Le Betteravier - Septembre 2004 - p. 9-10. Chenilles de noctuelles : description et incidence en betterave Olivier HERMANN & Guy LEGRAND De nombreuses cultures peuvent être sujettes à des attaques de chenilles défoliatrices. En betterave, des dégâts spectaculaires peuvent être observés localement, mais leurs incidences économiques sont souvent très limitées. Comme présenté dans cet article, un traitement insecticide est rarement rentable, et encore moins s’il est réalisé au-delà du début de l'activité des chenilles. L'attention doit donc être portée vers la présence d'œufs, de jeunes chenilles, de déjections et/ou de petites perforations dans les feuilles. Le seuil d’intervention est alors fixé à 3 à 4 jeunes chenilles par plante. Le problème en pratique provient souvent du fait que les dégâts sont observés tardivement, à un stade où un traitement rentable est difficilement justifié. CHENILLES PRESENTES DANS LES BETTERAVES Les chenilles les plus dommageables observées dans les champs de betteraves appartiennent au groupe des noctuelles défoliatrices (famille des Noctuidae). L'espèce la plus représentée est la noctuelle Gamma (Autographa gamma (synonymes: Plusia gamma, Phytometra gamma), dont l'adulte est très commun en été, dans toute l'Europe (photo 1). Les chenilles de noctuelles (photos 2 et 3) mesurent environ 3 à 4 cm de longueur et sont de couleur verte ou brune, avec différents types de dessins sur le corps selon l'espèce, mais aussi selon le stade de développement. Les chenilles de noctuelle Gamma sont les seules chenilles de noctuelles à n'avoir que deux paires de fausses pattes sous l'abdomen, au lieu de quatre. La couleur du corps est fonction de la plante sur laquelle la chenille s'alimente et fonction du nombre d'individus. Au plus les chenilles sont nombreuses dans un champ, au plus leur couleur s'assombrit. Les chenilles sont actives la nuit et se reposent le jour à la face inférieure des feuilles (noctuelles défoliatrices) ou dans le sol (noctuelles terricoles). Les chenilles de noctuelles se caractérisent aussi par le fait qu'elles s'enroulent sur elle même lorsqu'elles sont dérangées. Elles se laissent ensuite tomber sur le sol. Les comptages doivent donc être réalisés très délicatement, sans secouer les plantes. Autres espèces de noctuelles Des chenilles du genre Mamestra spp peuvent également être observées en betterave. L'espèce la plus commune est Mamestra brassicae, connue sous le nom de "Noctuelle du Chou". Cette chenille est présente dans tous les jardins potagers et dans de nombreuses cultures. Il s'agit d'une espèce sédentaire, qui ne présente qu'une génération par an. Cette espèce pond ses oeufs par paquet de ± 15, à la face inférieure des feuilles. Les espèces Spodoptera exigua, Dicestra trifolii et Lacanobia oleracea peuvent être également observées en betterave. Les chenilles de ces papillons sont observées dans le Sud de l’Europe. Elles sont parfois rencontrées plus au Nord. 1 Le Betteravier - Septembre 2004 - p. 9-10. BIOLOGIE ET DEVELOPPEMENT DE LA NOCTUELLE GAMMA La noctuelle Gamma est un papillon migrateur. Il hiverne en Afrique du Nord et s'y multiplie déjà au printemps. C'est au printemps que ce papillon migre vers le Nord et remonte vers l'Europe. Selon les migrations, il arrive dans nos contrées en juin ou juillet. Les femelles déposent leurs oeufs (0,2 à 0,3 mm), à la base inférieure des feuilles des plantes hôtes, isolément ou par petit groupe de 2 ou 3 oeufs. Après 10 à 12 jours, les jeunes chenilles éclosent et commencent à attaquer les feuilles des végétaux (betterave, pomme de terre, laitue, choux, lin, pois, ...). Au premier stade de leur développement, ces chenilles se déplacent comme des chenilles « arpenteuses ». Elles sont difficilement visibles car elles sont alors de la couleur de leur plante hôte et qu'elles mesurent 0,5 à 1 cm. Les dégâts qu'elles occasionnent consistent en de petites surfaces grattées, présentes à la face inférieure des feuilles. Ces dégâts ont peu d'importance pour la culture de la betterave. Les chenilles de noctuelles présentent 6 stades de développement, depuis l'oeuf jusqu'au stade chrysalide. C'est aux derniers stades qu'elles sont le plus voraces. Les feuilles, à l'exception de leurs nervures, sont alors perforées ou entièrement dévorées. Dans les cas les plus graves, la surface foliaire peut être détruite à plus de 50 %. Les feuilles du coeur de la betterave sont cependant rarement attaquées. Le cycle de développement de la chenille dure environ un mois, après quoi celle-ci se nymphose (stade chrysalide, de couleur noire) sur les feuilles, en s'enroulant dans un léger cocon de