Les marqueurs tumoraux des cancers digestifs

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Les marqueurs tumoraux des cancers digestifs
Les marqueurs tumoraux des cancers digestifs
B. Landi,
service d’hépato-gastroentérologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris
La prescription de marqueurs tumoraux est très courante, mais pas toujours appropriée. En effet, malgré l’abondance de la littérature sur le sujet, leur intérêt médical n’est souvent pas réellement démontré (1). Même un marqueur aussi usuel que l’antigène carcino-embry o n n a i re (ACE) dans les cancers du côlon reste l’objet de contro v e rse (2). Le but de cette fiche est de rappeler les principales indications et les limites des marqueurs tumoraux en canc é rologie digestive. Les marqueurs des tumeurs endocrines et des lymphomes du tube digestif, représentant des
groupes tumoraux à part, ne seront pas abordés.
Un marqueur tumoral sérique correspond à une substance sécrétée dans le sang par les cellules tumorales. Leur
n a t u re est très variée (protéines oncofœtales, antigènes associés aux tumeurs, etc.). En théorie, un marqueur se doit
d’être très sensible et spécifique, et son taux corrélé à la masse tumorale. L’ensemble de ces conditions est en fait
r a rement rempli. Selon ses “performances”, un marqueur pourra donc être utile dans le dépistage d’une tumeur, à
son diagnostic, à l’évaluation de son pronostic, et/ou à la surveillance pendant ou après un traitement.
Alpha
fœtoprotéine
(αFT)
Antigène carc i n o embryonnaire
(ACE)
Il s’agit d’une protéine dont la stru c t u re est proche de la sérum-albumine. Elle est présente dans le sang fœtal et
synthétisée par le sac vitellin en début de grossesse, puis par le foie du fœtus. À la naissance, elle disparaît progressivement, remplacée par l’albumine. Chez l'adulte, elle est présente à l'état de trace (inférieure à 10-20 ng/ml).
Sa sensibilité dans l’hépatocarcinome est globalement de 70 à 90 %, mais elle est faible dans les tumeurs de petite
taille. En effet, la concentration sérique est corrélée à la masse tumorale. Sa spécificité est faible. Le taux d’αFT peut
ê t re élevé dans d’autres tumeurs, en particulier les tumeurs germinales non séminomateuses du testicule ou d’autres
tumeurs embryonnaires, plus rarement dans d’autres cancers (notamment gastriques). Le taux d’αFT peut être augmenté en cas d’hépatopathie bénigne (hépatite, cirrhose) et, enfin, au cours de la grossesse.
Le dosage de l’αFT est souvent utilisé en association à l’échographie abdominale pour le dépistage du cancer primitif du foie à un stade curable chez les patients à risque. Il est en fait très rare de diagnostiquer un cancer sur une
simple élévation du marqueur avec une échographie normale. Outre la faible sensibilité de l’αFT en cas de petite
tumeur, une analyse systématique des études publiées ne permet pas de valider cette attitude dans les pays occidentaux (3). De nouvelles études prospectives sont donc nécessaires. L’αFT a un intérêt diagnostique en cas de
tumeur hépatique quand son taux est très élevé. La coexistence d’une tumeur hépatique et d’un taux supérieur à
400 ng/ml est très spécifique d’hépatocarcinome. Son dosage n’a pas été validé dans le suivi après traitement.
C'est une glycoprotéine normalement synthétisée dans l’intestin, le pancréas et le foie du fœtus au cours des 6 premiers mois de la grossesse. Chez l’adulte, l’ACE est faiblement synthétisé dans certaines portions du tube digestif.
Ses fonctions physiologiques restent à préciser. Le taux d’ACE est inférieur à 5 µg/l chez 95 à 98 % des sujets normaux. Il existe une variabilité en fonction des techniques de dosage qui invite, au cours du suivi d’un patient, à toujours réaliser le dosage dans le même laboratoire.
L’augmentation de l’ACE n’est pas spécifique d’une tumeur part i c u l i è re. Elle est fréquente dans les cancers colorectaux, mais aussi dans d’autres cancers digestifs ou extradigestifs (cancers du poumon, du sein, de la thyro ï d e ,
etc.). De plus, des élévations sont observées dans des pathologies non tumorales (maladies inflammatoires de l'intestin, cirrhose, etc.) et chez certains fumeurs, mais à des taux généralement inférieurs à 10 µg/L avec les techniques actuelles de dosage. À noter, en revanche, une augmentation fréquente (chez 40 % des patients environ),
et qui peut être plus importante, en cas d’insuffisance rénale et d’hémodialyse.
