OPINIONS
Vol. 11, No. 2, printemps 2011 • Revue militaire canadienne 61
élevé et sait comment évaluer les forces et les faiblesses d’un rai-
sonnement. L’éducation philosophique est une nécessité face aux
impératifs de la vie et des tâches du soldat moderne.
L’objectivité du jugement est cruciale parce qu’il est inac-
ceptable pour un militaire professionnel de prendre une décision
en fonction de ses préférences ou de ses intérêts personnels,
lesquels peuvent être influencés par la religion, le sexe ou
l’identité sexuelle. De même, il est inadmissible, à notre époque,
d’interdire à un membre des FC d’exécuter une tâche donnée en
raison de son orientation sexuelle ou de son sexe. Les militaires,
tout comme les autres citoyens canadiens, ne peuvent laisser
leurs intérêts personnels gouverner leurs actions, un principe que
des études en philosophie contribueront à leur faire comprendre.
La morale et les militaires
La grande majorité des personnes qui s’enrôlent dans les FC
le font parce qu’ils sont déterminés à défendre des valeurs
et des principes canadiens tels que le droit fondamental à
l’éducation, à la santé, à la liberté, et à la vie.
Dans une lettre adressée à son frère qui s’oppose à son
départ pour l’Afghanistan dans le cadre d’un déploiement,
Catherine Déri1, officier de la logistique des FC, illustre claire-
ment cet engagement lorsqu’elle dit à son frère qu’elle respecte
la passion qu’il met à défendre ses principes et convictions. Elle
l’encourage à user de sa liberté de parole pour les communiquer
en soulignant que ce geste démocratique est une valeur que la
population canadienne a à cœur, une liberté fondamentale que
devraient pouvoir obtenir tous les individus qui vivent dans les
pays où les FC sont déployées. Mme Déri constate que nous
voulons tous changer le cours des choses, chacun à sa façon, et
qu’en fin de compte, son frère et elle souhaitent tout autant l’un
que l’autre le rétablissement de la paix dans le monde.
Ainsi, la philosophie peut contribuer au développement
d’une allégeance (fondée sur la raison) aux principes et aux
obligations des FC ainsi qu’à la justice telle que nous la concev-
ons au Canada. Dans ce sens, la philosophie est en fait la for-
mulation théorique de méthodes permettant aux personnes de
réfléchir avec le maximum d’équité et d’impartialité. Elle est
également reconnue comme le véhicule des idéaux et des val-
eurs que nous voulons promouvoir dans notre société.
En fait, les responsabilités morales imposées par l’Énoncé
d'éthique de la Défense exigent une capacité d’analyse et de
jugement rationnel que la réflexion philosophique peut promou-
voir. L’Énoncé d'éthique de la Défense réitère les obligations et
les principes fondamentaux qui guident les personnes qui tra-
vaillent pour le ministère de la Défense nationale (MDN):
Énoncé d'éthique de la Défense2
Les Forces canadiennes et le ministère de la Défense natio-
nale sont investis d’une responsabilité particulière en
matière de défense du Canada. Pour s’acquitter de cette
responsabilité, le Ministère et ses employés, les Forces
canadiennes et leurs membres s’engagent à respecter les
principes et les obligations éthiques suivants:
Principes
Respecter la dignité de toute personne;
Servir le Canada avant soi-même;
Obéir à l’autorité légale et l’appuyer.
Obligations
Intégrité;
Loyauté;
Courage;
Honnêteté;
Équité;
Responsabilité.
Cet énoncé s’inscrit dans une longue tradition qui va des
penseurs qui philosophaient sur la vertu, comme Socrate, ou la
justice, comme John Rawls, en passant par ceux qui ont poussé
plus loin les principes de la théorie de la guerre juste. Interprété
à la lumière de cette tradition, l’Énoncé d’éthique de la Défense
constitue en soi un précieux guide de réflexion.
Dans une perspective élargie, on pourrait illustrer
l’importance de la philosophie dans la vie des militaires en pre-
nant un exemple convainquant tiré de The World of Epictetus:
Reflections on Survival and Leadership. Dans cet article, le
récipiendaire de la Médaille d'honneur du Congrès américain, le
Vice-amiralJames Bond Stockdale, témoigne de son expérience
durant une mission dans le cadre d’opérations aériennes au-
dessus de Hanoï, au Nord-Vietnam, en 1965. Alors pilote et
commandant de la16eEscadre aérienne, il venait de quitter le
porte-avion USS Oriskany lorsque son avion, frappé par un tir
ennemi, s’est écrasé. Il a été capturé et emprisonné pendant sept
ans et demi. Dans son article, le Vice-amiral explique
l’importance de l’intégrité personnelle pour la survie en captiv-
ité quand on est isolé et constamment soumis à des tortures.
Attribuant sa propre survie à son éducation classique et à sa
compréhension de l’histoire, du Livre de Job et de la philoso-
phie stoïcienne d’Épictète, il croit que l’éducation doit aider
l’individu à éviter la faiblesse morale qui conduit inévitable-
ment à la ruine personnelle:
[TRADUCTION]
« L’éducation devrait éclairer les valeurs, non les
ensevelir parmi les trivialités du quotidien. L’intégrité
est l’un de ces attributs que de nombreuses personnes
rangent au fond d’un tiroir sous l’étiquette «trop dif-
ficile». Disons que ce n’est pas un sujet à aborder à
un dîner ou à un cocktail. Ce n’est pas un bien qui se
marchande. Mais l’intégrité soutenue par l’éducation
est quelque chose sur quoi l’on peut toujours compter
lorsque ses perspectives semblent peu encourageantes,
que ses règles et principes semblent vouloir fléchir et
que l’on se trouve face à des choix difficiles entre le
bien et le mal. L’intégrité garde un homme sur la
bonne voie, l’aide à surnager quand il est guetté par la
noyade. Quand ce ne serait que pour des raisons pra-
tiques, l’intégrité doit affleurer à la conscience d’une
jeune personne, en percer la voûte3.»