Des upwellings
instables
Les upwellings sont suscités par des
vents qui induisent des remontées
d’eaux profondes, froides et chargées
en sels minéraux. Ils sont à l’origine
d’une production biologique forte mais
soumise à d’importantes fluctuations.
Le courant du Benguela, le long de la
côte sud-ouest de l’Afrique du Sud, est
l’une des principales zones d’upwelling
dans le monde. Les pêches y sont très
importantes en terme d’emplois, d’ap-
port en protéines et représentent
chaque année un chiffre d’affaires de
plus de 300 millions de $. Depuis 1996,
des chercheurs de l’IRD, de l’université
du Cap et du Marine and Coastal
Management conduisent des recher-
ches pluridisciplinaires sur cet écosys-
tème, tout d’abord avec le programme
VIBES (Viabilité des ressources péla-
giques exploitées dans l’écosystème du
Benguela), puis dans le cadre de la
nouvelle unité de recherche R097
“Interaction et dynamiques spatiales
des ressources renouvelables dans les
écosystèmes d’upwelling”(IDYLE). ●
Des anchois
modèles
Pour simuler la dynamique des popula-
tions d’anchois dans l’écosystème du
Benguela, les chercheurs ont mis au
point, en collaboration avec l’unité de
recherche de l’IRD “Géométrie des
espaces organisés, dynamiques environ-
nementales et simulations”(GEODES), un
modèle biologique dit “individus cen-
tré”1. Celui-ci permet par exemple de
simuler les déplacements, dans l’espace
et le temps sous l’effet de facteurs éco-
logiques et environnementaux, des
œufs et larves d’anchois dans un envi-
ronnement physique virtuel, établi à
partir du modèle hydrodynamique. La
simulation utilise des données (distri-
bution des œufs, larves et juvéniles)
collectés en mer depuis 20 ans et des
informations biologiques (vitesse de
croissance par exemple). Les premières
expériences de simulation soulignent la
complexité du trajet des oeufs et larves
dans l’écosystème du Benguela, depuis
les lieux de ponte jusqu’à la zone
d’upwelling où
une partie d’en-
tre eux est dis-
persée vers le
large. ●
1. Ce type de
modèle – Individual
based models, IBM –
permet de simuler
dans l’espace et le
temps le comporte-
ment d’individus au
sein d’une popula-
tion et dans un
milieu donné en
intégrant des don-
nées écologiques,
physiques et biolo-
giques.
Contact
Christian Mullon,
Quels sont les objectifs
de vos recherches ?
Comme dans tout écosystème d'up-
welling, l’abondance des espèces
commercialement exploitées – sar-
dines et anchois – fluctue beaucoup
dans le courant du Benguela. Mieux
connaître le rôle et la dynamique des
populations de ces poissons péla-
giques dans un tel environnement est
indispensable pour identifier les fac-
teurs de leurs importantes varia-
tions; ces connaissances sont impor-
tantes pour élaborer une politique de
gestion des pêches. Ces fluctuations
se manifestent généralement par une
forte variabilité de la période d’arri-
vée et de la quantité des jeunes pois-
sons dans la pêcherie. Nous avons
donc mis l’accent sur l’étude des pre-
miers stades de vie, en particulier
sur le devenir des œufs et larves.
Pourquoi avoir privilégié
la modélisation ?
Les données récoltées en mer sont
limitées dans le temps et l’espace.
Nos moyens logistiques actuels ne
permettent pas en effet d'échantillon-
ner l’océan de façon continue, à petite
échelle spatiale et en trois dimen-
sions. Il est alors difficile de saisir la
complexité des processus propres
aux systèmes d'upwelling. La puis-
sance des ordinateurs permet aujour-
d’hui de développer des modèles
numériques de la circulation marine
et des modèles biologiques possédant
une résolution relativement haute
(intervalle de temps de 2 heures à
2jours, maille horizontale de 9 km
près de la côte, résolution verticale
de quelques mètres). Les modèles
constituent de puissants outils pour
appréhender la complexité des éco-
systèmes à ces échelles et d’en com-
prendre les mécanismes à l’aide, par
exemple, des outils de visualisation
en trois dimensions.
Quels sont aujourd’hui
vos principaux acquis ?
Nous avons mis au point des proto-
types de modèles hydrodynamiques et
“individus centrés” en trois dimen-
sions. Leur première phase d’utilisa-
tion nous a donné des indications sur
les périodes et lieux de ponte les plus
favorables à la survie de jeunes pois-
sons et qui contribuent donc à des
bonnes pêches l’année suivante.
