Au Lincoln Recovery Center de New York : l`acupuncture pour

Le Courrier des addictions (8) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2006
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Au Lincoln Recovery Center de New York :
l’acupuncture pour épauler le traitement
des addictions
V. Bourseul (1) E. Mouy (2), G. Grossmann (3)
“Que c’est beau les voyages, c’est la vie qu’on refait…” Ils forment la jeunesse
et donnent parfois des idées. Pas forcément neuves, ni même révolutionnaires,
mais utiles, productives et instructives. C’est le bilan que nous tirons de ces
quinze derniers mois durant lesquels nous avons revisité une méthode déjà
connue, éprouvée à l’étranger : l’auriculothérapie par acupuncture. Le proto-
cole NADA (c’est son nom) a vu le jour dans le Bronx à New York en 1975
avant de se développer à travers un millier de programmes dans le monde.
Une formule toute simple de cinq aiguilles correspondant à cinq points d’acu-
puncture pour traiter les addictions. L’idée pourrait passer pour folle ou ma-
gique. Mais ce qu’elle donne à voir et à comprendre vaut bien plus et mérite
d’être abordée libre de préjugés culturels et médicaux.
À La Fratrie, à Nanterre, trois membres de l’équipe ont été formés à ce proto-
cole à New York, et le propose désormais aux patients. Témoignage.
1. Praticien de santé publique, coordonnateur dé-
partement addiction du Réseau de Santé Paris Nord.
2. Infirmière CSST La Fratrie à Nanterre, praticienne
certifiée du protocole NADA par le Lincoln Center.
3. Médecin acupuncteur CSST La Fratrie à Nanterre,
encadre les soins d’acupuncture du centre.
#INQPOINTSCESTTOUT
Parce que ses mécanismes physiologiques
sont encore mal connus, l’acupuncture ne
bénéficie pas toujours d’un accueil bien-
veillant parmi les soignants. Pourtant l’ex-
périence, car il s’agit bien de s’intéresser
à “l’éprouvé”, confirme son impact sur le
système neurovégétatif, divers centres ner-
veux et certains éléments de l’axe pituitaire
sous-cortical (voilà pour la formulation
cartésienne occidentale). Pour ce qui nous
intéresse ici, retenons simplement qu’elle
offre des résultats sur l’atténuation de la
réaction à la privation et du désir de drogue,
une détente générale et stabilisation ho-
méostatique, un renforcement apparent du
fonctionnement physique et mental par ac-
tivation des réserves organiques. Mais com-
ment en est-on arrivé là ? Au fil du temps et
à force d’évaluation de leur travail, l’équipe
du Lincoln Recovery Center de New York a
élaboré pas à pas une cartographie en cinq
points dont la stimulation semblait pertinen-
te dans le traitement. Aujourd’hui, le proto-
cole NADA correspond à une application
d’aiguille sur les points suivants : le “sym-
pathique”,“shen men”,“rein”,“foie” et
“poumon”. La technique est compatible
avec toutes autres formes de traitements
médicaux (en dehors des médicaments
pouvant liquéfier le sang) et ne présente
pas de contre-indications majeures au-delà
de l’opposition au traitement du patient. Le
protocole NADA est recommandé pour les
personnes de 14 ans et plus. Il peut être uti-
lisé chez la femme enceinte. Les troubles
psychiatriques même sévères (d’après la
pratique à l’hôpital psychiatrique Lincoln
de New York) ne sont pas des obstacles à
l’utilisation de l’auriculothérapie, sauf dans
des situations d’agitation majeure.
Quelle est la démarche sous-jacente au
protocole NADA ? La question de l’idéo-
logie est importante. Pourtant, lorsque l’on
confronte des pratiques de soins de l’Eu-
rope de l’Ouest et des pays anglo-saxons
et les techniques médicales traditionnel-
les chinoises, on risque fort de se cogner
contre toutes sortes de marronniers allant
de l’anti-comportementalisme à la volonté
cartésienne d’appliquer aux médecines tra-
ditionnelles chinoises des justifications de
résultats. C’est donc très éloigné de tout
cela que nous voulons traduire ici quelque
chose de l’expérience vécue.
