LES INSECTES RAVAGEURS DU FRÊNE, DE L'ÉRABLE ET DU MERISIER L.-M. NAGELEISEN Le Frêne, l'Érable et le Merisier sont les hôtes d'une faune entomologique variée . Cependant, seul un petit nombre d'espèces présente un danger potentiel, notamment en période de pullulation . Jusqu'à un passé récent, la répartition relativement dispersée de ces essences n'a pas permis de relever de dégâts économiques très importants . Cependant, avec l'intensification de la sylviculture de ces feuillus précieux et leur concentration spatiale, le forestier n'est pas à l'abri de problèmes entomologiques qu'il faudra gérer pour sauvegarder le potentiel de production du peuplement. Dans le cadre de cet exposé, il n'est pas possible de détailler la biologie de l'ensemble des insectes ravageurs du Frêne, de l'Érable et du Merisier . Seuls quelques insectes caractéristiques des grands types de dégâts en fonction de leur localisation sur l'hôte seront cités. LES INSECTES DES FEUILLES Deux types d'insectes interviennent sur feuilles : des piqueurs-suceurs et des phyllophages. Les piqueurs-suceurs sont ici tous des Homoptères, essentiellement des pucerons . L'adaptation de leurs pièces buccales en véritable pompe aspirante-refoulante leur permet de prélever des sucs cellulaires dans la feuille et également d'injecter de la salive . Il s'ensuit des taches foliaires évoluant en recroquevillement et nécrose de la totalité du limbe en cas d'un grand nombre d'individus . Les pucerons ont des cycles très complexes faisant intervenir fréquemment deux hôtes ; les générations ailées permettent des migrations, les générations aptères souvent parthénogénétiques se succèdent rapidement et provoquent une augmentation de population importante . Un cortège parasitaire (coccinelles, syrphes, . . .) s'installe peu à peu et finit par contrôler en général la dynamique de population mais avec un retard qui laisse occasionner des dégâts sur jeunes plants et semis. Ainsi le Puceron noir du Merisier (Myzus cerasi) est relativement dommageable au printemps aux jeunes plantations et peut nécessiter un contrôle par traitement insecticide en début de saison de végétation. 121 Rev . For. Fr . XLIV - n° sp . 1992 L .-M . NAGELEISEN En revanche, le Puceron laineux du Frêne (Prociphilus fraxini) est plus spectaculaire que dommageable sur Frêne . II migre dans le courant de l'été sur Sapin où il a été décrit sous le nom de Pemphigus poschengeri . Il occasionne sur cet hôte des nécroses importantes des racines . On peut citer également sur un autre feuillu précieux, l'Alisier torminal, la présence d'un puceron très dommageable car il entraîne par injection d'une toxine des chutes foliaires importantes . II s'agit du Puceron cendré de l'Alisier (Dysaphis aucupariae) . II est un des agents incriminés dans le dépérissement de l'Alisier torminal. Les phyllophages appartiennent essentiellement à trois ordres : Hyménoptères, Coléoptères et Lépidoptères . Ce sont les larves principalement qui, à l'aide de leurs mandibules broyeuses, consomment le feuillage . Dans le cas des Coléoptères, les adultes peuvent être également phyllophages . Certains de ces insectes sont spécifiques. Ainsi, la Tenthrède-Limace (Caliroa limacina) est inféodée au Merisier en milieu forestier . Les adultes de cet Hyménoptère apparaissent fin avril et pondent sur la face inférieure des feuilles . Peu après, les larves rongent l'épiderme supérieur . Recouvertes d'une sécrétion visqueuse et noirâtre, elles ressemblent à de minuscules limaces (8 à 10 mm) . La nymphose a lieu dans le sol en juillet et une deuxième génération estivale peut se développer . L'hivernation s'effectue au stade nymphal dans le sol . Ce n'est qu'en cas de forte infestation qu'un dessèchement du feuillage peut intervenir. Le charançon Stereonychus fraxini est spécifique du Frêne . Deux générations se succèdent d'avril à fin juillet . Le stade hivernant est composé d'adultes et de nymphes localisés dans la mousse des arbres. Les larves consomment l'épiderme de la face inférieure des feuilles, leur donnant l'aspect de dentelle. Les adultes, également phyllophages, peuvent entraîner la destruction du bourgeon terminal et être ainsi à l'origine de la formation d'une fourche ou baïonnette. Cependant, ce sont surtout les Lépidoptères polyphages qui sont à craindre et en particulier la Cheimatobie (Operophtera brumata), le Bombyx disparate (Lymantria dispar) et le Cul brun (Euproctis chrysorrhoea) . Photos L.-M. NAGELEISEN Hylésine du Frêne (Leperesinus fraxini) . Scolyte sous-cortical. Puceron noir du Merisier (Myzus cerasi). 122 Les feuillus précieux Les oeufs de la Cheimatobie éclosent au moment du débourrement . Les larves (= chenilles) se nourrissent des jeunes feuilles en laissant les nervures . Après cinq mues successives, les chenilles se laissent pendre le long d'un fil soyeux et se nymphosent dans le sol . Les adultes n'apparaissent qu'en novembre . Les femelles aptères montent dans la cime des arbres « à pattes » et sont rejointes par les mâles pour l'accouplement . Cette particularité biologique est mise à profit pour le piégeage de suivi des populations par ceinturage des troncs à la glu. Le cycle du Bombyx disparate est plus classique . L'hivernation a lieu à la base des troncs sous forme de ponte (stade oeuf) à l'aspect d'éponge . L'éclosion a lieu au printemps. Le développement des chenilles est plus tardif (fin de printemps et début d'été), d'où des dégâts plus préjudiciables car ne permettant pas aux arbres de refaire leur feuillage lors d'une pousse de la Saint-Jean . Les papillons apparaissent en juillet-août et pondent après accouplement. Quant au Bombyx Cul brun, les oeufs éclosent fin août et les jeunes chenilles s'alimentent en décapant la cuticule des feuilles en fin d'été, ce qui leur donne un aspect brûlé . Insecte grégaire, l'hivernation s'effectue au troisième stade larvaire dans des nids composés de feuilles agglomérées par des filaments soyeux . Au printemps, dès le débourrement, les chenilles sont déjà d'une certaine taille et consomment les feuilles en cours de formation (dégât précoce) . Elles sont alors urticantes, d'où une double nuisance. Ces Lépidoptères connaissent des périodes de pullulation (gradation) pendant lesquelles on peut être amené à traiter dans des situations particulières (jeunes plantations, parcelles en régénération naturelle, parcelles fréquentées pour loisirs ou travaux sylvicoles dans le cas du Cul brun). LES INSECTES SUR JEUNES TIGES Certains insectes causent des dégâts corticaux très préjudiciables aux jeunes tiges . Ainsi, le Frelon (Vespa crabro, Hyménoptère) prélève des fragments d'écorce sur Frêne, ce qui peut conduire à l'annélation complète . Il s'ensuit, dans ce cas extrême, le dessèchement de la partie supérieure de la tige . Ces prélèvements corticaux ont deux motivations : d'une part l'alimentation et d'autre part l'utilisation de la cellulose dans la construction du nid de l'insecte. Dans le cas de la Cicadelle verte (Tettigella viridis, Homoptère) sur Érable et sur Frêne, c'est le comportement de ponte de l'insecte qui est dommageable . L'adulte fait une incision en forme de demilune (taille 1 cm) sur l'écorce pour y déposer ses oeufs à l'aide de son oviscapte . En cas de pullulation, on observe des nécroses corticales importantes . Cet insecte vivant essentiellement sur des graminées, l'élimination des adventices est une mesure préventive efficace. LES INSECTES SUR TRONCS ET BRANCHES Deux types d'insectes s'attaquent aux troncs et aux branches : les sous-corticaux et les xylophages. Les sous-corticaux sont essentiellement des Coléoptères des trois familles suivantes : Scolytidés, Buprestidés, Cérambycidés, la première étant de loin la plus importante. Chez l'Hylésine