La joie dans la classe des noms

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La joie dans la classe des noms
Prep.univ.drd Oana Maria PĂSTAE
Universitatea “Constantin Brâncuşi” Târgu-Jiu
L’expression des sentiments est un segment de la grammaire original parce qu’inédit. Le
domaine de l’expression émotionnelle est si peu exploré encore, spécialement l’expression de la
joie. La classification des expressions de sentiment est avant tout un problème philosophique. On
discute depuis bien longtemps de la séparation entre sentiments, sensations, qualités morales et
autres états de l’âme. On parle des joies corporelles, lesquelles dépendent de la nature tout entière,
et des joies de l’âme, lesquelles dépendent de la nature de notre volonté, parce qu’on considère que
l’âme et le corps sont deux substances distinctes. Le présent travail porte sur les noms qui
expriment la joie en français contemporain. On parle de l’intervation d’un agent ou d’une cause
dans des phrases exprimant des sentiments.On appelle noms de sentiment les noms qu’on peut
construire avec le verbe support « avoir » et ses extensions « éprouver, ressentir ».
La joie est « une passion par laquelle l’âme passe à une plus grande perfection », ce qui
ne veut pas dire que la joie nous conduise à la perfection, mais simplement qu’elle n’en est pas
distinct, affirme Alain, 1899, dans son livre : « Valeurs morales de la joie d’après Spinoza ».
Trésor de la Langue Française donne la définition suivante de la joie : A. « Émotion
vive, agréable, limitée dans le temps ; sentiment de plénitude qui affecte l’être entier au moment ou
ses aspirations, ses ambitions, ses désirs ou ses rêves viennent à être satisfaits d’une manière
effective ou imaginaire » ; B. « Cet état de sensibilité considéré dans ses expressions les plus
spectaculaires et le plus souvent collectives. Manifestation de gaieté, de liesse, d’allégresse
publique » ; C. « Le sentiment de joie au-dessus de tout, préférable à tout, bien suprême ».
Petit Robert : 1. Émotion agréable et profonde, sentiment exaltant ressenti par toute la
conscience.
Descartes affirme : « La joie est une agréable émotion de l’âme ». Anscombre distingue
dans la classe des noms psychologiques noms d’attitude et noms de sentiment, en proposant de voir
des noms de sentiment dans ceux des substantifs qui admettent la combinaison avec éprouver et
avec un sentiment de.
Mais ce test n’est pas éloquent pour tous les noms qui expriment la joie en français. On
peut dire éprouver de l’amour, de la joie, ? du bonheur, ? de la gaieté, et un sentiment de joie,
d’allégresse, de contentement, ? d’amour.
Les noms de joie n’admettent pas des constructions comme :
*L’amour de Marie par Pierre.
*L’amusement des enfants par Jean.
Ces constructions sont possibles mais avec d’autres prépositions :
L’amour de Marie pour Pierre.
La satisfaction de Max à la vue de ces résultats.
Il y a quatre prépositions qui déterminent deux groupes de nom de joie : l’un correspond
à pour, envers, l’autre à devant, à la vue de.
L’amour de Marie pour Pierre
La satisfaction de Max à la vue de ces résultats
Le contentement de Sam devant cette remarque
Anscombre appelle les noms de sentiment qui admettent la construction avec pour ou
envers -endogènes et lesquels qui admettent la construction avec devant ou à la vue de -exogènes.
Dans le premier exemple, le sentiment naît de l’individu lui-même tandis que dans le second, il est
une réaction à un événement externe.
Une autre remarque sera que les exogènes supportent le type de construction : À ma
grande satisfaction , mais les endogènes la refusent : *À ma grande exaltation.
Le champ sémantique du mot joie sont les noms suivants : allégresse, exaltation, ivresse, jubilation,
ravissement, béatitude, extase, gaieté, plaisir, agrément, bienfait, douceur, satisfaction,
contentement, étonnement, félicité, aise, bonheur, euphorie, bien-être, enchantement, délectation,
jouissance, émerveillement, exultation, liesse, alacrité, enjouement, hilarité, jovialité.
On peut remarquer que les noms de sentiment en -tion et en –ment sont exogènes : À mon grand
contentement, À mon grand étonnement.
Dans les constructions étudiées par Leeman, 1987, un événement est présenté comme
l’origine du sentiment (exogène) alors que l’origine des sentiments endogènes se confond avec le
lieu psychologique.
Anscombre remarque que les exogènes peuvent se combiner avec le mot état.
Un état de contentement, d’exaltation, de bien-être
Il y a des noms de joie qui admettent la construction être en Nsj, ou Nsj représente le
nom de sentiment qui exprime la joie.
Dans la structure être en Nsj, Nsj peut être joie mais non contentement ou étonnement
parce que ces mots ne désignent le même type de sentiment.
« Il était en joie d’un bout à l’autre de l’année ».
Pour justifier les Nsj qui entrent dans cette construction, il est bésoin d’une analyse de
chacun. Les noms qui admettent en ne connaissent pas les mêmes constructions ni les mêmes
variantes aspectuelles de être :
Max est en joie.
