LUONG Can-Liêm LE VIETNAMIEN Quinze clés pour mieux le

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LUONG Can-Liêm
LE VIETNAMIEN
Quinze clés pour mieux le connaître
1
Du même auteur :
Bouddhisme et Psychiatrie, 1992. Paris, L’Harmattan.
Psychothérapie bouddhique. Méditation, éthique, liberté, 2002.
Paris, L’Harmattan.
Psychologie politique de la citoyenneté, du patriotisme, de la
mondialisation. Sept études cliniques, 2002. Paris,
L’Harmattan.
De la psychologie asiatique. L’humain, le politique, l’éthique,
2004. Paris, L’Harmattan.
Psychologie transculturelle et psychopathologie. Occident et
Asie orientale, 2006. Paris, You Feng.
Conscience éthique et Esprit démocrate. Etude sur l’harmonie et
le politique. Paris, 2009, L’Harmattan.
Expériences psychologiques de Bouddha Siddharta Gautama et
du Bouddhisme, 2013. Paris, L’Harmattan.
Ouvrages collectifs :
Enfance : état de lieux. Le Vietnam au cœur de la
Francophonie, 1998. Paris, L'Harmattan.
Dictionnaire des thérapeutiques médicopsychologiques et
psychiatriques. Sous la direction de H.N. Barte, 2001. Paris,
Ellipse.
Manuel de psychiatrie transculturelle. 2e édition. Sous la
direction de M.R. Moro, 2006-2007. Paris, La Pensée sauvage.
Précis d’expériences transculturelles. Cliniques de l’enfance et
de l’adolescence en France et au Vietnam. Sous la direction de
Dana Castro, 2012. Paris, Les éditions du journal des
psychologues.
2
.1.
Plusieurs noms pour une histoire nationale
Il y a des événements et des noms de pays dont les gens s’en
souviennent. Et la mémoire du XXe siècle retient les mots de
Vietnam et de la guerre du Vietnam. Depuis, le monde a
tendance à écrire son nom en un seul mot alors que le
Vietnamien l’écrit aujourd’hui en détaché et autrefois avec un
trait d’union puisque ce mot est composé de deux déterminants.
Le Vietnam a plusieurs fois changé de noms depuis sa
fondation. Aux premiers temps de la nation (l’époque Hồng
Bàng, de 2079 à 258 avant J.C.), le pays s’appelait Văn Lang
des rois Hùng, nom qui veut dire Brave. Entre 257 et 207 avant
J.C. (le roi An Dương Vương), c’était Âu Lạc en référence aux
mythes des origines des Vietnamiens, tous enfants de
descendance céleste de la reine Âu Cơ et du roi Lạc Long Quân.
Ce couple eut cent enfants qui vont se séparer pour peupler le
territoire : la moitié ira en plaine et l’autre moitié vers les
hauteurs. Vient une longue domination des Han : le pays sera
d’abord trois provinces chinoises : Giao Chỉ, Cửu Chân et Nhật
Nam puis réunies administrativement en une seule, le Giao
Châu. En 544 après avoir chassé les envahisseurs, le roi Lý Bì
appellera le pays Vạn Xuân (Mille printemps) mais cette
dynastie des Ly antérieurs ne durera pas. En 602, nouvelle
invasion chinoise et retour au nom de Giao Châu. Quand les
Tang (618-907) ont pris le pouvoir à Pékin, Giao Châu sera
baptisé An Nam (le Sud pacifié).
Avec Ngô Quyền et les rois Ngô (939-965 après J.C.), la
reconquête du territoire sera bientôt définitive. En 968, Đinh
Tiên Hoàng vainqueur des envahisseurs venus du nord, rétablit
la paix. Avec la maison Đinh, le pays s’appelle au Đại Cồ Việt
(le Très Grand Viêt). A partir de 1054, c’est le Đại Việt (le
Grand Viêt) par la dynastie des Ly postérieurs jusqu’en 1804 où
la dernière dynastie des Nguyễn posa le nom de Vietnam que
3
nous connaissons aujourd’hui. Avec un intermède en 1838
voulu par la roi Minh Mạng d’appeler le pays : Đại Nam (le
Grand Sud).
En 1858, la France colonisatrice arrive au Vietnam ; le pays n’a
plus de nom et sera découpé en statuts différents. Sa région du
centre est placée sous protectorat avec l’ancien nom d’Annam
(Le sud pacifié) comme le sera, le Tonkin au nord. Au sud, la
Cochinchine aura un statut différent de colonie. Il n’y a plus de
Vietnamiens, que des Annamites, des Tonkinois et des
Cochinchinois. En 1945, le pays encore sous la tutelle
coloniale, proclame son indépendance et son intégrité
nationales avec la République Démocratique du Vietnam (la
RDVN). A partir de 1954 et malgré les Accords de Genève, la
partition du territoire est effective : la RDVN est au nord et la
République du Vietnam (RVN) au sud. En 1976, le pays sera
réunifié sous le nom de République Socialiste du Vietnam.
On remarquera trois faits.
Le nom du pays peut changer mais la nation reste elle-même.
Sa pulsion d’unité date de plusieurs siècles. Son désir de paix
aussi. Un adversaire sait devenir un partenaire et inversement :
le sentiment national apprend la prudence et la patience.
Les temps historiques furent marqués par plus de 10 siècles
d’occupation
chinoise
continue
puis
d’incessantes
intrusions terrestres : la dernière date de 1979. Encore
aujourd’hui, quelques îles vietnamiennes restent occupées,
disputées. Entre 939 et 1945, pas moins de 15 dynasties et
grands seigneurs-shogunats. Ces invasions dans le passé étaient
parfois facilitées par la corruption ou le dilettantisme des rois,
seigneurs et élites. Aussi, il y a toujours eu une course de
vitesse dans la construction d’un Etat séculaire et d’un
environnement humain, culturel et politique apaisé. La
population peut être pressée par les événements pour se faire
confiance dans la durée.
Aucun pays dans le monde n’a affirmé son identité de façon
aussi nette, à la fois par le nom de l’ethnie principale, les Viêt et
4
par sa position géographique, géopolitique et géoculturelle
relative, le Nam qui veut dire le Sud.
5
.2.
Le Nam
(le Sud)
« Nam » ou le Sud : le Vietnamien vit sur son territoire et sa
cartographie mentale se le représente ainsi. Sa culture, son
caractère, sa personnalité, son groupe sont modelés voire
travaillés par l’histoire, la géographie et l’environnement.
Marco Polo (1254-1324) ouvrait la route d’Orient, vers là où le
soleil se lève, pour faire du commerce sauf celui des esclaves.
La Papauté distribua le monde aux Occidentaux : évangéliser
était l’idéologie et la connaissance scientifique son fer de lance
porté les Jésuites. Le plus célèbre en Chine était le jésuite
italien Matteo Ricci (Macerta 1552 – Pékin 1610) qui présenta
une mappe monde où la Chine n’est pas centrale. Le mot
« Chine » est probablement une transcription phonétique qui
veut dire l’authentique, le légitime. Trung Quốc (中国, même
phonétique en chinois et en vietnamien) est son vrai nom. La
traduction de « Pays du Milieu » par « Empire du Milieu »
entretient l’imaginaire occidental de sa puissance envahissante
depuis Bismarck au XIXe siècle avec le « Péril jaune ». La
Chine antique se représentait comme un carré placé au milieu
de tout et de tout le monde : c’est le « Pays au Milieu » (M.
Granet, 1929 : La civilisation chinoise ; 1934 : La pensée
chinoise, Paris, Albin Michel). Des « personnages-oiseau »
vivaient aux confins du sud selon « La mythologie chinoise »
(Yan Hansheng, Suzanne Bernard, 2002. Paris, You Feng).
Cette description correspond aux figures des tambours en
bronze de la période Văn Lang avec des silhouettes revêtues
d’un paletot couvert de plumes. On y déchiffre des signes
considérés comme l’écriture première du peuple Viet.
La centralité de la Chine a été et reste le centre de gravité
culturel et économique de l’Asie ; elle est aussi mentale. La
notion de Milieu tient du concept confucéen du Juste
6
Milieu source d’Harmonie; la République Populaire de Chine
développe la notion d’Harmonie politique et sociale au Congrès
du Parti Communiste Chinois de 2012. Exit les notions de
dictature du prolétariat et de lutte des classes et place à la paix
et l’équité sociales.
La Chine a été et reste le pivot des relations internationales de
l’Asie. Le Vietnam entretient avec elle une dialectique entre
proximité idéologique et indépendance d’esprit, entre continuité
et contiguïté. C’était aussi la méthode vietnamienne pour
pointer la contradiction de l’esprit français entre une France
colonisatrice et la France de 1789 progressiste et
révolutionnaire, ou la lourde dette morale des Etats-Unis au
Vietnam. L’adaptabilité du Vietnamien aux circonstances est là,
mais sont là aussi les limites de ses capacités d’accepter la
différence et d’intégrer la nouveauté. Il est accueillant et
hospitalier. Le mot « sorry » vient plus vite à sa bouche qu’un
mot d’excuse en vietnamien et entre Vietnamiens comme si
intimement, il peut excuser plus facilement l’étranger que son
semblable aussi fier que lui-même. Face au Chinois bruyant, il
montre sa distinction et son savoir-vivre. Pour un rapport de
force, le Vietnamien use du registre de la morale et du droit
d’être juste. Au XIXe siècle, la cour des Nguyên envoya une
ambassade à Pékin dire la Vertu contre l’illégitimité occidentale
du colonialisme. Mais d’être au sud excentré de cette Chine, le
Vietnam montre parfois un complexe provincial de petit pays
(tiểu cường). A l’aéroport de Nội Bài, le restaurant ne sert pas
le « nước mắm » aux voyageurs côté départ international ; cette
saumure est trop mal odorant, dit-on.
Ce « Nam » a ainsi la Chine au nord. A l’ouest, c’est l’Océan
Pacifique avec des îles vietnamiennes volées par ce voisin.
Venant du large, des tempêtes tous les ans. A l’est, la chaîne
annamitique le sépare de l’Himalaya et ses inversions brutales
de climat. Au sud, le delta du Mékong est aujourd’hui un des
huit points de la planète les plus exposés aux effets du
changement climatique, compliqué par l’hydrologie des pays en
amont.
7
La sécurité nationale et climatique est une préoccupation
majeure du Vietnamien. Le Sud, c’est par rapport à la Chine
mais « Sachez-le ! C’est le territoire à part entière des Viêt ».
8
.3.
Les Việt
(L’ethnie)
Le peuple Viet – officiellement, l’ethnie Kinh (la matrice) –
avait beaucoup construit son entité nationale à partir de cette
géopolitique en référence à la Chine. De son premier lieu de
peuplement proche du fleuve Jaune, il s’est déplacé vers le sud,
passant les montagnes pour se fixer définitivement dans le delta
du fleuve Rouge d’aujourd’hui. La capitale Hà-Nội vient de
fêter son millénaire. Puis plus tard une expansion territoriale,
coloniale et démographique le long de la côte encore plus vers
le sud jusqu’au delta du Mékong dans ses frontières modernes
actuelles. Les apports culturels des peuples et ethnies voisins
dans ce brassage sont considérables mais inégalement explorés
et valorisés, comme la base linguistique de la langue
vietnamienne et plus anciennement la place et la fonction
sociales de la femme et de la mère.
Dès son mythe des origines, le Vietnamien voyait les habitants
de la montagne comme des frères. A partir du moment où les
Chinois qualifiaient les Vietnamiens de barbares du sud « Nam
di » (barbare au sens donné par Rome aux peuples
périphériques), le Vietnamien lui-même pouvait considérer
certaines ethnies voisines comme des « Mọi » (le sauvage) au
sens du non civilisé.
Le dynamisme de ses rapports avec l’étranger est contrasté,
marqué par un paradoxe en escalier toujours d’actualité :
d’abord la défense contre l’invasion, puis la méfiance de
l’assimilation et enfin l’intégration des cultures exogènes dans
le monde vietnamien. Pour un changement, le Vietnamien pèse
sa décision entre la liberté de le prendre et les risques
d’aliénation. Entre le classique et le moderne, il questionne les
références nécessaires, parfois dans la précipitation. Les enjeux
et les opportunités testent et sondent son intégrité mentale et ses
9
territoires physiques, personnel et national. C’est par rapport à
ce paradoxe et pour se garder lui-même que le Vietnamien se
sent personnellement gardien parmi les gardiens de sa nation. Il
craint plus d’être déséquilibré intérieurement que l’étranger.
