Sylvain Camilleri / Une nouvelle ère de la phénoménologie de la religion ?
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l’histoire qui sous-tend une telle généalogie […] Il s’agit en effet
pour nous d’inscrire ici Husserl dans une filiation et dans une
transmission, non pas de repérer des liens historiques exégétiques
entre les auteurs. Non qu’il soit inutile de le faire et de le noter
dans les cas où une telle relation textuelle existe. Cependant, nous
nous emploierons surtout à investir la relation entre des attitudes,
des gestes, aux fins de faire apparaître une communauté d’esprit
[…] » (Depraz 2006, 144-145).
C’est ainsi que Natalie Depraz ouvre la troisième partie de
son Comprendre la phénoménologie, partie intitulée :
« L’histoire de la phénoménologie : une archéologie des gestes ».
L’ouvrage en question se consacre à dessiner les contours d’une
phénoménologie pratique que l’on pourrait qualifier de
« globale », dont la phénoménologie – pratique – de la religion
n’est qu’une des nombreuses branches. Cependant, l’archéologie
déployée par Depraz accorde une place de choix à la dimension
religieuse des gestes pré-phénoménologiques ou proto-
phénoménologiques – en réalité, il s’agit surtout d’un geste :
l’épochè. Trois grandes périodes sont évoquées : ancienne,
moyenne et moderne. Or, chacune d’entre elles est marquée par
une ou plusieurs figures explicitement religieuses. Pour la
première, il y a le Christ lui-même, qui développe « une autre
qualité de savoir de soi et du monde » ; mais aussi le Bouddha
qui, par la promotion du « silence », crée les conditions d’une
pratique non-conceptuelle – donc absolument expérientielle –
permettant de scruter calmement « l’activité de notre esprit, les
va-et-vient du courant de la conscience » (Depraz 2006, 148-
150). Pour la seconde, il y a les Pères du Désert et les Pères de
l’Église, lesquels attirent l’attention sur l’attention et prônent
la re-conversion de la pensée en un souvenir vécu de Dieu dans
le cœur (Depraz 2006, 155-157). Pour la troisième enfin, il y a
Ignace de Loyola, dont les Exercices spirituels invitent à revivre
les événements majeurs de la vie du Christ afin de magnifier
son quotidien (Depraz 2006, 159-160).
À propos de ces figures religieuses, précisons d’une part
que Depraz se défend d’en donner une liste exhaustive, d’autre
part qu’elles sont toutes, de quelque façon, connectées à des
figures a-religieuses (le Christ à Socrate, les Pères aux