Corrélations quantiques insensibles à l`espace et au temps

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SECTION DE PHYSIQUE
GROUPE DE PHYSIQUE APPLIQUÉE
Rue de l'Ecole-de-Médecine 20 | CH-1211 Genève 4
Tél. 022 702 65 95
Fax 022 781 09 80
Prof. Nicolas Gisin
Directeur du groupe d’optique
E-mail: [email protected]
Genève, le 31 octobre 2001
Corrélations quantiques insensibles à l’espace et au temps
Nicolas Gisin, André Stefanov, Antoine Suarez, Hugo Zbinden
Des expériences réalisées à Genève entre octobre 1997 et octobre
2001 apportent une nouvelle confirmation de la théorie quantique et
posent des questions cruciales sur la nature du monde physique.
Ces expériences sont l'aboutissement d'une collaboration entre :
 le Groupe de Physique appliquée de l'Université de Genève,
représentée par le professeur Nicolas Gisin, et
 le Dr Antoine Suarez (Center for Quantum Philosophy of
Geneva)
Elles ont été sponsorisées par :
 la Fondation Odier de Psycho-physique, représentée par son
président le Dr Marcel Odier, qui, étudie les divers domaines
touchant à la transmission de l'information.
La mécanique quantique est la théorie physique qui décrit le monde des atomes et des
particules élémentaires, telles que les électrons, protons, ainsi que les « particules de
lumière », appelées photons. Selon cette théorie, un système physique constitué de
plusieurs particules doit parfois être considéré un seul objet, non décomposable en ses
éléments: le tout est plus que la somme des parties. Ainsi, par exemple, le système
“atome d’hydrogène”, bien que formé d’un proton et d’un électron, constitue un objet
unique. Cet aspect de la mécanique quantique est particulièrement frappant quand le
système étudié est constitué de deux photons distants de plusieurs kilomètres.
De tels photons peuvent être crées par une source de lumière très particulière, puis
guidés par des fibres optiques vers deux laboratoires distants. Dans chaque
laboratoire, un physicien peut analyser « son » photon à l’aide d’appareils de mesure.
Pour simplifier, considérons que chacun des deux physiciens n’a le choix qu’entre
trois appareils de mesures et que chaque appareil ne peut produire qu’un résultat
binaire, c’est-à-dire du type oui/non. L’expérience est répétée un grand nombre de
fois. A chaque fois, chaque physicien utilise son libre arbitre afin de choisir un des
trois appareils de mesures à sa disposition. La mécanique quantique prédit, et
l’expérience confirme, que pour certains systèmes physiques, tels que nos deux
photons, à chaque fois que les deux physiciens font le même choix d’appareil de
mesure, les photons donnent la même réponse : ces résultats sont donc fortement
corrélés.
Des corrélations entre des événements sont choses courantes dans notre quotidien.
Pour les scientifiques l’observation de corrélations est à la base des données
empiriques à partir desquelles ils construisent leurs théories. Dans le monde de tout
les jours (non quantique), les corrélations entre les photons décrites ci-dessus peuvent
s’expliquer de deux manières. Premièrement, on peut imaginer que les réponses
fournies par les photons auraient été décidées à l’avance : c’est l’explication par
« causes communes ». Par exemple, deux ordinateurs peuvent indépendamment l’un
de l’autre produire le même résultat s’ils exécutent le même programme (la cause
commune est dans ce cas le programme). En 1964, John Bell, un physicien Irlandais
travaillant alors au CERN à Genève, a montré que la mécanique quantique prédit
certaines corrélations incompatibles avec ce type d’explication, ce sont les célèbres
« inégalités de Bell ». Depuis, de nombreuses expériences ont réfuté l’explication des
« causes communes». En particulier, une expérience réalisée en 1997 par le Groupe de
Physique Appliquée de l’Université de Genève avec des photons voyageant par les
fibres optiques de Swisscom, et analysés à Bernex et à Bellevue [1].
