d’attentats terroristes et donc de danger contre la démocratie.
Or le court terme l’a emporté avec des relents de guerre froide de
part et d’autre, avec côté européen le souci prioritaire de rallier
l’Ukraine à l’U.E et le camp occidental dans l’OTAN.
J’en viens au rôle et aux enjeux de la philosophie au XXI è
siècle ?
Auparavant, quelques précisions : comme l’a exprimé le
neurobiologiste Hervé CHNEIWEISS dans le N° 2565 de
l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur en janvier 2014 :
extraits :
« ….. Mais qu’est-ce que l’intelligence ? Il ne s’agit pas de faire
plus vite ou de manière plus massive, mais de développer une
certaine créativité, de s’adapter à un environnement dont les
règles changent. Les prophètes de la singularity considèrent
notre cerveau comme un disque dur. Mais ce n’est pas parce l’on
sait fabriquer un super-disque dur qu’il comprendra les liens
avec autrui, les relations amoureuses, familiales … La
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performance technologique ne remplacera jamais ce qui fait
sens pour l’homme.
….. Nos élites sont formées à l’économie, à l’administration, à la
finance. Elles ne connaissent pas grand-chose aux questions
scientifiques, encore moins à la biologie. Les cellules souches,
l’ADN … tout cela est un peu en dehors de leur champ de
conscience. Pour eux, cela n’existe pas ou pire, cela leur paraît
dangereux.
…..Cependant, n’oublions jamais que notre corps n’est pas un
assemblage mécanique. Il y a un moment où vous avez beau
changer les pièces, comme pour une voiture, la carcasse fait son
temps. La péremption biologique a été sélectionnée par
l’évolution. Notre mort est programmée, et on est très loin de
décrypter les mécanismes biologiques complexes qui
commandent cette « mort active » et plus loin encore de
connaître les coûts ou les effets secondaires (sensibilité à la
souffrance, nouvelles maladies …) qui seraient induits en
essayant de les bloquer. »
L’homme est en train de changer à une vitesse qui n’a plus rien à
voir avec l’évolution darwinienne.
La mise en perspective philosophique de notre relation aux faits
de la vie humaine dans son évolution du point de vue des
conséquences psychologiques, sociales et culturelles ne peut
éluder certains constats.
Les humains actuels sont – en moyenne et d’une façon
fulgurante à l’échelle des temps biologiques – devenus plus
grands et plus obèses ; ils vivent bien plus vieux ; l’âge de la
puberté s’abaisse, surtout pour les filles, alors que partout le
sperme des garçons contient presque deux fois moins de
spermatozoïdes qu’il y a quarante ans ; ces mêmes garçons
connaissent une diminution de …. Leur distance ano-génitale,
celle qui sépare l’anus de la base postérieure des bourses et
constitue un indice de féminisation – tout comme la baisse
concomitante du taux de testostérone, qu’attestent de
nombreuses études ; à force de vivre à l’intérieur et de ne
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contempler que de proches écrans en guise d’horizons lointains,
la proportion des myopes explose. Notre flore intestinale se
modifie au gré des aliments nouveaux nous rendant inaptes à
digérer les anciens – tout en multipliant les allergies. Ces
bouleversements se produisent à une vitesse effarante. Même si
nous avons peu « évolué » il devient impossible de soutenir que
l’homme « moderne » n’a pas changé depuis le néolithique.
Cependant la sélection naturelle n’a pas totalement disparu et
fait peu de résistance. On le voit avec certaines maladies, dont le
paludisme, qui tue des millions d’enfants avant l’âge de la
reproduction – et les empêche de perpétuer leurs éventuels
facteurs de vulnérabilité vis-à-vis du parasite. Et le fait de
manger des nourritures toujours plus molles, hachées d’avance,
réduit le rôle de l’appareil masticatoire, qui se réduit – et pose
problème avec les dents de sagesse devenues inutiles. Mais il
faut bien constater que nous sommes de moins en moins des
« enfants de Darwin » et que d’autres facteurs de changement
sont à l’œuvre – par les mœurs, la médecine, l’alimentation et
surtout …. Le pouvoir d’achat : l’homme est dorénavant sous
l’influence de choses qui découlent de lui. Il s’agit de facteurs
qui, pour plusieurs, sont potentiellement réversibles : ainsi,
l’allongement de l’espérance de vie, croisé avec la crise
économique, risque-t-il de ne pas durer – et, en attendant de se
concrétiser par un « gain » en années … de maladie. Certaines
statistiques de l’INSERM constatent déjà, pour la France, que
« l’espérance de vie sans maladie chronique » est en diminution.
Je sais que sur votre continent se trouvent ce qui est appelé les
minorités culturelles : indiens, autochtones, indo-américains… et
ces appellations ont souvent une connotation péjorative, ceci,
alors que ces autochtones sont dans l’histoire, ceux qui ont
contribué à façonner la civilisation. Ainsi, Claude LEVI-STRAUSS
a montré que les processus mentaux impliqués dans la
mythologie, les rituels et le symbolisme religieux des peuples les
plus divers de la planète ne diffèrent en rien de ceux tour à fait
remarquables et propres à l’imagination et à la science qui
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interviennent dans l’édification par exemple de l’astronomie
contemporaine.
Il est vrai que notre savoir scientifique se fonde sur l’analyse et
l’expérimentation systématiques mais fondamentalement la
pensée créatrice impliquée est similaire à celle qui est à l’œuvre
dans les mythes et les idées de peuples les plus simples.
Alors, dans ce monde de l’immédiateté des images médiatiques
et commentaires raccourcis pour influencer les opinions
publiques, la philosophie est-elle en panne ou a-t-elle atteint sa
plénitude depuis le milieu du XX è siècle ou a-t-elle encore à
nous dire ?
Certes, Si l’existence est étroitement liée au temps qui passe et à
l’histoire (ce que nous disent par exemple : SARTRE, JASPERS,
BLOCH) c’est-à-dire une certaine continuité des entreprises
humaines.
Ainsi SARTRE indiquait que l’existence est une entreprise.
Cependant, le bonheur réside en même temps dans une certaine
indépendance à l’égard du temps qui passe. Jean Jacques
ROUSSEAU connaît la plus haute jouissance, lorsqu’immobile
dans une barque sur le lac de Bienne, il ne perçoit que le pur fait
d’exister et se comprend indépendant de tous les mouvements
du temps : il éprouve comme une sorte d’intemporalité,
d’éternité ….
