Avis du Comité d’éthique clinique (CEC) concernant les cas des personnes ayant des atteintes organiques terminales qui occupent un lit de soins aigus Deux coordonnateurs médicaux sont venus rencontrer le CEC pour exposer la difficulté de traiter de manière adéquate des personnes qui sont atteintes de cirrhoses terminales et qui sont hospitalisées dans des services de soins aigus. Tel que traitées dans ces services, ces personnes reçoivent de l’albumine en intraveineuse et doivent avoir des ponctions d’ascite régulièrement. Les familles exigent tout, y inclus des intraveineuses, alors que les équipes traitantes considèrent que rien de plus ne peut être fait en termes d’interventions curatives pour ces personnes. Le problème qui se pose concerne le fait qu’elles occupent un lit, alors qu’elles devraient pouvoir recevoir des services en dehors de l’hôpital, notamment en soins prolongés ou encore à domicile sous supervision du CLSC, mais les centres vers lesquels ces personnes pourraient être dirigées refusent généralement de les prendre en charge arguant qu’ils ne sont pas équipés pour répondre à la demande. Si un centre répond positivement, ces personnes n’y sont pas traitées adéquatement, tombent en coma ou décompensent, et reviennent à l’urgence de l’hôpital. Elles continuent donc d’être hospitalisées dans des services de soins aigus pendant de longues périodes, avant d’y décéder. Deux situations sont difficiles pour les équipes. Le premier concerne les familles qui exigent des soins actifs, alors que l’équipe traitante juge cela inapproprié. L’autre cas concerne les familles qui refusent que le patient soit mis au courant de sa condition de santé. Deux questions sont posées au CEC par les médecins consultants : Où peut-on envoyer ces personnes qui ne devraient pas occuper un lit de soins actifs? Que faire au regard d’un droit de ne pas savoir invoqué par les familles? Soulignons tout d’abord que les questions et les problèmes soulevés ne sont pas propres aux personnes atteintes de cirrhose terminale, mais aussi à toute personne atteinte d’insuffisance organique terminale dont le pronostic est sombre sans être précis, et qui occupe un lit de soins aigus en milieu hospitalier. Le problème se donc pose dans plusieurs unités de soins à l’Hôpital. Pour répondre aux questions posées, nous allons d’abord souligner l’importance pour l’équipe de soin de préciser le niveau de soin requis et d’établir une bonne stratégie de communication avec le patient et sa famille. Puis, nous allons traiter de Avis Comité d’éthique clinique (janvier 2010) Page 1 de 5 la question plus spécifique du droit invoqué par des familles à l’effet que le patient ne soit pas informé de sa condition de santé. Enfin, nous aborderons le problème de l’arrimage entre les services hospitaliers et ceux offerts par les autres institutions du Réseau de santé et des services sociaux. L’importance de préciser le niveau de soin Pour préciser la nature des soins qui sont appropriés pour les personnes qui sont atteintes d’insuffisance organique terminale et dont le pronostic est imprécis, il est important pour les équipes de préciser le niveau de soin requis pour le patient. Des rencontres multidisciplinaires sont encouragées pour favoriser un partage d’information et un consensus sur un niveau de soin qui assure le confort et le bienêtre du patient. Cette finalité (le bien-être du patient) ne doit pas être perdue de vue, même si des pressions s’exercent pour favoriser le bien-être ou les volontés des familles. Il semble que des équipes sont enclines à poursuivre des soins curatifs pour des patients ayant une atteinte organique terminale à la demande des familles. Ainsi, les transfusions d’albumine et les ponctions d’ascite, pour les personnes atteintes d’insuffisance hépatique terminale, prolongent la vie, sans nécessairement en améliorer la qualité. En fait, il s’agit pour les patients et leur famille de comprendre et d’accepter le passage des soins curatifs à des soins palliatifs, ces derniers étant plus appropriés compte tenu du type d’atteinte. Le but visé est de rendre ces personnes confortables au lieu de vouloir prolonger leur vie à tout prix. Pour que les familles puissent accepter ce passage, il est important de développer une bonne communication avec elles, de manière à ce que les décisions de soins soient