Migros Magazine No 1 du 04/01/16 Page 18, Région Edition nationale

Entretien
«Onpourrait
tomber demain
suruneplanète
abritant la vi
En 1995, l’astrophysicien genevois Didier Queloz couvrait
avec Michel Mayorla toutepremre planètesituée hors de notresystèmesolaire.
Vingtansaps, il fait le pointsurlesavancées
de la rechercheet évoque la possibilitéd’unevieextraterrestre.
Texte: TaniaAraman Photos: François Wavre/lundi13
18 |MM01,4.1.2016 | SOC
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2016 sera-t-elle l’année de la découverte
d’une planète jumelle de la Terre?
Des planètes plus ou moins similaires à la
Terre, nous en avons déjà détecté: certaines
ont la même masse, d’autres la même taille,
d’autres encore achent une température
assez semblable. Mais aucune ne remplit ces
trois critères à la fois. Cela va donc prendre
encore un peu de temps pour trouver
l’exacte copie de la Terre. Cela dit, en vingt
ans, on a découvert plus de deux mille
planètes. Il n’y a pas de raison d’imaginer
que, d’ici deux décennies, on n’ait pas
identié plusieurs systèmes équivalents au
nôtre, s’ils existent.
Pourtant, lorsque, en 1995, vous avez
découvert avec Michel Mayor la première
exoplanète, une partie de la communauté
scientique ne vous a pas crus…
Je ne dirais pas qu’elle ne nous a pas crus,
mais il est vrai que nous avons dû faire face à
beaucoup de scepticisme. Et pour de bonnes
raisons: il y avait déjà eu plusieurs fausses
annonces quant à la découverte d’exopla-
nètes. Par ailleurs, à l’époque, peu de scienti-
ques s’adonnaient à ce genre de recherches,
les instruments étaient assez novateurs.
Celui que nous utilisions alors en était à ses
premiers mois de fonctionnement. Vu de
l’extérieur, le risque d’erreur était non négli-
geable. Et puis surtout, la planète que nous
avions trouvée n’était pas censée exister.
Ah bon? Pourquoi?
Parce qu’une planète de la même masse que
Jupiter tournant autour de son étoile en
quatre jours était pour nous un objet très
mystérieux. Dans le système solaire, la pla-
nète la plus proche de son étoile, c’est Mer-
cure, elle est mille fois plus petite que Jupi-
ter et met deux à trois mois pour tourner au-
tour du Soleil… me moi j’ai douté dans un
premier temps, je craignais d’avoir fait une
erreur dans les mesures.
La découverte a nalement étéconrmée
par un laboratoire américain…
Oui, et cela a été un grand soulagement!
Pour un jeune étudiant comme moi, c’était
énorme comme événement. Assez dicile à
rer, également. J’ai eu du mal ensuite à
nir ma thèse. Mais je suis conscient d’avoir
eu une chance inouïe. Ce genre de
découverte reste rare dans le monde
scientique. C’était un cadeau du ciel.
Depuis, vous le disiez, plus de deux mille
exoplanètes ont été détectées. Leur étude
est devenue une branche essentielle de
l’astrophysique. Finalement, pourquoi
fascinent-elles tant?
Parce qu’elles ont trait à la recherche de la
vie dans l’univers. me si, en tant que
telles, les planètes ne sont qu’une des consé-
quences de la formation d’une étoile, qu’en
termes de taille, elles ne représentent qu’un
détail dans l’espace, c’est bien sur elles que la
vie a une chance de se développer. On s’at-
taque donc à une thématique fondamentale.
D’ailleurs, nous autres astrophysiciens, nous
nous sommes contentés d’ouvrir le jeu: des
domaines très variés tels que la biologie, la
ophysique, la climatologie – puisque la vie
aecte le climat et que le climat aecte l’ap-
parition de la vie – vont prendre le relais.
Bientôt, ce ne seront pas 1000 personnes qui
travailleront sur le sujet, mais 10 000 ou
100 000. Et c’est sans compter l’élément
émotionnel. D’ailleurs, si on veut promou-
voir l’intérêt pour la science, attirer la jeune
ration, on a besoin de domaines por-
teurs comme celui-ci, qui vont permettre de
populariser l’intérêt pour la science.
Petit garçon, rêviez-vous d’aller à la
rencontre d’extraterrestres?
Pas spécialement. Mais j’ai toujours été très
curieux. L’astronomie, c’était pour moi un
moyen de comprendre le monde et d’appor-
ter ma pierre à l’édice. Et puis, il y a un cô
contemplatif qui correspond à mon tempé-
rament. Cependant, je n’aurais jamais pensé
que j’allais trouver des planètes et me lancer
dans la recherche de la vie dans l’univers…
Mais en découvrant cette première planète,
j’ai été happé. A ce moment, il est devenu
évident que j’allais consacrer ma carrière à
cette recherche.
Et alors, pensez-vous qu’elle soit près
d’aboutir?
Oui et non. On pourrait tomber demain, par
pur coup de chance, sur une planète qui
présenterait des indices signalant la vie. Plus
vraisemblablement, je pense qu’à l’échéance
de cinquante ou cent ans, on aura développé
des outils qui nous permettront de mieux
observer ces exoplanètes. Et dans un univers
qui en comporte probablement des
milliards, dont une grande quantité
certainement assez similaires à la Terre, ce
serait faire preuve d’aveuglement que de
penser que la vie ne s’est pas développée
ailleurs.
Concrètement, comment s’y prend-on
pour détecter de la vie sur une planète
située à des dizaines d’années-lumière de
la nôtre?
