ils d’un berger-fromager, Ray-
mond Tripod a vécu son jeune
âge et son adolescence dans le
milieu rural. En campagne vau-
doise, dans les années cinquante, des enfants
en dessous de 7 ans pouvaient être libérés tem-
porairement d’une présence en classe pour sui-
vre les parents durant les transhumances aux
alpages. Ainsi, sous le contrôle de l’inspectorat
des écoles et sous l’autorité parentale, on appre-
nait à lire, écrire et compter sur un coin de la
table du chalet. En dehors des devoirs scolaires
et des tâches journalières auxquelles ils
n’échappaient pas, les bambins avaient loisir
de gambader dans les pâturages, contexte très
favorable à l’éveil à la nature. Sans doute, cette
période a été décisive pour le choix du métier
que Raymond entreprendrait plus tard. Là-haut,
parmi les troupeaux et les grandes gentianes,
prélevant quelques pattes de chat, campanules,
benoîtes ou potentilles, Raymond se souvient
avoir jardiné d’éphémères plates-bandes ou
ronds de cailloux garnis de joubarbes.
Au printemps 1961, il est admis à l’Ecole
d’horticulture de Châtelaine. Au terme de trois
ans de formation, désirant se perfectionner, il
ira travailler au Jardin botanique de Berlin-
Dahlem. Cette année de formation complé-
mentaire dans le plus grand jardin botanique
du continent va lui procurer un excellent
bagage qui sera à l’origine d’un réseau pro-
fessionnel aussi dense que solide.
Après avoir travaillé dans le secteur privé
en Suisse et en Allemagne, Raymond revient
définitivement en Suisse en 1967, engagé comme
jardinier aux CJB par Jean Iff. Il se voit confié
l’espace de multiplication des plantes de rocailles
et l’entretien de la parcelle de «La Console».
En 1969, on le charge de la formation des
apprentis et des stagiaires. Très disponible pour
transmettre des connaissances, il collabore avec
les centres de formation des métiers de la terre
et les milieux professionnels. Il donnera des
cours de floriculture et de botanique élémen-
taire. Afin de répondre aux conditions requises
pour la formation, il obtient le diplôme de
Maître horticulteur-floriculteur en 1977. Solli-
cité par l’Ecole d’horticulture de Lullier, il y
enseignera pendant une vingtaine d’années
dans la section d’architecture du paysage de
l’Ecole d’ingénieurs.
Ses compétences reconnues par tous en font
bientôt le bras droit du jardinier chef. Délé-
gué auprès des bureaux d’architectes, il par-
ticipe à l’élaboration des plans et des dossiers
de restauration du jardin (étape bot IV). De
1977 à 1985, une grande partie de son temps
est ainsi absorbée par les séances et réunions
de chantier.
La bonne connaissance des parcelles et des
bâtiments, les expériences acquises durant son
parcours professionnel, la conscience précise
des exigences pour une bonne gestion du
jardin, tout cela le destine naturellement à la
succession de Jean Iff. En accord avec ce der-
nier, il postule à la fonction de jardinier chef.
Sur préavis de la direction, le Conseil admi-
nistratif le nomme à partir du 1er mars 1985.
Il va poursuivre le travail de son prédécesseur
mais de nouvelles réalisations vont encore
élargir l’offre du jardin: la convention de
cession du Domaine de Penthes signée avec
l’Etat en 1989 permettra d’héberger l’Exposi-
tion nationale ProSpecieRara en 1996; sur la
Terre de Pregny, c’est l’installation du
Jardin des Senteurs et du Toucher, inauguré
en 1991; suite à une donation par l’Etat
de Genève, c’est la réhabilitation, entre 1994
et 1995, des anciennes serres du Baron
Rothschild; restauration entre 1997 et 1998
du Jardin d’hiver, la plus ancienne de nos
serres; enfin, l’aménagement paysager dans
le cadre des travaux de la construction de la
3evoie CFF Genève – Coppet.
