La Passion du rural | Tome 2 | chapitre V
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Chapitre V
« Rebâtir les campagnes ». Le Rendez-vous des acteurs
de développement local en milieu rural
1
Septembre 1996. Au cours des dix dernières années, différentes structures de dévelop-
pement local ont été mises en place à travers tout le Québec suite à des initiatives des
gouvernements fédéral et provincial. Mentionnons notamment les Comités d’aide au
développement des collectivités (CADC) –devenus plus tard les Sociétés d’aide au
développement des collectivités (SADC)–, les Centres d’aide aux entreprises (CAE) et les
Corporations de développement économique communautaire (CDEC). Alors que les
CADC et les CAE interviennent essentiellement dans les MRC auprès des communautés
rurales et des petites villes, les CDEC œuvrent principalement dans les quartiers défa-
vorisés des grandes villes. S’ajoutent les Carrefours Jeunesse-Emploi (CJE) qui agissent
dans un certain nombre de MRC, ou à l’échelle s’une ville. Au total, c’est plus de trois
cents (300) organismes qui travaillent à mobiliser les ressources des milieux, à stimuler
l’entrepreneurship local, à faire émerger des projets et à accompagner leurs porteurs
pour que les idées se concrétisent en entreprises et en emplois.
Outre ces structures principalement tournées vers le développement économique,
d’autres réseaux adhèrent à la philosophie, aux objectifs et aux principes du déve-
loppement local global. C’est le cas des Centres locaux de services communautaires
(CLSC) et du réseau Villes et villages en santé qui se préoccupent du développement des
communautés locales à travers des missions d’ordre social et de santé.
Depuis 1987, j’ai dispensé de nombreuses formations en développement local à travers
tout le Québec (plus de quarante) et rédigé plusieurs ouvrages et articles sur le
développement local, avec le souci de formaliser et de promouvoir une approche qui
intègre non seulement des préoccupations et des actions à caractère économique, mais
aussi des dimensions d’ordre social et culturel.
« (…) Une stratégie globale de création d'emploi fondée sur l'approche du
développement local, ne se limitera pas à des aides financières et techniques
accordées aux entreprises. Elle facilitera l'organisation et la mise en œuvre de
l'ensemble des actions à mener en amont de la création d'entreprises et d'emplois
auprès des populations, à savoir l'information, la sensibilisation, la mobilisation
et la formation afin de stimuler la volonté de changement et de renforcer la
capacité d’agir.
1
« Le premier Rendez-vous des acteurs de développement local en milieu rural ». Colloque organisé par
Bernard Vachon, professeur à l'UQAM, avec la collaboration de la Corporation de développement des
ressources de St-Germain-de-Kamouraska. St-Germain-de-Kamouraska, 19 au 22 septembre 1996.
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La pratique du développement local suppose une volonté de concertation,
l'établissement de partenariats et de réseaux d'échanges et de réciprocité, ce qui
implique un décloisonnement des fonctions, des institutions et des compétences
enfermées jusqu'alors dans des secteurs homogènes et des programmes secto-
riels.
Le développement local apparaît ainsi comme l'expression d'un changement
social caractérisé par la montée du partenariat, l'émergence d'acteurs différents
(élus, industriels, commerçants, représentants d'organismes publics et d'asso-
ciations communautaires, citoyens...), l'identification de créneaux économiques
appropriés aux ressources et aux contraintes du milieu et l'introduction de pré-
occupations sociales et culturelles au centre des rationalités purement écono-
miques. »
2
Après plusieurs années d’expérimentation, de travail soutenu mais souvent isolé à bâtir
une expertise de développement local propre au Québec, plusieurs agents de
développement des milieux ruraux exprimèrent le besoin d’un temps et d’un lieu pour
revisiter l’ensemble de la démarche et partager les questionnements, les doutes, les
difficultés de chacun(e) dans l’exercice d’un métier dont la pratique au quotidien était
toujours en définition.
J’eu alors l’idée d’une rencontre sur quatre jours organisée en milieu rural, à laquelle
seraient conviés tous les agents de développement rural et autres intervenants locaux.
Le programme serait principalement axé sur des ateliers de travail et des visites de
projets sur le terrain. Les participants ne seraient pas qu’auditeurs et observateurs, mais
véritables acteurs du déroulement des activités à travers une formule interactive stimulée
par des exposés courts et de nature appliquée.
Pour l’organisation et le bon déroulement de cet événement je souhaitais impliquer un
organisme de développement local. Je fis part du projet au président de la Corporation
de développement des ressources de St-Germain-de-Kamouraska, Monsieur Roméo
Bouchard qui, au nom et avec l’appui des membres de la Corporation et de la
municipalité, accepta de s’associer au projet. Durant des mois nous avons travaillé
ensemble à la préparation de l’événement dont le titre serait : « Rebâtir les campagnes.
Premier rendez-vous des acteurs de développement local en milieu rural ». La colla-
boration fournie par les membres de la Corporation fut exceptionnelle à plus d’un titre :
secrétariat et communications, participation à l’organisation des visites de terrain et des
ateliers, accueil, hébergement, repas, déplacements, activités culturelles, etc.
3
2
Texte synthèse pour une définition de la démarche du Développement local. Rédigé pour mes étudiants et
les participants aux sessions de formation sur le terrain. 17 avril 1992, 3p.
3
Roméo Bouchard, coordonnateur de l’événement, fut entouré d’une équipe dévouée et efficace, dont les membres du
conseil d’administration de la Corporation de développement des ressources de Saint-Germain-de-Kamouraska :
Yolande Laplante, Simone Lévesque, Jacques Lajoie, Germaine Lavoie et Esther Vandal-Bouchard.
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Plus de 250 personnes ont participé à ce Rendez-vous. Trois ministres vinrent s’adresser
aux participants et partager certaines activités : Louise Harel, ministre de l’Emploi et de
la Solidarité, Guy Chevrette, ministre du développement régional, Rémy Trudel, ministre
des Affaires municipales. Sept députés
4
, plusieurs maires et représentants d’organismes
de développement économique, social et culturel se sont aussi joints aux ateliers de
travail. Plusieurs conférenciers
5
et participants sont venus de France et de Belgique.
Bernard Cassen, journaliste au Monde diplomatique, fut un observateur attentif et publia
un compte-rendu dans son mensuel.
La présence des ministres Harel, Chevrette et Trudel, responsables respectivement des
missions nationales d’emploi, de développement régional et de gouvernance territoriale,
n’était pas fortuite. Au sein de leurs ministères, une réflexion était en cours pour doter le
Québec d’une politique et d’une structure de développement local semblables à celles du
gouvernement fédéral (Programme de développement des collectivités PDC en
application depuis 1986). Avant que ne soit formulé définitivement le texte de la politique
québécoise de développement local, l’occasion était belle pour les responsables de ce
prochain cadre institutionnel, de prendre le pouls de ce mouvement, d’exposer les posi-
tions et les intentions du gouvernements à l’égard du développement local et régional, et
d’exprimer leur appui au travail des élus locaux, des professionnels et des bénévoles
engagés dans les opérations de développement local.
Au cours de l’année qui a précédé le « Rendez-vous de Saint-Germain », la ministre
Louise Harel m’avait invité à collaborer à des réflexions et à divers travaux en cours à
son ministère, dans le cadre de la réforme de la Politique de l’emploi, et du projet de
Politique de développement local et régional élaboré de concert avec ses collègues
Chevrette et Trudel.
Une retombée majeure du « Rendez-vous de Saint-Germain » allait être la création de
l’Université rurale québécoise (URQ) par un groupe de professeurs du réseau de
l’Université de Québec. Il s’agit d’un événement sur cinq ou six jours au cours duquel les
acteurs ruraux et les chercheurs universitaires se rencontrent pour partager leurs savoirs
respectifs (croisement des savoirs théoriques et appliqués) sur des questions spécifiques
de développement rural. Le déroulement des activités est articulé à un programme de
visites de projets en cours et d’exposés théoriques et appliqués.
La première édition de l’URQ fut organisée en septembre 1997 et ces rencontres sont
présentées depuis, à tous les deux ans, dans des régions différentes du Québec. Le
chapitre VI lui est consacré.
4
France Dionne, député du Kamouraska à Québec et Paul Crète, député du Kamouraska à Ottawa ;
Margaret F.Délisle, Québec, Sillery, René Canuel, Ottawa, Matapédia, Danièle Doyer, Québec, Matapédia,
Réal Gauvin, Québec, Montmagny-L’Islet, Yvon Vallières, Québec, Richmond.
5
Huit conférenciers universitaires dont deux européens et dix conférenciers d’organismes gouver-
nementaux dont trois européens.
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34. Sauver les campagnes pour accueillir le XXIe siècle
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(…) La société de demain ne sera pas faite que de grandes agglomérations urbaines, mais
aussi de campagnes vivantes cohabiteront des familles et des entreprises, des activités
économiques diversifiées, des services sociaux, culturels et communautaires, des activités
récréotouristiques... dans un environnement naturel et bâti dont on aura le souci d'assurer la
sauvegarde et la mise en valeur.
La campagne ne doit pas être associée à un monde révolu, passéiste et exclu de la société
moderne. Au contraire, elle regorge de potentialités pour accueillir la nouvelle économie
dématérialisée et déconcentrée et les modes de vie du XXIe siècle. Des pratiques rurales ont
disparu, certaines se consolident, de nouvelles surgissent, d'autres sont en devenir.
Le point de vue qui caractérise ce Rendez-vous est celui du développement local. L'ex-
pression n'est plus étrangère. On a compris, au cours des dernières années, que le déve-
loppement allait désormais reposer très largement sur la mobilisation des ressources du
milieu, sur la volonté et la capacité des communautés locales à faire obstacle au processus de
déclin et à maîtriser les facteurs du développement. Des centaines de femmes et d'hommes,
dans tout le Québec rural, sont engagés dans des actions pour rassembler les conditions de la
production économique et mettre en place l'environnement propice aux initiatives de
développement dont les facteurs économiques sont étroitement enchevêtrés aux facteurs
sociaux et culturels. De son côté, le gouvernement aménage ses pouvoirs et ses structures
pour tenir compte de cette nouvelle réalité. Il y aura bientôt arrimage. Soyons prêts par nos
convictions, nos compétences, notre persévérance, notre solidarité.
Partout l’imagination est en effervescence, les modèles traditionnels sont bousculés, des
initiatives percent les résistances, l’audace s’impose, des succès sont enregistrés. La re-
construction des campagnes est en cours et l’expertise nécessaire est elle aussi sur la planche
à dessin : des métiers inédits sont en gestation. Ce Rendez-vous et les sujets qui y seront
débattus permettront d’entretenir l’espoir que le Québec de demain saura relever le défi de la
modernisation sans exclure le monde rural. (…)
35. Rebâtir les campagnes
7
Au cours des 50 dernières années, les milieux ruraux du Québec, comme ceux de tous les
pays industrialisés, ont été victimes de dépeuplement, de déclin économique et de désin-
tégration sociale. Plusieurs ont cru à la fin des villages et des petites villes rurales. Cer-
tains y croient encore. Pour eux, le progrès de la société et le développement de l'éco-
nomie moderne laissent peu de place au maintien des communautés rurales.
6
VACHON, Bernard ; Texte introductif du Cahier du participant. Rebâtir les campagnes. 1er Rendez-vous
des acteurs de développement local en milieu rural. Saint-Germain de Kamourask, 257 p.
7
Reproduit aux pages 12 et 13 du livre relatant les faits et dires de cet événement sous le titre : Rebâtir les
campagnes. 1er Rendez-vous des acteurs du développement local en milieu rural. Sous la direction de
Roméo Bouchard. Éditions de Trois-Pistoles, 1997. 262p.
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Il est vrai que les modes de production industrielle ont favorisé la concentration des
moyens de production et des populations sur quelques pôles de croissance et que la
pénétration du modèle productiviste en agriculture et en foresterie a fait des ravages dans
la structure d'emploi de l'économie traditionnelle des campagnes. Les grands centres
urbains ont profité du développement industriel des dernières cennies alors que plu-
sieurs territoires ruraux en ont été victimes. Ce qui s’est traduit par un mouvement massif
d’exode rural vers les pôles urbains. Mais l'évolution de la société se poursuit et l'étape
nouvelle dans laquelle nous entrons pourrait être bénéfique à plusieurs régions rurales.
La tertiarisation plus poussée de l'économie, l'essor des PME et les progrès vertigineux de
la technologie, notamment dans les domaines de l'informatique et des communications,
procurent à un nombre croissant d'entreprises plus de mobilité quant au lieu d'im-
plantation de leurs activités. Négligés pendant longtemps au profit des grands centres, les
petites villes rurales et les villages redeviennent des lieux alternatifs de localisation pour
ces entreprises de la nouvelle économie dorénavant affranchies de l'impératif de la con-
centration.
Mais ces choix en faveur des villes rurales et des villages ne sont pas acquis. Les
perspectives de redéploiement de l'activité économique posent aux territoires non
centraux le défi du développement local pour saisir les occasions de redéveloppement. Il
s'agit d'une démarche de responsabilisation et de requalification des collectivités locales à
l'égard de leurs destinées. En somme, il s’agit, pour plusieurs d’entre elles, de passer
d’une situation de dépendance à une capacité d’entreprendre pour renouveler leur base
économique.
Dans tout le Québec rural, des centaines de femmes et d'hommes sont engagés dans ce
gigantesque chantier de reconstruction des campagnes pour mettre en place les conditions
du redéveloppement et ainsi accueillir le XXIe siècle.
Les objectifs de ce « Rendez-vous des acteurs de développement local en milieu rural »
sont de préciser les orientations et le contenu du projet rural pour le tournant du siècle et
d’accroître une expertise au service de la renaissance rurale
8
.
Ce Rendez-vous se veut une tribune pour les acteurs locaux, pour les partisans du
développement local. Ils sont conviés pour témoigner de leurs expériences, pour exprimer
doutes, leurs convictions, leurs idées, leurs besoins, pour témoigner des cheminements
gagnants, des méthodes éprouvées, pour dire les résistances rencontrées, les obstacles à
leur action, pour formuler de nouveaux moyens, définir des outils appropriés, proposer,
suggérer des pistes nouvelles, des voies à explorer... pour aller plus loin, pour faire
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VACHON, Bernard : Texte qui présente le contexte et les objectifs de ce 1er Rendez-vous des acteurs du
développement local en milieu rural. In Rebâtir les campagnes des villages et des petites villes pour le
XXIe siècle. Faits et dires. Sous la direction de Roméo Bouchard. Éditions Trois-Pistoles, 1997. pp. 23-28.
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