Le génie vietnamien est de garder dans un même bloc, son
intégrité territoriale et géographique et son identité culturelle
décentrée par la Chine mais pas déséquilibrée par elle. Mais il y
a un retentissement mental interne : cette boussole donne au
nord, berceau du Vietnam, son idée légitime et au sud celle
d’une antithèse, entretenant les préjugés régionalistes sur ce qui
serait du raisonnable et ce qui l’est moins. Le Vietnamien veut
du temps et s’en donner pour s’orienter dans le nouveau
monde complexe : ce temps le presse ; il a le sentiment d’être
en retard d’un train de l’histoire. La modernité a été importée
par la guerre et l’idéologie n’est pas une culture en soi. La
politique du Đổi mới (renouveau) depuis 1990 a été une
révision nécessaire, opportune et radicale du soviétisme
d’avant. La compétition mondiale, le renversement des idées,
un monde multilatéral troublent les certitudes anciennes et les
convictions récentes. De nouvelles ignorances apparaissent. Le
schéma mental vis-à-vis de la Chine se démultiplie vers d’autres
pays. Le Vietnam examine la réussite de Singapour, de la
Corée, du Japon. Copier, trouver l’essentiel ou innover ? Cette
croisée des cultures risque de créer une paralysie de la pensée,
de la non-stratégie, une mosaïque erratique de comportements,
du quant-à-soi. L’élite intellectuelle est appauvrie, fracturée par
l’élite financière surdimensionnée : être contemporain est une
mode. Faute d’une assise nationale à long terme, cette « culture
hors sol » risque d’être une acculturation aux résultats indécis.
C’est surtout le cas des 4,5 millions de Việt Kiều (2e congrès
mondial des Vietnamiens d’outremer, Ho Chi Minh ville, 2012)
pour 87 millions d’habitants. Pour la première fois de son
histoire, le pays connaît cette migration et chaque Vietnamien a
une parenté à l’étranger ou en a entendu parler. Cet ailleurs est
riche d’avenir mais vertigineux : pouvoir envoyer ses enfants à
l’étranger (Cf. 9) – étudier, migrer, exiler ou fuir ? – devient un
mythe à portée de main, le même mythe au départ de la nation.
10
Administrativement, outre les Kinh-Viet majoritaire, le pays
compte 54 minorités ethniques. Elles ont leur langue et parlent
aussi la langue nationale (Quốc Ngữ). Il existe des mesures
dérogatoires pour entretenir cette diversité culturelle
locorégionale interne au pays.
11
.4.
L’esprit de héros
Traduction : Tinh thần anh hùng.
Le mot Héros est composé de « Anh » qui porte une référence
masculine et de « Hùng » ou brave, du même nom que le
premier roi « Hùng Vương » bâtisseur du pays-nation.
Deux qualités modelées par l’histoire pilotent le personnalisme
vietnamien : une dignité fière et une loyauté lucide pour être le
gardien de lui-même. Elles lui apportent une vigilance critique
et éthique ; la pratique du doute interroge d’avoir la preuve du
contraire ou pour déroger aux règles par nécessité. Pour se
protéger, se défendre et prospérer, il est un peu individualiste et
un peu suspicieux de défendre ses raisons à lui. Cette posture
d’intégrité est une posture d’identité. Elle traduit un sens de la
probité comme un socle pour affronter les aléas de la vie : « je
suis comme je veux, comme je peux et comme je me sens ».
Cette organisation mentale forme son tempérament de négocier
le tolérable, le possible et le discutable. Se faire respecter, c’est
nourrir une fermeté intérieure, montrer une souplesse
extérieure, toujours afficher un sourire au visage. Ce mental
offre une première limite visible qu’est la peau du corps
somatique capable de désirer l’agréable, de supporter la douleur
et de combattre le danger. Cette limite sépare le dedans et le
dehors du Moi (Tôi) ; elle porte la même valeur que la frontière
identificatoire d’un Nous national (Chúng tôi = l’ensemble des
Moi) contre les intrusions et les provocations ; elle sera aussi
culturellement identifiant pour permettre les échanges, rejeter
les manipulations et avancer. Le concept de corpus « thể »
soude le corps somatique et individuel (cơ thể, cá thể) au corps
social et à l’humanité (tập thể, nhân thể). Construit par son
histoire, ce corpus exprime une proximité, une liaison forte
voire une élasticité entre les identités universelles, culturelles,
religieuses et personnelles qu’il revient à chacun d’authentifier.
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L’homme vietnamien s’auto-légitime ainsi : il se sent le garant
de son pays et certifie les faits comme un faiseur de culture. On
a au fond autant de Vietnamiens assurés de leur vérité que de
Vietnam dont chacun est le porteur de nom. A la guerre, cela a
donné des convictions meurtrières. Dès la paix revenue,
l’individualité vietnamienne réintègre son corpus ; on retrouve
un comportement discret et un regard nonchalant pour l’autre.
L’esprit de clan et de famille se reforme, les limites sont
visibles ; et on remet le sentiment national en veilleuse. A
chacun, sa vie et son indolence. Chacun se débrouille.
Le Moi-peau psychologique comme le Nous-national sociétal se
sont construits ainsi de l’intérieur avec des sentiments d’amourpropre et de dignité suffisamment solides pour montrer à
l’extérieur de la fierté et de la souplesse. Cet équilibre se joue
en termes de légitimité, de souveraineté et d’efficacité entre un
ressenti de vérité et de conviction éthiques, suffisamment
solides pour affronter un environnement extérieur instable. Et
tant que c’est efficace, il ferme les yeux sur le pas-assezlégitime qui sera à régler plus tard. Le Vietnamien est le
protecteur de sa famille et le promoteur de son idéal en société.
Cette liberté de position est parfois contre-productive. Ce héroslà est rebelle, têtu, de mauvaise foi, peu discipliné qui n’écoute
d’abord que lui-même. Il teste l’autorité quand il est convaincu
de sa loyauté pour penser, décider et s’impliquer jusqu’à
provoquer pour avoir la preuve du contraire. Le revers de cette
autolégitimation est l’entêtement d’intérêt ou un amour propre
perdu quand de l’extérieur, la situation a évolué avec des
circonstances nouvelles.
Le terme de « Người trung » l’homme loyal, traduit une posture
d’harmonie tenant les principes au centre. Le terme de « phản »
traduit l’opposé, le contre. « Phản bội » c’est trahir ; « phản
kháng », c’est s’opposer avec les mêmes moyens que
l’adversaire ; « phản hồi », c’est répondre en écho ; « phản
chiến », c’est l’anti-guerre (par la non-violence). L’hypocrisie
est définie par la fausse vertu, « Đạo đức giả » ; une qualité par
la fausseté qui vaut pour une falsification, une tromperie.
13
.5.
Bắc bộ - Nam bộ ou Le Nord - le Sud
(La mondialisation par la guerre coloniale)
Littéralement : la partie nord et sud (du Vietnam).
Le pays s’étire sur plus de 1800 km par la route aujourd’hui.
Entre les pointes septentrionale et méridionale, le relief, le
climat, la géographie humaine changent la personne. Au nord,
on vit groupé autour du centre du village ; au sud, c’est étiré et
dispersé le long des cours d’eau et des routes.
Dès le XVIe siècle, la dynastie des Lê Postérieur (1428-1527)
était déjà en faillite. Plus les « shogunats » dépiécaient le
territoire, plus Pékin par intérêt soutenait cette dynastie
emmurée dans Hanoi en menaçant d’intervenir. La situation
était ainsi chaotique qu’entre 1627 et 1787, émergeaient dans la
violence deux seigneuries, les Trinh (et les Mac) au nord et les
Nguyên au sud. Ils se partageaient l’administration du pays
Viêt. La rivière Linh Giang (le nom actuel : rivière/sông Gianh)
– province Quang Binh – séparait la population.
Nguyễn Huệ, le roi Quang Trung (1788-1792) partant du centre
Vietnam fit une première tentative d’unification qui se termina
dans le sang, vaincu par un autre Nguyễn du sud, le seigneur
Nguyễn Ánh. Celui-ci reprendra à son compte cette ambition
nationale et avec ses troupes de Gia Định-Sài Gòn (l’actuel Ho
Chi Minh Ville), remontera du sud vers le nord jusqu’à Hanoi
des Trinh. En 1802, Nguyễn Ánh parachèvera – avec l’aide
française – son œuvre d’unifier le Vietnam dans sa morphologie
que nous connaissons aujourd’hui. Plus tard, l’histoire appellera
les Trinh « ceux de l’extérieur » (le Đàng Ngoài, siège Hanoi)
et les Nguyễn « ceux de l’intérieur » (le Đàng Trong, siège
GiaDinh-SaiGon) ; le sud devenant le nouveau centre de gravité
du développement. Prenant le nom de règne Gia Long (18021820), Nguyễn Ánh fondera la dernière dynastie royale du pays.
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La capitale est déplacée de Hanoi à Hué au centre du pays, à
équidistance des pointes nord et sud du pays. Une aristocratie
de cour loin du peuple, voit le jour avec une volonté d’installer
une monarchie. Gia Long dessinera le « áo dài », cette tunique
nationale créée pour faire sortir les femmes de leur foyer, toutes
égales les unes aux autres par une même silhouette.
Vietnamiens versus Vietnamiens ? L’appel aux forces
étrangères pour vaincre l’autre partie datait de cette époque
lointaine. Au nord, les Trinh cherchaient l’appui de la Hollande
portait ses priorités vers les Indes Néerlandaises, future
Indonésie. Au sud, Nguyễn Ánh cherchait l’aide du royaume du
Siam (Thaïlande) mais l’obtint de la France qui sera d’abord
missionnaire, commerçante puis colonisatrice jusqu’à la fin.
Contre cette fracture du pays, la littérature, les idées, les
hommes ont toujours circulé entre le nord et le sud. Des
générations successives ont défendu un même corps historique,
un même art de vivre pour une terre unie par la même langue et
le même destin. Minh Mạng (1820-1840), successeur de Gia
Long, continuera les réformes d’Etat aux dépens de la
population méridionale dont il est issu, la jugeant vulgate. Le
territoire est divisé en trois grandes KỲ régions administratives
et militaires : « Bắc kỳ, Trung Kỳ, Nam Kỳ ». Bien que le roi
Quang Trung ait officialisé le Nôm, écriture nationale, Minh
Mạng imposera le retour au Hán sinisé. En ce XIXe siècle,
toute l’Asie était sur la défensive, déboussolée par un Occident
conquérant. La technologie et la modernité faisaient peur. Les
successeurs de Minh Mang verrouillèrent le pays par une
orthodoxie confucéenne jusqu’à l’entrée imposée de la France
au Vietnam en 1858. Le clivage nord-sud a été la méthode
politique des Nguyễn de diviser pour régner. La France
réutilisera cela pour casser l’âme patriotique ; elle nourrit un
esprit ségrégationniste bloc contre bloc à partir des
tempéraments régionalistes des Vietnamiens : le « Bắc kỳ »
désignera désormais le nordiste, le Tonkinois ; le « Trung kỳ »
le centriste est l’Annamite ; le « Nam kỳ » le sudiste est le
Cochinchinois. Tout cela était calqué de façon perverse à la
psychologie politique identitaire de la nation (Cf. 2 & 3) :
15
culture régionale + territoire délimitée + ethnicité régionale. La
République française a un Empire, une conception bonapartiste
où les autochtones sont des sujets à côté des citoyens élitistes
d’une République sans état d’âme sur ses contradictions
morales et politiques en outremer. On apprendra aux indigènes
les valeurs universelles de la Liberté, de l’Egalité et de la
Fraternité, qu’ils avaient des ancêtres gaulois.
Les premières agitations, conservatrices ou modernistes, étaient
toutes patriotiques, commencées bien avant cette année 1858.