Grâce aux modèles écosystémiques,
nous comprenons également mieux le
rôle clé des poissons pélagiques dans
la chaîne alimentaire des écosystèmes
d’upwelling. Il apparaît ainsi que ces
poissons peuvent, dans certains cas,
contrôler à la fois les niveaux tro-
phiques inférieurs – le plancton – du
fait de l’importance relative des quan-
tités ingérées, et les niveaux supé-
rieurs - les prédateurs – dont ils
constituent la proie principale.
Nous avons rassemblé de longues
séries de données biologiques, écolo-
giques, relatives aux pêches ou obte-
nues par télédétection dans un système
d’information géographique pilote per-
mettant une visualisation rapide ainsi
que des analyses spatiales. L’analyse
de ces données anciennes ou plus
récentes a permis de caractériser
l’écosystème et la pêcherie. Il apparaît
ainsi, d'une part, que le poids moyen
des bancs reflète la biomasse de l’es-
pèce et, d’autre part, que la composi-
tion moyenne en espèces des bancs est
représentative de celle observée dans
l’écosystème. Autre acquis important :
grâce aux images satellitales, nous
avons pu préciser et quantifier la forte
dynamique spatio-temporelle de l’up-
welling. Enfin, nous avons encadré les
travaux de maîtrise,
DEA
ou doctorat
d’une vingtaine d’étudiants sud-afri-
cains et français.
Quels seront vos prochains
axes de recherche ?
En complément des traditionnels
indicateurs permettant de décrire
l’état des ressources, nous dévelop-
perons d’autres indicateurs quanti-
tatifs destinés à évaluer l’état d’en-
semble de l'écosystème ainsi que sa
dynamique. De plus, les modèles
hydrodynamiques et “individu-cen-
trés” en trois dimensions seront ren-
dus aussi génériques que possible
(c’est-à-dire transposables) pour
pouvoir être facilement applicables à
d’autres écosystèmes d’upwelling.
●
Contact
Pierre Fréon,
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 9 - mars/avril 2001
6
Recherches
Fronts, courants
et tourbillons
L
es upwellings se forment dans la région du Benguela (côtes ouest de
l’Afrique du Sud et de la Namibie) lors des épisodes de vents de sud-
est, particulièrement forts au printemps et à l’automne. Les courants
alors générés au-dessus du plateau continental ont un impact important
sur les ressources biologiques, notamment en transportant et disper-
sant une grande partie des œufs et larves de sardines et d’anchois vers
le large où ils ne peuvent survivre. Pour étudier les principaux proces-
sus physiques impliqués dans le transport des œufs et des larves dans
cette zone d’upwelling, les chercheurs ont élaboré des modèles hydro-
dynamiques en deux puis en trois dimensions. A partir d’informations
sur les vents et les flux de chaleur en surface et d'indications sur la
structure des courants à grande échelle, un modèle hydrodynamique en
3dimensions permet de simuler la circulation des masses d’eau dans le
domaine côtier et donne une représentation réaliste des fronts et des
tourbillons ainsi que des courants en profondeur. Le modèle bâti dans
le Benguela utilise un code numérique novateur largement adopté par
la communauté scientifique. Il donne une représentation assez réaliste
de la circulation des masses d’eau dans l’ensemble de l’écosystème
côtier, depuis la frontière Afrique du Sud-Namibie jusqu’à Port
Elizabeth, et permet une simulation fine de certains détails (fronts,
tourbillons,...) particulièrement importants pour la biologie. L’analyse
d’un ensemble de simulations a permis en particulier de mieux com-
prendre les interactions entre les courants et certains éléments topo-
graphiques comme la pente du plateau continental ou la présence d’un
cap et d'une baie. Par des simulations de l’évolution spatiale et tempo-
relle de traceurs des masses d’eaux, il est possible de suivre et de quan-
tifier les échanges de masses d’eau entre différentes régions représen-
tées dans le modèle.
●
Simulation
de type
«individus
centré» du
trajet suivi par
25000 particules
(larves et œufs)
au 15 janvier,
au 1er mars
et au 15 mai,
depuis les
régions de
ponte (banc
des Aiguilles)
jusqu’à
une zone
d’upwelling.
Seules les lar-
ves arrivant sur
le plateau conti-
nental (zone
sombre) ont une
chance survie.
© dr
© dr
© dr
© IRD/UCT/M&CM
Parfois, sardines et anchois se raréfient dans le
courant du Benguela aux eaux pourtant fertiles.
Afin de comprendre ces fluctuations, des
chercheurs sud-africains et français analysent
les interactions entre cet écosystème d’upwelling
et la dynamique des populations de poissons
pélagiques. À l’aide de modèles, ils explorent
la complexité des phénomènes physiques
et biologiques en jeu.
Ecosystème d’upwelling
Poissons au gré
des courants
Entretien avec le Dr. Car van der Lingen du Marine & Coastal
Management et Pierre Fréon, directeur de l’unité de recherche
de l’IRD, IDYLE.