Cette société qui favorise les plus riches, qui connaît nombre de
corruptions, de mensonges d’Etat, de détournements d’argent et
d’abus de pouvoirs, est-elle éternelle ?
Des philosophes comme PLATON, SPINOZA, JASPERS,
RICOEUR, nous proposent la conversion de l’esprit comme
préalable à toute recherche du bonheur, de liberté et
d’émancipation humaine.
Le souvenir des temps passés, estimés meilleurs, ne constitue
pas le regret d’une perte, il constitue une tâche. Il est une
anticipation qui se prend pour un souvenir.
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Le temps de l’accomplissement est le présent lui-même.
Selon SCHOPENHAUER, seul le présent existe et ce qui pour
SARTRE caractérise la conscience, c’est la présence à soi qui
est aussi la présence au monde et le présent lui-même.
Le présent est la conscience de la puissance d’exister.
Le tout est de définir le chemin qui mène vers le progrès et le
respect de la dignité de la vie, de toute vie humaine mais
également : animale, végétale, minérale ….
La philosophie peut-elle apporter sa pierre à ce que l’instant soit
créateur comme l’a expliqué le scientifique Gaston BACHELARD
dans son livre « L’intuition du présent ».
Mais l’attente d’un monde meilleur, pour devenir le moment
même de l’histoire comme l’a mentionné Ernst BLOCH dans « Le
principe espérance » s’appuie sur la recherche de la plénitude et
de l’harmonie, aussi bien que des progrès de la culture, que ces
progrès et des révolutions institutionnelles, les messianismes et
les millénarismes, n’étaient que la première formulation encore
mythologique de cet esprit de l’utopie et de cette attente
existentielle et politique.
Mais pour que l’attente puisse être heureuse, féconde,
glorifiante, il faut qu’elle soit à un moment ou à un autre,
comblée par l’existence de l’expérience vécue et la philosophie
doit œuvrer à éclairer les consciences.
Sans cet accomplissement, l’attente devient mystification qui
provoque violence, découragement ou qui suscite des
despotismes.
De ce point de vue, en Europe, bien des peuples désabusés,
découragés par la politique oublient le passé et peuvent s’en
remettre aux idéologies réactionnaires.
L’attente doit être précédée d’un travail de préparation des
consciences. C’est ce que reconnaissent des penseurs
politiques de la liberté comme : MACHIAVEL, SAINT-JUST,
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MARX, JAURES et des philosophes de l’action comme Ernst
BLOCH ou Jean Paul SARTRE.
L’attente peut être passive, résignée ou dévoyée ; elle doit être
l’aboutissement d’un processus dynamique et constructif.
L’enjeu de la philosophie au XXI è siècle n’est plus de prêter
attention aux seules doctrines, mais aux expériences qui les
fondent puis les valident.
Le philosophe doit éclairer l’existence comme le dit JASPERS et
non se substituer à elle par prétention ou suffisance.
La praxis reste l’instance de la relation entre pensée et faire.
Ce sont les personnes qui font l’Histoire mais éclairées par une
conscience guidée par l’humanisme contemporain.
Prenons des dossiers concrets pour réfléchir et appréhender
une vision de l’avenir d’humains, porteurs de sens pour le vécu
des générations futures : ceci, car la philosophie c’est la mise en
œuvre du critère de l’expérience sensible critiquée par la pensée
et validée par la pratique.
Il nous arrive en provenance d’universitaires anglo-saxon ce qui
est appelé la théorie du genre : Ainsi, selon celle-ci, il faudrait
différencier le sexe biologique et l’identité sexuelle, et surtout :
abolir toutes les altérités liées au genre. Or, cette théorie
diversement appréciée n’a aucune validité scientifique et
académique. Par contre, à la supposé nature féminine affirmée
comme nature inférieure à celle masculine par certains courants
de pensée, de tels déterminismes hélas sont issus de
constructions sociales, de représentations incorporées par des
individus dans des stéréotypes dès l’enfance !
Or, les inégalités : ne sont donc pas immuables, fondées par
principe, ni naturelles par constitution psychobiologique
différente entre les femmes et les hommes !
18
Ensuite, à propos d’autres débats sociétaux : Procréation
médicalement assistée, Gestation pour autrui, mariage pour
tous, euthanasie, etc. Leurs partisans = ont des arguments à
entendre, mais souvent : c’est l’idée de progrès humain qui est
valorisé !
Or, ce qu'il y a de curieux, voire d'anormal et même d'irrationnel,
dans l'utilisation de cette idée de progrès, c'est que le terme «
progrès » n'est jamais défini.
Il est accueilli comme une sorte de « dogme », qui suppose
cependant l'acceptation tacite d'une équivalence bien précise :
celle entre progression de l'humanité et extension des «libertés»
de l'individu, conçu comme capable et autonome sans règles
sociales collectives. Dans cette définition « implicite » de
progrès, aucun autre critère ne semble être pris en compte ; sauf
: la possibilité pour un individu de faire ce qu'il veut de ce qui lui
« appartient », y compris de sa vie. Dans ce cadre, il devient
alors compréhensible que la libéralisation de l'avortement, le
mariage pour « tous », la procréation médicalement assistée, la
gestation pour autrui, l'euthanasie, et toutes les autres
possibilités agrandissant la prétendue liberté des individus,
soient identifiés au « progrès » et donc à un bien. Et que le
discours que s'y oppose soit associé à un mal à éviter.
Et pourtant, il y aurait lieu de se demander s'il est bon de penser
que la liberté d'autodétermination d'un individu représente un
bien à poursuivre à tout prix, et s'il est juste d'identifier cela avec
le véritable progrès vers lequel la société devrait se diriger.
D’ailleurs, il y aurait une contradiction entre des domaines : ou
la personne déciderait seule et librement, et d’autres, où les
19
contraintes collectives, les normes sociales imposées lui retirent
tout pouvoir : Ainsi quel pouvoir a un individu pour refuser la
pression fiscale qui lui est imposé, stationner à un emplacement
interdit sans risque de pénalité, quel pouvoir individuel par
exemple en Europe un citoyen dispose-t-il pour refuser une
directive européenne imposée à un Etat ?....
En effet, comme il est vrai que « tout ce qui brille, n'est pas or »,
dans le cas qui nous occupe ici, l'association de progrès et de
liberté d'autodétermination risque aussi de briller sans valoir l'or
qu'elle promet. Le point faible de cette position réside – me
semble-t-il - dans les contradictions qu'elle soulève lorsqu'elle
est confrontée, par exemple, aux vies les plus vulnérables.