prises dans le meilleur intérêt de la personne malade et en vue de son bien-être. Les équipes multidisciplinaires ont intérêt à travailler en interdisciplinarité, à s’entendre sur un plan de soin et à désigner un membre de l’équipe qui sera responsable de rencontrer la famille, de l’informer régulièrement, particulièrement quand il survient des changements dans l’état de santé du malade et avant de modifier les soins, les traitements, ou les techniques utilisées, afin de lui laisser du temps pour comprendre et accepter la situation. Si les proches sentent qu’ils sont informés et qu’on leur explique à l’avance les décisions de l’équipe, ils ne se sentiront pas exclus et accepteront mieux la situation de santé du malade, ainsi que les décisions qui sont prises en vue de son bien-être. Il ne faut pas perdre de vue cependant que la personne apte a toujours priorité sur ses proches en matière d’information et de décision de soin. Certes, la personne apte a le droit de refuser des soins et des traitements. Toutefois, elle n’a pas le droit d’exiger des soins ou des traitements jugés cliniquement inappropriés par l’équipe de soins. Cette dernière réserve s’applique également au représentant légal (tuteur, curateur, mandataire) du patient inapte, ainsi qu’aux proches qui participent aux décisions de soins. D’un point de vue éthique, déontologique et juridique, les membres de l’équipe de soins ont l’obligation de Avis Comité d’éthique clinique (janvier 2010) Page 2 de 5 protéger leur jugement clinique de toute influence extérieure qui ne serait pas cliniquement appropriée. Ils sont donc en droit de refuser de telles demandes. Le droit de ne pas savoir Du point de vue juridique (Code civil, art.11 à 15), il y existe une obligation pour le médecin ou un professionnel de la santé d’informer le patient apte à participer aux décisions de soins qui le concernent, des diagnostics, du pronostic et des tests, des examens et des traitements ou des soins possibles, compte tenu de son état de santé, en indiquant les bénéfices et les risques anticipés de ces interventions. Exceptionnellement, un médecin ou un professionnel de la santé est autorisé à de ne pas divulguer ces informations, mais il doit exister des raisons d’ordre clinique qui le justifient d’agir ainsi. Les raisons cliniquement acceptables tiennent au fait que la connaissance de ces informations aggraverait la condition de santé du patient de manière significative. Les familles ne sont pas habilitées à prendre la décision que le patient apte ne doit pas être informé. Seul le médecin ou le professionnel de la santé peut le faire d’un point de vue juridique. Cependant, le patient apte peut refuser d’être informé et décider de s’en remettre à sa famille pour toute décision de soin le concernant. D’un point de vue éthique, le respect de l’autonomie du patient oblige le médecin ou tout autre professionnel à informer son patient des diagnostics, pronostic, examens, soins ou traitements possibles compte tenu de sa condition de santé, en indiquant quels sont les bénéfices et les risques anticipés des options d’interventions. Le patient a le droit moral de refuser l’information et de s’en remettre à une personne de son choix pour participer aux décisions le concernant. Le patient a le droit de ne pas être informé mais il doit le signifier lui-même. On ne peut présumer qu’il ne souhaite pas être informé. Il est possible d’utiliser des techniques d’entrevue permettant de savoir ce que le patient connaît de sa maladie et des traitements possibles et de savoir s’il veut être informé directement ou par l’intermédiaire d’une autre personne, ou encore s’il ne souhaite pas être informé du tout. S’il existe une barrière linguistique entre l’équipe de soin et le patient, il est important qu’une personne neutre (interprète ou membre du personnel), qui peut transmettre les informations correctement, puisse intervenir pour en faire la traduction. Les équipes font souvent appel aux membres d’une famille pour traduire les informations, mais ceux-ci n’ont pas toujours la capacité de traduire correctement et ils sont souvent influencés par leurs sentiments et leurs valeurs personnelles dans la transmission des informations. Dans certaines cultures, les familles ont coutume de ne pas informer les personnes de leur entourage d’un diagnostic fatal. Il