Père : Waffen SS. Fils : rabbin

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Dan Bar-On est un psychologue israélien. Ses parents
ont fui l'Allemagne en 1933. Quarante-six ans après la
fin de la guerre, dans son cabinet de Beersheva, il
continue de soigner les enfants des victimes de l'Holo-
causte, à jamais meurtris. Un jour, il a voulu compren-
dre comment les enfants des bourreaux, eux, pouvaient
vivre avec ce terrible héritage. Une cinquantaine ont
accepté de se confesser à lui. Ce sont leurs témoignages
qu'il a réunis dans « l'Héritage infernal » (Editions
Eshel), à paraître ce 17 octobre. En voici des extraits
Père : Waffen SS. Fils : rabbin
Il avait 5 ans à la fin de
la guerre et 30 quand il
émigra en Israël. Menachem porte barbe et kippa,
enseigne la philosophie juive allemande à l'uni-
, versité de Tel-Aviv et vit dans la vieille ville de
Jérusalem...
Menachem. -
Quand j'ai eu
.
12 ou 13 ans, j'ai commencé à
me demander comment tout
cela avait-il pu exister dans
l'Allemagne de Goethe, Kant,
Beethoven et Mozart ? [...]
L'opposition religieuse au ju-
daïsme est la racine même du christianisme 11
suffit de lire le Nouveau Testament.[...] Comme
les éçrits antisémites de Luther, par exemple le
célèbre texte intitulé les Juifs et leurs menson-
ges ».[...] Quatre cents ans plus tard, le journal nazi
Der Stürmer D a repris ses idées.[..]
Dan Bar-On. -
Quelles étaient les fonctions de
votre père pendant la guerre ?
Menachem. -
Officiellement, il était membre
des Waffen SS. Mais, à ma connaissance, il n'a
rien fait de particulier.
Dan Bar-On.- Vous
ne le lui avez' pas demandé?
Menachem. -
C'était tout bonnement impossi-
ble, parce que les juifs étaient un sujet tabou. [...]
Je ne pense pas que mon père se soit vraiment
libéré de tout ça malgré le désastre qui s'en est
suivi. Il a toujours eu mauvaise opinion des
juifs.[...]
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LE NOUVEL OBSERVATEUR
/NOTRE ÉPOQUE
J'ai quitté l'Allemagne pour les Etats-Unis. J'ai
fait des études à l'Institut de l'Association hébraï-
que à Cincinnati. Quand mon père a su que j'étais
inscrit dans un établissement juif, son univers
s'est écroulé.[...]
Dan Bar-On.- Est-ce que vous vous êtes dit que
vous pourriez vous-même
devenir
juif?
Menachem.- Aprè avoir étudié l'histoire juive,
je me suis intéressé à la philosophie juive. Mais
durant toutes ces années je n'ai jamais songé à me
convertir au judaïsme.[...] Je voulais devenir
ministre protestant. Vous savez, en Allemagne,
les étudiants en théologie sont tenus d'apprendrè
l'hébreu, ils doivent même passer un examen [ ]
Je ne suis vraiment entré en relation avec des juifs
qu'a l'âge de 19 ans environ. [...]
Dan Bar-On. - Est-ce qu'en Israël les gens sont
au courant de vos origines ?
Menachem. -
Oh oui ! Ils en ont fait toute une
histoire.[...] Je suis passé à la télévision, dans deux
ou trois émissions. [...] J'ai suivi un séminaire
pour les étudiants rabbiniques. Le rabbinat m'a
été accordé. A peu près à la Même époque, un
poste de rabbin au Technion'cle Haïfa a été déclaré
vacant. Le grand rabbin de Haïfa m'a encouragé
à postuler. J'ai attendu la réponse huit mois ! J'ai
appris Par la suite que mon cas avait été l'objet de
querelles intestines. Le fait que je sois d'origine
allemande et fils de nazi n'arrangeait rien. Je suis'
quand même devenu commandant réserviste
dans les forces israéliennes défensives.[...]
Dan Bar-On. - Quand avez-vous changé de
nom ?
Menachem. - La tradition juive exige qu'on
change de prénom quand on se convertit. J'ai
choisi de m'appeler Menachem. Mon nom de
famille, je l'ai gardé pendant des années, jusqu'à
ce que j'émigre en Israel.[...] Changer de nom
syinbolisait un changement de vie total et aussi ma
résolution de ne pas retourner vivre en Allema-
gne-
Je pense que l'itinéraire que j'ai suivi et toutes les
décisions qui s'y rattachent constituent une mise
au point définitive par rapport à la culture alle-
mande au sens le plus large, pas seulement en ce
qui concerne ce qui s'est passé de 1933 à 1945,
mais par rapport à la totalité de l'héritage culturel
chrétien ; deux mille ans de chrétienté qui ont
abouti au déclin de l'Occident.[...]
Dan Bar-On.-
Votre père est-il entré en
contact
avec vous avant de mourir ?
Menachem. -
Non. A sa mort, et puis à l'enter-
rement, je n'ai rien ressenti. Comme s'il ne s'était
rien passé. [...]
Dan Bar-On.- Et vos enfants, que savent-ils de
lui ?
Menachem.
Rien. Absolument, ils ont les
grands-parents de ma femme comme grands-
parents. Ils sont' originaires d'Algérie et ce sont
des gens très chaleureux. Mes enfants n'ont «rien
à faire avec mes parents... Pour eux, ils n'existent
pas...