#RmERUNESPACETEMPS
Le protocole NADA est une méthode d’in-
tervention dans le traitement des addictions
qui ne sollicite pas la parole. Là encore,
c’est l’expérience qui a déterminé cette ca-
ractéristique. À l’époque, travaillant avec
des populations anglophones et hispano-
phones, les professionnels du centre ont
rapidement dû analyser la désertion du pro-
gramme d’acupuncture par les anglopho-
nes. Eux-mêmes parlant la langue anglaise,
ils comprirent rapidement que les hispano-
phones toléraient davantage le traitement
proposé sans sollicitation de la part des soi-
gnants, désireux d’engager des discussions
à tout va pendant la séance d’aiguilles.
Aujourd’hui, sans être une règle absolue,
NADA se fait surtout dans le silence, une
qualité devenant un argument thérapeutique
supplémentaire. Le protocole permet mani-
festement d’ouvrir un espace accueillant et
libre de parole. Appliqué le plus régulière-
ment possible, tous les jours de la semaine
(sans être une règle non plus), à raison de
trois-quarts d’heure environ, il ouvre un
“espace-temps”. Et c’est là sans doute le
premier de ses effets thérapeutiques. Cha-
que jour (mais ce peut-être deux fois dans la
semaine aussi, ou encore moins), le patient
vient pour sa séance d’acupuncture auricu-
laire. Un professionnel de santé (aux États-
Unis et en Grande-Bretagne, les travailleurs
sociaux peuvent pratiquer, contrairement
à la France où un personnel soignant doit
être encadré par un médecin acupuncteur)
lui pose les aiguilles et le laisse tranquille.
Par l’habitude, au bout du temps écoulé,
le patient réclame par un signe de la main
que le professionnel revienne lui retirer ses
aiguilles. Si le patient débute, et éprouve
quelques difficultés à l’idée de se voir pi-
quer les oreilles, le protocole peut commen-
cer avec une seule aiguille pendant le temps
qu’il faudra. Puis deux, puis trois, puis au
complet. De la même manière, le patient
peut préférer avoir deux aiguilles à gauche
et trois à droite, cela n’a aucune importance.
L’effet le plus évident des séances, pour les
avoir aussi expérimentées sur nous-mêmes
àFort-de-France et à New York, est ce
qu’il convient de nommer une “invitation
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à l’insight” : un espace-temps favorable à
l’écoute de son bruit intérieur. Et de la dé-
couverte ou de la redécouverte de cet “in-
sight”-là, de nombreux patients peuvent re-
trouver une forme d’élan vers plus de soin,
qu’il s’agisse ou non d’adopter tel ou tel
parti pris thérapeutique.
,INVITATIONgLINSIGHT
NADA n’est ni un outil de relaxation ni de
sevrage. En revanche, il permet un retour
de sympathie sur soi-même, sans nécessiter
obligatoirement et rapidement le recours
à la parole. Pour bien des consommateurs
de produits en difficultés, il représente une
vraie opportunité de mieux être et d’amorce
d’une démarche de soin.
Au Lincoln Center, les séances de NADA
précèdent les groupes de paroles qui, sans
être un passage obligé, en sont souvent
l’aboutissement. Les professionnels consta-
tent d’ailleurs que les patients y viennent
rapidement, surtout, curieusement, les plus
réticents. Ces derniers constatent et expli-
quent bien ce que le protocole leur apporte
(sensations, ressentis, attitudes), sans qu’ils
puissent toujours l’analyser, simplement en
en décrivant les effets positifs. Leur besoin
de compréhension se situe ailleurs, dans
l’économie addictive. Pour eux, ce qui est
essentiel, est d’en tirer profit et d’en utiliser
les bienfaits pour avancer pas à pas. Mais
attention, NADA n’a que peu d’intérêt s’il
est appliqué pour lui-même. Il doit s’inté-
grer dans une démarche de soin global, ren-
forçant l’accompagnement psychosocial et
thérapeutique existants.
%N&RANCECESTg.ANTERRE
g,A&RATRIE
Si l’on pense aux patients les plus éloignés
du soin par la parole, voyons également du
côté des produits pour lesquels nous som-
mes parfois en rupture de moyens (médi-
camenteux notamment) tels que la cocaïne
et le crack. Car l’effet de lutte contre le
craving est testé depuis plusieurs années
à New York sur des dépendants au crystal.
Les résultats sont engageants. D’ailleurs, le
centre du Bronx a aussi testé le protocole
sur les consommateurs de crack dans les
années 1980, période de grande consom-
mation à New York dans le quartier.
Et NADA en France ? L’association La
Fratrie s’est engagée à développer le proto-
cole dans son centre de soins spécialisé aux
toxicomanes de Nanterre et de lui donner
une extension en France. Elle a reçu pour
cela l’autorisation de NADA International.
