1 Bruno ELDIN IUFM de Valence Formation PE1 La romanisation de la « Gaule » I- Quelques définitions : * La romanisation C’est un processus (une dynamique) – économique, politique et surtout culturel au sens large – de longue durée qui ne débute pas avec la « guerre des Gaules » de Jules César (58-51 av. J.-C.). En effet, bien avant cette nouvelle guerre de conquête, une partie des Gaules était déjà passée dans « l’orbite » romaine. Les Romains - à l’appel des Grecs de Marseille – ont d’abord conquis la « Gaule » méridionale (125118 av. J.-C.) et organisée la province (provincia qui a donné le mot Provence) de la Gaule Narbonnaise (La colonie de Narbonne a été fondée en 118 av. J.-C.). Plus au nord, les Eduens (en Bourgogne-Morvan. Alliés des Romains depuis le début du IIe s. av. J.-C.), les Séquanes (Franche-Comté) et les Lingons (autour de l’actuelle Langres) avaient établi un système monétaire calqué sur la drachme grecque de Marseille et le denier romain. Entre 150 et 50 av. J.-C., ces régions ont importé de centaines de milliers d’hectolitres de vin italien. Les négociants romains et « gaulois » échangeaient du vin (surtout) et de la céramique contre de l’étain, de l’argent, de l’or, du fer, du bétail, des peaux, du sel et esclaves (15.000 par an ?). Il semble que le principal trafic portait sur des vins italiens échangés contre des esclaves « gaulois ». Donc, des relations économiques puissantes et des routes disponibles (elles sont « gauloises » avant d’être romaines !) avant même la conquête de César. La romanisation ne s’achève pas avec la « traditionnelle » date de la fin de l’Empire romain d’Occident en 476 ap. J.-C. Elle s’est en effet poursuivie bien au-delà de cette date « canonique » avec l’intégration des peuples « barbares » dans la Romanité (voir la christianisation). * La « Gaule » La « Gaule » n’est qu’un morceau (« créé » par César pour des raisons politiques et idéologiques. Une pure « invention » de César !) d’un vaste ensemble géographique appelé la Celtique par les Grecs et qui s’étendait de part et d’autre du Rhin (ce fleuve n’est pas une frontière « naturelle »). Pour C. Goudineau « la partie de l’Europe occupée par les Celtes (selon) les Grecs ou par les Gaulois (selon les Romains) n’eut jamais la moindre unité politique, elle ne forma jamais une unité » (p. 95). Plutôt que d’utiliser le singulier, c’est le pluriel qui s’impose pour désigner ce vaste espace auquel les Romains vont progressivement donner une unité par le biais de la romanisation. D’où au singulier, l’utilisation des guillemets ! Avant l’arrivée des Romains, la « Gaule » est un pays « riche » en termes d’élevage et d’agriculture (céréaliculture). L’artisanat gaulois témoigne d’un haut niveau technique. Forgerons et bronziers sont réputés pour la qualité de leurs produits. Les Gaulois excellent aussi dans le travail du bois et de l’argile. En conclusion, la « Gaule » apparaît comme une région prospère, très exploitée et très habitée (plus de 5 millions d’habitants ?) ; très largement défrichée, au moins depuis le IIIe siècle av. J.-C. Une région majoritairement rurale avec cependant de vastes agglomérations ceintes de remparts (appelées oppida, que l’on peut considérer, pour certains, comme de véritables villes. Document 1 – Carte de la Gaule au temps de la conquête gauloise. Au premier siècle av. J.-C., les nobles gaulois voient leur pouvoir ébranlé et les liens de clientèle se relâcher peu à peu. Commerçants et artisans ont intérêt à la présence romaine pour continuer à commercer, s’enrichir et à se libérer ainsi progressivement de la tutelle de l’aristocratie foncière. Quant à Rome, elle a un besoin vital de la Gaule pour écouler ses produits, elle a besoin vital du blé de la Gaule pour nourrir ses populations. La « guerre des Gaules » (58-51 av. J.-C.), qui sera l’ultime aboutissement de ces confrontations, n’est pas le soulèvement général de tout le pays face aux Romains. Vercingétorix est, au contraire, le représentant d’une classe sociale, en pleine décadence politique. 