(Paulin Vial, 1874 : Les premières années de la Cochinchine,
colonie française. Paris, Challamel Ainé, 2 tomes). Elles
deviendront à l’entrée du XXe siècle des combats armés,
légalistes ou littéraires, d’abord contre le fait colonial français
puis contre le fait impérial japonais. Le « Parti Communiste
Indochinois » fut l’organisation politique la plus structurée de
cette période sur le modèle soviétique. Profitant d’une vacance
de pouvoir à Hanoï évacué par un Japon vaincu et avant le
retour d’une France affaiblie, Hồ Chí Minh y déclarera
unilatéralement l’indépendance du Vietnam : sa proclamation
fait un appel du pied aux Etats-Unis. On était en 1945. Vexée,
la France envoya le Général Leclerc reprendre Hanoi, chassant
Ho Chi Minh de Hanoi vers le maquis. La bataille de Dien Bien
Phu (1954) fera lâcher la France définitivement l’Indochine par
les Accords de Genève de 1954. L’intégrité du Vietnam est
réaffirmée avec un délai de deux ans pour organiser la toute
première élection générale de réunification du pays sous
supervision internationale. Malheureusement, cette élection
voulue et attendue par tous n’aura pas lieu; la démocratie sera
trahie et aucun pays garant des Accords ne s’en indignera. Les
Vietnamiens seront dépossédés de leur expérience fondatrice.
Dès 1950, la France avait déjà secrètement passé la main aux
Etats-Unis, le champion du monde libre en pleine guerre froide
contre le monde soviétique. En lieu et place de ces élections,
une seconde administration vietnamienne voit le jour au sud. La
République du Vietnam (capitale : Saïgon) sera la symétrie
idéologique de la République Démocratique du Vietnam dans la
suite de Yalta et selon le schéma coréen tout frais et tout
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proche. La ligne de démarcation fixée au 17è parallèle passe par
la rivière Bến Hải (au sud du Gianh, anciennement Linh Giang,
séparant autrefois les Trinh et les Nguyên). Le nord Vietnam
allait prudemment s’adosser à la politique maoïste de la Chine
voisine et jouer par nécessité l’équilibre idéologique avec
l’URSS. L’inachèvement des Accords de Genève de 1954 était
moral et politique, escamotant le libre arbitre des Vietnamiens
et poussant leurs régimes réciproques dans les positions
stratégiques, idéologiques, religieuses extrêmes. Le Vietnam fut
coupé en deux pour être l’enjeu de la Guerre froide. L’escalade
militaire des Etats-Unis au Vietnam (un demi-million de
soldats, près de 3 millions de personnes logistiques) devait
radicaliser la situation quand, au moment du Nouvel An, le Têt
de 1968, les maquisards (Việt-cộng) lancèrent leur offensive
générale contre les grandes villes du sud. Malgré l’effet de
surprise, il n’y aura pas d’insurrections populaires comme
prévues. Mais une victoire militaire totale des deux côtés
s’avèrera désormais utopique. Les premières négociations entre
Vietnamiens et avec les Etats-Unis débuteront dès 1968 ; elles
dureront jusqu’en 1973 avec les Accords de Paris qui
réaffirment encore l’intégrité du pays. Le principe moral de
réconciliation et de concorde entre Vietnamiens devait réparer
« à tout prix » la blessure nationale des guerres. Ce « à tout
prix » condense un climat étrange fait d’espérance d’avenir et
de lassitude populaire, de romantisme naïf, de manœuvres
idéologiques, de trahisons et d’astuces diplomatiques dans un
désir confus de paix et d’être entre soi, plus jamais les uns
contre les autres.
Les premières luttes d’indépendance étaient régionales, menées
de façon dispersée et intuitive dès 1858 au nord comme au sud.
Au XXe siècle, la fracture humaine va être plus traumatique et
tragique qu’au début. A partir de 1945, s’y grefferont les enjeux
de la Guerre froide avec ses modèles politiques. Des thèmes
idéologiques et religieux structurés accentuent les disparités
nationales et dédouanent les clivages politiques et les violences
sociales dans la population ou contre la population. Dans le
cadre des Accords de Genève de 1954, la France et les Etats-
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Unis vont organiser un important départ vers le sud de simples
gens, des intellectuels, des catholiques et d’autres selon leur
libre choix. Il y avait aussi des deux côtés, des intentions
politiques cachées : pour le nord, c’est la purge des indésirables,
et pour le sud, c’est la perspective de constituer un noyau
anticommuniste pour la future administration du Sud-Vietnam.
A partir de 1956, le Vietnam va connaître deux Etats – la
République Démocratique du Vietnam (RDVN) au nord et la
République du Vietnam (RVN) au sud –, deux idéologies, deux
armées pour un peuple, une culture, un destin. Encore une
problématique nationale de rupture. Ce découpage territorial et
politique avait en contrefeu la longue culture d’unité des
Vietnamiens et leur volonté séculaire d’empêcher toute sorte de
schisme. Les Accords de Paris de 1973 réaffirment l’intégrité
territoriale et mentale par son principe moral de réconciliation
et de concorde nationale.
Le courage vietnamien a été d’avoir écrit les principes de
Réconciliation et de Concorde comme la quintessence de
l’esprit d’humanité contre la cruauté de la guerre. La
reconnaissance internationale a été d’avoir attribué le prix
Nobel de la Paix d’un côté pour le Vietnam et de l’autre pour
les Etats-Unis en la personne des signataires. Fatigué de 30 ans
de guerre, quelqu’un devait psychologiquement, humainement
et politiquement céder en premier, consciemment ou
involontairement comme le maillon faible, et laisser les
événements se faire. C’était implicitement pour dire qu’entre
Vietnamiens, deux armées s’étaient affrontées dans une guerre
intérieure sans nom, mais que sous le terme de « Guerre du
Vietnam », elle avait été le terrain de jeu meurtrier de la Guerre
froide. Malgré la cruauté des combats par circonstances, jamais
de haine profonde entre les gens, jamais de bains-de-sang
vengeresses après. « Vietnam War », c’est la guerre du Vietnam
et la guerre au Vietnam. Le Vietnamien se méfie aujourd’hui de
l’idéologie. Depuis, chaque commémoration des guerres de son
histoire doit composer en contre-jour avec le retour mémoriel
des souvenirs de la dernière guerre, révélateur par la crainte
18
sans apaisement, qu’il y a toujours un ennemi intérieur, un
traître et autres vendus à la patrie.
Les Accords de Paris tombaient juste pour réveiller le mythe
des Vietnamiens tous enfants de Âu Cơ unis et différents entre
eux. Emergeant de ce souvenir mythique, la mémoire collective
retrouve l’actualité de la Conférence du Hội Nghị Diên Hồng.
En 1284, le roi Trần Thánh Tôn réunissait les sages du pays
pour requérir leur avis sur l’unité nationale et faire l’union
sacrée face à l’ennemi.
Mais qui était l’ennemi et quelle est l’adversité d’aujourd’hui ?
19
.6.
Une gastronomie au quotidien :
le Phở et le Gỏi cuốn
Littéralement, Gỏi cuốn signifie la salade roulée.
Trois mois après l’offensive du Têt en pleine guerre du
Vietnam, nous sommes à Paris en 1968, au mois de mai. Le
Quartier Latin résonnait des cris « Indochine vaincra » d’une
jeunesse révoltée. Vingt ans auparavant, la première librairie
vietnamienne ouvrait au 2 bis rue de La Huchette, Paris Ve : le
« Lê Lợi ». Les passants se moquaient bruyamment : Ah ! Ces
Indochinois ne savent même pas écrire correctement ; LA loi
c’est au féminin, pas LE loi. Les Lương Phán y faisaient aussi
un premier centre culturel. On trouvait des livres, des disques,
du riz venus d’Indochine. « Lê Lợi » (1384 ou 85-1433, nom de
règne Lê Thái Tổ) est le fondateur de la dynastie des Lê
postérieurs après une grande victoire contre l’envahisseur
chinois. La légende raconte qu’il avait reçu l’épée magique de
la Tortue du Hồ Hoàn Kiếm (lac de l’épée restituée) de Hanoi
pour ce combat décisif. L’histoire rend ainsi les choses bien
agréables. « Lê » est le nom de Madame Thu Lê, l’épouse de
l’ingénieur Ngô Hải Thái, une figure estimée de la toute jeune
communauté vietnamienne de Paris. Et « Lợi » est le nom de
ma mère, Nguyễn Thị Lợi (1912-2001) médecin, résistante,
épouse du Dr Lương Phán. A la rue Cluny d’à côté, un petit
restaurant servait déjà des bonnes « soupes hanoïennes ».
« Indochine vaincra » : aujourd’hui, on aurait vendu des
merguez et d’autres choses au long du cortège. Mais à cette
époque, il fallait trouver quelque chose de nouveau avec des
noms exotiques, frappant. Ce sont les « pâtés impériaux » et les
« rouleaux de printemps » qu’on a vite rebaptisés cette année-là
à la fête de l’Humanité, les rouleaux de printemps antiimpérialistes. Les pâtés impériaux, ce sont les Nêm (au sud, chả
giò) mondialement connus aujourd’hui. La version chinoise
20
n’est pas un enroulé mais du plié en portefeuille. Par contre, le
rouleau de printemps est typiquement vietnamien ; c’est un
ouvre-bouche, populaire qui porte toute l’âme vietnamienne.
La galette de riz « bánh tráng » qui sert à l’envelopper doit être
de taille moyenne. Tout doit être fait qu’une fois roulée, la pièce
se place entièrement dans la main, entre des doigts comme
saisissant une plume pour écrire son histoire. L’esthétisme du
rouleau et la grâce du geste vont avec le confort en bouche. Sa
taille calibrée évitera à l’invité de montrer sa bouche ouverte.
Le cœur est une salade mélangée, le « gỏi » ; « cuốn » veut dire
rouler, enrouler. Alors que le rouleau terminé apparaît si simple,
son intérieur est un mélangé de multiples pièces toujours en
petites quantités : un peu de vermicelle blanche, quelques
herbes vertes avec du soja, des tranches fines de crevettes roses
et de porc nacré. Pour bien se distinguer, le « gỏi cuốn » doit
son panache par le dernier geste de son créateur : mettre une
branche de « hẹ » (allium odorum) dans le dernier pli du
rouleau qui dépasse comme un étendard. Alors, le goût fondant
dans le palais se dévoile par sa sauce de soja, du « tương »
tapissé de cacahuètes pilées, Le sublime de cette sauce a été de
la préparer avec du riz gluant. A la rigueur et mille pardons au
gourmet, on se contentera du « nước mắm » surtout préparé
subtilement avec de l’ail, du citron et du sucre.
Le scientiste dira de cet aliment complet : voilà des glucides,
des protéines et des légumes. Mais cette gastronomie du sud
traduit bien l’esprit vietnamien d’avoir dans une bouchée, les
saveurs pures d’une vie simple. Les vermicelles rendent-elles
suffisamment le parfum du riz que les quelques crudités
viennent rafraîchir la bouche et donnent au mâcher, le
croustillant et le craquelant de l’aliment délicieux à l’oreille.
Les tranches fines de porc et de crevette en alternance de
couleurs se voient à travers le dernier pli de la galette de riz et
déjà l’appétit trie la saveur sucrée de la crevette avec la fermeté
de la chair de porc. La galette de riz enroule maintenant ces
ingrédients bien rangés puis les enserre pour en faire une pièce
unique prête à subir son destin : la main saisit ce cylindre blanc
et le porte à la bouche, quelle fraîcheur ! Nous étions bien
21
inspirés d’appeler cette gastronomie populaire, le « rouleau de
printemps » à mettre entre les bonnes mains. Le nom est resté.
Le cœur du Gỏi cuốn est le miroir du monde intérieur
vietnamien comme l’amalgame de cette salade mélangée par ses
trois éléments : le goût végétal des crudités, la consistance
d’une chair de crevette qui ne se confond pas avec le porc et son
gras et enfin le riz travaillé des fins vermicelles. Pour aboutir à
ce syncrétisme concret, le gastronome poète avait préparé les
ingrédients à la bonne température réfrigérée et à sa manière. La
galette va envelopper ce monde intérieur compliqué comme une
peau saine et bien lisse.