du Frêne (Leperesinus fraxini, Scolytidé), l'essaimage a lieu en avril . Les femelles creusent une galerie transversale typique en accolade . Les oeufs sont déposés de part et d'autre de la galerie maternelle, dans des encoches de ponte . Après éclosion, les larves forent perpendiculairement des galeries sinueuses . Dès juillet, leur développement est terminé . La consommation des assises souscorticales implique à court terme la mort inéluctable des sujets attaqués . La question d'une deuxième génération reste à élucider, certains auteurs estimant que les vols observés en juillet ne sont en fait que des vols de réessaimants, à l'origine de générations soeurs . L'hivernation a lieu sous formes d'adultes 123 Rev. For . Fr. XLIV - n° sp. 1992 L .-M . NAGELEISEN dans des galeries corticales peu profondes qui sont à l'origine d'un défaut cortical appelé « rose du Frêne ' , qui pourrait être la cause d'un défaut technologique ultérieur : la « Barrette du Frêne « . Sur les autres essences, on rencontre aussi des scolytes sous-corticaux : Scolytus aceris sur Érable, Scolytus rugulosus sur Merisier . .. Les xylophages appartiennent aux mêmes familles que les sous-corticaux, mais il faut noter en plus les possibilités d'attaques par des Lépidoptères de la famille des Cossides (Zeuzère . . .) . Là encore, les Scolytes se révèlent être des ravageurs redoutables . Plusieurs espèces, notamment des Xylébores, sont fréquentes . Le Xylébore disparate (Xyleborus dispar ou Anisandrus dispar) est l'espèce la plus caractéristique. L'essaimage de ce Scolyte est précoce (mars) . La femelle déjà fécondée fore une galerie pénétrante puis parallèle aux cernes du bois . Les oeufs sont déposés dans des galeries perpendiculaires . Une particularité de ces Scolytes xylophages est qu'ils vivent en symbiose avec des champignons de diverses espèces regroupées sous le terme générique d'Ambrosia . Pendant le travail de forage, les galeries sont ensemencées par des spores transportées sur le corps de la femelle . Dans un microclimat particulièrement propice, ces champignons tapissent rapidement les galeries leur donnant une teinte noire (d'où le nom de piqûre noire) . Les larves du scolyte sont mycophages et se nourrissent du mycélium . Leur développement se termine dès le début de l'été et les adultes hivernent dans leur galerie . Les mâles plus petits et globuleux fécondent les femelles à cet endroit . Seules les femelles s'envolent, les mâles ne pouvant voler. Les insectes xylophages, s'ils n'entraînent pas obligatoirement la mort du sujet atteint, provoquent par contre une dépréciation technologique irréversible du fût. Cependant, l'ensemble de ces insectes du tronc et des branches ne colonise un arbre que si il est affaibli physiologiquement . Ils ont un comportement que l'on peut qualifier de « secondaire ' (à des degrés divers) par opposition aux insectes des feuilles et jeunes tiges que l'on peut qualifier de primaire >>. On peut citer pour mémoire les insectes sur racines tels que les classiques rhizophages : ver blanc du Hanneton (Melolontha melolontha ou Melolontha hippocastani), ainsi que les insectes des graines : Anthonome du Merisier (Anthonomus rectirostris) . . . qui ont une incidence économique non négligeable dans des contextes bien particuliers : pépinières, vergers à graines, peuplements classés . .. CONCLUSIONS Ce passage en revue nécessairement rapide des principaux insectes ravageurs du Frêne, de l'Érable et du Merisier, ne doit pas cacher les nombreuses inconnues sur l'entomofaune de ces trois essences dont l'intérêt forestier n'a été que récemment reconnu . Avec le changement des conditions de sylviculture (concentration d'une essence naturellement disséminée ou en mélange avec d'autres sur des surfaces de plus en plus importantes), certaines espèces, pas nécessairement citées, pourraient éventuellement devenir de redoutables ravageurs . Il faut donc rester vigilant . La meilleure garantie de résistance d'un peuplement artificiel à des agressions diverses est de lui assurer une vigueur la plus grande possible par une adéquation optimale essence-station, ainsi que par une bonne qualité des plants et de la plantation, sans négliger ultérieurement les opérations sylvicoles nécessaires. L .