À l’heure actuelle, l’indication du protocole
est posée à la suite d’une consultation avec
le médecin acupuncteur du centre. C’est
l’occasion d’observer un certain nombre
d’indicateurs pertinents en matière de mé-
decine traditionnelle et d’opérer quelques
évaluations avant et après traitement. D’ici
quelques mois, l’activité de La Fratrie pourra
servir de terrain de formation. Auparavant,
le protocole NADA, perspective en matière
de prise en charge des patients dépendants,
fera l’objet d’une soirée interprofession-
nelle organisée par le Réseau de Santé Pa-
ris Nord (département addictions) dans le
courtant du printemps 2007.
En complément de NADA et des traitement
médicamenteux (TSO compris) et parallè-
lement aux suivis psychosociaux, l’équipe
propose aussi l’acupuncture : en traite-
ment de “fond”, notamment pour ceux qui
ont des problèmes avec le tabac et l’alcool.
Finalité : “détendre et harmoniser” le pa-
tient, l’aider à réinvestir un schéma corpo-
rel souvent “mal mené”.
Condition : les patients doivent faire confiance
au médecin qui leur propose cette méthode
traditionnelle qu’ils connaissent mal, et
dont ils doivent abandonner toute idée de
maîtrise technique.
N
Références bibliographiques
1. Smith MO (Lincoln center), Khan I (OMS). Un
programme de traitement des toxicomanies par
l’acupuncture. Bulletin des Stupéfiants 1988 ; vol.
XL, n° 1.
2. Smith MO. Acupuncture for addictions treat-
ments. Lincoln recovery Center, New York City.
3. Ackerman RW. Acupuncture as treatment for
substance abuse and its application during pre-
gnancy. 1995.
4. Wen HL, Cheng SYC. Treatment of drug addiction
by acupuncture and electrical stimulation. Asian J
Med 1973;9:139-41.
5. Lipton DS, Brewington V, Smith MO. Acupunc-
ture for crack-cocaine detoxification: experimental
evaluation of efficacy. J Substance Abuse Treatment
1994;11(3):205-15.
%NPRATIQUE
La démarche : elle commence par la
prise de rendez-vous avec le médecin
acupuncteur (01 41 37 68 68). Cette pre-
mière consultation peut donner lieu à une
prescription de 10 séances encadrées par
l’infirmière. Elles se déroulent alors sans
rendez-vous : le patient se présente dans
les horaires prévus comme il le souhaite.
Les séances se renouvellent après un en-
tretien d’évaluation. Ouverture des séances
NADA : du lundi au vendredi de 10 h 15
à 12 h (compter 45 minutes maximum par
séance).
Contacts : Réseau Santé Paris Nord, dé-
partement addictions, Vincent Bourseul :
3-5, rue de Metz, 75010 Paris.
Tél. : 01 53 24 80 80. E-mail : vincent.bour-
Internet : www.reseau-paris-nord.com
Association La Fratrie : 20, avenue du Gé-
néral-Gallieni, 92000 Nanterre.
Emmanuelle Mouy, Dr Gilbert Gross-
mann : 01 41 37 68 68.
Internet : www.lafratrie.org
VICTIMESDELA"0#/PARAN
Plus l’on commence à fumer jeune, plus l’on risque d’altérer ses capa-
cités respiratoires, et cela dès l’âge de 40 ans. Parmi 100 fumeurs ou
anciens fumeurs de 45 ans et plus qui se considèrent en bonne santé,
11 ont en fait une Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive
(BPCO). Sans le savoir ! Or, dans 80 à 90% des cas, c’est le tabagisme
qui est le seul responsable de cette maladie qui tue 16000 personnes
par an, et en affecte entre 2,5 et 4,5 millions. Loin d’être une affection
réservée à l’homme âgé, la BPCO affecte des sujets de plus en plus
jeunes et des femmes de plus en plus nombreuses. Or, la BPCO est
très nettement méconnue, sous-diagnos-
tiquée et mal prise en charge. Toutes autant de raisons pour laquelle
une journée a été consacrée à travers le monde à cette pathologie,
le 15 novembre dernier. En France, elle est organisée par le Comité
National contre les Maladies Respiratoires qui mène depuis cinq ans
des campagnes d’information en direction du grand public, en étroite
collaboration avec la Société de pneumologie de langue française, l’as-
sociation BPCO et la Fédération française des associations et amicales
des insuffisants respiratoires.
Renseignements : www.lesouffle.org; www.bpco-asso.fr
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