6
«ABC» de l’immunité muqueuse
Per Brandtzaeg
L’organisme est sous la menace constante d’attaques virales, bac-
tériennes et parasitaires. L’évolution a donc doté les mammifères d’un
système immunologique composé de plusieurs lignes de défense. La
puissance de l’immunité résulte d’une évolution microbienne con-
jointe au cours de laquelle des bactéries et des parasites, en particulier
des bactéries et des parasites commensaux, ont façonné les défenses
de l’organisme dont l’immunité innée et l’immunité adaptative sont les
deux branches maîtresses. Il faut noter que le système adaptatif s’est
développé de façon relativement tardive dans la phylogénie, et que la
plupart des espèces survivent sans en être dotées. Les mammifères
possèdent cependant un système immunitaire extrêmement perfec-
tionné de type tant systémique que muqueux.
Stratégies du système immunitaire muqueux
L’immunité muqueuse constitue la première ligne de défense: elle
élimine les antigènes exogènes et diminue ainsi la tâche de l’immunité
systémique pro-inflammatoire. Le système immunitaire muqueux agit
par deux mécanismes adaptatifs non inflammatoires: a) l’exclusion
immunitaire par les anticorps sécrétoires, l’SIgA et l’SIgM, visant à inhi-
ber la colonisation de surface par les micro-organismes et de diminuer
la pénétration de protéines exogènes potentiellement dangereuses et
b) les mécanismes immunosuppresseurs visant à éviter une hypersen-
sibilité locale et périphérique à des antigènes inoffensifs (fig. 1). La
seconde stratégie est appelée «tolérance orale» lorsqu’elle est induite
par l’intermédiaire de l’intestin, et explique sans doute pourquoi une
hypersensibilité manifeste et persistante à des protéines alimentaires
est relativement rare, sauf dans le cas de la maladie cœliaque. Habi-
tuellement, le système immunitaire applique une stratégie similaire à
l’égard des bactéries commensales [1].
La tolérance induite par l’intermédiaire de la muqueuse paraît
plutôt robuste si l’on considère que plus d’une tonne d’aliments
peut traverser l’intestin d’un adulte chaque année. Après un repas,
7
des antigènes intacts sont captés en quantités de l’ordre du nano-
gramme, habituellement s ans conséquence néfaste. La période néo-
natale est cependant critique, tant en ce qui concerne les infections
que l’amorçage de maladies allergiques, car la barrière épithéliale
Fig. 1. Représentation schématique des deux principaux mécanismes
immunitaires non inflammatoires agissant à la surface des muqueuses. 1) Une
immunité sécrétoire conférant une exclusion immunitaire limite la colonisa-
tion épithéliale par des agents pathogènes et inhibe la pénétration de sub-
stances exogènes nocives. Cette première ligne de défense fait principalement
intervenir des anticorps sécrétoires de la classe des IgA (et des IgM) en coo-
pération avec divers facteurs protecteurs non spécifiques innés (non représen-
tés). Les anticorps sécrétoires sont activement exportés par le récepteur
épithélial des Ig polymériques (pIgR), également appelé composante sécré-
toire de la membrane. L’immunité sécrétoire est préférentiellement stimulée
par des agents pathogènes et d’autres antigènes particulaires captés par les
fines cellules M (M) situées dans l’épithélium en dôme couvrant les tissus lym-
phoïdes associés à la muqueuse. 2) Des antigènes solubles inoffensifs (par
exemple des protéines alimentaires; l’ordre de grandeur du captage est indi-
qué) et le microbiote indigène stimulent également l’immunité sécrétoire
(flèches pointillées), mais induisent principalement la suppression des
réponses immunitaires humorales pro-inflammatoires (anticorps IgG et IgE
dépendants de cytokines Th2) ainsi que de l’hypersensibilité retardée dépen-
dante des cytokines Th1 et des réactions granulocytaires dépendantes des
Th17. Cet équilibre homéostatique des cellules Th est régulé par un phénomène
complexe appelé «tolérance orale» lorsqu’il est induit par l’intermédiaire de
l’intestin, où l’induction de lymphocytes Treg est importante. Leurs effets sup-
presseurs peuvent être observés tant localement qu’à la périphérie. TCR =
Récepteur des cellules T.
Antigènes
solubles
non liants
Captage:~10–5
MM
plgR
Microbiote
indigène
autologue Immunité productrice:
exclusion immunitaire
par des anticrops
sécrétories
Stimulation des IgA et IgM
Suppression des IgG,
IgE (Th2), DTH (Th1)
et Th17 (granulocytes)
pre-inflammatoires
Locale
Périphérique
2
1
Pathogènes
Antigènes
particulaires
Barriéré épithéliale
Tolérance («orale»)
induite par I’intermédiaire
le da muqueuse
8
et le réseau immunorégulateur sont alors peu développés [2]. Il faut
noter que le développement de l’homéostasie immunitaire dépend
de la constitution d’un microbiote muqueux équilibré ainsi que de
l’introduction des premiers antigènes alimentaires au moment et à la
dose adéquats.
Les effets bénéfiques des bactéries commensales sont dus prin-
cipalement à l’intervention des récepteurs innés de reconnaissance
de motifs (PRR) exprimés par des cellules muqueuses présentant
l’antigène (CPA) et l’épithélium intestinal (fig. 2), en particulier les
récepteurs Toll-like (TLR) qui émettent des signaux au moyen du fac-
teur de transcription B (NF-B) [3]. Les cellules épithéliales peuvent
atténuer l’effet pro-inflammatoire des signaux transmis par les PRRs
de la face luminale [4]. Cependant, après une invasion bactérienne, les
signaux des PRRs de la face basolatérale activent NF-B, avec libéra-
tion de défensines anti-infectieuses.