Le « Gỏi cuốn » est bien le reflet de l’âme vietnamienne. Ce gỏi
cuốn du Sud n’a pas la célébrité mondiale du « Phở » que les
menus autrefois appelaient la « soupe hanoïenne » par
opposition à la « soupe saïgonnaise » ou « Hủ tíu » au bouillon
de porc. Le bouillon du Phở est à base de viande de bœuf et les
avis concordent à considérer que ce plat vient du pot-à-feu
français, « phở » phonétiquement [fe].
La gastronomie vietnamienne a retenu le bouillon et la viande
coupée. Elle a rajouté des épices et fait servir avec des
vermicelles de riz et des herbes aromatiques. Ce Phở à base de
bœuf (bò) est le Phở bò. Quand c’est de la poule ou du poulet
(gà), ce sera du « phở gà ». Le cousinage gastronomique se fait
par le « bún than » : une soupe de vermicelle de riz au bouillon
de poule avec des œufs en feuilles fines émincées, une
charcuterie en fins filaments et du mắm tôm, une saumure de
crevette de la viande coupée. Cette soupe existe toujours au
nord, autrefois servi avec du « Cà cuốn », extrait de scarabée.
Le « Phở » est un plat national au quotidien. Cette parabole du
génie culinaire traduit-elle l’art vietnamien de reprendre les
apports étrangers pour les mettre au goût du pays ?
22
.7.
Le féminin
Traduction : Giới nữ, phụ nữ.
L’histoire vietnamienne connaît deux femmes héros issues du
peuple, victorieuses d’une armée chinoise, combattant à dos
d’éléphants : les Sœurs Trưng – Trưng Trắc et Trương Nhị – ou
Hai Bà Trưng ( ?- 43 après J.C.).
Le « Deuxième sexe » est l’expression de Simone de Beauvoir
pour dire que le féminin a sa vie. La femme connaît ses joies et
ses peines. Elle n’est pas la doublure de l’homme, ni son
serviteur, ni l’alter ego pour justifier le masculin que les
cultures désignent en premier, comme le premier. La modernité
ne veut plus savoir si la femme manque telle chose, éprouve tel
sentiment pour être elle-même. Ou faire l’inventaire de quoi estelle capable ? Ou qu’elle serait masochiste de vouloir ce qu’elle
n’aura jamais. Ce deuxième sexe est l’autre sexe ; ce qu’elle a
par rapport au masculin est pareil ou différent, tantôt à part,
tantôt à elle, tantôt ceci et pas cela, tantôt cela et pas ceci. Le
caractère féminin existe donc, et une manière féminine de voir
et de faire les choses aussi. Bref, la femme est capable de faire
le monde, et (peut-être même) faire naître un monde différent.
Une psychologie du féminin n’a besoin d’un contraste avec la
masculine pour être identifiée. Dire d’une femme qu’elle a de la
personnalité, porte encore un ton péjoratif.
Une certaine psychologie considère le féminin comme une
entité par rapport à l’attribut-organe phallique que le masculin a
seul et que le féminin connaît à regret par l’absence voire le
manque. L’éthique d’être un être humain tient de la conscience
d’un monde multilatéral, complexe fait de pleins et de creux : il
n’est plus tenable d’accorder une légitimité pleine et entière au
masculin sur le féminin par la seule fonction phallique en
minorant la fonction pérenne de développement du genre
23
humain commun au masculin et au féminin. L’éthique humaine
est neutre et transcendante : les théories de la sexualité et du
manque ne doivent pas considérer l’éthique comme une
sexualité sublimée. Voilà réinterrogé le questionnement premier
de l’origine incarnée de l’humanité par le féminin.
L’arrivée au monde du bébé répond au paradigme du féminin
comme origine de l’humain. Dire que le bébé est à un âge zéro à
la naissance, est une convention administrative et sociale. La
genèse a toujours un point de départ représenté chaque mois par
la femme fertile. Son résultat sera objectivé par une unité : le
nouveau-né (l’ainsi-né) et on dit au Vietnam qu’il a un an. Ce
paradigme original commence dès le ventre maternel : l’arrêt
des règles (c’est le départ de la genèse), puis le ventre rond
(c’est le développement de différenciation), ensuite
l’accouchement (la sortie du ventre est une entrée au monde) et
enfin la séparation d’un petit être au complet (son autonomie).
Être une femme et Avoir le ventre rond, cette dualité yin yang
reflète la dialectique ontologique de l’Etre et de l’Avoir. La
femme incarne une totalité : la maternité est si constructive de
l’humanité que certaines cultures patriarcales l’avaient forclose
pour la déconstruire, et aussi parce que le masculin se sent
dépossédé de l’événement ou emporté par la peur du désir
féminin ou de ses propres incertitudes sur la paternité.
En vietnamien, le « deuxième sexe » peut être la référence
principale « chánh » désignée par le suffixe « cái » qui veut dire
le féminin ou la matrice. La porte principale se dit « cửa chánh
= cửa cái », le grand fleuve principal se dit « sông
cái »…L’interrogation portant sur la nature d’UNE chose est le
« cái gì ? ». Le concept de modèle se dit « gương mẫu »
textuellement (à l’image dans) le miroir de la mère. La
(personne人) femme en Han vietnamien 女人« dessine » deux
bras ouverts « prêts » à embrasser. Aimer au sens anglais to like
{vn : hảo,hiếu ; ch : hăo,hào} est composé primitivement de
deux clés femme + enfant 女子 {en vietnamien : nữ + nhi ; en
chinois : nu + zhi} pour dire que ce lien est le modèle d’amour
24
contrairement au lien homme-femme. Cet idéogramme a pris en
chinois moderne le sens du Bon, de l’Agréable.
Le couple est la rencontre d’un attachement masculin féminin
avec « en dehors » l’acte sexuel, et « en dedans » des
sentiments et ses résultats : plaisirs, satisfactions et ventre rond.
La pulsion d’amour assure la fusion Âm-Dương de ces deux
êtres : l’enfant sera l’être unique qui ressemble au père et à la
mère et les rassemble. Le nouveau-né est « l’ainsi-né pur », le
noyau de Bouddha. Le combinatoire Âm-Dương crée l’énergie
primordiale du monde et le concentre dans le nouvel humain :
ce naissant-né entre au monde ainsi au complet avec un corps
parfait pour une existence chiffrée de potentiel (Cf. 10). Deux
êtres entiers produisent un être en entier : 1+1 = 1, le monde
condensé est revenu à son origine. C’est le Đạo/la Voie de la
vie (en chinois, le Tao = principe vital). Concrètement, le
couple est la scène de l’attachement et prépare celle de la
famille : l’enfant est anticipé avant sa naissance comme le tiers
mental inclus du couple. Cette conception n’est pas celle du
couple narcissique, ou plus exactement ce n’est pas une
conception narcissique du couple où chacun de son côté jouit de
son amour sexuel partagé. Chez un tel couple qui serait en fait
un binôme de deux personnes, l’enfant restera une « pièce
rapportée » même si elle a été désirée ou est devenue un
investissement d’avenir. Cet enfant sera malgré lui un
consommateur de temps et de service, un tiers gênant, une
brèche dans le couple qui s’en accommodera. Ce statut de tiers
exclu inconsciemment parlant, ne peut que pousser l’enfant à
revendiquer sa légitimité et à vouloir de la place, à occuper la
place de l’autre dans le binôme. Ce bientôt jeune adulte va
mettre en avant sa jeunesse et sa sexualité, et cibler le père, la
mère ou les deux qui réagiront. Leur constat du déclin et leur
désir de rester jeunes les rendront agressifs. La situation
œdipienne s’amplifie ainsi. La culture asiatique pressent cette
violence et l’œuvre cruel du temps ; et elle fait fonctionner le
culte des ancêtres indestructibles (Cf. 14). La piété filiale
devient une affection de réciprocité de l’enfant en miroir de
l’amour naturel des parents pour lui.
25
.8.
La famille et l’enfant
Traduction : La famille : Gia đình (étymologiquement : le
groupe sous un même toit) ; l’enfant : Con cái, con nít, trẻ em.
Considérée de l’extérieur, la communauté des Vietnamiens est
homogène, solidaire surtout en regardant son histoire
contemporaine. Vue de plus près, elle offre un effet de prisme
où l’observateur du Vietnamien sera étonné de son caractère
personnaliste qui n’est pas de l’individualisme, de l’égotisme ou
de l’égoïsme. Il est rare que l’individu veuille s’affirmer contre
son groupe de façon constante, obstinée voire en martyr mais
plus généralement, c’est sa manière de se placer parmi d’autres
qui va lui donner sa légitimité d’homme. La posture personnelle
et le rang social s’équilibrent pour apporter naturellement une
autonomie psychique.
Cette autonomie sera plus tard une déclaration d’existence, et
plus tard encore un droit identitaire. Avant cela, elle se signale
par le mouvement que la personne crée pour se repérer et de se
faire repérer dans un groupe comme un membre estimé ou
estimable, comme un maillon dont l’absence sera remarquée.
C’est se rendre utile, si possible porté par le sens éthique de
faire du bien en faisant bien les choses. Il y a une obsession du
non-reproche chez le Vietnamien, d’être dans les normes, de ne
pas être dans le trop, ni dans le trop peu. Pour être au bon
endroit, il faudra l’avoir appris en famille. Le sens du devoir
d’être autonome précède celui du droit revendicatif.
C’est que la passion du Vietnamien est dans la famille pour ses
enfants, au double sens de la grande famille et de la famille
nucléaire : le ciment de l’édifice est la solidarité devant les
imprévus de la vie.
Le Vietnamien a la volonté que ses enfants grandissent en
bonne santé et deviennent des personnes porteuses d’humanité,
26
utiles à la société : c’est le concept du « nên người », le devenir
humain. Les études offrent la voie d’accès royal aux savoirs et
de faire reculer les ignorances ; son environnement privilégié
est la famille, les alliances, le mariage. Pour cela, la bonne
éducation se fonde sur un double volet éthique thương và nể
« affection et estime » qui offrent un effet-miroir âm-dương
(yin-yang) pour contenir deux formes d’abus : le trop d’autorité
mais aussi le trop d’amour. L’affection est équilibrée quand elle
s’exprime dans la réciprocité, le bon maintien « à tout bonne
fin ». Ce « thương và nể » civilise l’humain contre l’intrusion
débridée et le désordre mental. Et cela devrait être comme cela
toute la vie durant pour entretenir une altérité ordonnée.
Le Vietnamien est discret pour exprimer en public son affection
des autres aux autres, craignant de montrer son sentiment
comme un état de fragilité, une source d’intrusion mais aussi de
corruption en tout genre. Dans cet esprit, le protocole impose le
respect des âges, une hiérarchie de sentiments et un rang social.
L’affection a aussi ses codes d’amour. L’intimité est une notion
très secrète, non démonstrative.
La famille est donc le modèle d’une microsociété non anonyme
où l’enfant va apprendre les règles et faire l’apprentissage des
codes de conduite avant d’entrer ou d’affronter la société réelle.
Cette structure espace-temps-culture comporte deux codes : le
code de la hiérarchisation des choses et des êtres, et le code
d’attachement d’amour, de distance et de neutralisation. Ces
deux codes civilisent les pulsions débordantes. Ils sont reliés
par un principe général de vertus, dit des Cinq Vertus (Cf. 15).
« Tình » le sentiment d’attachement ; le sentiment d’amour,
c’est « Tình yêu ». Le sentiment d’affection : « Tình thương ».
La blessure : « Vết thương », littéralement un trait (faite dans le
sentiment) d’attachement. Faut-il souffrir pour aimer ?
Il y a dans la séquence affective naturelle, le principe général
de la succession. Il y a d’abord la séduction puis l’amour sexué
entre deux personnes qui précède leur attachement réciproque
que ces deux personnes vont connaître entre eux et grâce à
27
l’enfant. L’enfant naît dans l’esprit des adultes au moment de
leur rencontre avant qu’il ne naît de ses deux parents dans la
réalité après l’acte sexuel et amoureux. Si plus tard, la séduction
et la jouissance sexuée peuvent s’estomper, l’amour avait déjà
engendré une satisfaction durable quasi infinie pour sa
progéniture comme un marqueur temporel. Il y aura toujours le
souvenir d’amour. Ce marqueur est aussi un marqueur éthique
d’amour de son prochain. L’affection parentale pour ses enfants
est naturelle comme allant de soi qu’on peut appeler l’instinct.