Dans Tristes Tropiques : Claude LEVI STRAUSS, rappelait que
l’évolution de la société part du principe de prohibition d’inceste,
que sortir de son groupe social est la condition d’une
perpétuation de l’humanité. Alors, s’agissant des débats
passionnés relatifs à : le mariage pour tous, la gestation pour
autrui, la procréation médicalement assistée = je déplace la
problématique, en ne me prononçant pas contre à priori, par
conception de principe idéologique, mais ceux-ci-ci doivent-être
sérieusement définis et encadrés. La vie sociale : n’est pas celle
uniquement celle d’une juxtaposition de décisions personnelles,
mais de principes communs = repères admis pour tous et toutes.
Que l’on me comprenne bien : Il n’y a pas de ma part aucune
charge par exemple contre la réalité de couples homosexuels.
Cette situation n’est pas une tare, ni un choix, mais un constat
de leur réalité psychobiologique affective. Etres humains, ils ont
les mêmes exigences droits et devoirs.
J’aurais préféré, que la constitution de couples homosexuels se
fasse comme union avec certes, et logiquement les mêmes
droits civiques, sociaux et administratifs. Union : ceci, pour
20
caractériser une différence non d’infériorité, mais de degré avec
les couples hétérosexuels composés des 2 composantes de
l’humanité de sexe : féminin et masculin. Lesquels :
naturellement et directement peuvent engendrer une
descendance.
Non, ma crainte est celle d’ici 30, 50 ans, plus ou moins, est celle
que l’idée de mariage devienne un engagement avec une
signification si libre, si large, qu’elle perde toute signification
d’une certaine solennité et comportement entre époux.
Ainsi, d’autres demandes peuvent surgir, dont on n’imagine pas
la possibilité : comme il y a encore 30 ans, on n’aurait jamais
imaginé possible un mariage entre personnes du même sexe.
D’ailleurs, ce mariage concrétise le réalisme et vécu partagé de
vie commune de personnes de même sexe avant cette
légalisation du mariage en France et dans d’autres pays.
Ce mariage : ne pose pas à priori d’objection éthique pour des
conduites humaines, et les règles de vie familiale.
Précision : dans les années 50, alors enfant dans ma ville de
naissance, j’ai connu une famille de 2 sœurs et un frère qui
vivaient ensemble car ils s’aimaient, et déjà, ils évoquaient l’idée
de l’avenir d’une situation matrimoniale permettant des droits
sociaux, civiques et fiscaux régularisant leur situation, d’où ce
qui suit.
Ainsi, par exemple, ultérieurement dans cette logique sans
tabou, ni normes sociales collectives établies : dans quelques
décennies : on verra apparaître des demandes d’union entre
frères et sœurs, et même, lors du décès de l’un des 2 parents
dans des situations d’amour filial extrême = l’union d’un père
avec sa fille, ou du fils avec sa mère….. Certes, ce que je dis est
21
présentement fantaisiste, peut apparaître farfelu et irrationnel ;
cependant, qui aurait prévu, il y a encore 30 ans en arrière
l’union entre personnes du même sexe ?
L’euthanasie : me semble être l’une des problématiques sur la
question du sens qui nous renvoie à cette notion de progrès.
D’abord, il me semble que la généralisation des soins palliatifs et
dans ce cadre celle de l’accompagnement en fin de vie
permettrait au malade de disposer d’interlocuteurs pour
dialoguer et se confier d’une autre nature que la famille et le
corps médical.
Ensuite, la discipline scientifique médicale représentée par
l’équipe médicale doit répondre à des interpellations pertinentes
:
- Telle ou telle maladie est-elle réellement incurable ?
- Dispose –t-on réellement des moyens d’arrêter la souffrance ?
- Si le patient est en état végétatif, celui-ci peut-il durer ainsi
des mois voire des années ?
- Le patient est-il en situation suffisante de conscience et de
réflexion pour émettre une alternative à sa situation ?
- Comment l’épreuve de la famille est-elle appréhendée du point
de vue de la notion de progrès ?
Après les réponses apportées à ces questionnements, alors, le
malade nous pose le devoir d’entendre son choix s’il est décidé
à quitter sa vie sur cette terre ci et ce, en relation lucide et
débattue avec les membres de l’équipe médicale qui le soigne,
les psychologues de l’hôpital qui l’ont suivi, et sa famille.
22
La liberté individuelle sans règles se substituant à celle
d’intelligence de la nécessité individuelle et collective = est ce
fondé, réfléchi à long terme, ou uniquement des mesures
électoralistes comme fuite en avant ? Encore une fois, je ne
tranche pas le sujet, mais pose des interpellations !
Un Comité consultatif national d’éthique se devrait d’exister non
seulement à l’échelle nationale, mais également au sein de
l’UNESCO et de l’OMS.
N’oublions pas la réalité du complexe d’œdipe = (Théorisé par
Sigmund Freud dans sa première topique, il est défini comme le
désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent du
sexe opposé (inceste) et celui d'éliminer le parent rival du même
sexe (parricide). Ainsi, le fait qu'un garçon tombe amoureux de
sa mère et désire tuer son père répond à l'impératif du complexe
d'Œdipe.)
Alors, dans ce millénaire, ce constat du désir sexuel entre parent
et enfant, frère et sœur, serait validé socialement par la
législation universelle ? Avons-nous oublié, ce principe kantien
selon lequel une action est morale à partir du moment où elle
peut subir avec succès l’épreuve de l’universalisation
En caricaturant à l’extrême ces comportements : c’est l’existence
même de l’humanité, ses fondements, la reproduction
harmonieuse de l’espèce humaine qui sont engagés.
Une réflexion éthique sur ces délicats dossiers s’impose : ceci,
non seulement à l’échelle nationale ou continentale, mais à
l’échelle universelle au sein de l’OMS et de l’UNESCO, avec
23
certes des préconisations universellement adaptables, mais
s’imposant à tous les Etats.
En regardant ses vies, on se rend compte alors que ce qu'on
appelle ... « progrès », en l'identifiant seulement avec un projet
d'autodétermination de l'individu, est aussi ce qui peut conduire
à l'« invisibilité » et à l'exclusion des vies les plus vulnérables !
C'est là, que réside la contradiction la plus patente de la position
qui identifie progrès et projet exclusif de liberté individuelle de la
personne.