Si l'ACE est le marqueur tumoral de référence dans les cancers colorectaux (4), plusieurs études ont montré qu’il
n’avait d’intérêt ni dans le dépistage ni dans le diagnostic. Son intérêt pratique dans le bilan d’extension initial est
limité, même si la sensibilité et l’amplitude des concentrations augmentent en fonction du stade d’extension de la
maladie (classification de Dukes) (2). Dans la conférence française de consensus de 1998, le dosage de l’ACE initial
n’était pas recommandé, en l’absence d’impact sur la décision thérapeutique. En revanche, il est recommandé par
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les experts de l’ASCO pour aider à déterminer le stade d’extension, car il existe une certaine corrélation entre ces
deux facteurs. La valeur pronostique de l’ACE fait l’objet de discussions. Certaines études suggèrent qu’un taux initial élevé est un facteur de mauvais pronostic, et que l’ACE serait un facteur pronostique indépendant dans les cancers de stade B de Dukes (stade II de l’UICC). Pour certains, le dosage préopératoire de l’ACE pourrait ainsi être
utile pour estimer le risque de récidive dans les stades II. De même, le taux d’ACE avant résection de métastases
hépatiques est un facteur pronostique de survie.
Le dosage de l’ACE peut avoir un intérêt pour évaluer l’efficacité du traitement. Après résection chiru rgicale complète, un taux qui ne s’est pas normalisé dans les 6 semaines suggère la persistance de résidus tumoraux. En cours
de chimiothérapie palliative, le dosage répété de l’ACE, s’il était initialement élevé, peut être un index de l’évolution de la maladie. Les discordances entre les données cliniques, radiologiques et l’évolution de l’ACE sont rare s .
Une augmentation contrôlée de l’ACE traduit une pro g ression tumorale (2). Certains experts considèrent comme
critère de pro g ression une augmentation du taux d’ACE de 25 %. Pour l’ASCO, l’augmentation de l’ACE sur deux
prélèvements successifs est suffisante pour aff i rmer la pro g ression tumorale. Cependant, une augmentation transit o i re peut être observée en début de traitement, et une diminution du taux d’ACE n’est pas systématiquement associée à une réponse objective radiologique. Le dosage de l’ACE peut donc être complémentaire de la clinique et de
l’imagerie pour apprécier l’efficacité de la chimiothérapie, en particulier en cas de maladie non mesurable (carc i n o s e
péritonéale, etc.).
Le dosage de l’ACE est surtout intéressant pour le suivi après chiru rgie. Après résection complète initiale, une augmentation du taux d’ACE est le premier indicateur de récidive dans environ deux tiers des cas. La valeur prédictive
de récidive d’une augmentation supérieure à la valeur seuil est d’environ 80 % (2). Si l’ACE était augmenté initialement, une ré-ascension du taux est quasi constante. En cas de tumeur initialement non sécrétante, une augmentation est observée chez environ 40 % des patients en cas de rechute. L’intérêt de l’ACE dans la surveillance des
cancers colorectaux opérés reste néanmoins débattu, et plus globalement celui d’une surveillance “intensive” (cette
notion ayant un sens diff é rent selon les études) par rapport à une surveillance “légère”. En l’absence de bénéfice
c l a i rement démontré de la surveillance de l’ACE en termes de survie, il n’existe actuellement pas de consensus.
Deux méta-analyses ont suggéré que la surveillance des cancers coliques par ACE permettait un diagnostic plus précoce de la récidive et augmentait leur taux d’opérabilité. Plusieurs études randomisées ont été réalisées mais aboutissent à des résultats divergents. Elles ne sont pas exemptes de critiques méthodologiques, en particulier du fait de
faibles effectifs de patients, du choix variable des examens (notamment concernant l’ACE) et des rythmes de surveillance. De plus, depuis 10 ans, les possibilités de détection (scanner, IRM, Pet-scan) aussi bien que de traitement
(chimiothérapie, radiofréquence, chiru rgie) des récidives ont beaucoup évolué. Cela explique les diff é rences de
recommandations selon les groupes d’experts. Dans la conférence française de consensus de 1998, le dosage de
l’ACE n’était pas recommandé. Il l’est tous les 2 à 3 mois pour les patients ayant un cancer du côlon de stades IIIII et dont l’état est compatible avec une hépatectomie pour les experts de l’ASCO. En l’absence de standard, le
dosage répété de l’ACE n’est pas recommandé de manière systématique dans les standards options et re c o m m a ndations des centres anticancéreux français (2). Les deux attitudes précédentes sont proposées comme optionnelles
hors essai, en tenant compte de l’état du patient. Dans le cas d’une surveillance, le schéma proposé est un dosage
de l’ACE tous les 3 mois pendant 2 ans, puis tous les 6 mois jusqu’à 5 ans.
