COURRIER DE LA PLANÈTE N°89|90 95
systèmes de la zone méditerranéenne. En effet,
la liste est longue : hausse du niveau des mers,
croissance démographique rapide (l’une des plus
rapides au monde), perte de terres agricoles
importantes au profit des métropoles en rapide
croissance (Amman, la capitale de la Jordanie, a
vu sa population augmenter de 40 % au cours
de la seconde moitié du XXe siècle), incendies
exacerbés par un climat devenu plus sec et plus
extrême, détérioration de la qualité de la terre et
de l’eau. Ainsi, 80 % de toutes les terres sèches
de la région sont frappées par la désertification
(Plan Bleu, 2005). Parallèlement, les PSEM ont
une faible capacité à s’adapter en raison de
leurs économies peu diversifiées et de leur forte
dépendance à l’égard de l’agriculture : un tiers
des actifs travaillent dans le secteur agricole.
À cela vient s’ajouter le fardeau d’une pauvreté
généralisée et des problèmes de gouvernance,
qui se traduisent par des indices révélateurs d’un
fort niveau de corruption et d’un faible « statut
démocratique » par rapport au nord de la région
(Economist, 2006 ; Transparency International,
2008).
Face à la demande croissante en eau et au
déclin des ressources disponibles, les PSEM sont
de plus en plus nombreux à perdre leur auto-
nomie alimentaire. La Jordanie et la Palestine
sont les cas les plus extrêmes. La pénurie d’eau a
d’ores et déjà réduit leur potentiel de production
intérieure à environ un quart de la demande
alimentaire. Selon les prévisions, ce rapport
insuffisant de l’offre et de la demande devrait
être le lot de la plupart des PSEM vers la fin du
siècle (CA, 2007).
eaux vertes, eaux bleues Les stratégies d’adap-
tation les plus récentes (voir encadré) passent
non seulement à côté du vaste potentiel de la
gestion de la demande, lorsqu’on sait que les per-
tes en eau des systèmes urbains avoisinent les
30 à 50 %, et que l’irrigation au goutte à goutte
demeure une exception. En outre, le potentiel
d’intégration de la gestion des eaux vertes et
bleues1 n’a pas été étudiée. Dans des pays comme
la Jordanie, 90 % du total des précipitations ne
se transforment jamais en eaux bleues, c’est-à-
dire qu’elles n’entrent jamais dans le domaine
de la gestion classique de l’eau. La plus grande
partie des précipitations se transforme en eaux
vertes (contenues dans les sols), offrant de nom-
breuses opportunités méconnues qui permet-
traient d’améliorer le stockage, la productivité,
actuellement très faible, et la gestion des eaux.
Ces dernières recouvrent notamment la collecte
des eaux pluviales, qui pourraient constituer un
complément permettant de tenir pendant les
périodes de sécheresse, ainsi que les modes de
culture, la gestion des engrais, les compléments
d’irrigation et l’agriculture de conservation, voire
la planification de l’utilisation des terres.
L’amélioration de la productivité des eaux ver-
tes dans les cultures dépendant des eaux pluvia-
les pourrait soulager en partie la demande en
eaux bleues (eaux d’irrigation), surtout dans un
scénario de changement climatique, et permet-
trait de les réaffecter à d’autres usages. En dépit
du lien naturel évident entre les eaux bleues et
vertes et leur gestion, on constate une fracture
CA (2007): Water
for Food Water for
Life, a Comprehensive
Assessment of Water
Management in Agri-
culture, Earthscan.
Giorgi F., Lionello
P (2007): Climate
change projections for
the Mediterranean
region, Glob. Planet.
Change.
La pénurie d’eau, les caprices du
climat et les sécheresses ne sont
pas nouveaux en région méditerra-
néenne. Au fil de plusieurs millénai-
res, celle qui a été surnommée le « ber-
ceau de l’agriculture » a su trouver des
solutions pour s’adapter : collecte et
conservation des eaux pluviales, agri-
culture et irrigation alternatives. Tou-
tefois, les méthodes traditionnelles
d’adaptation ont été pour la majeure
partie oubliées pour être remplacées
par de nouvelles solutions, souvent à
grande échelle.
Si l’Espagne a abandonné son
projet de dévier une grande partie
du fleuve Èbre, préférant une straté-
gie plus diversifiée régie par l’offre et
la demande, d’autres pays méditer-
ranéens continuent d’adopter une
ligne dure de développement, qui se
traduit par des projets encore plus
ambitieux sur le plan technologique,
mais souvent sans aucune perspec-
tive de durabilité. Le plus pharaoni-
que est celui du grand fleuve artifi-
ciel de la Libye, qui risque d’épuiser
les gigantesques ressources en eaux
souterraines d’origine fossile en l’es-
pace d’une génération. Israël et la
Jordanie ont tous deux articulé leur
système national d’alimentation en
eau autour de déviations à grande
échelle du Jourdain, à tel point que
ce dernier ne déverse quasiment
plus d’eau dans la mer Morte. Ces
deux pays préparent de nouveaux
projets plus ambitieux encore. Israël
est en passe de devenir indépen-
dant pour ses ressources renouvela-
bles en eau, grâce à la construction
d’une chaîne d’usines de désalini-
sation – dont le fonctionnement
dépend totalement des combusti-
bles fossiles – le long de ses côtes.
La Jordanie planche sur un grand
canal qui relierait la mer Rouge à
la mer Morte et produirait de l’eau
désalinisée en quantités équivalen-
tes à ses ressources en eaux naturel-
les renouvelables.
Le potentiel des solutions décen-
tralisées à petite échelle, destinées
par exemple à la réutilisation des
eaux usées ou à la collecte des eaux,
ne sont pas sérieusement envisa-
gées, et n’a même pas fait l’objet
d’études comparatives coûts/bénéfi-
ces par rapport à ces nouveaux méga-
projets.
H. H.
L’adaptation lourde