Cette contribution n’a pas pour sujet de faire un historique sur
l’histoire de la philosophie. Ce serait trop fastidieux, et chacune,
chacun peut se procurer les écrits de son choix : ce jour, je me
limite à la période contemporaine. Durant la dernière décennie
l’éparpillement des postulats philosophiques s’est poursuivi ce
qui hélas éloigne toujours davantage les citoyennes et les
citoyens d’une discipline toujours plus abstraite et élitiste et qui
apparaît inaudible à leurs attentes et préoccupations.
Lorsque je me suis rendu au Japon en janvier 2009, lors d’un
débat au sein de l’Université du Hosei à Tokyo, je m’étais
intéressé à ce qui était présenté comme la 3e voie philosophique
= celle de l’école de Kyoto inspirée par les philosophes Kitaro
NISHIDA et Tetsuro WATSUJI, lesquels, insistent sur l’être dans
le lieu, ceci, alors que BERGSON et HEIDDEGER insistent sur
l’être dans le temps. Selon ces philosophes, l’éveil à soi débute
là où la conscience de soi atteint ses limites. On pense à soi à
partir des autres, de l’interrelation et non à partir de soi. Cette
école philosophique estime que la pensée occidentale a une
propension à diviser, classer, séparer, ce qui peut- être uni.
A contrario, il existe le courant appelé « Philosophie analytique »
issu des travaux logiques et philosophiques de Bertrand
RUSSEL et Ludwig WITTGENSTEIN. Pourquoi philosophie
analytique ? Par défiance envers les grands mots et les grandes
24
entités où ne résonnent selon ces auteurs sans raisonner : que
des idées vides.
A la question traditionnelle de l’essence = qu’est- ce que c’est ?
Qui est une question métaphysique, le tournant linguistique
substitue la question de l’énoncé : comment cela se dit-il qui est
une question logique. Ainsi, la syntaxe appelée souvent
grammaire par les philosophes analytiques remplace-t-elle la
métaphysique.
Avec la philosophe américaine Patricia CHURCHLANG, la neurophilosophie est une philosophie de l’esprit qui prend appui sur
les découvertes des neurosciences.
Le phénoménisme : est un point de vue selon lequel la
connaissance ou la pensée n’est pas relative aux choses ellesmêmes, mais à la façon dont elles nous apparaissent.
A la différence de l’idéalisme, le phénoménisme ne nie pas
forcément l’existence au sein du monde, seulement, il affirme
qu’il est comme tel inaccessible.
Présentement apparaît la position de l’ultra humain : c’est-à-dire
un dépassement de Teilhard de CHARDIN qui intègre la théorie
de l’évolution de DARWIN dans sa pensée.
La théorie philosophique du post humain s’appuie sur le
dépassement biologique. Selon cette position, la connaissance
des mécanismes cérébraux et biologiques permet d’envisager
une action directe sur des fonctions vitales et cérébrales.
A ce tableau, je peux ajouter la politique de la reconnaissance du
canadien Charles TAYLOR, qui est au cœur de la conception du
communautarisme.
D’après cette théorie, les différences culturelles représentent
une expression essentielle de la dignité humaine. La
reconnaissance des différences culturelles est aux yeux de cette
approche aussi importante que l’égalité des droits économiques
et sociaux.
25
Ensuite : il est les théories de survenance de Richard DWORKIN
et de fonctionnalisme de Hilary PUTMAN et Jerry A. FODOR. Le
premier cité considère l’esprit comme ce qui émerge à partir du
cerveau sans se confondre avec lui. Pour les seconds qui
récusent le dualisme et le monisme, il existe une identité
occasionnelle entre les états mentaux et les états physiques.
Fondée sur la distinction bien connue en informatique entre le
Hardware (le matériel) et le Software(le logiciel) cette conception
pose que la psychologie d’un système ne dépend pas de la
matière qui la constitue, mais de la manière dont il est assemblé.
Cependant, tout ceci est très élitiste, éloigné de la connaissance
des personnes non spécialisées et surtout : ne contribue pas à
favoriser l’appropriation par le plus grand nombre d’une démarche
philosophique utile au genre humain et branché sur les pratiques
sociales confrontées aux enjeux de notre temps.
J’abandonne un moment l’analyse philosophique, et en viens
quelques instants à votre continent : Même si mes circonstances
historiques ne m’ont pas permis d’apprendre le langage usuel de
votre belle langue castillane, j’aime la chanter !
Votre langue est issue du latin populaire parlé autour de la
région cantabrique au nord de la péninsule ibérique et s’est
diffusée en suivant l’extension du Royaume de castille, puis fut
menée en Afrique, aux Caraïbes et en Asie pacifique avec
l’extension de l’empire espagnol entre le XVe et le XIX siècle.
Aujourd’hui, environ 410 millions de personnes ont le castillan
comme langue maternelle, environ 480 millions si l’on compte
les pratiquants secondaires, plus de 500 millions avec les
pratiquants comme langue étrangère. Ceci, la hisse au second
rang mondial en termes de locuteurs derrière le chinois
mandarin.
Votre belle langue est la seconde parlée ici aux Etats-Unis.
26
Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans rendre
hommage à des penseurs de votre continent sud-américain. J’ai
un principe par respect pour la culture du pays d’origine : je suis
toujours prudent, mesuré, lorsque je parle d’auteurs et artistes
d’autres continents. Ceci, de crainte d’altérer ou d’ignorer des
aspects importants de leur vécu ou de leur œuvre. Malgré tout :
le brassage des origines qui caractérise nombre de vos pays, me
fait penser à l’apport du philosophe Français Jacques DERRIDA.
Alors, qu’il est souvent parlé des minorités culturelles,
d’autochtones, et parfois de façon plus péjorative des indiens,
DERRIDA, a toujours tenté de déconstruire les dualités, et les
oppositions ou esprit de suffisance en pensant à la richesse de
la multiplicité. C’est l’inexistant propre de cette multiplicité par
des pouvoirs qui est un inexistant dans ce monde. L’inexistant,
dans ces conditions, n’a pas de caractérisation ontologique,
mais uniquement une caractérisation existentielle déterminée.
L’apport de DERRIDA, est un vibrant appel s’inscrivant dans les
orientations de l’UNESCO d’inscrire l’inexistant au-delà des
impositions discursives, c’est-à-dire au-delà des catégories de la
pensée dominante.
Ensuite : parler de vos auteurs : je ne peux m’empêcher de citer
Octavio PAZ, l’un des grands poètes du XX e siècle !
