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La prescription de marqueurs tumoraux est très courante, mais pas toujours appropriée. En effet, malg labon-
dance de la littérature sur le sujet, leur intérêt médical n’est souvent pas réellement montré ( 1 ) . Même un mar-
queur aussi usuel que l’antigène carc i n o - e m b r y o n n a i re (ACE) dans les cancers du côlon reste l’objet de contro v e r -
se ( 2 ) . Le but de cette fiche est de rappeler les principales indications et les limites des marqueurs tumoraux en can-
c é rologie digestive. Les marqueurs des tumeurs endocrines et des lymphomes du tube digestif, représentant des
g r oupes tumoraux à part, ne seront pas abordés.
Un marqueur tumoral sérique correspond à une substance crétée dans le sang par les cellules tumorales. Leur
n a t u re est ts vare (protéines oncofœtales, antines associés aux tumeurs, etc.). En théorie, un marqueur se doit
d ’ ê t r e très sensible et spécifique, et son taux corré à la masse tumorale. L’ensemble de ces conditions est en fait
r a rement rempli. Selon sesperf o r mances”, un marqueur pourra donc être utile dans le pistage dune tumeur, à
son diagnostic, à lévaluation de son pronostic, et/ou à la surveillance pendant ou après un traitement.
Il s’agit d’une protéine dont la stru c t u re est proche de la sérum-albumine. Elle est psente dans le sang tal et
synthétisée par le sac vitellin en début de grossesse, puis par le foie du fœtus. À la naissance, elle disparaît pro-
g r essivement, remplacée par l’albumine. Chez l'adulte, elle est présente à l'état de trace (inférieure à 10-20 ng/ml).
Sa sensibilité dans lhépatocarcinome est globalement de 70 à 90 %, mais elle est faible dans les tumeurs de petite
taille. En effet, la concentration sérique est corrélée à la masse tumorale. Sa spécifici est faible. Le taux dαFT peut
ê t re élevé dans dautres tumeurs, en particulier les tumeurs germinales non séminomateuses du testicule ou dautre s
tumeurs embry o n n a i r es, plus rarement dans dautres cancers (notamment gastriques). Le taux dαFT peut être aug-
menté en cas dhépatopathie bénigne (hépatite, cirrhose) et, enfin, au cours de la grossesse.
Le dosage de l’αFT est souvent utili en association à léchographie abdominale pour le dépistage du cancer pri-
mitif du foie à un stade curable chez les patients à risque. Il est en fait très rare de diagnostiquer un cancer sur une
simple évation du marqueur avec une échographie normale. Outre la faible sensibilité de l’αFT en cas de petite
t u m e u r, une analyse systématique des études publiées ne permet pas de valider cette attitude dans les pays occi-
dentaux ( 3 ) . De nouvelles études prospectives sont donc nécessaires. LαFT a un intérêt diagnostique en cas de
tumeur patique quand son taux est très élevé. La coexistence d’une tumeur patique et dun taux supérieur à
400 ng/ml est très scifique dhépatocarcinome. Son dosage na pas été validé dans le suivi aps traitement.
C'est une glycoprotéine normalement synthétie dans l’intestin, le pancréas et le foie du fœtus au cours des 6 p r e-
miers mois de la grossesse. Chez ladulte, lACE est faiblement synttisé dans certaines portions du tube digestif.
Ses fonctions physiologiques restent à préciser. Le taux d’ACE est inférieur à 5 µg/l chez 95 à 98 % des sujets nor-
maux. Il existe une variabilité en fonction des techniques de dosage qui invite, au cours du suivi dun patient, à tou-
jours réaliser le dosage dans le même laboratoire.
Laugmentation de l’ACE nest pas spécifique d’une tumeur part i c u l i è re. Elle est fréquente dans les cancers colo-
rectaux, mais aussi dans dautres cancers digestifs ou extradigestifs (cancers du poumon, du sein, de la thyro ï d e ,
etc.). De plus, des élévations sont observées dans des pathologies non tumorales (maladies inflammatoires de l'in-
testin, cirrhose, etc.) et chez certains fumeurs, mais à des taux généralement inférieurs à 10 µg/L avec les tech-
niques actuelles de dosage. À noter, en revanche, une augmentation fréquente (chez 40 % des patients enviro n ) ,
et qui peut être plus importante, en cas d’insuffisance rénale et dhémodialyse.