Aucun adulte ne reste insensible devant un bébé. Ce qui fera
l’humanité contre l’animalité, c’est la conscience qu’a l’enfant
de cette affection reçue qu’il apprend à identifier. C’est
maintenant le principe de la simultanéité de l’amour qu’à cet
endroit, la culture et la civilisation définissent les règles de la
réciprocité à travers l’éducation des devoirs ; la recevabilité
d’une affection indique une redevabilité dans l’éthique de
loyauté. C’est la base de la Piété filiale (Hiếu thảo). En société,
la réciprocité s’appelle l’esprit solidaire et l’action d’entre-aide.
C’est la fonction commémorative des rites intergénérationnels
d’amour par le culte des ancêtres, et des fêtes en société.
Le culte des ancêtres est le souvenir de l’affection du monde
vivant pour ses aînés disparus, et cela commence dès le vivant
des personnes. Comme ce culte est perpétuant, il est alors
indiqué que parents et enfants se doivent affection et estime
dans une réciprocité de rôle. La piété filiale n’est plus vécue
comme une obligation mais comme le marquage générationnel.
On ne peut laisser l’enfant se débrouiller de tout et tout seul
dans l’indétermination sentimentale car il ne peut réinventer le
monde à partir d’un chiffre zéro, ni d’un néant d’affection ; il
n’est animé d’aucun « Saint-esprit » spontané. Il faut donc
toujours amener les hommes aux études et aux sentiments
contre l’ignorance. Il n’y a pas de découvertes du monde sans
apprentissage, ni sans aimer apprendre à aimer.
28
.9.
Etudier et progresser
Traduction : học và tiến.
La passion vietnamienne, ce sont les études pour soi et pour
tout le monde : « học hành », étudier et pratiquer ; le mot est
double. Le Vietnamien est toujours l’élève de quelqu’un et le
maître de quelqu’un d’autres. Il transmettra cette passion
d’abord à ses enfants. Dans certaines régions, on appelle le père
non par Cha ou Ba (Papa) mais par maître (Thầy). C’est aussi la
passion du diplôme comme une certification sociale.
Dans la nomenclature classique des corps sociaux, le lettré
(l’intellectuel) est en haut de la liste devant l’agriculteur (qui
travaille directement la terre), l’artisan (qui travaille la matière
secondaire) et le commerçant (qui travaille à partir du travail
des autres). Un pays = une histoire = une élite = un peuple ;
l’idée de deux élites, de deux vérités en concurrence politique et
publique pour gérer la nation ou écrire l’histoire est incongrue.
Cette passion répond à un besoin fort de connaissance mais il
sert d’abord à connaître soi-même pour s’améliorer. Il y a en
effet deux facettes : il faut maîtriser l’impact de l’ignorance sur
soi avant de chercher par la Raison l’objet de l’ignorance. Cette
posture est bouddhique car elle ne veut pas que la rationalité
soit une source de la vérité qui s’impose par la violence. C’est
pour cela que l’esprit d’étude est d’abord social avant d’être
universel : étudier pour se connaître, étudier pour se protéger et
surtout étudier pour être proche de son alter ego. Les études
servent à être raisonnable, pas pour se donner du pouvoir pour
imposer la Raison à n’importe quel prix. On redoute le « ý đồ »,
l’intention calculatrice, manipulatrice et obscure de l’autre.
Tous les peuples entretiennent cette passion d’étude. Les
hommes craignent l’ignorance, la curiosité intrusive et
appréhendent le changement. Très tôt, on incite les élèves au
29
voyage d’étude (du học) à la découverte de l’inconnu avec
parfois son caractère excessif. Il n’y a que l’intelligence qui
sauve et les enfants doivent se consacrer aux études, et rien faire
à côté. Son passé de servitude sous l’emprise chinoise indique
que la pensée doit rester libre et disponible. La destruction des
ouvrages littéraires et des monuments, la culture imposée, la
négation du pays n’ont pu annihiler cet esprit vietnamien. La
curiosité s’érige en principe de liberté comme le moyen de
saisir le savoir de l’alter ego pour si besoin, le retourner contre
lui. Cette méthodologie avait encore fonctionné avec les deux
dernières guerres contre les Français puis les Etatsuniens.
Autrefois, les lettrés devaient connaître les Cinq Annales pour
concourir aux charges mandarinales et les épreuves sont
semblables à ceux de la cour impériale de Pékin pour leurs
gens. La consécration était d’y aller concourir « à titre
étranger » à la source même du classicisme et d’être nommé bidocteur. Le diplômé vietnamien est bien l’égal du Chinois.
Dans l’actualité, les étudiants vietnamiens arrivent aux Etats
Unis dès la levée de l’embargo comme autrefois en venant en
France, le jeune Ho Chi Minh veut saisir les moyens de la
combattre. Le revers de ce principe identitaire est la tendance au
personnalisme, et dans la manière de se servir de la pensée et du
savoir pour négliger le sentimental et le social.
La réalité du monde, c’est qu’on entre dans la vie par
l’ignorance. Et ce postulat bouddhique pose la question de la
Vérité parce que chacun peut être Bouddha, l’Eveillé à la vérité
grâce au noyau de pureté en lui. La volonté de progrès est un
désir de réalité concrète. Le savoir est sacré mais il n’y a pas de
textes sacrés, ni de maître à penser. Le Vietnamien aime
construire, faire des plans d’avenir : son intelligence,
l’ouverture d’esprit, la curiosité servaient d’abord à trouver et à
déterminer l’espace de vie et de survie. S’adapter maintenant à
la modernité est le maître mot. Et quand il trouve un
environnement favorable, l’éclosion de son intelligence peut
être fulgurante comme pour certains dans la migration. C’est le
cas du mathématicien Ngô Bảo Châu, médaille Fields en 2010.
30
.10.
Le chiffre, l’ordre et le mathématisable
Traduction : Số.
L’univers est infini, la vitalité est sans limite ; donc la personne
doit avoir sa place. De cet acte de conscience, il lui faut des
paramètres. L’Asie baigne dans cette cosmologie classique d’un
ordonnancement continu. En Occident, on dit : que la lumière
soit ! Et la lumière fut. (Ancien Testament. Le Pentateuque –
Genèse 1). En Orient, ce serait plutôt : que le Chiffre indique (et
le chiffre est infini et sa valeur a un sens indéterminé).
La modernité de cette pensée, c’est l’intuition d’un univers
mathématisable. Les hommes peuvent faire des calculs avec des
nombres positifs, négatifs, ou avec l’infini des grands nombres
[-∞, +∞]. L’autre modernité est de travailler une catégorisation
neutre, non divinisé de cet univers pour ouvrir l’esprit à la
détermination des choses. Quand le Verbe éclaire l’inconnu, la
problématique de la connaissance est axiomatique et on peut
discourir et spéculer. Lorsqu’on fait un chiffrage ou met un
symbole, on établit des règles et des théorèmes sur
l’indéterminé. On peut calculer et quantifier.
Le Vietnamien construit entre Ciel et Terre, trois niveaux de
détermination qui étagent son mental : 1) « Số trời », le chiffreCiel représenté par le mouvement des astres et la position des
étoiles ; 2) « Số mạng », le chiffre-destinée des paramètres
temporels et chronologiques de la personne représentés par
l’horoscope ; 3) « Số toán », le chiffre-calcul de la vie
quotidienne. Aussi, il aime interroger le sort par tirer les cartes,
jouer aux jeux de hasard et faire des paris. Toucher le gros lot,
c’est « trúng số » ; la fin de tout, c’est « tận số ». Le rang dans
la parenté est aussi un ordre chiffré (thứ tự gia đình họ hàng).
Le monde contemporain a vu disparaître les lettrés astronomes.
Ils ont cédé la place aux astrologues et aux cartomanciens qui
31
prédisent l’avenir et les événements selon les paramètres
horoscopiques de la personne. D’autres savent ordonner
l’espace selon des connaissances du Phong Thuỷ (Feng Shui).
Ces hommes de l’art aident le profane à accéder à l’essence des
choses et transcender le commerce des sentiments quotidiens.
Ce sont des antidotes humains aux angoisses existentielles.
Le Vietnamien connaît ses deux repères de naissance : 1)
l’anniversaire selon les calendriers solaire et lunaire âm dương ;
et 2) son signe horoscopique dans un bestiaire cyclique de 12
animaux : 11 familiers de basse-cour et le dragon comme
animal mythique, probablement imaginé à partir des fossiles de
dinosaures. Le chat dans le bestiaire vietnamien est le lapin
chez les Chinois. Le bestiaire l’inscrit dans le « số trời » : il dit
par exemple, « je suis un chat »
Au bestiaire qui revient tous les 12 ans, chaque année est
marquée par un autre cycle de 5 années. Par exemple, l’année
1984 est le Giáp Tý : Tý pour la souris/rat du bestiaire, et Giáp
annonce l’ouverture de la série des cinq années. Ainsi tous les
soixante ans (12 x 5 = 60), l’année Giáp Tý revient, et tout
homme renaîtra à lui-même à ses 60 ans et se retrouve à « sa
nouvelle ligne de départ ». Puis l’heure de naissance va indiquer
à partir des Cinq éléments, le « số mạng », son tempérament
inné (traduit par destin ou destinée) de base. Ce « mạng »
s’exprime en valeurs binaires âm dương (yin yang) avec une
dominance. Personne n’entre dans la vie à partir de zéro. Un
individu né « mạng-eau » sera de tempérament souple. Quand
une personne née à l’heure du « mạng-métal » se montre
rigide : c’est normal aussi. Si elle rencontre ensuite un « mạngfeu », son tempérament-métal peut se durcir ou bien se ramollir
si le feu est trop fort. Ainsi va la phénoménologie complexe de
l’inné, de l’acquis et de la rencontre qui permet la rencontre et
le changement dans une cosmologie commune. Très tôt dans la
conversation, le Vietnamien donne son âge et son horoscope, et
interroge son interlocuteur.
Dans le triptyque Ciel, Terre, Homme (Thiên, Địa, Nhân),
l’humain construit son environnement à trois échelles de
32
déterminations onto-anthropologiques : 1) D’abord, l’univers
est indéterminé par la vitalité permanente et flottante. L’être
humain est indestructible ; 2) Ensuite, une place est déterminée
et réservée pour chacun à sa date et son heure de naissance. La
personne est attendue mais semblable et différente ; 3) Enfin,
l’individu déterminera lui-même activement son existence par
l’action et le verbe. Personne n’est surdéterminée par une
instance supérieure, que ce soit par du divin ou un collectif
même si cela tient des désirs ou de la pression sociale. Ce triple
chiffrage objective l’indétermination, cerne l’imprévisibilité de
la vie par la probabilité et délivre les conditions du libre choix
par le calcul et la stratégie de vie. C’est une manière de
distinguer les notions d’homme, de la personne et de l’individu.
Le savoir-vivre s’apprend. Il tient compte du rang (chiffré) dans
la fratrie et de la hiérarchie dans la société. Cet apprentissage
est indispensable pour l’entrée de la personne dans la vie régie
par la valeur des diplômes, le chiffre de fortune et de salaires,
les imprévus. L’existence oscille entre deux pôles âm dương
(yin yang) : une considération pragmatique que « ça, c’est ça »
comme le point de départ, et une conviction de changement
avec une volonté de mouvement. La pensée ne reste jamais
inerte, une énergie potentielle psycho-organique d’introspection
l’agite entre ces deux pôles à la source de la vitalité et du désir
de perfectionnement. L’enrichissement en connaissances et en
expériences personnelles contribue à bonifier le Nhân quả
(Karma) qui signifie littéralement le fruit de l’humain. Chacun
améliore son « chiffre karmique » et l’homme est perfectible à
l’infini. Dire que les hommes sont égaux à la naissance, est une
fiction juridique. On paie toujours pour les générations passées.