Combattant anti fasciste, le créateur d’une cosmogonie
personnelle et originale. Toujours en avance sur le changement,
sa poésie spatiale et ses expressions visuelles nous enchantent
et il reçut le prix Nobel de littérature en 1990, et celui Alexis de
TOCQUEVILLE par le Président français François MITTERRAND
en 1989.
J’ai eu lu José Emilio PACHECO qui reçut le prix CERVANTES, et
qui a été l’un des nombreux cinéphiles formé à l’Institut français
d’Amérique latine à Mexico.
Bien entendu : comment ne pas citer ce génie argentin Jorge
Luis BORGES dont les lettres françaises dans les années 50
rendirent hommage à ce talent unique. Bien que quasiment
aveugle durant une longue période, sa conférence au Collège de
27
France le 12 janvier 1983, quelques années avant sa disparition
reste un moment inoubliable dans l’histoire de la vénérable
Institution.
Comment ignorer l’histoire du tango chanté par Carlos GARDEL,
lui-même fils d’une immigrante toulousaine. Ce tango :
qu’Enrique DISCEPOLO définit comme une pensée triste qui se
danse. Le tango, illustre bien la richesse des apports constitutifs
de votre culture ; lié à l’immigration notamment de la période
(1860-80), il est l’héritage de la diversité du métissage : les
plaintes obsédantes du Flamenco, les rythmes du candomblé
(dansé par les esclaves noirs), le Habanero d’origine cubaine, et
les Cadenas langoureuses de la Milonga (venue de la pampa
argentine).
D’abord interprété par la flûte, le violon, la guitare… il le fut
ensuite par le piano et le bandonéon.
Cette année, vient de disparaître Gabriel GARCIA MARQUEZ,
surnommé affectueusement GABO dans tout l’Amérique latine,
prix Nobel de littérature en 1982, l’un des plus grands écrivains
du XX siècle, dont l’œuvre traduite au plan mondial s’est traduite
en plus de 50 millions d’exemplaires. Son œuvre : »100 ans de
solitude » est un succès planétaire qui fut publiée par un éditeur
français » Les Editions du Seuil « C’est à la fois une épopée
familiale, un roman politique, et un récit fabuleux. Selon Pablo
NERUDA autre génie de la littérature, ce fut le plus grand roman
écrit en langue castillane depuis Don Quichotte de CERVANTES.
Tout l’Amérique s’est reconnue dans cette saga de la famille
BUENDIA héroïque et baroque. Gabriel GARCIA-MARQUEZ :
c’est une œuvre sans une seconde d’enlisement, sans une
distraction, un langage puissant, à la fois exubérant et
parfaitement maîtrisé.
A propos de Pablo NERUDA : penseur chilien, poète moderne,
écrivain homme politique, prix Nobel de littérature en 1971,
lauréat de prix internationaux de la paix dont les circonstances
28
de sa mort lors de la dictature du Général PINOCHET (suspecté
de l’avoir fait empoisonné) restent un sujet de doute et le dossier
judiciaire n’est pas clos. Lors de son décès l’émotion fut
immense de par le monde.
Cependant, je pourrais citer bien des personnes présentes à ce
congrès pour rendre compte de l’extraordinaire vitalité poétique
de votre continent dont certaines m’honorent de leur amitié.
Comme cette contribution est axée sur la philosophie, je ne peux
m’empêcher de citer Francisco GARCIA –CALDERON, lequel,
lors du congrès mondial de philosophie en 1908, s’appropria les
philosophes européens : la scolastique importée, les idées de
liberté et de contrat social, l’âge positif d’Auguste COMTE et de
SPENCER, déterminé par les valeurs de la science.
Puis, il y a cette recherche d’identification de la philosophie en
relation avec les racines, le terreau national. Ainsi : les travaux
de José INGENIEROS concernant la relation entre philosophie et
nationalité et sa conception de la philosophie comme une
promesse. Puis, les recherches de Léopold ZEA, Ortega Y
GRASSET, Andrea BELO, qui étudieront les drames de l’Europe
dans ses dérives du racisme, du fascisme, et de ses formes de
totalitarisme.
Ensuite, il y a des recherches contemporaines visant à faire de la
philosophie avec son lieu de production l’Amérique latine un jeu
complexe d’identification, à un peuple, une langue, à des destins
nationaux et régionaux.
Le philosophe du Venezuela Briceno GUERRERO s’intéressa au
philosophe français Michel FOUCAULT, et à sa critique des
pouvoirs. Il détermina la philosophie comme ENERGEIA :façon
occidentale de faire la philosophie, comme DYNAMIS,
disposition naturelle donnée à la Cosmonie, comme ERGON,
réduite au fruit de sa propre production.
29
Le philosophe Angel CAPELLETTI, lors du congrès international
de philosophie en 1977 à Caracas, s’est intéressé à la
compréhension intuitive de la source des présupposés, et à
l’esthétique de l’existence. Selon lui : l’idée de morale obéissant
à un code de règles est en train de disparaître. La philosophie
vivante, ce serait par la prise de conscience de sa responsabilité
à l’égard de la condition humaine et par l’action partagée d’une
communauté philosophique vraiment communicante. Ce serait
une tâche vraiment actuelle pour la philosophie au IIIe millénaire
engagé.
L’Europe et la France, relativement à la philosophie, ont encore
une approche ethnocentriste s’intéressant surtout aux penseurs
européens. Cependant, comment ne pas s’intéresser au
philosophe colombien Guillermo HOYOS VASQUEZ, et à ses
recherches sur la phénoménologie et sur l’ontologie.
Je peux encore citer et j’oublie forcément de talentueux
chercheurs le philosophe argentin Mario BUNGE, qui analyse
avec son approche scientifique les parties séparées au même
titre que la prise en compte du tout dans sa globalité.
Je poursuis ma conversation avec vous sur le ton de la
confidence et des interrogations et suggestions, je suis comme
vous, je ne dispose que de mon esprit et mon cœur.
Dans notre société, il est ce constat de la séparation toujours
plus réelle entre l’un et le tous. Le souci écologique avec la
pollution ressentie dans les grandes agglomérations, le
réchauffement climatique constaté, rend plus sensible aux
alertes sur la disparition progressive de la banquise, la
déforestation de l’Amazonie, la pollution des mers, la disparition
d’espèces animales et végétales, ceci, même s’il reste bien à
faire.
