Pour simuler la dynamique des populations d’anchois dans l’écosystème du Benguela, les chercheurs ont mis au point, en collaboration avec l’unité de recherche de l’IRD “Géométrie des espaces organisés, dynamiques environnementales et simulations” (GEODES), un modèle biologique dit “individus centré”1. Celui-ci permet par exemple de simuler les déplacements, dans l’espace et le temps sous l’effet de facteurs écologiques et environnementaux, des œufs et larves d’anchois dans un environnement physique virtuel, établi à partir du modèle hydrodynamique. La simulation utilise des données (distribution des œufs, larves et juvéniles) collectés en mer depuis 20 ans et des informations biologiques (vitesse de croissance par exemple). Les premières expériences de simulation soulignent la complexité du trajet des oeufs et larves dans l’écosystème du Benguela, depuis les lieux de ponte jusqu’à la zone d’upwelling où une partie d’entre eux est dispersée vers le large. ● 1. Ce type de modèle – Individual based models, IBM – permet de simuler dans l’espace et le temps le comportement d’individus au sein d’une population et dans un milieu donné en intégrant des données écologiques, physiques et biologiques. Simulation de type « individus centré » du trajet suivi par 25000 particules (larves et œufs) au 15 janvier, au 1er mars et au 15 mai, depuis les régions de ponte (banc des Aiguilles) jusqu’à une zone d’upwelling. Seules les larves arrivant sur le plateau continental (zone sombre) ont une chance survie. Contact Claude Roy, [email protected] ; Christian Mullon, [email protected] Poissons au gré des courants Parfois, sardines et anchois se raréfient dans le courant du Benguela aux eaux pourtant fertiles. Afin de comprendre ces fluctuations, des chercheurs sud-africains et français analysent les interactions entre cet écosystème d’upwelling et la dynamique des populations de poissons pélagiques. À l’aide de modèles, ils explorent la complexité des phénomènes physiques et biologiques en jeu. Entretien avec le Dr. Car van der Lingen du Marine & Coastal Management et Pierre Fréon, directeur de l’unité de recherche de l’IRD, IDYLE. Quels sont les objectifs de vos recherches ? Comme dans tout écosystème d'upwelling, l’abondance des espèces commercialement exploitées – sardines et anchois – fluctue beaucoup dans le courant du Benguela. Mieux connaître le rôle et la dynamique des populations de ces poissons pélagiques dans un tel environnement est indispensable pour identifier les facteurs de leurs importantes variations ; ces connaissances sont importantes pour élaborer une politique de gestion des pêches. Ces fluctuations se manifestent généralement par une forte variabilité de la période d’arrivée et de la quantité des jeunes poissons dans la pêcherie. Nous avons donc mis l’accent sur l’étude des premiers stades de vie, en particulier sur le devenir des œufs et larves. Pourquoi avoir privilégié la modélisation ? Les données récoltées en mer sont limitées dans le temps et l’espace. Nos moyens logistiques actuels ne permettent pas en effet d'échantillonner l’océan de façon continue, à petite échelle spatiale et en trois dimensions. Il est alors difficile de saisir la complexité des processus propres aux systèmes d'upwelling. La puissance des ordinateurs permet aujourd’hui de développer des modèles numériques de la circulation marine et des modèles biologiques possédant une résolution relativement haute (intervalle de temps de 2 heures à 2 jours, maille horizontale de 9 km près de la côte, résolution verticale de quelques mètres). Les modèles constituent de puissants outils pour appréhender la complexité des écosystèmes à ces échelles et d’en comprendre les mécanismes à l’aide, par exemple, des outils de visualisation en trois dimensions. Quels sont aujourd’hui vos principaux acquis ? Nous avons mis au point des prototypes de modèles hydrodynamiques et “individus centrés” en trois dimensions. Leur première phase d’utilisa- Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 9 - mars/avril 2001 tion nous a donné des indications sur les périodes et lieux de ponte les plus favorables à la survie de jeunes poissons et qui contribuent donc à des bonnes pêches l’année suivante. Grâce aux modèles écosystémiques, nous comprenons également mieux le rôle clé des poissons pélagiques dans la chaîne alimentaire des écosystèmes d’upwelling. Il apparaît ainsi que ces poissons peuvent, dans certains cas, contrôler à la fois les niveaux trophiques inférieurs – le plancton – du fait de l’importance