Si l'ACE est le marqueur tumoral de référence dans les cancers colorectaux ( 4 ) , plusieurs études ont montré qu’il
n’avait dintérêt ni dans le pistage ni dans le diagnostic. Son intérêt pratique dans le bilan dextension initial est
limité, me si la sensibilité et l’amplitude des concentrations augmentent en fonction du stade d’extension de la
maladie (classification de Dukes) ( 2 ) . Dans la conférence française de consensus de 1998, le dosage de lACE initial
n’était pas recommandé, en l’absence dimpact sur la cision thérapeutique. En revanche, il est recomman par
Les marqueurs tumoraux des cancers digestifs
B. Landi,
service d’hépato-gastroentérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris
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A l p h a
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(αF T )
Antigène carc i n o -
e m b ry o n n a i r e
( A C E )
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technique
les experts de lASCO pour aider à déterminer le stade dextension, car il existe une certaine corrélation entre ces
deux facteurs. La valeur pronostique de l’ACE fait l’objet de discussions. Certaines études suggèrent qu’un taux ini-
tial élevé est un facteur de mauvais pronostic, et que l’ACE serait un facteur pronostique indépendant dans les can-
cers de stade B de Dukes (stade II de lUICC). Pour certains, le dosage préopératoire de lACE pourrait ainsi être
utile pour estimer le risque de récidive dans les stades II. De me, le taux dACE avant résection de tastases
patiques est un facteur pronostique de surv i e .
Le dosage de l’ACE peut avoir un intérêt pour évaluer lefficacité du traitement. Aps résection chiru rgicale com-
plète, un taux qui ne sest pas normali dans les 6 semaines suggère la persistance de résidus tumoraux. En cours
de chimiotrapie palliative, le dosage répété de lACE, sil était initialement élevé, peut être un index de lévolu-
tion de la maladie. Les discordances entre les données cliniques, radiologiques et lévolution de lACE sont rare s .
Une augmentation contrôlée de l’ACE traduit une pro g ression tumorale
(2)
. Certains experts considèrent comme
c r i t è r e de pro g r ession une augmentation du taux dACE de 25 %. Pour l’ASCO, laugmentation de l’ACE sur deux
prélèvements successifs est suffisante pour aff i r mer la pro g r ession tumorale. Cependant, une augmentation transi-
t o i re peut être observée en début de traitement, et une diminution du taux d’ACE n’est pas systématiquement asso-
ce à une réponse objective radiologique. Le dosage de l’ACE peut donc être complémentaire de la clinique et de
l’imagerie pour apprécier l’efficacité de la chimiothérapie, en particulier en cas de maladie non mesurable (carc i n o s e
ritoale, etc.).
Le dosage de lACE est surtout intéressant pour le suivi après chiru r gie. Après résection complète initiale, une aug-
mentation du taux d’ACE est le premier indicateur de récidive dans environ deux tiers des cas. La valeur prédictive
de récidive d’une augmentation supérieure à la valeur seuil est denviron 80 % ( 2 ) . Si lACE était augmen initia-
lement, une ré-ascension du taux est quasi constante. En cas de tumeur initialement non crétante, une augmen-
tation est observée chez environ 40 % des patients en cas de rechute. L’intét de lACE dans la surveillance des
cancers colorectaux opérés reste anmoins battu, et plus globalement celui dune surveillance “intensive(cette
notion ayant un sens diff é rent selon les études) par rapport à une surveillance légère”. En labsence de bénéfice
c l a i rement démontré de la surveillance de lACE en termes de survie, il nexiste actuellement pas de consensus.
Deux ta-analyses ont suggéré que la surveillance des cancers coliques par ACE permettait un diagnostic plus pré-
coce de la récidive et augmentait leur taux d’orabilité. Plusieurs études randomisées ont été réalisées mais abou-
tissent à des résultats divergents. Elles ne sont pas exemptes de critiques méthodologiques, en particulier du fait de
faibles effectifs de patients, du choix variable des examens (notamment concernant lACE) et des rythmes de sur-
veillance. De plus, depuis 10 ans, les possibilités de tection (scanner, IRM, Pet-scan) aussi bien que de traitement
(chimiothérapie, radiofréquence, chiru rgie) des cidives ont beaucoup évolué. Cela explique les diff é r ences de
recommandations selon les groupes dexperts. Dans la conférence française de consensus de 1998, le dosage de
l’ACE nétait pas recommandé. Il lest tous les 2 à 3 mois pour les patients ayant un cancer du côlon de stades II-
III et dont l’état est compatible avec une patectomie pour les experts de lASCO. En l’absence de standard, le
dosage rété de lACE nest pas recommandé de manre systématique dans les standards options et re c o m m a n -
dations des centres anticancéreux français ( 2 ) . Les deux attitudes précédentes sont propoes comme optionnelles
hors essai, en tenant compte de l’état du patient. Dans le cas dune surveillance, le scma proposé est un dosage
de lACE tous les 3 mois pendant 2 ans, puis tous les 6 mois jusqu’à 5 ans.