C’est vrai, cela paraît incroyable, mais on a
également de la peine à imaginer qu’on
puisse construire des virus et les program-
mer nétiquement pour attaquer une mala-
die dans un organisme… Les outils de la
science ont augmenté les capacités hu-
maines de manière fabuleuse. Aujourd’hui,
à l’heure où des satellites analysent la com-
position détaillée de la Terre depuis l’espace,
nous pouvons également observer l’atmos-
phère d’une exoplanète, la présence d’eau
sous forme liquide, etc. Par exemple, un dé-
gagement particulièrement important d’oxy-
ne donnerait une indication assez sérieuse
quant au développement de la vie.
Pourquoi?
Parce que la photosynthèse – qui justement
libère de l’oxygène – est un phénomène très
naturel pour nérer l’énergie essentielle à
la vie. Si celle-ci s’est développée ailleurs, on
peut imaginer qu’elle a dû trouver la même
astuce.
Peut-on imaginer que la vie dans l’espace
puisse prendre des formes totalement
diérentes de la nôtre?
C’est l’une des questions que l’on se pose.
Depuis vingt ans, nous avons pris conscience
de l’étonnante diversité des systèmes plané-
taires. Jusqu’alors, nous pensions que tous
devaient ressembler au nôtre. En réalité,
c’est beaucoup plus complexe que cela. Peut-
on dès lors imaginer une vie qui se serait dé-
veloppée de manière diérente que sur la
Terre? Qui se fonderait sur un autre élément
Pour Didier Queloz, il faut
s’attendre à la colonisation de
la planète Mars.
De quoi parle-t-on?
Depuis1995, les astrophysi-
ciens du monde entier ont
détecla présence de plus de
2000 planètes situées en de-
hors de notre système solaire
(exoplanètes). La prochaine
étape: y déceler la vie…
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chimique que le carbone? En
théorie, oui. Mais le carbone,
c’est un peu le Lego de base, on
peut tout faire, avec. On ima-
gine donc mal une vie radicale-
ment diérente. Maintenant, si
vie il y a, elle sera probable-
ment restée à un état très
simple, microscopique. Sur
Terre, c’est la modication du
climat notamment qui a permis
l’évolution vers une vie
macroscopique, mais cela a pris
beaucoup de temps.
A défaut d’y trouver la vie,
pourrait-on imaginer
d’émigrer sur une planète
jugée similaire à la Terre?
Dicilement. Pour commen-
cer, le terme de planète habi-
table, bien que très porteur et
souvent utilisé dans la littéra-
ture, est à prendre avec des
pincettes. Imaginer qu’une pla-
nète puisse être complètement
identique à la Terre, c’est irréa-
liste: elle aura sa propre com-
position, sa propre atmos-
phère. me si sa distance par
rapport à son étoile laisse sup-
poser que la température est
adéquate, il y a d’autres élé-
ments à prendre en compte.
Sur Terre, l’eet de serre natu-
rel permet de conserver une
température d’équilibre
agréable. En théorie, celle-ci
devrait pourtant s’élever à
-10 °C, d’après sa distance avec
le Soleil. Chaque planète étant
diérente, on ne peut pas ap-
pliquer les mêmes calculs de
l’une à l’autre. Et puis techni-
quement, il serait de toute fa-
çon très dicile de s’y rendre.
En revanche, on parle de plus
en plus de la colonisation de
Mars. Vous y croyez?
Je pense que nous allons di-
cilement résister à la tentation.
Par contre, il faut réaliser que
c’est un environnement com-
plètement dément. C’est épou-
vantable, Mars. A côté, le pôle
Sud, c’est les Bahamas… Et au
moins, au pôle Sud, on respire.
Parce que sur Mars, il n’y a pas
susamment d’oxygène. Il faut
être complètement fou pour
aller vivre là-bas. Mais bon, on
est une espèce assez cinglée, on
s’est bien lancé sur les océans à
bord de pirogues, donc voilà…
Près de cinquante ans après
la conquête de la lune, la
fascination du public pour
l’astronomie est-elle toujours
intacte?
Mais bien sûr! L’homme a de
tout temps observé le ciel.
Nous avons un rapport très
profond avec l’immensité du
cosmos, sans le comprendre. La
science n’est que la continuité
du questionnement mytholo-
gique et religieux. me si l’ap-
proche est diérente, le moteur
reste le même.
On vous appelle souvent la
star genevoise de l’astrophy-
sique. Vous assumez ce titre?
Quand on est scientique, on
ne fait pas du show-business.
Ce n’est pas du tout mon
intention d’être une star. Cela
dit, si je peux servir de modèle
pour stimuler des vocations,
j’en suis très heureux. Et je suis
content pour la promotion de
l’idéal scientique. MM
A visiter: l’exposition «Exoplanètes» au
Muséum d’histoire naturelle à Genève,
jusqu’au 4 avril.
Bio express
DidierQuelozestdansla
cideCalvinle 23vrier
1966. En 1995, alors qu’il eec-
tue son doctorat à l’Observa-
toire de Genève, il découvre
avec Michel Mayor, son direc-
teur de thèse, la première
exoplanète, 51 Pegasi b (ré-
cemment rebaptisée Dimi-
dium). Entre 1998 et 2000, il
travaille aux Etats-Unis, au
sein du Jet Propulsion Labora-
tory, l’entreprise chare de la
construction et de la supervi-
sion des vols non habités de la
Nasa.
Aujourd’hui, professeur à
l’Universide Geve, il en-
seigne également depuis 2013
à la prestigieuse Université de
Cambridge, qui lui a accordé
une nouvelle chaire dédiée à
l’étude des exoplanètes. Il a
reçu de nombreux prix inter-
nationaux et a été sélectionné
en 2000 par le magazine
Nature en qualité d’auteur
d’un des 21 articles qui ont
changé la science et le monde.
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