Bulletin de la Société Astronomique du Valais Romand Page 10
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Eléments de Cosmologie : Pourquoi la nuit est-elle noire ? (4)
par Alain Kohler
L’importante contribution de Loys de Chéseaux en 1744
Introduction
Dans l’article précédent, nous avons mis en évidence l’at-
trait de plus en plus prononcé des scientifiques du XVIIème
siècle pour un univers infini rempli d’un nombre infini d’é-
toiles (vision « épicurienne »). Cette vision va dominer lar-
gement dans les siècles suivants, mais, on le verra, avec le
questionnement sur la nature de l’espace intersidéral : celui-
ci est-il empli d’un fluide peu dense (modèle cartésien) ou
fait de vide (modèle newtonien) ?
L’article de Loys de Chéseaux
Jean-Philippe Loys de Chéseaux (1718-1751) est un astro-
nome suisse né à Chéseaux près de Lausanne. Très vite inté-
ressé par les sciences, il est frappé par la comète de fin 1743
début 1744 et publia un livre portant essentiellement sur les
calculs d’orbites des comètes. Un des appendices de ce livre
concerne la noirceur du ciel. Relevons un passage significa-
tif :
"Sur la Force de la Lumière et sa propagation dans
l’Ether, et sur la distance des Etoiles fixes
….. Concevant maintenant tout l’espace étoilé, divisé en
couches sphériques, concentriques, et d’une épaisseur à peu
près constante… ; supposant le nombre d’étoiles contenu
dans chaque couche, à peu près proportionnel à la surface
de cette couche, ou au carré de la distance au Soleil, pris
pour centre de tout l’espace étoilé ; et enfin, les diamètres
véritables de chaque étoile à peu près égaux à celui du So-
leil…, on trouvera la quantité de lumière qui nous est en-
voyée par les étoiles de chaque couche proportionnelle à la
somme des carrés de leur diamètre apparent, c’est-à-dire
proportionnelle au nombre des étoiles de chaque couche,
multiplié par le carré du diamètre apparent de chacune, ou
par ce que je viens de dire, proportionnelle au carré de la
distance de chaque couche divisé par ce même carré ; et
par conséquent, cette quantité de lumière toujours la
même pour toutes les couches ; et chacune aura à la quan-
tité de lumière que nous recevons du Soleil, le rapport cons-
tant du carré de la distance du Soleil à la Terre, au carré de
la distance de la première couche divisé par le nombre des
étoiles contenues dans cette couche, c’est-à-dire le rapport
de 1 à 4'000'000'000. De là il suit que si l’espace étoilé est
infini, ou seulement plus grand que la première couche, y
compris le tourbillon du Soleil dans la raison du cube de
760'000'000'000'000 à 1, chaque point du ciel nous para-
îtra aussi lumineux qu’un point du Soleil de même grandeur
apparente, et par conséquent la lumière que nous rece-
vrions de celui des deux hémisphères célestes qui est sur no-
tre horizon serait 91’850 fois plus grande que celle que
nous recevons du Soleil…"
Expliquons la démarche de Loys de Chéseaux. Il part de
l’hypothèse d’un univers infini et prend le Soleil pour cen-
tre. Il construit alors autour du Soleil des couches sphéri-
ques très minces d’égale épaisseur et suit alors le raisonne-
ment développé par Edmund Halley dans les trois premiers
points : La distribution des étoiles est uniforme.
I) Toutes les étoiles sont identiques.
II) Le nombre d’étoiles dans chaque couche est propor-
tionnel à la surface de la couche donc au carré de la
distance au Soleil.
III) L’intensité du rayonnement d’une étoile diminue
comme le carré de la distance : une étoile 10 fois
plus loin nous apparaît 100 fois (10
2
) moins lumi-
neuse.
IV) Chaque couche sphérique émet donc la même quan-
tité de lumière car les effets II) et III) se compensent
exactement.
V) Si l’univers est infini, il existe donc une infinité de
couches sphériques et l’apport global en lumière est
infini. Toutefois, nous ne recevons pas une quantité
infinie de lumière car les étoiles des couches lointai-
nes sont masquées en partie par les étoiles des cou-
ches les plus proches
Il est à noter qu’Edmund Halley (1656-1742) ne suit pas
le point IV) puisqu’il affirme que les étoiles trop distan-
tes sont trop faibles individuellement pour impressionner
notre œil (c’est d’ailleurs le même argument que Digges
en 1576…), ce qui est vrai, mais il ne tient pas compte à
tort de l’effet cumulatif qui, lui, impressionne notre ré-
tine. C’était pour Halley un « moyen » d’expliquer la
noirceur de la nuit.
Loys de Chéseaux, lui, admet qu’on ne peut pas résou-
dre la problématique de cette façon. Il se rend compte
avec ces hypothèses que la densité lumineuse du ciel doit
être partout la même et correspondre à celle de notre So-
leil. Celui-ci occupe la 1/180'000 ème partie de notre fir-
Image 1 : Jean-Philippe Loys de Chéseaux