soie blanche. A une température de 30°C, le passage de l'oeuf au stade adulte peut se faire en 10 jours. Deux semaines plus tard, vers la fin août, début septembre, le papillon éclôt et migre généralement vers le Sud. Selon les conditions climatiques, il peut y avoir une deuxième génération dans nos contrées. En Belgique, on observe habituellement une seule génération de noctuelle Gamma par an. IMPORTANCE DU DEGÂT En Belgique les dégâts sont généralement constatés au cours du mois d'août, mais parfois aussi jusqu'en octobre. En conditions très chaudes, la noctuelle Gamma peut migrer plus tôt vers nos régions et causer des dégâts dès les mois de juin ou juillet. Ce fut le cas en 1996, année qui connut de très fortes attaques dans plusieurs cultures. En conditions climatiques normales, la présence des chenilles est plus échelonnée entre le printemps et l'été. Elles se montrent donc plus discrètes. Les prédateurs de chenilles (oiseaux, champignons parasites, micro hyménoptères...) peuvent alors mieux assurer leur rôle de régulateur dans l'équilibre naturel (une mésange, pendant la nidification, consomme en moyenne 300 chenilles par jour). Les pertes de rendement occasionnées par les chenilles défoliatrices dépendent bien sûr de l'intensité et de la période d'apparition des dégâts. Elles peuvent à cet égard être comparées à celles des dégâts de grêle. Ainsi, une destruction de 50 % du feuillage des betteraves (limbe, pétioles et feuilles du coeur comprises !) par la grêle à la mi-juillet peut entraîner une perte de rendement racines de 6 à 8 % et une perte de rendement sucre de 7 à 9 %. 2 Le Betteravier - Septembre 2004 - p. 9-10. Lors des attaques sévères de 1996, des différences de rendement racines entre objets traités et non traités allant jusqu'à 10 % ont été mesurées dans plusieurs champs d'observations de l'IRBAB. Dans ces champs, les traitements avaient été réalisés sur de très jeunes chenilles. Dans un autre essai, où les traitements insecticides avaient été réalisés sur des chenilles plus âgées (5ème ou 6ème stade de développement), aucun effet n'avait été constaté sur le rendement. Les chenilles présentes lors du traitement (4,75 chenille par plante) avaient été éliminées, mais le dégât était alors irréversible. Plus récemment, une dizaine d'essais ont été mis en place par l'IRBAB dans des régions habituellement sujettes aux dégâts de noctuelles. Des traitements ont été appliqués à différentes dates, mais les dégâts sont généralement restés très limités. Dans les parcelles les plus infestées, il y avait un maximum de 2,3 chenilles/10 feuilles dans les parcelles non traitées à la fin juin et 75 % des feuilles présentaient de légères déprédations LUTTE ET SEUIL DE TRAITEMENT Un traitement insecticide contre les chenilles de noctuelle est rarement rentable en Belgique. Il peut être justifié lorsqu’on observe en moyenne 3 à 4 jeunes chenilles par plante (soit 250.000 à 400.000 chenilles par hectare !) et si toutes ces chenilles n’ont pas encore atteint leurs derniers stades de développement. Ce seuil d’intervention est rarement atteint ! Une intervention realisée lorsqu’elles sont toutes à leur dernier stade est trop tardive car les chenilles sont les plus voraces, à ce stade (les dégâts évoluent rapidement), et elles sont également moins sensibles aux insecticides. Le stade chrysalide est insensible aux insecticides. Le seul produit agréé contre les chenilles de noctuelles en betterave est le Karate Zéon, à la dose de 0,075 l/ha. 3 Le Betteravier - Septembre 2004 - p. 9-10. Photo 1. Adulte de la noctuelle Gamma. Les ailes supérieures sont striées de dessins rouge brun et présentent chacune une tache blanche caractéristique, en forme de lettre grecque gamma. Au repos, les ailes sont repliées en forme de toit. Photo 2. Chenille de la noctuelle Gamma (0,5 – 1 cm), premier des 6 stades de développement. A ce stade, cette chenille est aisément confondue avec une chenille arpenteuse. Photo 3. Chenille de noctuelle Gamma (3 – 4 cm), cinquième des 6 stades de développement. Ce stade est particulièrement vorace. Les caractéristiques sont : couleur vert clair ou vert sombre, petite tête noire, pilosité visible, deux paires de fausses pattes sous l'abdomen, lignes claires le long du corps. Photo 4. Dégât de chenilles occasionnant une perte d’environ 5 % de la surface foliaire. Ce dégât n’a pas d’incidence mesurable sur le rendement final. Photo 5. Dégât de chenilles occasionnant une perte d’environ 50 % de la surface foliaire. Si ce niveau de dégât est atteint en juillet, il peut occasionner une perte de 6 à 8 % en rendement racines et de 7 à 9 % en rendement sucre. 4