relative des quantités ingérées, et les niveaux supérieurs - les prédateurs – dont ils constituent la proie principale. Nous avons rassemblé de longues séries de données biologiques, écologiques, relatives aux pêches ou obtenues par télédétection dans un système d’information géographique pilote permettant une visualisation rapide ainsi que des analyses spatiales. L’analyse de ces données anciennes ou plus récentes a permis de caractériser l’écosystème et la pêcherie. Il apparaît ainsi, d'une part, que le poids moyen des bancs reflète la biomasse de l’espèce et, d’autre part, que la composition moyenne en espèces des bancs est représentative de celle observée dans l’écosystème. Autre acquis important : grâce aux images satellitales, nous avons pu préciser et quantifier la forte dynamique spatio-temporelle de l’upwelling. Enfin, nous avons encadré les travaux de maîtrise, DEA ou doctorat d’une vingtaine d’étudiants sud-africains et français. © dr © dr Des anchois modèles d ’ u p w e l l i n g Fronts, courants et tourbillons L es upwellings se forment dans la région du Benguela (côtes ouest de l’Afrique du Sud et de la Namibie) lors des épisodes de vents de sudest, particulièrement forts au printemps et à l’automne. Les courants alors générés au-dessus du plateau continental ont un impact important sur les ressources biologiques, notamment en transportant et dispersant une grande partie des œufs et larves de sardines et d’anchois vers le large où ils ne peuvent survivre. Pour étudier les principaux processus physiques impliqués dans le transport des œufs et des larves dans cette zone d’upwelling, les chercheurs ont élaboré des modèles hydrodynamiques en deux puis en trois dimensions. A partir d’informations sur les vents et les flux de chaleur en surface et d'indications sur la structure des courants à grande échelle, un modèle hydrodynamique en 3 dimensions permet de simuler la circulation des masses d’eau dans le domaine côtier et donne une représentation réaliste des fronts et des tourbillons ainsi que des courants en profondeur. Le modèle bâti dans le Benguela utilise un code numérique novateur largement adopté par la communauté scientifique. Il donne une représentation assez réaliste de la circulation des masses d’eau dans l’ensemble de l’écosystème côtier, depuis la frontière Afrique du Sud-Namibie jusqu’à Port Elizabeth, et permet une simulation fine de certains détails (fronts, tourbillons,...) particulièrement importants pour la biologie. L’analyse d’un ensemble de simulations a permis en particulier de mieux comprendre les interactions entre les courants et certains éléments topographiques comme la pente du plateau continental ou la présence d’un cap et d'une baie. Par des simulations de l’évolution spatiale et temporelle de traceurs des masses d’eaux, il est possible de suivre et de quantifier les échanges de masses d’eau entre différentes régions représen● tées dans le modèle. Quels seront vos prochains axes de recherche ? En complément des traditionnels indicateurs permettant de décrire l’état des ressources, nous développerons d’autres indicateurs quantitatifs destinés à évaluer l’état d’ensemble de l'écosystème ainsi que sa dynamique. De plus, les modèles hydrodynamiques et “individu-centrés” en trois dimensions seront rendus aussi génériques que possible (c’est-à-dire transposables) pour pouvoir être facilement applicables à d’autres écosystèmes d’upwelling. ● © IRD/UCT/M&CM 6 Les upwellings sont suscités par des vents qui induisent des remontées d’eaux profondes, froides et chargées en sels minéraux. Ils sont à l’origine d’une production biologique forte mais soumise à d’importantes fluctuations. Le courant du Benguela, le long de la côte sud-ouest de l’Afrique du Sud, est l’une des principales zones d’upwelling dans le monde. Les pêches y sont très importantes en terme d’emplois, d’apport en protéines et représentent chaque année un chiffre d’affaires de plus de 300 millions de $. Depuis 1996, des chercheurs de l’IRD, de l’université du Cap et du Marine and Coastal Management conduisent des recherches pluridisciplinaires sur cet écosystème, tout d’abord avec le programme VIBES (Viabilité des ressources pélagiques exploitées dans l’écosystème du Benguela), puis dans le cadre de la nouvelle unité de recherche R097 “Interaction et dynamiques spatiales des ressources renouvelables dans les écosystèmes d’upwelling” (IDYLE). ● E c o s y s t è m e © dr Recherches Des upwellings instables Contact Pierre Fréon, [email protected], [email protected]