Aucune donnée de la littérature ne permet de recommander le dosage et la surveillance du taux dACE dans les
a u t r es cancers digestifs.
Lantigène carbohydrate 19-9 (CA 19-9) est un antigène polysaccharidique, correspondant à un épitope d'un gro u -
pe sanguin (Lewis 1). Le taux de CA 19-9 est inférieur à 37 U/ml chez 95 % des sujets normaux. Certains sujets
n’expriment pas le CA 19-9 (du groupe sanguin Lewis a-b-).
Laugmentation du CA 19-9 est fréquente dans les cancers d’origine glandulaire du pancréas et des voies biliaire s
(sensibilité de 70 à 90 %). Des évations sont fréquentes dans dautres cancers digestifs (hépatocarcinome, esto-
mac, côlon) ou extradigestifs (cancers du poumon et tumeurs mucineuses de l’ovaire notamment). De plus, des élé-
vations sont observées dans des pathologies non tumorales, en particulier icre, angiocholite, hémochro m a t o s e ,
diate mal équilibré. Dans ces cas, le taux est généralement inrieur à 3 fois la normale.
Le CA 19-9 na pas dintérêt en termes de dépistage. La sensibilité et la spécificité du CA 19-9 dans le diagnostic
des cancers du pancréas et des voies biliaires dépendent des valeurs seuils retenues et de lexistence ou non dune
cholestase. En cas de cholestase, la sensibilité augmente, mais la spécificité diminue. La sensibilité est de lord re de
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9 0 % pour un taux surieur à 37 U/ml, mais avec une spécificité inférieure à 50 % en cas de cholestase. Pour un
taux supérieur à 100 U/ml, la sensibilité est de lord r e de 80 %, et la spécificité de 64 % (en cas de cholestase) à
8 8 % (en labsence de cholestase). En labsence de possibilité trapeutique curative des récidives, le suivi du taux
de CA19-9 après résection dune tumeur du pancréas ou des voies biliaires ne peut être re c o m m a n d é .
Le CA 19-9 est un marqueur potentiellement utile dans les cancers colorectaux. Néanmoins, sa sensibilité est infé-
r i e u re à celle de lACE aux diff é r ents stades de la maladie. En pratique, il peut avoir un intérêt chez les patients
ayant un taux dACE normal ou peu élevé, en particulier dans le suivi dune chimiothérapie palliative.
Il s'agit dun marqueur assez spécifique des carcinomes épidermoïdes, utilisé notamment dans les cancers du col de
l ' u t é r us. Lantigène SCC a été peu évalué dans les carcinomes épidermoïdes de lœsophage. Sa sensibilité est infé-
r i e u re à 40 %. Une étude rétrospective a suggé que le taux de SCC préthérapeutique était un facteur pro n o s -
tique indépendant du statut tumoral. Le dosage de lantigène SCC na que peu d’intét dans les cancers de l’anus.
Pour les patients ayant une cidive tumorale, l’évolution peut néanmoins être corrélée à son taux.
Aucun autre marqueur testé na supplanté l’ACE (CA 242, CA 195, CA 72-4, acide sialique, etc.) dans les cancers
c o l o rectaux, et na donc dindication pratique. Il existe dans les cancers gastriques une corlation entre le taux de
C A 72-4 et l’extension de la maladie. Ce marqueur nest pas scifique de ce type de tumeur, pouvant être élevé
aussi dans les cancers colorectaux, pancréatiques, ou gynécologiques. L’intérêt pratique est limité par labsence de
trapeutique curative des récidives. Dans les carcinomes épidermdes de lœsophage, la sensibilité de cert a i n s
m a r queurs (Cyfra 21-1, TPA) est de lord r e de 40 %, mais leur intérêt pratique nest pas démontré.
Les indications des marqueurs tumoraux dans le dépistage et le diagnostic sont limitées en oncologie digestive. Le
dosage de l’ACE est surtout intéressant dans le suivi des cancers colorectaux réqs, me si son impact sur la
s u r vie n’est pas ellement démontré. Les marqueurs peuvent aussi être utiles dans les maladies plus avancées au
cours du suivi sous chimiothérapie.
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Antigène SCC
(“Squamous Cell
C a r c i n o m a
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