Note 1- La dimension politique de l’islam à Djibouti
3
Résumé
La société djiboutienne, musulmane à près de 98%, est traditionnellement laïque. Elle a été colo-
nisée par une puissance laïque qui lui a légué un système institutionnel laïcisé. Cependant, depuis
quelques années, elle fait face à l’émergence du phénomène de l’islam politique. L’État et les ou-
lémas se disputent le monopole de la religion et sa place dans la société. L’engagement politique
direct des oulémas aux côtés des partis politiques de l’opposition lors des élections législatives de
février 2013 donne un nouveau sens à la question. Comment l’islam et la politique, traditionnelle-
ment séparés à Djibouti, se sont-ils retrouvés entremêlés? A côté de l’exploitation des travaux uni-
versitaires sur la question, nous avons privilégié la méthode de l’interview libre, auprès d’un échan-
tillon d’une quinzaine de personnes (hommes politiques, oulémas et hauts cadres), pour récolter les
informations nécessaires. D’un côté, par la création de nombreuses institutions publiques en charge
de la gestion du culte, l’État a mis en place un vaste système de contrôle de l’islam. Et de l’autre, les
oulémas modernes, dominés par l’élite arabisante, ont réussi à faire sortir l’islam des mosquées pour
le mettre au service des contestations sociales et politiques. Abstraction faite des facteurs externes,
ce sont surtout les tentatives d’instrumentalisation politique de l’islam de la part des gouvernants
qui ont aiguisé l’intérêt des oulémas pour la chose politique et par voie de conséquence entraîné
la n de la séparation de l’islam et de la politique. Et paradoxalement, les eorts étatiques de lutte
contre l’émergence de l’islam politique ont favorisé les conditions de son développement et de sa
consolidation.
Mots-clés: islam politique; islamisme; pratique de la foi; institutionnalisation de la religion; parti
islamiste; oulémas modernes; arabisant
Abstract
The Djiboutian society is Muslim at 98% and is traditionally secular. Djibouti was colonized by a secu-
lar power that has left a secularized institutional system. However, in recent years, it faces to the emer-
gence of the phenomenon of political Islam. The government and the Ulama argue the monopoly of
religion and its place in society. The direct political engagement of Ulama alongside political oppo-
sition parties in parliamentary elections in February 2013 gives new meaning to the question. How
Islam and politics, traditionally separated in Djibouti, have they found mixed up? Besides the exploi-
tation of academic work on the subject, we opted for the method of the free interview with a sample
of fteen people (politicians, clerics and senior executives) to collect the necessary informations.
On the one hand, the creation of many public institutions in charge of managing the worship, the
government has established a large system of control of Islam. And the other hand, modern Ulama,
dominated by the Arabist elite, have managed to get Islam out of mosques and to put it to the service
of social and political challenges. Excluding external factors, it is mainly the attempts of political ins-
trumentalization of Islam by the rulers who have sharpened interest of Ulama for politics and conse-
quently led to the end of the separation of Islam and politics. Paradoxically, government eorts to ght
against the emergence of political Islam promoted conditions for its development and consolidation.
Keywords: political Islam; Islamism; practice of faith; institutionalization of religion; Islamist party;
modern Ulama; Arabist