De même, à l’échelle proche, il est remarqué d’une façon plus
humaine : la préoccupation des malvoyants, le respect égalitaire
30
à l’égard des homosexuels, le respect de la diversité malgré ses
drames encore de ci de là,. Cependant, à l’échelle collective, il y
a ce paradoxe. Dans le même temps, les injustices strictement
sociales en terme de revenus, de statut, de soins médicaux, ont
littéralement régressé depuis 2 décennies et cela dans une
indifférence quasi générale.
En Europe, comme en Amérique du Nord, le constat est
alarmant : qu’en est-il selon vous dans d’autres régions du
monde, à commencer dans votre continent ?
La pauvreté est considérée comme une atteinte aux droits
humains selon l’UNESCO ; cependant, en dépit des lamentos
pathétiques elle n’émeut pas au point de réagir vis à vis des
gouvernements et des Institutions internationales ;
Hors, y compris parmi les économistes du FMI, de l’OCDE, ou
autres, ou d’experts comme les américains Andrew BERG et
Paul KRUGMAN, le même diagnostic est fait.
Les inégalités aggravées pénalisent la croissance. Les politiques
redistributives ne seraient pas un cadeau social, mais une
preuve d’intelligence économique.
Les raisonnements d’hier qui prétendaient que l’équité avait un
coût sont devenus absurdes. Au contraire, ce qui a un coût en
terme de dynamique sociale et économique, c’est : l’austérité
budgétaire, les sacrifices imposés aux classes populaires, aux
classes moyennes de plus en plus partout. Si l’on veut relancer
l’harmonie sur la planète, il faut réduire les inégalités. Pour
redonner des opportunités à toutes et à tous et respecter les 2
composantes de l’humanité qui sont de sexe et féminin, et
masculin.
Alors certes : les réseaux sociaux sont un moyen incroyable de
rapidité et de contact de masse, simplement, sur le plan qualitatif
des consciences, sans éducation à la philosophie sociale, on
peut : comme cela a été le cas pour les révolutions arabes, se
mobiliser par dizaine de milliers lors de manifestations, et
31
cependant voter « Frères Musulman et Ennhada lors des
consultations électorales. Puis, se trouver avec un pouvoir qui
ne correspond pas à la mobilisation sociale et qui exige de
nouvelles mobilisations. Il en a été ainsi en Egypte et en Tunisie
avec les évolutions politiques que l’on connaît depuis.
Dans un contexte tout autre, le Venezuela a vécu ces derniers
mois des situations difficiles et des violences de la part d’un
gouvernement cependant présenté comme celui représentant les
aspirations populaires.
L’agir de ce début de millénaire passe par des réseaux d’inter
relation mais disposant d’une large autonomie de connaissances
et de jugement, et alors, ce que disait le grand poète indien
Rabindranath TAGORE, que je cite en l’honneur de Monsieur
Arun GANDHI, prendra tout son sens et sa portée : Il déclarait : »
L’homme passe à côté de lui-même lorsqu’il est isolé, il trouve
en soi le plus grand et le plus authentique dans un large éventail
de rapports humains. »
Alors, pour cela, avec d’autres disciplines, la philosophie a de
l’avenir si elle devient un élément du savoir au service des
peuples.
Ainsi, de l’historique à l’actuel : quels sont les moyens d’espérer
mais avec des risques ?
Le siècle écoulé aura eu tendance à oublier cette leçon : une
pensée n’existe vraiment que si elle est comprise. Dépouillée petit à
petit par la science des secteurs du savoir qui faisaient d’elle
depuis les Grecs la connaissance par excellence, la philosophie a
souvent eu pour réaction de se réfugier dans les ténèbres de ses
abstractions. Elle cultiva avec un soin tout particulier la manie du
négatif ; l’impossible sous toutes ses formes (l’incompréhensible,
l’incommunicable, l’intraduisible …..) devint son maitre mot, le fin
fond de sa pensée.
Comme l’a indiqué le philosophe français Christian GODIN :
« l’univers de la philosophie, dont le big-bang eut lieu presque en
32
même temps en Grèce, en Inde et en Chine, il y a vingt-cinq siècles,
est loin de constituer une unité homogène. S’il partage avec
l’univers physique cette caractéristique d’être en expansion, il se
disperse rapidement en lieux qui n’ont pratiquement pas de
relations d’échange entre eux. Les hommes, les doctrines font bien
davantage que différer : ils se contredisent. Qui dira jamais la vérité
sur l’art, le sentiment, le gouvernement des hommes ou la croyance
religieuse ? Des questions que l’homme ne peut pas s’empêcher de
poser tout en étant dans l’incapacité de les résoudre de manière
définitive – voilà l’espace symbolique dans lequel se déploie le
monde de la philosophie ».
La diversité de la philosophie n’est pas sans faire songer au monde
de l’art.
La philosophie éclate en une multitude d’écoles et de courants
divers, voire contradictoires. Chaque philosophie est un point de
vue. Alors qu’une statue n’a qu’une seule masse, il y a mille
manières de la regarder : tandis que la science la mesure, la
philosophie la regarde. La mesure dépend de l’instrument, le regard
dépend du point de vue.
Christian GODIN, dans son ouvrage « La philosophie pour les
nuls » Editions First, Paris 2007 propose ce tableau synthétique
précis et les propos suivants :
« LES CINQ SPHERES DE LA PHILOSOPHIE
Vue de l’extérieur, la philosophie apparait comme une espèce de
monde unifié. Et les philosophes eux-mêmes colportent volontiers
cette légende lorsqu’ils se sentent en danger : rien de tel qu’une
menace, réelle ou supposée, pour resserrer les rangs. En réalité, la
philosophie est dispersée en cinq lieux principaux qui ont ménagé
peu de passages les uns avec les autres :
- Les classes de terminales de lycée : pour l’immense majorité
des gens, c’est la seule occasion de contact avec la
philosophie.
- L’université : la philosophie s’y transmet en vase clos et
hermétique, la plupart des professeurs se prennent encore
33
pour les grands prêtres d’un culte qui réunit de moins de
fidèles.
- Les médias : ils sont fréquentés par ceux que le grand public
appelle « philosophes », car pour eux, la philosophie est
d’abord incarnée par ces personnages publics.
- L’espace public des cafés philo et des salles de conférence :
la philosophie s’y pratique de manière libre et quelque peu
sauvage.
