CATHÉDRALE
SAINT-APOLLINAIRE
DE VALENCE
De la première impression qu’elle me donna demeure l’image d’une sil-
houette allongée et recroquevillée parmi les platanes. Probablement prétexte
à cette vaste place du centre ancien de Valence, elle attire le regard mais dé-
tourne le sien, à la fois secrète et pudique. L’idée détudier cette personnalité
un peu troublante qu’est la cathédrale Saint-Apollinaire est justement née de
cette ambiguïté : elle nest pas seulement lieu, elle est spéciquement « lieu de
culte », voire ce qu’on appelle un « lieu saint ». Et ce qu’entraîne cette préci-
sion fût justement lobjet de ma curiosité.
Surnaturel, dépassant le terrestre, on peut légitimement se demander quel
rapport le divin exerce avec la notion géographique du territoire.
La cathédrale de Valence est un lieu de culte de la religion catholique. Il
s’agit d’une église précisément qualiée de cathédrale car elle est l’église
principale du diocèse. En outre, elle renferme la cathèdre, siège depuis lequel
l’évêque préside les cérémonies et qui est le signe de son autorité épiscopale
ainsi que de sa mission apostolique. Elle est donc au cœur du territoire qu’est
le diocèse de Valence, et celui d’une paroisse, Saint-Emilien, qui regroupe
plusieurs clochers du centre-ville.
Dénir ce qui fait de cette cathédrale un « lieu saint » ou « sacré » invite à
se pencher sur ce à quoi font référence ces formulations. Lexpression « lieu
saint » peut-être estimée connexe à celle de « lieu sacré » dans la mesure où
historiquement, les deux adjectifs sont très proches. LAncien Testament na
d’ailleurs qu’une racine1 pour exprimer ce que l’on traduit par « saint » et
« sacré », d’où la légitime confusion qui règne entre ces deux termes. Mais on
peut dire que le « sacré » a essentiellement une connotation liturgique, de pra-
tique liée au culte. Plus tardif dans son utilisation, le « lieu saint » est associé
à l’idée détape de pèlerinage. La cathédrale de Valence a d’ailleurs la parti-
cularité d’être une église de pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle, ce
qui lui confère cette architecture singulière comportant une abside à chapelles
rayonnantes et déambulatoire. Étape de pèlerinage au Moyen-Age, et peut-
être à de rares occasions encore aujourd’hui, conserve-t-elle pour autant ce
statut de « lieu saint » ?
1
Des indices historiques et architecturaux renvoient à un édice sacré.
La cathédrale de Valence a été « vouée au service de Dieu »2 à l’occasion d’une
cérémonie particulière, la dédicace, qui a eu lieu en 1095. Cet évènement est
dirigé par lévêque et induit que le lieu devienne « consacré ». Néanmoins peut
se poser la question de la pérennité de cette dédicace vieille de plus de 900
ans, après que le bâtiment ait subi, au l des siècles, destructions, profana-
tions et reconstructions successives.
En outre, bien que lorientation dite « ad orientem » du monument fût
constante tout au long de son histoire, cette singularité architecturale des
édices du culte catholique ne semble pas être un argument sufsant pour les
qualier de sacrés. Pierre Deffontaines3 explique que cette caractéristique, qui
nous fait apercevoir la cathédrale de Valence comme de dos depuis la place
des clercs, ne serait en fait qu’un moyen de faire plonger les rayons du soleil
levant par l’abside. Contrairement aux synagogues et aux mosquées qui sont
orientées vers le point central de leur religion : Jérusalem pour les juïfs et la
Mecque pour les musulmans. Les églises catholiques, et donc leurs célébra-
tions étaient jusqu’au XVIIe siècle orientées vers lorient mais le sont de façon
moins systématique depuis, en tout cas en France, pour des raisons d’adapta-
tion des édices religieux à l’urbanisme des villes. Une église « ad orientem »
nen est donc pas plus sacrée qu’une autre exposée de façon quelconque.
Aussi, la rupture qu’induit le christianisme d’avec le judaïsme ancien ne
semble pas plaider pour lexistence de « lieux saints ». En effet, l’incarnation4
de Jésus-Christ, Dieu fait homme, modie en profondeur l’idée de sacré en
général et donc également de « lieu sacré ». Des versets de l’Évangile selon
saint Jean nous en témoignent avec ce passage décisif de lentretien entre le
Christ et la Samaritaine. Cette femme appartient à un mouvement dissident
du judaïsme ne participant pas au culte de Jérusalem, donc au culte du « lieu
saint », mais pratique sur une autre montagne.
« Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous
dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur
cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.[...] Les vrais adorateurs
adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche
le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils
doivent l’adorer. »
5
Ce passage implique donc la quasi-disparition de toute relation du culte à un
site, que ce soit Jérusalem, la montagne des Samaritains ou tout autre lieu.
2
Le « lieu sacré » est appelé à se matérialiser à travers le Dieu fait chair, non
plus à travers un espace mais une personne, le Christ lui-même :
« Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom,
je suis au milieux deux. »
6
Ainsi, fonctionnellement parlant, par le simple fait qu’elle accueille le rite
en célébrant chaque dimanche l’Eucharistie7, la cathédrale de Valence est un
édice « sacré ». Mais il faut préciser que pour le christianisme, la qualité
accordée au lieu, qu’il soit qualié de saint ou de sacré, est toujours condi-
tionnée à la relation avec Dieu et avec les autres membres de l’assemblée. Elle
nest donc jamais plus une qualité intrinsèque du lieu lui-même. Yi-Fu Tuan8
a montré qu’à la différence d’autres religions, le lieu saint chrétien est moins
redevable d’une vertu inhérente au site en lui-même qu’à la sainteté person-
nelle de Dieu ou de saints qui s’y seraient manifestés. Que l’église-bâtiment se
fasse réceptacle de son homonyme « Église », au sens de la communauté des
croyants en fait donc véritablement un édice saint.
[1] : Henri Cazelles, André Feuillet,
Dictionnaire de la Bible
.
[2] : L’action de « vouer au service de Dieu » est la dénition étymologique du verbe
« consacrer » utilisé ci-après.
[3] : Deffontaines Pierre,
Géographie et religions
.
[4] : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous » (Jean I, 14). Spécicité radi-
cale du christianisme, l’incarnation au sens étymologique, c’est le fait « d’entrer dans
la chair » – signie que Dieu entre dans l’histoire des hommes en prenant chair dans la
personne de Jésus.
[5] : Évangile selon Saint Jean IV, 20-24.
[6] : Évangile selon Saint Matthieu XVIII, 20.
[7]: Pour les catholiques, célébration du sacrice du corps et du sang de Jésus Christ
présent sous les espèces du pain et du vin.
[8]: Yi-Fu Tuan,
Topophilia. A study of environmental perception, attitudes and va-
lues
.
Source principale d’où sont issues les références bibliographiques ci-dessus :
Marc Levatois, « Peut-on parler de lieux sacrés dans le christianisme ? »,
Géoconuences, 2016.
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