*Max est en contentement
Max tombe en joie.
* Max tombe en contentement.
Cela met Max en joie. * Cela met Max en contentement.
Si on regarde la définition de chaque Nsj (Petit Robert) on remarque que le Nsj entrant dans être en
Nsj désigne un état manifesté, une extériorisation ou la manifestation du sentiment :
Contentement : action de satisfaire les besoins, de contenter ;
Satisfaction : sentiment de bien-être, plaisir qui résulte de l’accomplissement de ce qu’on attend,
désire ou simplement d’une chose souhaitable ;
Bonheur : état de la conscience pleinement satisfaite ;
Plaisir : état affectif fondamental, un des deux pôles de la vie affective, sensation ou émotion
agréable, liée à la satisfaction d’une tendance, d’un besoin ;
Euphorie : impression intense de bien-être général pouvant aller jusqu’à un état de surexcitation,
sentiment de parfait bien-être et de joie ;
Aise : contentement, joie ;
Béatitude : bonheur parfait
Bien-être : sensation agréable procurée par la satisfaction de besoins physiques, l’absence de
tensions psychologiques ;
Félicité : bonheur causé par une circonstance particulière ;
Enchantement : joie extrêmement vive ;
Extase : état d’exaltation provoqué par une joie ou une admiration extrême qui absorbe tout autre
sentiment ;
Ravissement : émotion éprouvée par une personne transportée de joie et dans une sorte d’extase ;
Délectation : plaisir que l’on savoure ;
Optimisme : impression, sentiment de confiance heureuse ;
Agrément : plaisir ;
Jouissance : plaisir que l’on goûte pleinement, délice, satisfaction ;
Quiétude : paix mystique de l’âme ;
Ivresse : état d’euphorie, de ravissement, d’exaltation ;
Émerveillement : enchantement ;
Exaltation : grande excitation de l’esprit ;
Exultation : transport de joie, état de celui qui exulte
Allégresse : joie très vive qui d’ordinaire se manifeste en publique ;
Gaieté : état ou disposition des êtres qu’animent le plaisir de vivre ;
Jubilation : joie vive, expansive, exubérante ;
Liesse : joie, allégresse ;
Alacrité : enjouement ;
Enjouement : disposition à la bonne humeur, à une gaieté aimable et souriante ;
Hilarité : joie douce et calme, contentement ;
Jovilaité : caractère jovial, humeur joviale, gaieté ;
Douceur : impression douce, plaisir modéré et calme ;
Étonnement : surprise causée par qqch. d’extraordinaire ;
Jouissance : plaisir que l’on goûte pleinement.
On peut dire être en extase, en exaltation mais pas être en hilarité,liesse, étonnement.
On peut dire éprouver ou ressentir de la gaieté, de l’allégresse etc.
La classification des expressions de sentiment est avant tout un problème philosophique. On discute
depuis bien longtemps de la séparation entre sentiments, sensations, qualités morales et autres états
de l’âme.
On peut aussi intégrér les noms de joie dans des familles de phrase. On peut dire :
Il a joie à vous revoir.
Il était en joie d’un bout à l’autre de l’année.
Il ressent de la joie.
Il éprouve un sentiment de joie.
Il vit dans la joie.
Il est joyeux.
Il a accepté joyeusement l’offre.
Ah ! que je suis aise de vous voir !
Danielle Leeman note que le verbe étre a une affinité avec l’état résultatif, puisque même
les phrases où il est habituellement analysé comme introduisant une propriété (être joyeux dans
notre cas) et les verbes où il est le seul auxiliaire possible pour indiquer l’action peuvent être
interprétés de cette manière. Le verbe avoir indique d’abord une propriété et peut exprimer un
événement particulier (il a joie à vous voir).
La catégorie Nsj pose le problème de la délimitation globale. On a éprouver de la joie mais
*un état de joie extrème.
Balibar-Mrabti considère que les constructions avec éprouver, ressentir expriment un
sentiment qui est « vécu de l’intérieur » Max éprouve de la satisfaction et celles avec manifester,
montrer ont une interprétation opposée de sentiment « extériorisé » Max manifeste sa joie.
CONCLUSION
Comme conclusion on remarque que les noms qui expriment la joie partagent avec les
noms de sentiments la capacité à apparaître comme complément des verbes supports éprouver et/ou
ressentir, le sujet grammatical de l'énoncé étant nécessairement un animé, généralement humain.
