Des animaux, des arbovirus et des hommes
Gwenaël Vourch
1
Lénaïg Halos
2
Amélie Desvars
3
1
Institut national de recherche
agronomique (Inra),
UR346 Épidémiologie animale,
F-63122 Saint-Genès-Champanelle,
France
2
École nationale vétérinaire dAlfort
(Enva), Unité de parasitologie,
UMR Enva-Inra-Afssa Bipar,
7, avenue du Général-de-Gaulle,
94704 Maisons-Alfort Cedex, France
3
Centre régional de recherche
et de veille sur les maladies émergentes
dans locéan Indien (CRVOI),
2, rue Maxime-Rivière,
97490 Sainte-Clotilde, La Réunion
Introduction
Les arthropod-borne viruses sont les agents darboviroses qui affectent chaque
année plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde. Leurs cycles
impliquent un arthropode hématophage assurant la transmission biologique
dun agent pathogène dun vertébré à un autre vertébré. Parmi les quelques
1 400 agents infectieux identifiés chez lhomme, une centaine sont des arbovi-
rus. Depuis quelques années, ces virus à ARN font la une de lactualité des
maladies « émergentes » tant chez lhomme que chez lanimal. Parmi ces virus
émergents, on peut citer notamment le virus responsable de la fièvre de West
Nile transmis par les culicidés, découvert en 1937 en Ouganda et aujourdhui
répandu en Afrique, au Moyen-Orient, en Inde, en Europe, et plus récemment
sur le continent américain. La dengue transmise par des moustiques du genre
Aedes, autrefois limitée à lAsie du Sud-Est, est actuellement larbovirose la
plus répandue dans le monde, avec une aire de répartition qui sétend à
lensemble de la zone intertropicale. Autre exemple, depuis 2006, les pays
dEurope de lOuest font face à une épizootie de fièvre catarrhale ovine, mala-
die animale causée par un virus transmis par des moucherons hématophages du
genre Culicoides et jusque là observée uniquement entre les latitudes 35° S et
40° N. Enfin, lépidémie de chikungunya, survenue dans locéan Indien entre
2005 et 2006, a largement contribué à raviver lintérêt porté aux arboviroses,
dautant plus quun foyer épidémique autochtone a été identifié en Europe
(Ravenne, Italie) en août 2007, le premier hors de la zone tropicale Afrique-
Asie-océan Indien.
Toutes les arboviroses sont considérées comme dorigine zoonotique, cest-
à-dire transmissibles des animaux vertébrés à lhomme ou vice versa [1]. Néan-
moins, le rôle des animaux dans les cycles épidémiologiques de ces maladies
varie considérablement en fonction de lespèce animale et de la pathologie.
Pour un certain nombre de virus, les souches qui circulent chez lhomme et
lanimal sont en réalité génétiquement distinctes. Par exemple, le virus de la
dengue rassemble quatre flavivirus probablement originaires de primates non
humains asiatiques. À la différence des autres arbovirus, la dengue possède un
cycle inter-humain, sans réservoir sauvage intermédiaire. Si lexistence de sou-
ches à cycle sylvatique impliquant des moustiques forestiers et des primates est
démontrée en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, aucun lien entre les
cycles humains et animaux na été prouvé.
Pour dautres virus, lhomme est un « cul-de-sac épidémiologique » qui inter-
vient de manière accidentelle dans le cycle, chez qui une pathologie sexprime
mais qui ne peut pas retransmettre le virus. Cest le cas pour le virus du West
Nile qui circule principalement chez les oiseaux via des culicidés, le virus de la
fièvre de la Vallée du Rift qui affecte surtout les ruminants, ou encore ceux des
encéphalites à tiques qui circule chez de petits rongeurs.
Pour un grand nombre darboviroses, le schéma épidémiologique reste mal
connu. Les points dombre concernent notamment lexistence dun cycle
enzootique et les espèces quil implique, la fréquence et limportance des pas-
sages entre le cycle animal et le cycle humain. Ces passages sont possibles via
des vecteurs « ponts » dont les préférences trophiques non spécifiques permet-
Virologie 2009, 13 (2) : 67-72
doi: 10.1684/vir.2009.0246
Tirés à part : G. Vourch
éditorial
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tent la circulation virale entre un cycle enzootique établi
chez une espèce (souvent résistante à linfection) et une
autre espèce, généralement sensible. Par exemple, le virus
de la fièvre jaune circule principalement de façon enzoo-
tique au sein dun réservoir sylvatique grâce à des espèces
de moustiques forestières et zoophiles. Ce réservoir viral
peut être la source dépidémies sporadiques chez les popu-
lations humaines non immunisées au sein desquelles le
virus est véhiculé par un moustique anthropophile attaché
aux milieux anthropisés : Aedes aegypti. Dans le cas du
virus West Nile, Culex pipiens et Culex restuans, deux
moustiques principalement ornithophiles sont actuellement
considérés comme les vecteurs « ponts » permettant le pas-
sage du virus des oiseaux (réservoirs) aux mammifères,
dont lhomme.