Le Karma est aussi le fruit de l’humanité. Il résume par ce
chiffrage symbolique, les valeurs des acquis formels et
informels accumulés par des générations antérieures. C’est un
patrimoine des potentialités biologique, culturel et fiduciaire
des générations d’êtres humains et de l’humanité. Chaque
patrimoine classé de l’Unesco reflète ainsi le Karma de
civilisation d’un peuple, comme la ville de Hué au Vietnam. Le
tourisme moderne est son fruit mûr à cueillir.
33
.11.
Phong Thuỷ
(L’environnement)
Traduction : Vent-Eau (en chinois : Feng Shui)
Le Vietnamien vit entre le Ciel au-dessus de sa tête et la Terre
en dessous, à ses pieds ; il est un témoin acteur et construit son
existence. C’est le triptyque Thiên, Địa, Nhân. Les cultures de
l’Asie orientale partagent cette représentation de l’univers et
une conception paramétrée de l’environnement.
Il y a une systémique complexe. Le rapport entre les humains
est codé par l’éthique (Đạo đức ou La Voie de la Vertu) et
jamais in fine par le financier corrupteur. Puis leur rapport à
l’environnement, est codé par le Phong Thuỷ (ou Feng Shui en
chinois : phong=feng et thuỷ=shui) qui est une scénique parfois
détournée de leurs significations premières et culturellement
mis hors contexte par ignorance comme une superstition.
Ces règles et des recettes ont été tirées de la géomancie pour
placer des objets, agencer ou construire un habitat selon des
directions cardinales considérées empiriquement comme fastes.
C’est une appropriation de l’espace par une hiérarchisation de la
« fonction objectale » : les relations conventionnelles et
protocolaires sont institutionnalisées selon les statuts de la
personne et les codes de positions et de postures dans un
territoire ou selon un temps. Regardez comment se place le chef
dans une réunion ou une assemblée. Voyez comment un
supermarché répartisse ses rayons selon un principe d’efficacité
marchande et l’appétit du consommateur. De manière certaine,
il s’agit de rendre harmonieux le rapport entre la liberté, un lieu
de vie et les fonctions selon un en haut (le Ciel ou le supérieur
hiérarchique) et un en bas (la Terre ou le subordonné).
34
Ces principes sont-ils utiles ? A ce degré de complexité,
personne ne peut le dire mais ce codage empirique de
l’environnement exprime une présence certifiée des lieux qui
protègent l’humain de l’inquiétude existentielle. L’homme
humanise son territoire ainsi représentable. Par le Phong Thuỷ,
le pays se dit « đất nước » terre-eau, là où l’eau arrose la terre
fertile. Un double Âm Dương (Yin Yang) crée une entité
conceptuelle : « nhà nước », maison-eau pour l’Etat… Les
vieilles toitures avaient des tuiles dites âm-dương : elles doivent
être posées en quinconce, face concave vers le haut recueillant
l’eau de pluie puis face concave vers le bas versant cette eau au
sol. L’homme recueille et transmet, vivant entre Ciel et Terre.
A la bataille de Bạch Đằng (1288), le généralissime Trần Hưng
Đạo (1228-1300, né Trần Quốc Tuấn) avait vaincu les YuanMongols du Nord par une parfaite maîtrise du Phong Thuỷ.
Leurs navires ont été piégés par la marée basse à la rivière Bach
Dang alors que le vent s’était aussi inversé rendant impossible
toute retraite. Aujourd’hui, les hommes acceptent mal les
calamités naturelles. Ils usent d’une modernité pour dominer le
naturel contre « vent et marée » – une expression équivalente à
Phong Thuỷ –.
Le Ciel est invisible mais sa puissance ne l’est pas : on le voit
par le frémissement au vent des feuilles, par la course des
nuages, par les tempêtes destructrices. Si l’eau est visible, elle
est insaisissable entre les doigts et sa puissance emporte tout. La
force du vent et celle de l’eau sont liées : le vent amène la pluie,
l’eau gonfle les fleuves et ensemble, ils font les inondations. Le
Phong Thuỷ fait partie de la culture profane ; il rend compte de
l’invisible pour que l’homme n’oublie pas l’environnement et
s’adapte à lui, pas contre lui.
L’accident de Fukushima (Japon, 2011), c’est du Phong Thuỷ
contrarié, mal évalué ; preuve de l’outrecuidance humaine. Au
Vietnam, l’Agent Orange-Dioxine répandu par l’armée
américaine détruit l’équilibre Phong Thuỷ pour très longtemps
encore. La modernité offre parfois un faux naturel.
35
.12.
L’écriture classique Hán Nôm
Alexandre de Rhodes (1591-1660) jésuite portugais, a mis au
point pour les besoins de la cause, la transcription phonétique et
romanisée de la langue vietnamienne dans le Dictionarium
Annaniticum Lusitanum et Latinum (an 1651). Ce qui sera le
Quốc Ngữ (ou langue nationale) sera adopté officiellement et
définitivement au début du XXe siècle par le pays.
La langue vietnamienne fait partie du groupe autochtone
austroasiatique différent du groupe chinois. Cette langue
ancienne à tons, avait ses écritures premières gravées sur les
tambours de bronze (environ 3000 ans avant J.C.). Le Vietnam
était occupé entre le premier siècle et l’an 938. A l’insu de
l’administration chinoise et à partir de cet apport exogène, il va
systématiser une écriture autochtone. C’est le « Hán tự » avec
ses racines dans le Moyen Chinois de la dynastie des Han,
comparable aujourd’hui au Hanji (de Taiwan), Hanzi (de
Chine), Hanza (de Corée), Kanji (du Japon). La phonologie sera
unifiée en Chine par le Dictionnaire de rimes Quieyum (an
601). Le son et les mots vietnamiens (chữ) échappaient quand
même à cet académisme et l’écriture Han sera « déformée ou
détournée » avec des ajouts nécessaires. A partir du XIIIe
siècle, c’est la systématisation du « Chữ Nôm », une écriture
démotique propre aux Vietnamiens qui s’installe à côté du
« Hán tự » qui se dit aussi « Chữ Hán » ou « Chữ Nho » pour
écriture érudite. Jusqu’au début XXe siècle, les actes officiels
étaient encore en Chữ Hán. Depuis et en un siècle, le Han Nôm
est devenu une écriture ancienne que plus personne ne sait lire.
Nguyễn Du (1766-1820) a laissé le Kim Văn Kiều reconnu
comme une œuvre du patrimoine de l’humanité par l’Unesco.
Elle décrit la tragédie amoureuse humaine. Son presque
contemporain du Sud Nguyễn Đình Chiểu (1822-1888) est
l’auteur du Lục Vân Tiên une hymne à l’amour patriotique.
36
Avant eux, la poétesse Hồ Xuân Hương (1772-1822) était
connue pour sa littérature érotique audacieuse. Tous avaient
écrit en Nôm.
L’empreinte chinoise dans la pensée, dans l’administration et la
culture du temps des occupations faisait du Han la langue
officielle. Pour s’en défendre, les lettrés devaient protéger leur
savoir à l’insu des envahisseurs et des officiels. L’écriture Nôm
a été inventée dans ces conditions politiques et aussi pour
transmettre les concepts et la langue orale. Le Vietnamien avait
ainsi un double lexique, une double écriture et pour un double
usage : la langue académique et de l’administration, et la langue
profane et de l’usage commun. La distinction du privé et du
public flirte avec l’officiel et le populaire, et avec deux
légitimités linguistiques d’usage alternatif ou simultané d’égale
valeur. Pour rendre l’idée de la demeure, il y a « gia » du Han
pour le symbole (quốc gia = pays) et « nhà » du nôm pour la
maison (nhà nước = maison-eau = Etat). Ce rapport culturel des
mots était aussi dans l’histoire. Pour l’ancien régime du sud, le
mot Croix Rouge se traduit en Han « Hồng Thập Tự »,
aujourd’hui c’est du Han Nôm « Chữ Thập Đỏ ».
Le revers du Quốc ngữ est l’appauvrissement étymologique du
vocabulaire et seule une signalétique phonétique différencie
leur source. Ainsi « quốc sỉ » : la honte, et « quốc sĩ » : une
personnalité nationale remarquable.
La langue va trouver son unité avec l’écriture alphabétique et
phonétique mais persiste un impact double entre la langue
officielle et la pensée populaire. A cela, le Vietnamien parlé
ajoute ses spécificités tonales régionales : l’expression a six
tonalités au nord, cinq au sud et trois au centre. Cette situation
accentue l’écart normal entre la langue savante et administrative
et la langue populaire. Puis l’histoire, puis l’idéologie s’en
mêleront aussi. Il n’y a pas que la géographie humaine
compliquée chez le Vietnamien.
37
.13.
Une pensée, deux langages
Quatre exemples de situation de langage doublé.
A.- Le mot Religion est traduit par « Tôn Giáo » qui veut dire
littéralement l’enseignement sacré, vénéré (Tôn) tirant ses
racines linguistiques du Hán. Le langage courant pour religion
est « đạo » du Hán vietnamien sachant que « đạo » est
« đường » en Nôm pour dire la Voie.
« Phật giáo » ou « đạo Phật giáo», c’est la religion/la voie
selon Bouddha (Phật) ou Bouddhisme. « Lảo giáo » ou « đạo
Lảo giáo » c’est la voie selon Lao Tseu ou Taoïsme. « Khổng
giáo » (« đạo Khổng » moins usité) est davantage compris
comme l’enseignement de Confucius, le Confucianisme. La
dernière grande religion arrivée au Vietnam est le Catholicisme.
C’est le « Công giáo » ou « đạo Công giáo » et aussi « Thiên
chúa giáo » ou « đạo Thiên chúa ». « Đạo Công giáo » veut
dire littéralement la religion de l’équité (tous les hommes sont
enfants de Dieu) et « Thiên chúa giáo », la religion du Seigneur
Ciel. La notion de Seigneur (du Ciel) heurte le triptyque
classique du Ciel-Terre-Homme et s’approprie l’exclusivité du
concept d’équité. Aujourd’hui, la terminologie officielle
souhaite requalifier ces titres autoproclamés par « Ki-tô giáo »
ou la religion du nom du Christ (Ki-tô) ou Christianisme
(comme celle du nom de Bouddha). Cette « rectification » est
prise dans l’histoire contemporaine. Pour l’ex-gouvernement du
Sud en 1956, la chrétienté était selon la Curie Romaine,
l’unique vraie « đạo » religion, les autres étant des croyances
païennes « tín ngưỡng ». (Immolation de protestation du bonze
Thích Quảng Đức en 1963 à Saïgon). Au Nord, tout cela a été
considéré comme l’opium du peuple, de la superstition contre le
progrès. Aujourd’hui, le Parti Communiste Vietnamien laisse
libre ses membres déclarer leur religion, peu le feront.
38
B.- Sous l’ancien régime capitaliste du sud Vietnam, il existait
la catégorie professionnelle des « Người giúp việc » ou aides
aux travaux (domestiques). Après la guerre, il ne saurait
concevoir qu’en régime socialiste, des personnes puissent être
au service d’autres personnes. C’est donc par la petite porte
qu’un mot japonais va entrer dans le vocabulaire. Depuis une
quinzaine d’années, le terme de « ôsin » sert à désigner les
employés de maison ; et elles s’absentent au Têt déplorent les
journaux. Il y a aussi avec cela une pudeur historique des
siècles de servitude : la servante « con tớ » est une domestique
« con ở » à demeure. « Ôsin » vient d’un feuilleton racontant la
vie moderne d’une employée de maison japonaise.
C.- On retrouve le mot « tớ » avec l’expression ontologique du
Je (Tôi). L’individu est un sujet autonome mais la personne est
un sujet assujetti à un alter ego et au contexte (tôi tớ). Dans les
habitudes de préséance au nord et pour dire qu’on est l’obligé
hiérarchique et plus jeune que l’autre, le personne dit le Je par
« Tớ ».
D.- En 1975 : le pays retrouve la paix sans armée étrangère sur
son sol. En 1976 : Le pays est réunifié. Pour la République
Socialiste du Vietnam, le peuple est le « propriétaire collectif
des terres ». Les Vietnamiens débattaient ainsi entre eux de
leurs affaires domestiques, et les questions sur la propriété
privée familiale et individuelle et les transmissions du
patrimoine reviennent de plus belles. Ainsi aujourd’hui, la
notion de la propriété privée est concrète puisqu’il est permis de
vendre et d’acheter du foncier et de l’immobilier, et de faire des
plus-values.
