PAYSANS ET SEIGNEURS EN EUROPE
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les habitants. Le deuxième ordre à la fois se serait appauvri par ses dépenses
de luxe et la baisse de ses ressources et il aurait perdu nombre de terres
au profi t de la bourgeoisie marchande et offi cière, l’État en se renforçant
off rant aux parvenus de la fortune des postes dans le gouvernement et dans
l’administration locale. Quant aux liens d’homme à homme, ils s’évanoui-
raient dès le XVIe siècle, devenus sans intérêt à cause de la multiplication des
relations sociales liée à l’urbanisation, et surtout de la puissance de l’État
central absolutiste.
Mis à part l’accroissement de l’autorité des monarchies entre le XVIe et le
XVIIIe siècles – et encore dans certaines limites – ces conceptions paraissent
aujourd’hui trop simples et rendent mal compte à la fois des ressemblances
et des diff érences que l’on constate entre les divers pays. Il est nécessaire
de revenir sur les défi nitions pourtant bien connues de ces cadres de la vie
sociale et on s’aperçoit qu’elles sont plus complexes qu’il n’y paraît de prime
abord et présentent une extension et une plasticité qui leur permettent
de résister à l’usure des siècles. Selon l’un des maîtres de l’histoire agraire
du Moyen Âge, R. Boutruche 1 , la seigneurie « réunit deux aspects : l’un
foncier, l’autre politique (ce dernier quelquefois désigné sous le nom de
seigneurie justiciaire… afi n de mettre l’accent sur l’origine publique des
droits exercés)… Ce n’est pas seulement une unité d’exploitation partagée
entre une réserve et des tenures, mais un groupe social dépendant d’un
maître, un organisme de commandement ou seigneurie ». Elle constitue
donc un territoire bien délimité formé d’une exploitation que son proprié-
taire travaille ou fait travailler, généralement d’une taille respectable, et
d’autres plutôt plus petites sur lesquelles les manants n’ont qu’un droit
de possession plus ou moins étendu, de l’occupation précaire à la quasi-
propriété, mais pas la pleine propriété, d’autant qu’ils doivent pour ladite
possession des redevances et/ou des services au maître. Elle est également
un pouvoir exercé par le seigneur sur les tenanciers au titre de la juridiction
qu’il détient, fonction déléguée théoriquement par le prince et dont l’éten-
due varie également selon les lieux et l’époque.
La communauté de village, elle, pour un autre médiéviste important
R. Fossier 2 est « la cellule de base de la société médiévale ». Structure de
travail agricole, elle est un fi nage aux frontières reconnues, qu’elle exploite
partie individuellement, partie collectivement avec des règles communes
et des biens communs, ses membres échangeant entre eux des services.
Groupement humain dans ces siècles d’omniprésence de la religion dans
la représentation du monde et des relations sociales, elle est, quoique
– rarement – communauté et paroisse puissent ne pas coïncider, un rassem-
blement autour de l’église ou du temple paroissial qui n’est pas seulement
un bâtiment de prière, mais aussi un lieu de réunion, d’asile et de sépulture
1. Seigneurie et féodalité I, Paris, 1959, p. 114.
2. Histoire sociale de l’Occident médiéval, Paris, 1970, p. 183.
[« Paysans et seigneurs en Europe », Guy Lemarchand]
[ISBN 978-2-7535-1701-1 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]