En ce qui concerne le virus du chikungunya, alphavirus de
la famille des Togaviridae,limplication des animaux
semble varier dun continent à lautre [2]. En Afrique le
virus se maintient en milieu forestier dans un cycle enzoo-
tique qui fait intervenir des singes et des moustiques fores-
tiers comme Aedes furcifer ou Aedes taylori. Le virus a été
isolé chez dautres espèces animales non primates et des
traces sérologiques ont été trouvées chez plusieurs mammi-
fères domestiques et chez des animaux sauvages (oiseaux,
rongeurs, reptiles), sans que leur rôle dans la circulation du
chikungunya ne soit établi. Des facteurs écologiques et/ou
anthropiques permettent le contact des vecteurs sylvatiques
avec les populations humaines chez lesquelles le chikungu-
nya peut causer des épidémies sporadiques dans lesquelles
un vecteur anthropophile, généralement A. aegypti, prend
alors la relève pour la transmission homme-homme. Bien
que des anticorps anti-virus chikungunya aient été trouvés
chez des singes en Malaisie et aux Philippines, aucun cycle
sylvatique na été identifié en Asie. Dans cette partie du
monde, le virus serait transmis au cours dun cycle
homme-moustique-homme par A. aegypti et secondaire-
ment par Aedes albopictus.Lépidémie de chikungunya
de locéan Indien en 2005, a vu une nouvelle forme épidé-
miologique apparaître, avec la circulation dun virus dori-
gine est-africaine, transmis par un moustique dorigine
asiatique, aux préférences trophiques variables (anthropo
et zoophiles) : A. albopictus. La question de la possibilité
dune circulation virale chez les animaux et du rôle de ces
derniers dans lépidémiologie humaine est soulevée et en
cours détude dans un projet financé par lANR (ChikAni).
Intérêt de létude du rôle des animaux
dans les cycles de transmission
des arboviroses
La nécessité dappréhender le rôle des animaux dans les
cycles de transmission des arboviroses humaines existe
pour lensemble des maladies zoonotiques. Il sagit en pre-
mier lieu de savoir si des espèces animales peuvent être
source dinfection donc de danger potentiel pour
lhomme et dapprécier limportance de la transmission
animal-homme. La perception du risque représenté par la
faune sauvage et domestique vis-à-vis des agents infectieux
a considérablement évolué ces dernières années, avec des
découvertes qui ont donné à la faune une place importante
dans lévaluation de la source de transmission à lhomme
de certains agents pathogènes (virus Ebola et mégachirop-
tères, syndrome respiratoire aigu sévère et civette).
Le manque de connaissance sur les animaux réservoirs a
lourdement entravé la compréhension de ces épidémies et
retardé les mesures de protection mises en place, démon-
trant que, quelle que soit la maladie, une meilleure connais-
sance de la faune réservoir était indispensable pour la mise
en œuvre des actions de contrôle.
Les maladies à transmission vectorielle, en faisant obliga-
toirement intervenir un trinôme indissociable lhôte ver-
tébré, lagent pathogène et le vecteur arthropode repré-
sentent un système pathologique extrêmement complexe.
Du fait de lexistence dun vecteur, les animaux peuvent
intervenir comme source de virus et donc avoir un effet
damplification du risque pour lhomme. À linverse, ils
peuvent aussi jouer un rôle « protecteur » en constituant
une ressource alimentaire pour la population darthropodes
hématophages, en ne permettant toutefois pas le dévelop-
pement du virus. Une des hypothèses pour expliquer larrêt
inattendu de la transmission du virus chikungunya à
La Réunion fin 2006 serait que les populations dA. albo-
pictus se soient nourries sur des animaux qui constituaient
une impasse épidémiologique. Le nombre efficace de piqû-
res de moustique serait alors nettement diminué.
À des fins plus fondamentales, lamélioration des connais-
sances sur les comportements des arbovirus chez les ani-
maux permet didentifier de nouvelles espèces animales
utilisables comme modèle dinfection chez lhomme.