Le juridique justifie le décalage entre la langue administrative et
la pratique d’usage sous deux aspects. D’abord, il fallait un
arbitrage entre les deux notions de la propriété collective et
privée en termes de possession et d’usage. Le transfert de
propriété selon les traditions séculaires était d’un seul tenant :
quand on vendait une maison, on la vendait aussi avec son
terrain. La pensée administrative établit maintenant deux
processus distincts de transaction : la vente du bâti et
39
l’autorisation nominative d’occupation du sol. Ensuite, il y a
une raison socio-linguistique et psycho-politique. Si vendre le
bâti c’est « bán nhà », « bán nước nhà », c’est vendre son pays.
Si vendre le terrain, c’est « bán đất », « bán đất nước », c’est
encore vendre son pays. Cette proximité sémantique touche à
une mémoire collective de guerre encore vive dans la manière
du Vietnamien d’avoir défendu son pays comme sa propriété.
Cette deuxième raison prend cette ampleur parce qu’elle rejoint
au même niveau, la conception idéologique de la propriété
collective de la nation et la responsabilité collégiale du
Vietnamien. La césure est qu’une personne peut vendre son
bien privé (maison et terrain) alors qu’aucun peuple ne le fera
jamais avec son pays : l’inconscient historique vietnamien a été
traumatisé par la « mise en vente » de son pays par des traîtres,
des incapables ou des étrangers. Il reste encore une confusion
historique entre la souveraineté nationale inaliénable et la
décision souveraine du citoyen de disposer de ses biens
personnels. Cela maintient les difficultés de dégager les
concepts neutres et abstraits comme le « Bien commun public »,
l’Etat, la nation ou la société civile, distinctement de leur
fonction politique et idéologique. Cette confusion crée des
difficultés opératoires ; elles empêchent la finalisation d’une
moralité publique nécessaire à la lutte efficace contre la
corruption. Cette lutte est bien creuse quand une éthique
personnelle aussi pure que possible n’a pas un relais avec une
morale publique. Dans l’esprit du droit, la gouvernance du
foncier sert à traduire les notions de légitimité, de souveraineté
et d’inaliénation de la personne. En France, la tradition
républicaine sait qui parle et comment parler « au nom du
peuple français » pour décider, juger.
Ces processus aboutissent à trois types de documents
indiquant le droit décalé de la propriété et celui de l’occupant :
être propriétaire du bâti, être titulaire d’une autorisation d’usage
foncier (exceptionnelle pour une personne privée, plus courant
pour les entreprises y compris étrangères) et – c’est préférable –
être propriétaire du bâti et titulaire de l’autorisation
d’occupation du sol. En l’occurrence, l’occupation du sol est
40
temporaire, au maximum 50 ans ; et elle est soumise aux
décisions politiques et actuellement à ses aléas spéculatifs alors
que le bâti est acquis sans limite de durée. Il y a ainsi un double
discours. Le sentiment d’être propriétaire et de pouvoir
transmettre ce qu’on a, n’est pas garantie par un titre de
propriété pérenne et pourtant, cela se vit dans la réalité. Le
principe régalien d’un bail emphytéotique n’existe pas donnant
un sentiment d’instabilité sur la signification d’un bien
intergénérationnel transmissible sans ingérence. Il y a une
assimilation entre le séculaire et le séculier. Sans la notion du
Bien public, une expropriation est vécue individuellement
comme un vol d’Etat. Corrélativement, les exilés ne peuvent le
faire valoir sur leurs biens abandonnés sur place et doivent les
racheter ou acheter d’autres s’ils revenaient. L’habitant dira
finalement que le « Sổ hồng » ou livret rose (couleur de la
couverture) tient lieu de titre de propriété. Vendre sa maison et
« vendre » son terrain, c’est un transfert de nom du titulaire de
ce livret.
La pensée sur la propriété de l’Etat-nation est encore fondue
dans l’histoire de l’Etat féodal puis colonial des grands
propriétaires fonciers vietnamiens et étrangers qui avaient
privatisé le territoire national. Ils louaient leur terre cultivable
aux métayers ou le terrain constructible aux gens pour
construire leur bâti. De cette sorte, le « Sổ hồng » entretient
l’idée de céder leurs demeures (sang tên nhà) de gré à gré ou
comme un pas de porte commercial (sang tên tiệm). Les
personnes ont du mal à acquérir et vivre dans des habitations
collectives qui n’offrent pas de terrain, cherchant plus des
maisons de ville verticales en boîte d’allumettes.
Le symbolique de la propriété est géré par une procédure
administrative qui masque un double langage entre avoir
naturellement et posséder par acquisition, entre la propriété
individuelle et la propriété privée, entre le bien collectif et la
propriété nationale, entre la responsabilité de la personne
physique et celle de la personne morale juridiquement parlant.
41
.14.
L’Au-delà
(Le Culte des ancêtres)
Traduction : Cỏi bên kia, thế giới bên kia.
Comme tout le monde, le Vietnamien se préoccupe de la mort,
donc de la vie comme un pensable au-delà du visible. Et comme
pour tous les peuples, la réponse religieuse est là disponible et
multiple avec les croyances locales et des certitudes
personnelles. La question du lien entre le temporel et le spirituel
est autrement traitée en Asie ; elle mérite une anthropologie
critique plus pertinente, approfondie et sérieuse que d’importer
des concepts politiques et culturels exogènes. Notamment, la
notion de bien-être, du visible, du concret et de paradis.
L’au-delà est la représentation de l’invisible par un espace
ouvert, peuplé et sans limite, donc libre, sans maître des lieux,
ni maître à penser. Le Vietnamien peut le concevoir ainsi parce
que l’invisible qui le caractérise, assure une continuité entre ses
ressentis réels mais invisibles et sans limite, et la projection de
ce vécu en dehors et au-delà comme une vue de l’esprit. La
mort a rendu ses proches invisibles mais dans la pensée, ils sont
encore présents par la mémoire et pourront partir vivre vers cet
au-delà. On dit que la mort sépare le corps et rend l’esprit à sa
liberté. Ce départ après la mort se prépare en deux étapes par les
rites des 49e et 100e jours après le décès. Les partants
rejoignent cet au-delà « partagé » avec les autres aïeux que la
famille avait matérialisé par l’autel des ancêtres érigé chez elle.
Psychologiquement, ces préparatifs d’adieu atténuent la
tristesse et protègent le deuil de la dépression. C’est pourquoi,
cet au-delà est sans limite et il y aura de la place pour tout le
monde. Tous les ancêtres se retrouvent joyeux entre eux. A
chacun, son monde. Dans la conception bouddhique, cet esprit
est impermanent et quand il refait corps avec un autre soma
dans une réincarnation, chaque personne peut reconnaître en
42
l’autre son alter ego naturel. L’au-delà est une construction
rationnelle de la subjectivité collective. Cela veut dire que
l’humain est indestructible.
La porte de cet au-delà est l’Autel des ancêtres, et le passage du
visible vers l’invisible par le rite du Culte des ancêtres ; tout le
Sacré se trouve à domicile. C’est le « đạo thờ ông bà », la Voie
de la vénération des aïeux hommes et femmes, sauf pour les
Catholiques qui réduisent ce culte à une cérémonie collectif de
la Toussaint à l’église.
L’essence de ce culte est universelle. Il prend ses sources dès la
conscience des hommes de leur non demande à naître, de leur
pouvoir de création et procréation et de leur mort à terme mais
sans volonté délibérée. Admettre la non demande à naître, c’est
admettre la notion de l’incréé comme une ignorance. Admettre
le pouvoir de procréation, c’est admettre sa puissance
d’autonomie de création. Admettre la mort sans savoir son
heure, c’est admettre l’indétermination ontologique. Toute cette
gnose de la naissance à la mort est scandaleuse ; elle échappe
aux hommes qui veulent en connaître la raison et trouver une
Raison. De cette universalité-là, chaque culture crée sa lecture
pour sauver sa civilisation et l’humanité du tragique. L’humain
a mis au point deux méthodes pour connaître la Raison : le
religieux et le politique sont deux types de réponses
simultanées, l’une pour le spirituel et l’autre pour le temporel.
Le culte des ancêtres signifie symboliquement que l’esprit
retrouve son indétermination qui s’est libérée du soma qui
revient de son côté, à ses déterminants primordiaux concrets
pour un renouvellement. Né poussière, l’homme revient à l’état
de poussière. Dit autrement, l’invisibilité des êtres aimés
décédés rend progressivement invisible les liens que
l’imaginaire des hommes entretenait avec le symbolique et le
concret. Certains anthropologues considèrent ce rite comme le
culte des morts quand sa signification se rapporte au passage au
trépas des défunts. En Asie, c’est un rappel au mouvement
humain et à l’indestructibilité de la vitalité. Tout être est un
ancêtre-en-devenir conscient de la finitude de son soma ; il sait
43
qu’il accèdera au rang de l’être sacré dans la généalogie dans
une fonction de protecteur de la lignée. Il a une obligation de
transmission. Le devenant-ancêtre est esprit et souvenir ; et
chaque personne en héritera le nom par continuité, et le corps
par contiguïté.
La signification du culte des ancêtres a une certaine modernité.
Le Vietnamien vit ainsi très bien avec un autel des ancêtres
chez lui. Cet espace sacré in domo permet de convoquer les
retrouvailles familiales et symboliquement – de façon imagée –
les êtres disparus reviennent chaque année à la maison pour un
repas d’anniversaire (lể Đám giổ). Le souvenir se condense
dans cet espace et ce temps pour ramener dans l’actualité,
l’absent et faire un travail de mémoire. Cet au-delà est aussi
l’espace de la lignée des filiations puisque l’ascendant direct
avait déjà vénéré de son vivant, son ancêtre qu’il a rejoint après
sa mort. Et c’est ainsi que le culte fait remonter sans nommer la
généalogie jusqu’au premier homme du lignage. Le Vietnamien
sait alors son rang dans la génération ; l’écart et la transgression
sont « tolérables » tant qu’il respecte le culte, qu’il reste dans
les rangs.
Le culte de l’immortalité (de l’esprit) des ancêtres et de la
vitalité familiale apporte un vécu particulier du Vietnamien du
temps, de la durée et de la violence. D’abord, il vit avec le sacré
et bénéficie du rôle protecteur des aïeux contre les dangers
connus, racontés ou imaginaires. Ensuite, l’ancêtre sacralisé et
indestructible transcende les velléités œdipiennes profanes
décrites par la théorie freudienne du « Meurtre du Père » : nos
enfants ne nous tueront pas si nous n’avions pas tué – certes
symboliquement ou même symboliquement – nos parents.
Même inconsciemment, cela n’est pas tenable qu’il faut
éliminer ce contenu dès sa genèse par le dispositif culturel du
culte des ancêtres, la piété filiale, la nomination des rangs. La
culture fait le nid de l’inconscient humain.
Les ancêtres et le culte des ancêtres forment ainsi un socle
mental pour vivre et penser le présent. Le bouddhisme fait
44
partie de ce fonds culturel du Vietnamien. Cet enseignement est
entré au Vietnam vers l’ère chrétienne par le sud venant de
l’Inde, du Sri Lanka et du Siam (courant Petit Véhicule) et par
la Chine au Nord (le Grand Véhicule). Le recherche de l’éveil
bouddhique est une recherche de vérité ; elle apporte à l’homme
« la pleine conscience de soi » qui s’appuie sur le vécu du « ici,
maintenant et pleinement » : c’est la notion de l’Ainsité (sk :
Tathatā ; vn : Chân dư), une phénoménologie existentielle qui
implique la pleine responsabilité de l’homme aux affaires du
moment sans négliger son salut personnel. Dès lors, la référence
aux valeurs conduit au respect des ancêtres qui devient le
respect de tous les ancêtres. Cette valeur éthique commune
conduit à défendre la nation comme une notion d’abord morale
avant d’être conventionnelle et juridique. Voilà l’anthropologie
du sens du Bien commun et de l’éthique politique par le culte
des ancêtres méritants. Cela se ressent dès la nomination et le
parler de soi et de l’autre lors des conversations et des échanges
de politesse. Le mythe fondateur et fédérateur des Vietnamiens
tous frères malgré leurs différences sociales est toujours actif ...
et la « lutte des classes » a disparu lors de la réforme
constitutionnelle socialiste de 1992.