Le jardinier chef est un personnage clé; il
assure la marche quotidienne du service, la
conduite du personnel du jardin – environ
30% de l’ensemble du personnel –, la ges-
tion des bâtiments, la planification des plan-
tations, expositions, manifestations, etc. En
bref, l’image des CJB, leur rayonnement local
et international dépendent en grande partie
de l’investissement du jardinier chef. Il
va sans dire que Raymond Tripod a rempli
l’ensemble de ses tâches avec une conscience
professionnelle, un dévouement et une com-
pétence scientifique et technique exception-
nelles.
Raymond est un des meilleurs connaisseurs
de la flore au sein des CJB. Il fait jeu égal avec
les meilleurs botanistes du Conservatoire, et
Dieu sait si notre institut regorge de spécia-
listes reconnus mondialement. Son savoir
englobe aussi bien les variétés horticoles –
en fait, le domaine de compétence des horti-
culteurs –, que les espèces sauvages.
Projetant et dessinant le jardin, organisant
l’emploi du temps de chacun, jonglant avec
les horaires, les remplacements et autres
absences prévisibles ou non, Raymond s’est
fait une réputation qui dépasse largement nos
frontières. Même le prestigieux Jardin des
plantes de Paris nous envie cet organisateur
hors pair. Ce sens de l’organisation mis au
service de la semaine de travail telle que
la conçoit Raymond, à savoir 7 jours sur 7,
garantissait un fonctionnement du jardin
sans faille. Il est vrai que le stakhanovisme
du jardinier chef n’avait pas grand-chose à
envier à celui de ses subordonnés directs. Bref,
avec de pareils collaborateurs, la direction n’a
pas eu de soucis à se faire.
En ce qui concerne la transversalité chère au
conseiller administratif (voir préface de M.
Mugny), Raymond a eu le constant souci d’inté-
grer le fonctionnement du jardin à celui du
conservatoire. Collaborant avec les scientifiques,
il a favorisé les initiatives originales consacrées
à la conservation d’espèces menacées et à la lutte
biologique. Il a également développé les relations
avec les autres services «verts» de la Ville et de
l’état, ainsi qu’avec les groupements de profes-
sionnels et d’amateurs (Société Genevoise d’Hor-
ticulture, Arboretum du Vallon de l’Aubonne,
Société des Roses, Associations des Jardins bota-
niques de Suisse, de France, etc). Depuis 1989,
Raymond supervise la gestion du Jardin alpin de
«La Linnaea» à Bourg-Saint-Pierre.
Dans le cadre des programmes de coopération
soutenus par la Ville de Genève, Raymond s’est
investi dans la création ou la restauration de
jardins botaniques au Sénégal et au Mali, et
cela parfois au péril de sa santé. Nos parte-
naires ont été impressionnés par sa puissance
de travail et sa modestie, lorsque sous le soleil
de Dakar, il prêchait par l’exemple le travail
bien fait auprès de jardiniers sénégalais qui
n’avaient pas l’habitude de voir les «patrons»
travailler la terre à leur côté.
Responsable de chefs de culture et d’horti-
culteurs hautement qualifiés, ses compéten-
ces scientifique et d’organisation, reconnues
de tous, lui ont permis d’être un patron
respecté malgré une gentillesse et une recher-
che du consensus parfois peu compatibles
avec une telle fonction.
Si je devais relever un point fort dans
ma carrière de directeur, je mentionnerais
l’excellente collaboration entre Raymond et
moi. Cette estime professionnelle a d’ailleurs
débouché sur une amitié réciproque qui a
permis de régler bien des problèmes. Je ne
peux que souhaiter à nos successeurs une
telle harmonie.
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° 36 – DÉCEMBRE 05 – LA FEUILLE VERTE – JOURNAL DES CONSERVATOIRE ET JARDIN BOTANIQUES
PASSAGE de témoin
R. Spichiger directeur
Le 30 septembre 2005, Raymond Tripod, jardinier chef
des Conservatoire et Jardin botaniques partira à la retraite
après 38 ans passés au service de la Ville de Genève