-M . NAGELEISEN DÉPARTEMENT DE LA SANTÉ DES FORETS DU NORD-EST 38, rue Sainte-Catherine 54043 NANCY CEDEX 124 Les feuillus précieux Les principaux insectes ravageurs de I'Erable (non exhaustif) Feuilles Tronc-Branches Intérieur du bois Racines Ordre Espèce (nom vernaculaire) Localisation Type (famille) Operophtera brumata Malacosoma neustria Phalera bucephala Lymantria dispar Noctua aceris Eryophies spp. Chaitophorides Lytta vesicatoria Acronycta aceris (Cheimatobie) Lépidoptère Phyllophage (Bombyx livrée) Lépidoptère Phyllophage Lépidoptère Phyllophage Lépidoptère Phyllophage Lépidoptère Phyllophage Acarien Galligène Homoptère Piqueur-suceur Coléoptère Phyllophage Lépidoptère Phyllophage Tettigella viridis Scolytus aceris Agrilus sinuatus ICicadelle verte) (Bombyx disparate) (Pucerons verts de l'Érable) Homoptère Agent de nécrose corticale Coléoptère (Scolytidé) Sous-cortical Coléoptère IBuprestidél Sous-cortical Xyleborus dispar Xyleborus saxeseni Trypodendron signatum Trypodendron domesticum Zeuzera pyrina (Zeuzère) Rhopalopus insubricus Coléoptère (Scolytidé) Xylophage Coléoptère (Scolytidé) Xylophage Coléoptère (Scolytidé) Xylophage Coléoptère (Scolytidé) Xylophage (Cérambycidé) Xylophage Melolontha melolontha Otiorrhynchus niger Pediaspis aceris Coléoptère Xylophage Lépidoptère Coléoptère (Hanneton commun) Phytophage Coléoptère (Curculionidé) Phytophage Hyménoptère ICynipidél Galligène Les principaux insectes ravageurs du Frêne (non exhaustif) (nom Espèce Localisation Type l et Ifa O m curtisellus Bourgeons Prays Feuilles Eriophyes fraxini Prociphilus fraxini Dasyneura fraxini Psyllopsis fraxini Operophtera brumata Lymantria dispar Stereonycus fraxini Lytta vesicatoria Rameaux-Tiges Tronc-Branches Intérieur du bois Lépidoptère Mineur Acarien Galligène Homoptère Agent de nécrose foliaire Diptère Galligène Homoptère Galligène ICheimatobiel Lépidoptère Phyllophage (Bombyx disparate) Lépidoptère (Puceron laineux) ICurculionidé) Phyllophage Coléoptère (Méloidé) Phyllophage Vespa crabro Tettigella viridis (Frelon) Hyménoptère Cortical ICicadelle verte) Homoptère Agent de nécrose corticale Leperesinus fraxini Leperesinus orni Hylesinus crenatus IHylésine du Frêne) Coléoptère IScolytidé) Sous-cortical Coléoptère IScolytidé) Sous-cortical Coléoptère IScolytidé) Sous-cortical Coléoptère IScolytidé) Xylophage IPlatypodidél Xylophage Xyleborus dispar Zeuzera pyrina Platypus cylindrus (Zeuzère) Xylophage Lépidoptère Coléoptère 125 Rev. For. Fr. XLIV - no sp. 1992 Phyllophage Coléoptère L .-M . NAGELEISEN Les principaux insectes ravageurs du Merisier (non exhaustif) Localisation Feuilles Espèce (non vernaculaire) Myzus cerasi Caliroa limacina Operophtera brumata Ordre (famille) (Puceron noir) (Tenthrède limace) (Cheimatobie) Homoptère Hyménoptère Lépidoptère Type Piqueur-suceur Phyllophage Phyllophage Graine Anthonomus rectirostris Coléoptère ICurculionidél Tronc-Branches Scolytus rugulosus Coléoptère IScolytidé) Sous-cortical Intérieur du bois Xyleborus dispar Xyleborus saxeseni Zeuzera pyrina Cossus cossus Coléoptère IScolytidé) Coléoptère (Scolytidé) Lépidoptère Lépidoptère Xylophage Xylophage Xylophage Xylophage Coléoptère IBuprestidél Coléoptère Cortical Cortical-Phytophage Collet-Racines Capnodis tenebrionis Melolontha melolontha (Zeuzère) (Bupreste noir) (Hanneton commun) BIBLIOGRAPHIE BARBEY (A .) . — Traité d'entomologie forestière . — Paris, Nancy : Ed . Berger Levrault, 1925. 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