45
.15.
L’En-deçà
(Ici, maintenant et pleinement)
Traduction : Cỏi chúng sanh (l’espace des êtres bien nés)
Il faut un détour par la racine étymologique chinoise des
notions d’espace et de temps pour mieux saisir leur sens. Le
vietnamien partage avec le chinois, le japonais et le coréen, une
phonétique commune. Selon F. Jullien (In : Du ‘temps’.
Eléments d’une philosophie du vivre, Paris, Grasset, 2001), les
contacts avec la science occidentale à la fin de XIXe avaient
obligé les pays de culture sinisée à conceptualiser autrement ces
notions. Il leur fallait réinventer les concepts à partir de notions
classiques. En vietnamien, l’espace se traduit par « Không
gian » et le temps « Thời gian ». « Không gian » veut dire
l’espace du vide – qui n’est ni plein, ni du néant – entre deux
points repères qui fixent l’intervalle étalon. « Thời gian » veut
dire l’unité de la durée entre deux repères. Dans la tradition
classique, l’espace est a priori sans limite, à la même mesure
que l’espace de la pensée ; et le temps se répète cycliquement
comme l’horloge et le calendrier mais sa durée est infinie. Le
couple espace-temps définit plus le mouvement qu’une vitesse,
plus le cycle perpétuel que le déplacement linéaire d’un état à
un autre, d’un point de départ pour une destination ou un
objectif. Ainsi en voyage, vous regarderez plus souvent votre
montre que votre compteur kilométrique et le cadran marquant
la vitesse constante (tant de km par heure). Ce couple se déplie
comme une aiguille tournant sur son cadran horaire et trace une
ligne sinusoïdale sans fin sur une feuille de papier où s’écrivent
les événements de vie. Quand le Grec Protagoras dit que
« l’homme est la mesure de toute chose », le Vietnamien et
probablement beaucoup d’Asiatiques diraient que l’homme est
fondamentalement la mesure du temps et de l’espace avant
d’être la mesure des choses créées par lui dans ce temps et dans
46
cet espace. Concrètement, la parole doit être aussi mesurée que
le geste et le corps dans son déploiement et son dépliage.
L’en-deçà humain est caractérisé par le sentiment de culpabilité
et le sens de responsabilité. Comment les mesurer ?
Je dirai que l’humanité a deux extrémités : d’un côté la
relativité d’Einstein rapportée à la dimension humaine
(équivalence : énergie de la pensée = matière concrète, toutes
deux liées par la volition) et de l’autre, la relativité de la vie et
de la mort échappant à cette volonté humaine. Et entre ces deux
extrémités, il y a une succession et une simultanéité
d’événements, de faits et de moments de silence – le Faire et le
Non-faire de la vie – dont l’homme donne du sens comme la
preuve ou la trace de son existence. Et par cette faculté, sa
présence constante au monde le distingue définitivement de
l’animal : c’est son fait de Conscience. Le premier acte de
conscience de la conscience – la conscience d’elle-même – est
de vivre l’en-deçà comme une actualité que « ça, c’est comme
ça ». L’homme est responsable de sa conscience et des contenus
– même inconscients – de conscience. Sa pleine conscience de
vivre sans contradiction et réduire les tergiversations est le « ici,
maintenant et pleinement », c’est l’Ainsité (sanskrit : Tathatā ;
vietnamien : Chân Như) équivalent à un Nirvana ad hoc et
instantané. L’éthique pure est le guide tant que l’éthique est
pleine et entière quand elle apparaît – et la conscience la fait
apparaître – et qu’elle le sera davantage à l’instant d’après et
dans l’espace suivant. C’est le seul engagement pur de présence
avec autrui qui puisse s’opposer à la violence. La conscience
cultive cette vertu pure car perfectible ; il n’y a pas de vertu qui
soit absolue qu’on confondrait avec le principe absolu de la
vertu. Chez le Vietnamien, l’idéal du présent, c’est l’éthique de
la réciprocité ; et l’idéal du futur, c’est l’éthique des savoirs de
savoir améliorer les situations. Cela entretient un optimisme
raisonnable pour des choses justes qu’au lendemain, ces choses
n’iront que mieux encore. De là, « Donner, Recevoir, Rendre et
Entretenir » forment le fonds de l’humanité. C’est l’éthique
classique et universelle de l’Harmonie et du Juste Milieu. Pour
cela, il convient de pratiquer les Cinq Vertus ou « Ngũ Đức :
47
nhân, nghĩa, lể, trí, trung », c’est « pratiquer le sens humain, le
sens du juste, le sens des principes, le sens de la sagesse, le sens
de la loyauté envers soi et les autres ». Ces Cinq Vertus forment
une boucle vertueuse contre le cercle vicieux d’une vie sans
morale ni discipline éthique. Cette boucle commence pour la
personne à partir du sens éthique d’être un humain grâce au
noyau de Bouddha en soi (Tâm phật) pour finir son mouvement
par connaître la loyauté éclairée ; le sens du juste est le
sentiment de justice, le sens des principes est le respect des
règles et de la loi, le sens de la sagesse est la capacité à penser
par soi-même. Pour son groupe et d’abord au sein de la famille,
cette boucle démarre par contre par le sens de la loyauté et
d’appartenance comme un ralliement et une reconnaissance
pour élaborer au final, le sens d’être un être humain moral qui
mérite son nom de vivre dans sa communauté. C’est pourquoi,
le Vietnamien est convaincu de la puissance transcendante de
l’éthique pure sur toute forme d’impuretés : violence, injustice,
corruption, cruauté quand son vécu lui apporte par étapes, un
sentiment de légitimité. Tout au long de son histoire nationale
contre les envahissements puis lors de ses deux dernières
guerres contemporaines, c’étaient aussi par cette éthique du pur,
du juste et le sentiment de légitimité que les difficultés ont été
dépassées, soit activement ou bien en laissant les événements se
faire.
Le Vietnamien construit son éthique comme un tableau de
Pythagore à double entrée : d’un côté, le bien et le mal, et de
l’autre, la vertu et le vice. Quand on se fige à une raison,
l’éthique devient une moralité rigide et agite une culpabilisation
qui ne fait plus peur. Qui peut prétendre imposer cela à autrui ?
La vie est en mouvement perpétuel ; et le moral et la moralité
ne peuvent jamais anticiper les imprévus humains et
l’impondérable de la vie. Ne pas confondre le rigide avec le
rigoureux, c’est savoir réajuster le juridique par la
jurisprudence. Pour apprécier la responsabilité et la culpabilité
humaine, il y a un mot double « tội lổi » qui porte le sens de la
faute inexcusable (tội) et l’erreur excusable (lổi). C’est cette
distinction qui permet de punir et de sanctionner le mal, et
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d’identifier le vice (dâm) et le corriger. Ces observations faites
souvent après coup reconnaissent parfois le vice comme une
fausse vertu car il y a eu une erreur de conduite. L’indulgence
rectificative y trouve son compte car une vertu pleine et
complète peut se corriger elle-même, s’approcher de la vérité au
temps suivant si l’humain a admis son insuffisance. Cela donne
le sentiment que le Vietnamien est modeste, accommodant et
souple ; qu’il semble pratiquer la compromission ou le faux
semblant même si cette attitude existe aussi comme partout.
C’est le fonds culturel bouddhique qui lui indique la
perfectibilité de l’homme : éloigner le mal, réduire le vice et
rendre la vertu plus vertueuse. Par le noyau de bouddha en soi,
l’homme porte un bon fond de pureté, et c’est l’ignorance qui
l’empêche de voir cela comme cela.
Ce que le Vietnamien redoute le plus, c’est la cruauté ordinaire
et insidieuse (hiểm ác, sảo quyệt) car elle dégage une puissance
irréfléchie qui oblige l’éthique à la violence malgré elle et
contre elle-même. La cruauté ordinaire et insidieuse, c’est
quand on confond vitalité et agressivité. C’est la perversité
cachée de la personne humaine qui prêche exprès le faux pour
savoir le vrai, qui séduit pour corrompre, qui use sciemment de
la recette de faire un mal pour un bien ou un bien pour un mal,
qui pense que punir, menacer ou faire peur suffit à faire calmer
les gens ou les sortir de l’ignorance. Cela ne pousse qu’à une
sourde violence. C’est cette perversité qui obture la pleine
conscience d’être honnête, raisonnable et de pratiquer le vivre
« ici, maintenant et pleinement ».
Le Vietnamien sera-t-il le même homme dans la paix et avec la
modernité ; l’avenir lui sera-t-il aussi incertain ? Le concept de
puissance n’est pas celui de la force, et celui de culture n’est pas
une addition de sciences avec ses idéologies. L’homme
vietnamien du XXIe siècle a acquis de la culture générale et une
conscience universelle. Il est plus rasséréné in fine par la Vertu
légitime qui appelle au consensus ; il examine la Vérité
déclarative pour ne pas se faire manipuler et ne pas se
conformer aveuglément à l’instance diseuse de cette vérité.
Bref, une vérité crée plus de violence quand elle est imposée par
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la force ou suggérée par le marketing que la Vertu immanente
de cette même vérité quand elle vient d’une délibération
collective comme la source de solidarité. Une société de vitrines
peut cacher les manières obscures de faire le spectacle pour les
garnir.
« Vivre ici, maintenant et pleinement », c’est d’être
pragmatique pour garder le cap d’un idéal éthique de vie et
éviter un réalisme cru et brutal qui impose de s’adapter pour
seulement survivre et douter des perspectives d’avenir.
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Table des matières
1.- Plusieurs noms pour une histoire nationale.
2.- Le Nam (Le Sud).
3.- Les Việt (L’ethnie).
4.- L’esprit de héros (Tinh thần anh hùng).
5.- Bắc bộ - Nam bộ ou le Nord - le Sud (La mondialisation par
la guerre coloniale).
6.- Une gastronomie au quotidien : le Phở et le Gỏi cuốn.
7.- Le féminin (Giới nữ, phụ nữ).
8.- La famille et l’enfant (Gia đình ; con cái, con nít, trẻ em).
9.- Etudier et progresser (Học và tiến).
10.- Le chiffre, l’ordre et le mathématisable (Số).
11.- Phong Thuỷ /Feng Shui (L’environnement).
12.- L’écriture classique Hán Nôm.
13.- Une pensée, deux langues.
14.- L’Au-delà (Le Culte des ancêtres).
15.- L’En-deçà (Ici, maintenant et pleinement).
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Bibliographie :
Choi Byung Wook, 2004 : Southern Vietnam under the Reign
of Minh Mang (1820-1841). Cornell Univ. (Vung dat nam bo
duoi trieu Minh Mang, Hanoi, The Gioi, Hanoi, 2011)
Fairbank J.K, Goldman M., 2010 : Histoire de la Chine. Des
origines à nos jours. Paris, Tallandier. (China, A New History,
Harvard College, 1992, 1996, 2006).
Huu Ngoc, 2009 : A la découverte de la culture vietnamienne.
Hanoi, The gioi, (5e édition).
Lê Thanh-Khôi, 1955 : Le Vietnam. Histoire et civilisation.
Paris, Editions de Minuit.
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Nhà xuất bản Thanh Niên-Báo Tiền Phong, Hà Nội (Le
Vietnamien : qualités & défauts, ses mauvais penchants, 2009 :
ouvrage collectif. Les éditions Jeunesse-Journal Avant-garde,
Ha Noi).
Yoshiharu Tsuboï, 1987 : L’Empire vietnamien face à la France
et à la Chine (1847-1885). Paris, L’Harmattan.
Auteur :
LUONG Can-Liêm (1952). Psychiatre, Docteur en Psychologie.
Chargé de cours à la faculté de médecine, Paris XIII.
Psychiatre Croix Rouge Française. Psychiatre
Minkowska pour la santé des migrants et réfugiés.
Centre
Président de l’Association Scientifique franco-vietnamienne de
psychiatrie et de psychologie médicale, de l’Association Les
Amis de la Croix Rouge Vietnamienne (France).
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