Une deuxième explication naturelle des corrélations observées suppose que les deux
photons communiquent dès qu’ils sont analysés : le premier photon analysé
communique son choix au deuxième photon. Une difficulté de cette explication est le
principe d’Einstein qu’aucune information ne peut être communiquée plus rapidement
que la lumière. Or, l’expérience mentionnée ci-dessus entre Bernex et Bellevue a
démontré que cette hypothétique communication devrait se propager à une vitesse au
moins un million de fois plus rapide que la lumière [2,3,4]! En fait, cette difficulté
n’est pas fatale. En effet, seule la vitesse de l’information est limitée par le principe
d’Einstein. Dans le cas des photons, l’information du choix du premier photon n’est
pas contrôlable par le physicien: le choix est celui du photon et de l’appareil de
mesure, le physicien ne peut qu’observer le résultat et non l’influencer. Une liaison
téléphonique n’est utile que si l’émetteur peut choisir l’information reçue par le
récepteur. Dans le cas du « téléphone quantique », les deux personnes connectées
n’entendent que du bruit sans aucune signification, mais il s’agit exactement du même
bruit. Ainsi comme il n’y a pas d’information utile voyageant plus vite que la lumière,
le principe d’Einstein n’est pas violé.
Afin de tester cette deuxième explication des corrélations entre les photons, les Dr
Antoine Suarez et Valerio Scarani ont proposé en 1997 une expérience alliant théorie
quantique et la relativité du temps [5]. Rappelons que selon la théorie de la relativité
d’Einstein, l’ordre chronologique de deux événements peut dépendre de la vitesse de
l’observateur. Suarez et Scarani ont donc proposé une expérience dans laquelle les
appareils de mesure qui analysent nos deux photons sont en mouvement de telle sorte
que selon l’appareil de Bernex, le photon de Bernex est analysé avant celui de
Bellevue. Mais simultanément, selon l’appareil de Bellevue, le photon de Bellevue est
analysé avant celui de Bernex ! Dans une telle configuration, aucun des deux photons
n’est analysé en second, donc aucune communication n’est possible, quelle que soit la
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vitesse hypothétique. Suarez et Scarani concluent que dans ce cas de figure les
corrélations devraient disparaître alors que la mécanique quantique prédit la
subsistance des corrélations. Ces expériences ont donc le mérite de tester pour la
première fois l’insensibilité au temps des corrélations quantiques.
En 1997 Antoine Suarez propose au Prof. Nicolas Gisin de réaliser cette expérience,
avec le soutien financier de la Fondation Odier de Psycho-physique. Après s’être
assuré qu’aucune expériences déjà réalisées ne s’appliquent à ce cas de figure, le Prof.
Nicolas Gisin, son proche collaborateur le Dr Hugo Zbinden et André Stefanov, un
étudiant en thèse, se mettent au travail. Après quelques résultats intermédiaires,
l’expérience cruciale est réalisée en automne 2001 : les photons fournissent des
réponses corrélées, comme prédit par la mécanique quantique, même s’ils sont chacun
« questionné avant l’autre » [6]! Ce résultat réfute le modèle de Suarez et Scarani. Par
là il confirme l’insensibilité au temps des corrélations quantiques [7], et exclut
l’explication des corrélations par « communication entre les photons »
La mécanique quantique prédit l’existence des corrélations observées et est donc en
parfait accord avec les expériences. Toutefois, les expériences récentes marquent une
étape dans le développement de la physique fondamentale. Tout en confirmant les
prédictions de la mécanique quantique, elles posent des questions cruciales sur la
nature du monde quantique. En effet, elles démontrent que ces corrélations ne
peuvent pas être comprises comme des corrélations entre événements, chaque
événement résultant d’une chaîne causale : Deux chaînes causales ne peuvent produire
des événements corrélés que si elles ont une cause commune (explication réfutée
depuis longtemps par l’observation de la violation des « inégalités de Bell »), ou si
elles sont reliées par une ou des communications (explication réfutée par nos récents
résultats). La conclusion en est que les corrélations au niveau du monde quantique ont
leurs causes propres, non réductibles à celles des événements, et elles sont insensibles
à l’espace et au temps.
[1] W. Tittel, J. Brendel, H. Zbinden, N. Gisin, Physical Review Letters. 81, 35633566 (1998)
[2] V. Scarani, W. Tittel, H. Zbinden, N. Gisin, Physics Letters A 276, 1–7 (2000)
[3] H. Zbinden, J. Brendel, N. Gisin, and W. Tittel, Physical Review A, 63, 022111
(2001)
[4] N. Gisin, V. Scarani, W. Tittel, H. Zbinden, 100 years of Quantum theory,
Proceedings, Annalen der Physik 9, 831-842, 2000
[5] A. Suarez, V. Scarani, Physics Letters A 232, 9 (1997)
[6] A. Stefanov, A. Suarez, H. Zbinden, N. Gisin, Physical Review Letters (2002)
88.120404
[7] A. Suarez, http://xxx.lanl.gov/abs/quant-ph/0110124.
, Proceedings, Annal. Phys. 9, 831-842, 2000;
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