2 2 – Principales notions sur la romanisation de la Gaule mots clés : Romanisation, acculturation, intégration ; urbanisation. La romanisation de la « Gaule » ou des Gaules s’est développée en trois étapes : pénétration commerciale ; soumission militaire ; intégration des élites et occupation du sol. Une fois les Gaules réduites à l’obéissance, les trois grands vecteurs de la romanisation ont été : le développement urbain ; la diffusion du culte impérial ; l’action de l’armée. 1° L’armée comme vecteur de romanisation Dans les années qui suivirent la conquête, les Gaules ont été marquées par la présence et le pouvoir de l’armée romaine. Elle fut dans un premier temps un agent de pacification, de coercition et d’oppression. La pacification a été relativement difficile et longue. Il faut attendre Auguste et Agrippa pour que les Gaules soient enfin « pacifiées » et en quelque sorte « démilitarisées » même si il y eut encore quelques révoltes localisées. L’armée romaine (peu nombreuse) se sédentarisa alors sur la frontière du Rhin (Germanies et Belgique). *L’armée a d’abord participé à la construction de routes stratégiques, sûres, solides et aménagées. Grâce à ces routes, Rome put assurer à moindre coût à la fois la garde des frontières et l’ordre dans les provinces. Ce réseau routier - dont le point de gravité était Lyon et qui reprenait en partie des routes gauloises - n’avait pas seulement une utilité militaire, il facilitait l’administration de l’Empire et le déplacement rapide de ses fonctionnaires. Il a servi aussi de base de repère pour les opérations cadastrales et de point d’appui pour la centuriation des colonies romaines. Ces routes ont enfin facilité et élargi les échanges économiques. En bref, le réseau routier a certainement été la meilleure garantie et le plus efficace instrument de la « paix romaine » en Gaule en assurant à la fois sa protection et son intégration intérieure et extérieure. **L’armée en recrutant à partir du IIe siècle ap. J.-C. des soldats indigènes (auxiliaires, légionnaires) a favorisé leur promotion sociale (naturalisation) et partant la romanisation. Une fois démobilisés et de retour dans leurs cités d’origine, les officiers d’origine gauloise se comportaient en agents loyaux du système impérial. Cependant, on estime que sous l’Empire ce phénomène de promotion sociale par le biais de l’armée ne devait concerner que quelques milliers de personnes par an. Mais il faut se rappeler que dès la conquête des unités auxiliaires gauloises ont appuyé les légions de César. D’autres unités ont participé aux guerres civiles à la fin de la République. Ces soldats gaulois ont eux aussi favorisé la romanisation en adoptant la langue et le mode vie des Romains. Document 2 – La Gaule romaine au II° siècle. ***L’armée a joué enfin un rôle majeur dans le processus d’urbanisation des Gaules (voir § 3). Après la conquête, les troupes d’occupation ont longtemps stationné à proximité des oppida et des bourgs gaulois. Parfois, des postes fortifiés ont été créé ex nihilo pour surveiller et administrer les régions conquises (ex. de Lyon et de Cologne). Ces postes ont favorisé le développement urbain. Les routes militaires (voir plus haut) ont aussi servi d’appui à la naissance de centres urbains (Trêves, Tongres, Bavai, Amiens). Plus tard, sur la frontière Rhin, l’installation de l’armée dans des camps permanents ont favorisé l’urbanisation de la partie orientale de la Belgique et des Germanies qui sont devenues au IIe et IIIe siècles la région probablement la plus urbanisée et sûrement la plus romanisée de l’ensemble des Gaules, à l’exception de la Narbonnaise. 2° L’Empereur et son culte comme vecteur de romanisation Conçu par l’empereur Auguste et son gendre Agrippa comme l’un des ciments de l’Empire, le culte impérial a bénéficié, dès l’origine, de la construction de monuments prestigieux situés dans les centres urbains, près du forum. Ce culte devait être un ciment plus fort que la simple force de l’armée romaine. Pour remplacer les vieux cultes de Jupiter, Junon et Minerve, les Romains ont inventé le culte de Rome divinisée et d’Auguste. Parmi de nombreux vestiges présents dans de nombreuses villes gallo-romaines, deux temples - bien conservés donnent une bonne image de ce culte : la Maison carrée de Nîmes ; le temple d’Auguste et de Livie à Vienne. 