- Le bureau de quelques dizaines de philosophes : ceux-ci
exercent une activité de recherche et d’écriture et, dans le
meilleur des cas, parviennent à publier des ouvrages qui ne
seront lus que par quelques centaines de lecteurs. »
Cependant des exigences naissent dans notre monde, message
à la fois confus mais porteur d’avenir.
La mondialisation n’est pas seulement une affaire de banquier. Il
ne faudrait tout de même pas oublier qu’elle a commencé avec la
philosophie, il y a longtemps, dans la Grèce ancienne. Ce qui est
nouveau aujourd’hui, c’est la dispersion géographique et
culturelle des philosophes : de même qu’un athlète des
Philippines ou du Zimbabwe peut aujourd’hui gagner une
médaille d’or à une épreuve des Jeux Olympiques (encore
naguère dominés par une petite poignée de pays), des
philosophes travaillent actuellement un peu partout dans le
monde. On ne les connait pas encore car, le plus souvent, on ne
les traduit pas, mais toujours est-il qu’ils existent.
Internet, à la fois vecteur et signe d’une mondialisation qui ne
fait que naître, donne à la philosophie une existence publique
qu’elle n’avait jamais eue auparavant. Des milliers de bloggers
anonymes lancent des idées dans cet océan de signes, se
réunissent en forums de discussion, échangent leurs arguments.
Jamais dans toute l’histoire passée on aura autant de
philosophes qu’aujourd’hui.
Si l’histoire de la discipline nous enseigne quelque chose, c’est
que cette pratique que l’on appelle philosophie depuis Pythagore
34
a été exercée de manière si diverse, su contradictoire (on peut
faire de la philosophie en prophète, en savant, en poète, en
écrivain, en professeur, en amateur, en rêveur, en provocateur,
en politique …) qu’aucune modalité ne peut à priori être décrétée
impossible. C’est probablement en cela que la philosophie se
différencie nettement des sciences et des techniques.
Le dépérissement progressif du statut de philosophe officiel se
fera, ceci, à la condition de respecter les règles
épistémologiques et la rigueur exigeante de la discipline
philosophique et ses énoncés critiqués par la pensée et validés
par les pratiques sociales ainsi instruites.
Pour faciliter cette évolution, l’enseignement progressif de la
philosophie dans le système scolaire dès la classe de 6e, et pour
toutes les disciplines lors du statut d’étudiant contribuerait à
cette évolution sociétale. Celle-ci dépend de la volonté des
peuples et de l’intervention lucide des gouvernements pour le
bien commun de l’humanité et ce, avant les intérêts étatiques
égoïstes et les ambitions personnelles.
Ce pendant et effectivement j’entends bien l’objection : ne
pensons pas, que ce que je préconise se réalisera sans
difficultés ou conditions et encore moins rapidement. Les
principales ambitions pour la philosophie décrites par Emmanuel
KANT, restent d’une profonde actualité : »Que pouvons-nous
savoir ? Que devons-nous faire ? Que nous-est-il- permis
d’espérer ? Toutes questions qui l’amèneront à s’interroger sur
celle fondamentale : « Qu’est-ce que l’homme » et qui reste à
approfondir aujourd’hui.
Cependant, comme l’indique le philosophe français Lucien
SEVE, dans un ouvrage à paraître en septembre 2014 » penser
avec MARX aujourd’hui » « Entre DESCARTES, HOBBES,
SPINOZA, LEIBNIZ, la démonstration commune est évidente
(ajout de Guy CREQUIE : c’était un développement
35
philosophique en spirale). Mais, entre NIETZSCHE, BERGSON,
WITTENGENSTEIN, LUKAS, il est devenu introuvable, où est-elle
encore la philosophie ? (Mention de Guy CREQUIE : c’est un
surcroit de sens qui se disperse dans nombre de directions et de
domaines d’investigation qui débordent l’ontologie et les
exigences épistémologiques.
Lucien SEVE poursuit : » le nouveau : ce n’est pas la profondeur
des divisions, Il est qu’au-delà des divisions règle la dispersion.
On a de la difficulté à débattre quand on ne s’entend même plus
sur la matière des litiges. »
Or, si la philosophie est partout dans les cafés- philo, dans les
lycées, sur internet chez soi, etc… ce n’est pas parce qu’on
pense philosopher, que l’on est véritablement philosophe.
Encore faut-il pour cela constituer une œuvre novatrice. Ceci,
sous-entend d’inventer des concepts susceptibles de donner un
sens nouveau aux choses.
C’est ainsi, qu’on appelle un peu vite « philosophes » des
essayistes certes souvent très médiatisés, prolixes, mais qui ne
font souvent que transmettre à leur sauce des idées
précédemment émises avant eux, ou en dehors d’eux.
Alors, pour les simples citoyens, la philosophie ne devient
qu’une collection d’expressions sans profondeur, d’œuvres
d’individualités profitant du tapage médiatique, mais ne pouvant
masquer qu’elle ne pouvait plus faire « somme ».
La philo, et non plus la philosophie, tend parfois à se substituer
laïquement à la religion défaillante. Lucien SEVE, dans l’ouvrage
cité à paraître : « rappelle que transcendantal est une catégorie
expressément créer par KA NT, pour dire ce qui revient au sujet
à priori.
Mais ce travail de critique philosophique, exige une rigoureuse
culture catégorielle et la distinction qualitative entre concept
scientifique et catégorie philosophique ».
Le travail philosophique consiste donc d’un même mouvement à
critiquer tout le réel et à en altérer toutes les catégories.
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Précédemment, j’ai parlé que l’enjeu et la formation d’une vraie
capacité critique chez le citoyen futur par l’enseignement
progressif de la philosophie dès la classe de 6ème. Cependant, la
question primordiale n’est pas l’âge mais le sens de ce qui est
enseigné.
Il n’y a plus de courant dominant pour la philosophie qui n’a plus
à s’enfermer dans tel ou tel « isthme ». La philosophie est aussi
libre à nouveau de pouvoir s’étonner du réel, sans avoir à
s’inscrire dans des réponses déjà trouvées au service d’une
vraie ambition intellectuelle.
Cependant, il reste à la philosophie, des règles à respecter, des
exigences à respecter, des impératifs à respecter.