Les noms de sentiment tels que amour, ou affection se distinguent néanmoins par le fait qu'ils ont
nécessairement une directionnalité : le sentiment est éprouvé vers un objet, il s'exprime pour,
envers, à l'égard de l'objet (Anne éprouve beaucoup d'affection pour Paul). L'objet peut toujours être
(mais n'est pas toujours) un humain. La structure argumentale des noms de sentiment comporte (au
moins) un agent et un objet. En revanche, les Nsj n'ont pas d'objet (mais éventuellement une cause)
et si des énoncés comme les suivants sont possibles : elle éprouva de la joie pour Pierre, c'est que
l'émotion est éprouvée par procuration, le sujet de la construction à verbe support éprouver n'étant
pas le siège de l'émotion. Les Nsj peuvent avoir une cause, mais dans la plupart des cas, elle est
facultative. On peut ainsi éprouver de la joie, du bonheur sans cause réellement identifiable. Mais
un événement ou un objet particuliers peuvent entraîner, causer, procurer, donner ou être à l'origine
de la joie, du bonheur. D'autres noms d'émotions, en revanche, probablement plus complexes,
comme surprise nécessitent une cause.
On peut associer aux noms de sentiment des valeurs possibles comme:
-
-
-
-
-
l’intensité : ces noms peuvent eux-mêmes comporter un degré d'intensité plus ou moins
fort, et il est souvent possible de les classer sur une échelle d'intensité 'bonheur' > 'gaieté';
la polarité: l'émotion peut être agréable ou désagréable, mais non neutre, contrairement à
d'autres noms d'émotion comme surprise;
la qualité : La qualité peut être testée par une phrase à verbe être : Elle était d'une grande
gaieté. *Elle était d'un grand bonheur, d'une grande joie. La qualité exprime ici la
fréquence de l'émotion éprouvée.
l’état : Les noms d'émotion peuvent également être duratifs quand ils expriment une
émotion éprouvée de façon continue. Joie, bonheur, gaieté renvoient, selon les co-textes,
soit à un état , soit à une émotion. Lorsqu'ils concernent des états, ils peuvent s'utiliser avec
un état de: (il était dans un état de bonheur ; dans un état de joie, mais * dans un état de
satisfaction ) ou avec la locution verbale être dans : être dans la joie;
le dynamisme: bonheur se définit plutôt comme une émotion « calme », non dynamique ,
contrairement à joie, gaieté qui peuvent aller jusqu'au bouleversement (être ivre, transporté
de joie, une gaieté folle) ; la joie est associée à une certaine exaltation (PR : « sentiment
exaltant ressenti par toute la conscience »), tandis que la gaieté se caractérise par de
l'animation, un certain entraînement ;
l’intériorité : toute émotion peut toujours s'extérioriser (on peut toujours montrer ou
manifester de la joie, du bonheur) ou, à l'inverse, s'intérioriser ; on remarque cependant que
certains noms d'émotion ont davantage d'affinité avec l'intériorité, d'autres avec l'extériorité ;
ainsi bonheur se situe plutôt du côté de l'intériorité, tandis que la gaieté n'est guère
appréhendée qu'à travers des manifestations extérieures ou un comportement; joie n'est
qu'imparfaitement l'antonyme de tristesse, dans la mesure où, au moins dans certains de ses
emplois, ce nom dénote l'extériorité (une explosion de joie).
Le contrôle: certains Nsj semblent doués d'une dynamique propre qui transforme le sujet
d'agent en patient de l'émotion. Le Nsj envahit, submerge l'individu qui perd le contrôle sur
l'émotion ressentie. Cette dimension est bien entendu corrélée à l'intensité, une émotion
intense tendant à rendre le sujet moins maître de lui.
Je propose ci-dessous un tableau des Nsj caractérisés à l'aide de ces traits. Il est évident que l'attribution
de ces traits comporte un certain arbitraire.
Intensité
Bonheur
++
Gaieté
+
+
Joie
Contentement +
Satisfaction +
+
Plaisir
++
Euphorie
+
Béatitude
Ravissement +
+
Hilarité
Étonnement +
Enchantement +
+
Jouissance
+
Extase
+
Jubilation
+
Aise
Polarité
Qualité
Etat
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
-
+
+
+
+
+
+
+
+
-
Dynamisme
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
-
Intériorité Contrôle
+
+/+/+
+
+/+
+/+
+
+
+
+
+
+
+
?
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+
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Bibliographie
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Anscombre, J.C. 1995: “Morphologie et représentation évenementielle :le cas des noms de
sentiment et d’attitude”, Langue française n°105:Grammaire des sentiments, Paris,
Larousse, 28-39
Balibar-Mrabti, A. 1995: „Une étude de la combinatoire des noms de sentiment dans une
grammaire locale”, Langue française n°105:Grammaire des sentiments, Paris, Larousse, 8897
Gross, M. 1955: „Une grammaire locale de l’expression des sentiments”, Langue française
n°105:Grammaire des sentiments, Paris, Larousse, 70-87
Leeman, D. 1995: „Pourquoi peut-on dire Max est en colère mais non Max est en peur?
Hypothèses sur la construction être en N”, Langue française n°105:Grammaire des
sentiments, Paris, Larousse, 55-69
Trésor de la Langue Française, Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle, Centre
National de la Recherche Scientifique, Éditions du Centre National de la Recherche
Scientifique, 1983, Paris
Bresson, D., & Dobrovol'skij, D. 1995: “Petite syntaxe de la peur, Application au français et
à l'allemand” , Langue Français n°105, 107-119.
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