ne faut pas présumer qu’une personne appartenant à ces cultures ne veuille pas être informée. Il faut valider cela auprès d’elle directement. Les professionnels de la santé sont toujours autorisés par la loi à s’entretenir avec un patient hors la présence de la famille. Si le patient veut s’en Avis Comité d’éthique clinique (janvier 2010) Page 3 de 5 remettre à sa famille, ce choix doit être respecté à la condition qu’il soit le fruit d’une décision libre, c’est-à-dire sans pression indue, et éclairée. Ces démarches demandent du temps, mais les problèmes et les conflits qui peuvent survenir entre un professionnel de la santé, une équipe de soin et une famille valent le temps qu’on peut mettre à les prévenir. Manque d’ouverture des milieux de soins pour des services de soins palliatifs destinés aux personnes atteintes d’insuffisance organique terminale Il y a un manque d’endroits appropriés pour donner des soins aux personnes qui souffrent d’insuffisances organiques terminales. Ces personnes sont instables et supportent mal un manque de continuité dans les soins. Elles ont besoin d’un suivi adéquat, mais elles ne répondent pas aux critères d’entrée dans les unités de soins palliatifs, parce que leur pronostic est plus de trois mois, ni aux critères des services généralement offerts à l’extérieur de l’Hôpital, qui ciblent d’autres clientèles, notamment les clientèles atteintes de cancer. Elles ont besoin de soins palliatifs, au sens où sans être dans leurs derniers mois de vie, ni être candidats à des soins curatifs, elles nécessitent des soins qui vont pallier leur insuffisance en leur assurant un certain confort. Toutes les personnes ont une égale valeur et les personnes atteintes de cirrhoses terminales, tout comme les autres patients qui ont un pronostic de six à vingt-quatre mois, ont droit à des soins, même si on sait qu’elles ne pourront récupérer et que leur atteinte est irréversible. Ce n’est pas l’âge qui doit être un critère d’inclusion ou d’exclusion à des soins ou à des traitements palliatifs, mais la condition de santé de la personne en cause. Le droit à des soins palliatifs pour des personnes qui sont atteintes gravement et de manière irréversible, sans être dans leurs dernières semaines, voire derniers mois de vie, doit être reconnu et des efforts doivent être faits pour que ces personnes reçoivent les services auxquels elles ont droit. Une piste de solution serait un meilleur arrimage des services hospitaliers avec ceux des autres institutions du Réseau. Il semble que le fait que les CHSLD ou les CLSC refusent ces cas n’est pas une raison pour ne pas faire pression pour que les choses changent. Si le CHSLD Notre-Dame de la Merci acceptait d’accueillir ces malades, les ponctions d’ascite pourraient être effectuées au CH en clinique externe. Par ailleurs, il semble que certains de ces patients pourraient retourner à domicile et bénéficier d’un suivi par l’hôpital de jour qui se charge d’organiser les soins et les traitements qui doivent être effectués en centre hospitalier. Des expériences du genre ont été tentées avec succès. En conclusion, les problèmes soumis au CEC à propos des malades atteints d’une insuffisance hépatique terminale sont communs à d’autres groupes de malades, notamment ceux qui sont atteints d’insuffisance organique terminale. Ces personnes occupent des lits de soins aigus, alors que les interventions curatives ne sont plus Avis Comité d’éthique clinique (janvier 2010) Page 4 de 5 appropriées. Pour aider à résoudre ce problème, de même que celui des familles qui revendiquent des soins curatifs et un droit de ne pas savoir pour ces malades, nous avons proposé des pistes de solutions : précision du niveau de soin en interdisciplinarité, communication régulière et efficace avec le patient et sa famille, consultation du patient sur ses préférences quant à l’information à recevoir et aux instances impliquées dans la prise de décision, meilleur arrimage entre les services offerts dans le Réseau. Cet Avis du CEC a pour but d’inciter les équipes à la réflexion. Chaque situation étant particulière, les Avis ne peuvent se substituer à la réflexion et à la décision responsables des soignants. Comité d’éthique clinique Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal 12 janvier 2010 Avis Comité d’éthique clinique (janvier 2010) Page 5 de 5