Lucien SEVE, le dernier grand philosophe du matérialisme
philosophique l’exprime dans son livre à paraître à l’automne
2014 « Penser avec MARX aujourd’hui » - tome 3 – la
philosophie- pages de conclusion de l’ouvrage, éditions La
Dispute, Paris. « Si la philosophie comme imaginaire savoir du
monde – transcientifique est caduc, le travail philosophique
comme élucidation rigoureuse du sens de tout savoir est de
permanente nécessité. La philosophie a été un champ de bataille
continu commun de progrès capitaux de la pensée
philosophique : le cogito cartésien, ou le Je transcendantal
kantien en passant par l’entendement humain, puis à l ’idée
hégélienne de la conscience critique et auparavant, de l’ éthique
spinozienne et du devoir kantien.
Dans les années 60, le travail philosophique qui émergeait était
alors en France celui d’individualités marquantes : LEVINAS,
RICOEUR, ALTHUSSER, DELEUZE, FOUCAULT… »
Dans sa conclusion, Lucien SEVE fixe l’ambition philosophique
de son travail en précisant, en s’appuyant sur MARX, que
chercher à dégager l’essence de ce qui est, ce n’est pas l’inscrire
dans l’intemporalité de l’idée, mais à déceler son procès
producteur, donc aussi sa relativité historique. Il rappelle
l’essence critique depuis KANT, qu’il faut mettre à jour les
conditions de possibilité du savoir vrai, et de l’agir bien.
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Si la philosophie, comme imaginaire savoir du monde,
transcientifique est caduc, le travail philosophique comme
élucidation rigoureuse du sens de tout savoir est de permanente
nécessité.
La présentation de la démarche philosophique est celle de la
concevoir en connexion continue avec l’enseignement de
chaque matière, et de rendre les élèves attentifs et réfléchis aux
catégories de pensée qu’elle mobilise. Exemples : médiation des
signes dans la langue, intuition et déduction en mathématiques,
causalité et finalité dans les sciences de la vie, de la terre,
logiques temporelles en histoire …
Il s’agit en bref d’une instauration effective de la philosophie,
comme dimension de toute culture, condition de tout savoir,
compagnon de toute pratique.
N’oublions pas, du quantitatif ne surgit pas fatalement le
qualitatif utile à la conscience évoluée des peuples.
De ce point de vue, le chantier reste intact, et à ce jour, il n’est
pas assuré d’être approprié bénéfiquement par les personnes.
Le risque de perte du sens épistémologique et de la rigueur de
l’approche philosophique est réel : tant sa dispersion en une
multitude de regards par une vulgarisation trop superficielle, en
altère la recherche profonde de l’exigence.
Alors, dans cette perspective, des travaux de chercheurs
universitaires faisant état de nouveaux concepts irriguant la
pensée humaniste et le mouvement des connaissances, peuvent
servir d’accélérateur à la fonction populaire de la philosophie
comme le souhaitaient DIDEROT, GRAMSCI.
Je pense, par exemple : aux travaux du dépassement par la
créativité du professeur GALTUNG, à la démarche ABC
introduite par le sociologue et philosophe Léo SEMASHKO avec
sa pléiade de chercheurs, aux propositions pour la paix
élaborées depuis plus de 30 ans par Monsieur Daisaku IKEDA,
aux travaux du dernier grand philosophe marxiste Lucien
SEVE… Toutes initiatives qui s’appuient sur la pensée
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universelle de penseurs connus, et qui amplifient le chemin de la
connaissance, par la mise en chantier de concepts réfléchis,
innovants,
susceptibles
d’offrir
des
perspectives
de
transformation pacifique du cœurs et des corps comme possible
futur des nouvelles générations.
Le résultat de l’élection européenne le 25 mai 2014 a démontré
une nouvelle fois, que lorsque les peuples ne disposent pas
d’une conception philosophique suffisamment ancrée du sens
de l’existence, ils peuvent donner écho aux théories xénophobes
et antisémites lorsque leurs conditions sociales d’existence sont
angoissantes et quand l’incapacité des élus politiques à offrir
une perspective est évidente.
Pour conclure mon intervention : de ce foisonnement
philosophique favorisé par l’éducation, les pratiques instruites,
et développées par les affres de la mondialisation ( dont l’essor
des sciences et techniques) peut surgir, comme l’indique
Christian GODIN dans l’ouvrage cité précédemment : « ce dont
nous ne disposons plus depuis la mort de MARX, je veux parler
d’une théorie de la justice qui soit réellement universelle, une
théorie du respect de la complémentarité des sexes, une théorie
des réalités de l’exploitation d’êtres par d’autres êtres …. Bref, il
nous manque, présentement, une théorie du soupçon dans notre
monde, et c’est pourquoi il ne va pas si bien notre monde
actuel. »
Notre monde fait la part belle à la communication des idéologies
de légitimation, il lui faut assurer la transmission d’une pensée
revitalisée et éclairée.
Sortir de nos mondes d’évidence, pour parvenir au monde
partagé, voici l’un des impératifs de notre temps pour une
planète de paix et d’harmonie avec une vision anticipatrice de
l’évolution du monde.
Exemple : si l’Afrique est considérée comme le berceau de
l’humanité, à l’horizon 2100, avec 4 milliards 200 millions
d’habitants contre 800 millions en 2000 (soit 5 fois plus et
représentant 1/3 de la planète du globe) elle dépassera le poids
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démographique de la Chine, des Amériques et elle détient de
nombreuses richesses minérales, hydrauliques, des forêts
considérables ….
De nouveaux rapports internationaux seront à envisager, et
alors, il faudra une solide conscience philosophique pour faire
des changements non pas des peurs ou des tares, mais des
richesses inévitables et fécondes.
Enfin, comme nous sommes en Amérique, la pensée
philosophique ne peut ignorer les travaux de John RAWLS (et sa
théorie de la justice) ou ceux de Michael WALZER (les sphères
de la justice), et de bien d’autres : de Richard RORTY à Robert
WOZICK, de Daniel DENNETT à Thomas KUHN et j’ai cité
précédemment Patricia CHURCHLAND.
Merci pour votre patience et votre attention à avoir écouté ma
contribution qui fut également difficile pour moi à réfléchir et à
rédiger.
Hommage à Monsieur Arun GANDHI,
Vive le Congrès CUPHI III. Merci à ses organisateurs. Vive le
continent sud-américain, ses poètes, artistes, penseurs, et ses
peuples,
Vive l’amitié et la solidarité entre les peuples.
L’avenir, notre avenir, ne dépend pas de la seule bonne volonté
des gouvernements, mais de vous : qui en êtes la richesse de ce
monde, dans ce monde, pour un futur de paix et d’harmonie.
Copyright Guy CREQUIE
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