De plus, ces connaissances permettent de concevoir des
modèles détude des mécanismes complexes intervenant
dans la « barrière despèce », i.e. lensemble des obstacles
capables de sopposer au franchissement par un agent
infectieux des défenses naturelles dune espèce hôte nou-
velle. Les arbovirus soulèvent des questions essentielles
concernant les forces sélectives et les contraintes interve-
nant dans ladaptation dun pathogène aux espèces anima-
les. Les arbovirus sont en effet dotés de caractéristiques
biologiques leur permettant de franchir la barrière
despèce : (i) lorsquils sont transmis par des vecteurs
« généralistes », ils sont régulièrement mis en contact
avec plusieurs espèces hôtes. Ladaptation du cycle biolo-
gique à ces espèces est indispensable à la survie du virus ;
(ii) en tant que virus à ARN, les arbovirus ont un taux de
mutations supérieur aux virus à ADN ce qui leur confère
potentiellement une grande diversité génétique et une capa-
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cité dadaptation élevée. À linverse, lalternance hôtes
vertébrés-hôtes invertébrés ainsi que leur petite taille impli-
quant que les séquences codent pour plusieurs fonctions à
la fois, rendent une forte proportion de mutations délétères,
ce qui constitue une contrainte majeure pour leur adapta-
tion [3].
Stratégies détude et mise en œuvre
Le rôle des vertébrés dans la circulation dun arbovirus
peut être abordé par trois questions clé : (i) quelles espèces
sont potentiellement en contact avec le virus ? (ii) quelles
espèces peuvent être infectées et transmettre linfection à
des vecteurs ? (iii) quel est le rôle épidémiologique de
chaque espèce dans le cycle viral (population de mainte-
nance, source dinfection pour lhomme ou impasse épidé-
miologique) en dautres termes, peut-on qualifier ou
mieux quantifier limportance de chaque espèce animale
dans le cycle dune arbovirose ? Les deux dernières ques-
tions correspondent à des caractéristiques pour lesquelles
un parallèle avec les notions de compétence et de capacité
vectorielles peut être établi. La « compétence » dun vec-
teur correspond à son aptitude intrinsèque à sinfecter, se
multiplier et transmettre un pathogène. Pour une espèce
hôte, on peut appeler « compétence de réservoir » sa
faculté intrinsèque à sinfecter et retransmettre cette infec-
tion. Lefficacité de transmission dune population hôte
dans un contexte spatio-temporel donné peut être qualifiée
de « capacité de réservoir » en référence à la « capacité
vectorielle » qui représente la somme de laptitude dun
vecteur à sinfecter, à assurer le développement du patho-
gène et à le transmettre dans un espace-temps donné.
Deux aspects fondamentaux sont à considérer pour garantir
une analyse pertinente du rôle des vertébrés dans les cycles
de transmission des arboviroses. Premièrement, les
connaissances zoologiques doivent être adéquates. Si les
études génétiques permettent une identification très pous-
sée des micro-organismes pathogènes, de réelles lacunes en
matière didentification de la macro-faune sauvage sont
encore présentes. De plus, les animaux domestiques, poten-
tiellement réservoirs, sont souvent considérés comme un
groupe uniforme au niveau mondial alors que leur impor-
tance écologique et épidémiologique varie considérable-
ment dune région du monde à lautre, en lien avec diffé-
rents facteurs (densité de population, race, type délevage,
etc.). Par conséquent, les conclusions dune étude sur une
espèce animale dans une partie du globe ne sont pas tou-
jours transposables à une autre zone géographique et il
nest donc pas redondant dans létude dune arbovirose à
répartition large, détudier le rôle spécifique dune espèce
dans chaque « écosystème » où circule la maladie.
Deuxièmement, il est important de considérer les mécanis-
mes et processus qui peuvent intervenir à différentes échel-
les à la fois spatiales, temporelles et au niveau des organis-
mes, ce qui représente un des défis majeurs de la
compréhension des cycles épidémiologiques complexes.
Même si des persistances prolongées ont été observées
lors dinfections expérimentales, en conditions naturelles
aucune persistance chronique darbovirus na été formelle-
ment démontrée chez des espèces de vertébrés au système
immunitaire cellulaire et humoral complet [4]. Létude du
rôle des vertébrés dans le cycle des arbovirus ne peut donc
pas se limiter à une étude du devenir de linfection au
niveau individuel. Elle doit se faire à léchelle population-
nelle dans un écosystème défini en prenant en compte la
variation temporelle qui peut être très marquée pour les
vecteurs. Létude des interactions hôtes-virus nécessite
par conséquent une approche à la fois multidisciplinaire
et comparative, intégrant les différents hôtes potentiels
ainsi que les mécanismes dinfection et de transmission
inter et intraspécifiques.
Comment étudier le spectre dhôtes
potentiellement en contact
avec le virus ?
Le nombre despèces potentiellement en contact avec le
virus dans un endroit donné est une caractéristique propre
au milieu étudié ; toute espèce piquée par un vecteur pourra
potentiellement être en contact si le virus est présent.