De nombreuses variables influencent la tolérance et l’immunité
sécrétoire IgA dépendante. La perméabilité intestinale est un évé-
nement primaire et secondaire important dans la pathogenèse de
nombreuses maladies, dont l’allergie. La fonction de barrière est
déterminée par l’âge du sujet, ses caractéristiques génétiques, le
mucus, les mastocytes, des neuropeptides, la présence d’une infec-
tion concomitante et l’effet de bouclier des SIgA apportées par le lait
maternel ou produites par le nourrisson. L’intégrité de l’épithélium
dépend également des divers mécanismes immunosuppresseurs
contribuant à la tolérance orale, dont les lymphocytes T régulateurs
(Treg) (fig. 2).
Selon certaines études, l’allergie serait associée à une altération
du système des IgA. Il n’est donc pas surprenant que l’allaitement
maternel protège contre l’allergie, en particulier dans les familles
ayant une hérédité allergique. L’immunité sécrétoire est d’une grande
importance pour la barrière intestinale, car les SIgA non seulement
maintiennent un mutualisme avec les commensaux, mais forment
également une première ligne de défense [2]. De plus, la barrière
épithéliale dépend d’une interaction avec des facteurs microbiens de
l’environnement, et en particulier des commensaux, par une interac-
tion directe avec les PRR de l’épithélium [1] pour l’induction d’une
tolérance muqueuse par l’intermédiaire des CPA tolérogènes et des
lymphocytes Treg (fig. 2).
Il faut espérer que de nouvelles stratégies permettront de com-
penser le défaut de stimuli microbiens nécessaires à l’induction de
l’homéostasie [5]. La mise au point d’interventions probiotiques et
prébiotiques «taillées sur mesure» sur le plan moléculaire est donc un
thème de recherche passionnant.
9
Antigène étranger
CPA
TCR
CD4
Molecules
costimulantes
CD4 CD4 Treg
Th2
Th1/Th17 INF-
TNF-
IL-17
IL-10
TNF-
IL-4
IL-5
IL-13
CD4
CD4
Influence
environnementale
par l’intermédiaire
récepteurs
Activation des
lymphocytes
+
+
MHC-II
Fig. 2. La prise de décision dans le système immunitaire adaptatif est
modulée par des signaux costimulants provenant des CPA. Les CPA captent
l’antigène et le traitent (le dégradent) afin de former des peptides immu-
nogènes, affichés sur les récepteurs des lymphocytes T (TCR) dans la rainure
polymorphe des molécules du CMH II (également appelée HLA chez l’homme)
après leur apparition à la surface cellulaire. Une synapse immunologique se
forme entre les CPA et les lymphocytes T, comme le montre le schéma, ce qui
aboutit à une activation cellulaire. Les lymphocytes Th naïfs CD4+ activés par
des CPA fournissant les signaux costimulants appropriés (cytokines et molé-
cules de liaison) se différencient en lymphocytes Th1, Th17 ou Th2 avec pro-
duction polarisée de cytokines. Ce biaisage de la réponse immunitaire
adaptative est tributaire de la présence de facteurs micro-environnementaux,
dont des cytokines, ainsi que de signaux de danger provenant de produits
microbiens, dont les endotoxines (lipopolysaccharides), les lipoprotéines et
les motifs nucléotidiques CpG non méthylés issus d’ADN bactérien. Ces fac-
teurs déclenchants sont perçus par les PRR, particulièrement les TLR. Les sig-
naux émis par les PRR et d’autres récepteurs stimulent l’activation et la
maturation fonctionnelle des CPA le long de différentes voies et dicteront ainsi
la délivrance de divers signaux costimulants dans la synapse. L’activation con-
sécutive des cellules Th CD4+ aboutit à la production prédominante de cer-
taines cytokines. Par ailleurs, des profils Th1, Th17 et Th2 distincts sont
favorisés par des boucles de feedback positif et inhibiteur (régulation croisée).
De plus, en particulier des CPA quiescentes et apparemment migrantes peu-
vent induire les lymphocytes Treg qui peuvent supprimer les réponses effectri-
ces Th par leurs cytokines l’interleukine-10 (IL-10) et le facteur transformant
de croissance (TGF-) (ou par interaction cellulaire directe). Les lymphocytes
Treg sont souvent CD25+ et peuvent ou non exprimer le facteur de transcrip-
tion FOXP3. IFN = Interféron; TCR = récepteur des lymphocytes T pour les
antigènes; TNF = facteur de nécrose tumorale.
10
Bibliographie
1 Brandtzaeg P, Johansen F-E: IgA and intestinal homeostasis; in Kaetzel CS
(ed): Mucosal Immune Defense: Immunoglobulin A. New York, Springer
Science+Business Media, 2007, pp 221–268.
2 Brandtzaeg P: Role of local immunity and breast-feeding in mucosal homeo-
stasis and defence against infections; in Calder PC, Field CJ, Gill HS (eds):
Nutrition and Immune Function, Frontiers in Nutritional Science. Wallingford,
CABI International, 2002, pp 273–320.
3 Barton GM, Medzhitov R: Toll-like receptor signaling pathways. Science
2003;300:1524–1525.
4 Artis D: Epithelial-cell recognition of commensal bacteria and maintenance of
immune homeostasis in the gut. Nat Rev Immunol 2008;8:411–420.
5 Guarner F, Bourdet-Sicard R, Brandtzaeg P, et al: Mechanisms of disease:
the hygiene hypothesis revisited. Nat Clin Pract Gastroenterol Hepatol
2006;3:275–284.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !