L’exercice dont il s’agit ici consiste d’abord à ouvrir les yeux sur ce que, contraints par les
pratiques manipulatoires auxquels leur rôle socialement rétréci les contraignent, ni les
architectes ni les urbanistes ne voient, sur ce qu’ils ont déjà relégué à l’inexistence, hors de
leur architecture, hors de leur urbanisme. Il s’agit d’ouvrir les yeux sur les phénomènes,
souvent anciens, d’habitude traités avec désinvolture, qui constituent encore aujourd’hui
l’architecture territoriale de nos régions : ouvrir les yeux, après un siècle d’occupation du
territoire, sur les faits qui – même dans leur état quasi en ruine - révèlent toujours
actuellement le territoire comme construction culturelle, pour chercher à en explorer les
virtualités à titre d’éléments de composition et à redécouvrir la possibilité d’une redéfinition
du projet architectonique du territoire.
L’objectif de l’exercice est l’exploration d’une figure de la colonisation résidentielle: le
faubourg. Le faubourg est sans doute la forme d’établissement humain la plus généralisée
dans notre pays. Il est, par exemple, le constituant morphologique régulier de la résidence
urbaine en Belgique et dans une bonne part de l’axe central européen. Il est l’instrument par
excellence, et ce depuis le Haut Moyen-Âge, de la colonisation bourgeoise du territoire. Il
s’agit d’un thème extrêmement vaste, et pourtant peu reconnu. Nous cherchons ici à le
remettre à l’épreuve du projet, à titre de paradigme.
L’étude concerne un ancien faubourg de la cuve extérieure de Bruxelles, le faubourg de
Haren (rue de Verdun), une de ces multiples petites colonies résidentielles situées à
distance de moins de dix kilomètres du noyau urbain, par lesquelles Bruxelles s’assurait,
sous l’Ancien Régime, la subsistance vivrière. Il est localisé au nord de la vieille ville, sur le
vaste plateau que limitent, à l’ouest la vallée de la Senne et à l’est la vallée de la Woluwe.
Un ancien faubourg, absorbé dans le courant des années ’20 par la Ville de Bruxelles, dont
la morphologie est restée pour l’essentiel et comme miraculeusement épargnée par
l’extension des mégainfrastructures que la grande ville a déployées à proximité immédiate :
la gare de formation de Schaerbeek à l’ouest, de grands dépôts d’autobus à l’est, plus loin le
Capharnaüm de Zaventem, etc. Un faubourg, qui gagne aujourd’hui une sorte de succès
résidentiel incertain, ignoré par une autorité communale probablement confrontée à d’autres
enjeux plus centraux.
Le faubourg de la rue de Verdun nous intéresse ici justement surtout pour ses
caractéristiques internes, et, en particulier, pour deux raisons :
1° pour la clarté avec laquelle il énonce ses dispositifs réguliers, autrement dit pour
l’exemplarité avec laquelle il révèle son paradigme architectonique : la forme canonique du
faubourg. L’analyse cartographique des rôles territoriaux – voirie, parcellaire, bâti, plantation
-, met en évidence :
- une hiérarchie de la voirie à arborescence orthogonale à trois niveaux autour d’une
voie maîtresse rectiligne (la rue de Verdun), longue d’environ 1 kilomètre, partie
d’une ancienne liaison de la campagne vers la ville, nettement limitée dans son
extension en longueur par un village (le village de Haren), au nord, et un ancien
sanctuaire régional (l’église Saint-Vincent), au sud.
- un parcellaire en lanières profondes perpendiculaire aux voies, développées
jusqu’aux limites latérales de l’aire du faubourg, encore aujourd’hui destinées en
partie aux cultures vivrières
- une organisation hiérarchisée du bâti suivant une distinction régulière : corps
principaux en courtine, alignés parallèlement à la voie et corps annexes détachés
(ateliers, cours de garages) ou attachés (cuisines, salles de bains et vérandas) à
développement en profondeur
- la constance dimensionnelle et typologique des constituants, où dominent de larges
maisons mitoyennes à deux étages hors sol, parfois munies de grands porches
charretiers
2° mais aussi, pour ainsi dire, pour l’ imperfection du dispositif, qui tient
- au caractère inachevé du faubourg proprement dit (la courtine discontinue, de
nombreuses parcelles non-bâties), mais à la fois aux multiples développements que
propose, comme à titre de suggestions, sa configuration actuelle (une arborescence
à peine ébauchée, une très faible édification en profondeur sur la parcelle)
- à la persistance, à l’intérieur même de l’aire du faubourg, de traces, héritées
presque certainement d’une phase antérieure de la composition du territoire : des
lanières rurales aujourd’hui encore réservées à l’activité pastorale et agricole,