Aucune donnée de la littérature ne permet de recommander le dosage et la surveillance du taux d’ACE dans les
autres cancers digestifs.
Antigène
CA 19-9
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L’antigène carbohydrate 19-9 (CA 19-9) est un antigène polysaccharidique, correspondant à un épitope d'un gro upe sanguin (Lewis 1). Le taux de CA 19-9 est inférieur à 37 U/ml chez 95 % des sujets normaux. Certains sujets
n’expriment pas le CA 19-9 (du groupe sanguin Lewis a-b-).
L’augmentation du CA 19-9 est fréquente dans les cancers d’origine glandulaire du pancréas et des voies biliaires
(sensibilité de 70 à 90 %). Des élévations sont fréquentes dans d’autres cancers digestifs (hépatocarcinome, estomac, côlon) ou extradigestifs (cancers du poumon et tumeurs mucineuses de l’ovaire notamment). De plus, des élévations sont observées dans des pathologies non tumorales, en particulier ictère, angiocholite, hémochromatose,
diabète mal équilibré. Dans ces cas, le taux est généralement inférieur à 3 fois la normale.
Le CA 19-9 n’a pas d’intérêt en termes de dépistage. La sensibilité et la spécificité du CA 19-9 dans le diagnostic
des cancers du pancréas et des voies biliaires dépendent des valeurs seuils retenues et de l’existence ou non d’une
cholestase. En cas de cholestase, la sensibilité augmente, mais la spécificité diminue. La sensibilité est de l’ord re de
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90 % pour un taux supérieur à 37 U/ml, mais avec une spécificité inférieure à 50 % en cas de cholestase. Pour un
taux supérieur à 100 U/ml, la sensibilité est de l’ord re de 80 %, et la spécificité de 64 % (en cas de cholestase) à
88 % (en l’absence de cholestase). En l’absence de possibilité thérapeutique curative des récidives, le suivi du taux
de CA19-9 après résection d’une tumeur du pancréas ou des voies biliaires ne peut être re c o m m a n d é .
Le CA 19-9 est un marqueur potentiellement utile dans les cancers colorectaux. Néanmoins, sa sensibilité est infér i e u re à celle de l’ACE aux diff é rents stades de la maladie. En pratique, il peut avoir un intérêt chez les patients
ayant un taux d’ACE normal ou peu élevé, en particulier dans le suivi d’une chimiothérapie palliative.
Antigène SCC
(“Squamous Cell
Carcinoma
antigen”)
Autres
marqueurs
Conclusion
Il s'agit d‘un marqueur assez spécifique des carcinomes épidermoïdes, utilisé notamment dans les cancers du col de
l'utérus. L’antigène SCC a été peu évalué dans les carcinomes épidermoïdes de l’œsophage. Sa sensibilité est infér i e u re à 40 %. Une étude rétrospective a suggéré que le taux de SCC préthérapeutique était un facteur pro n o stique indépendant du statut tumoral. Le dosage de l’antigène SCC n’a que peu d’intérêt dans les cancers de l’anus.
Pour les patients ayant une récidive tumorale, l’évolution peut néanmoins être corrélée à son taux.
Aucun autre marqueur testé n’a supplanté l’ACE (CA 242, CA 195, CA 72-4, acide sialique, etc.) dans les cancers
c o l o rectaux, et n’a donc d’indication pratique. Il existe dans les cancers gastriques une corrélation entre le taux de
CA 72-4 et l’extension de la maladie. Ce marqueur n’est pas spécifique de ce type de tumeur, pouvant être élevé
aussi dans les cancers colorectaux, pancréatiques, ou gynécologiques. L’intérêt pratique est limité par l’absence de
thérapeutique curative des récidives. Dans les carcinomes épidermoïdes de l’œsophage, la sensibilité de certains
marqueurs (Cyfra 21-1, TPA) est de l’ordre de 40 %, mais leur intérêt pratique n’est pas démontré.
Les indications des marqueurs tumoraux dans le dépistage et le diagnostic sont limitées en oncologie digestive. Le
dosage de l’ACE est surtout intéressant dans le suivi des cancers colorectaux réséqués, même si son impact sur la
survie n’est pas réellement démontré. Les marqueurs peuvent aussi être utiles dans les maladies plus avancées au
cours du suivi sous chimiothérapie.
1. Sturgeon C. Practice guidelines for tumor marker use in the clinic. Clin Chem 2002;48:1151-9.
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