3 Toutes les villes honoraient donc ensemble la déesse Rome et le premier empereur fondateur de l’Empire ainsi que l’empereur régnant. Parallèlement à ce culte « municipal », les trois capitales provinciales (Narbonne, Lyon, Cologne) se sont ornées d’un sanctuaire fédéral. L’exemple un peu mieux connu aujourd’hui est celui de Lyon. Face à la colonie, sur la pente de la Croix-Rousse, dans un territoire appartenant en commun aux soixante cités de la « Gaule », se trouvait un ensemble monumental (amphithéâtre, autel des Trois Gaules, etc.) dans lequel, chaque année au mois d’août, une fête réunissait les délégués des cités dans le but de renouer les liens de fidélité à l’Empire, de verser le tribut dû par les Gaules et de régler avec le magistrat romain les affaires en souffrance. Les notables recherchaient souvent la prêtrise du culte impérial de leur cité. L’ultime promotion se trouvait dans les fonctions, plus prestigieuses encore, de « prêtre de Rome et d’Auguste » du culte fédéral de Narbonne, de Lyon ou de Cologne. On retiendra de ce paragraphe que le culte impérial a été un agent de romanisation et un facteur de promotion sociale pour les élites urbaines. 3° Les cités comme vecteur de romanisation La romanisation a commencé en Gaule du Sud avec la fondation de villes comme Aquae Sextiae (Aix en Provence), Narbo Martius (Narbonne)… Toutefois, c’est vers 50 après J.-C., donc sous l’Empire, que la « Gaule » est dotée d’un tissu urbain dense et complexe, formé de villes aux statuts juridiques complexes. La ville est en effet l’élément qui caractérise l’emprise de Rome. Toutes ces villes ont été fondées par le conquérant, sur l’emplacement des agglomérations gauloises, ou mieux à distance, afin de rompre avec le passé indépendant et de s’intégrer au réseau des axes de communication, réseau réorganisé par Auguste et Agrippa à partir de Lugdunum (Lyon). Dans le concept de ville romaine, apparaît tout un processus de déstabilisation des peuples conquis. Les habitudes des Gaulois devaient être changées, et les Romains leur fournissent un modèle d’habitat éloigné de leurs anciennes coutumes : un plan urbain, un centre monumental, une enceinte au rôle souvent honorifique. Pour les inciter à adopter leur civilisation, ils offrirent, après la conquête, à une portion de l’ancienne aristocratie gauloise, qui aurait du tout perdre avec la conquête, le privilège de devenir les élites de cette romanisation (octroi de la citoyenneté romaine). Cet épisode de romanisation sur une courte durée fut suivi d’une période plus longue de transformations culturelles. Résider en ville est la seul manière pour les habitants de la « Gaule », d’obtenir le parrainage des notables et ainsi, quelquefois, d’acquérir un statut social supérieur à l’intérieur de cette société gallo-romaine très hiérarchisée. Le sommet de cette société était formé par les descendants des anciennes familles de l’aristocratie gauloise, les premiers à avoir pu profiter des largesses du conquérant. Document 3 – Plan d’Arles (Arelate). Les campagnes formèrent longtemps des foyers de conservatisme gaulois. Là, la romanisation a été plus longue et parfois incomplète. C’est dans les villes que la langue latine s’est d’abord imposée. La langue des vainqueurs était utilisée dans l’armée, dans l’administration et les relations commerciales. Le latin a été probablement assez largement compris d’une bonne partie de la population dès le I er siècle av. J.-C. avant de se répandre lentement dans les campagnes. En conclusion, la ville a joué un rôle de premier plan dans la romanisation des Gaules. Elle a été au cœur de ce processus, elle en a été le facteur le plus fécond et le plus dynamique. Elle est « devenue le véritable foyer de la civilisation occidentale » (P.-M. Duval). Néanmoins, on ne doit pas oublier que de forts éléments de tradition indigène ont perduré tout au long de l’Empire, surtout dans les campagnes. La romanisation a été plus ou moins profonde. L’urbanisation fut un phénomène progressif et surtout très inégal selon les régions. En d’autres termes, le pays ne fut pas couvert de « petites Rome ». En effet, on rappellera avec l’historien Christian Goudineau que les Gaules « ne furent pas le siège d’une grande réussite urbaine, malgré la somptuosité apparente de certaines manifestations ».