La stratégie déchantillonnage pour des études épidémiolo-
giques doit prendre en compte ces caractéristiques écologi-
ques et cest bien souvent une étape occultée qui limite les
conclusions que lon peut tirer de beaucoup détudes.
La définition du nombre théorique de prélèvements per-
mettant détablir si une espèce intervient ou non dans un
cycle viral est également cruciale et problématique car ce
nombre dépend de la prévalence « attendue », qui dans la
plupart des cas est elle-même inconnue.
Comme pour tout agent infectieux, loutil de choix de
détection du contact virus-vertébrés (analyse sérologique)
est indirect et vise à mettre en évidence des anticorps spé-
cifiques chez les animaux cibles. La stratégie déchantil-
lonnage la plus fréquente est de mettre en œuvre une
enquête transversale de séroprévalence sur un ensemble
despèces sélectionnées. Cela permet de travailler sur des
prélèvements de sérum, de tester à moindre coup un très
large panel déchantillons et nimpose pas de conditions
de conservations drastiques des prélèvements. Il faut
cependant garder à lesprit les limites dune telle approche :
la variation temporelle du phénomène nest pas prise en
compte (mais peut être étudiée par des études dédiées sur
des séries temporelles), la date et la fréquence du contact ne
peuvent généralement pas être déterminées car les données
sur la durée de vie des anticorps sont peu nombreuses et
non disponibles pour toutes les espèces. Par ailleurs, une
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enquête ponctuelle ne permet pas de mettre en évidence les
variations saisonnières de la transmission, de la présence
des vecteurs ou de la population hôte. Un même virus
peut se comporter différemment selon la zone géogra-
phique considérée, ainsi observe-t-on une forte saisonnalité
des épidémies de dengue dans le sud de la Chine, alors que
la maladie est endémique à Singapour. Enfin, dun point de
vue technique, outre le fait que les notions de sensibilité et
de spécificité sont difficiles à évaluer pour chaque espèce
ciblée, certains tests, type ELISA, nécessitent de disposer
de conjugués spécifiques de chaque espèce. Cela nest pas
possible lorsquon sintéresse à de nombreuses espèces
danimaux sauvages. Le choix du test doit donc être réflé-
chi. Par exemple, lors de létude réalisée en 2007 à La Réu-
nion, une vingtaine despèces ont été testées et une tech-
nique de séro-neutralisation non espèce-dépendante avait
été initialement privilégiée. Malheureusement, la spécifi-
cité du test nétait pas satisfaisante dans le cadre détudes
sur la faune et des tests ELISA ont du être adaptés aux
différents groupes de vertébrés.
Les études transversales de terrain sont un préalable indis-
pensable lorsque les informations disponibles sur les hôtes
potentiels sont insuffisantes, mais elles ne renseignent pas
sur les mécanismes épidémiologiques et pathologiques en
cause. Elles peuvent être réalisées à deux moments clés :
soit lors dun pic épidémique chez lhomme, afin de mettre
en évidence le maximum despèces potentiellement récep-
trices ; soit en-dehors dun pic épidémique, ce qui permet
de mettre en évidence les espèces pouvant être impliquées
dans le maintien du cycle viral (espèces potentiellement
réservoir).
Une approche complémentaire, cette fois propre aux seules
maladies à transmission vectorielle, est létude spécifique
des espèces animales susceptibles dêtre piquées par le vec-
teur compétent pour le virus cible. Pour les moustiques,
lanalyse des contenus stomacaux par des tests ELISA
des femelles récoltées gorgées permet de savoir sur quelle
(s) espèce(s) sest effectué le repas sanguin. La capture des
vecteurs gorgés nest cependant pas possible pour tous les
arthropodes. Par exemple, il nexiste aucune méthode de
capture de tiques gorgées détachées dun hôte. Néanmoins
la détection de reste dADN ou de protéines spécifiques de
vertébrés chez des tiques en quête dhôte permet didenti-
fier sur quel animal sest gorgée la tique au stade précédent.
Létude expérimentale des préférences trophiques du vec-
teur peut également donner une indication quant aux espè-
ces potentiellement piquées et donc en contact avec le virus
(le plus souvent on conduit un test de choix).
Enfin, le taux danticorps anti-salive de larthropode vec-
teur dans le sérum des espèces étudiées est proportionnel au
degré dexposition. Cette information permet dévaluer la
fréquence de piqûre des animaux en conditions naturelles
mais manque de spécificité, car il existe des protéines sali-
vaires communes ou proches entre les différents arthropo-
des qui entraînent des réactions croisées.
Quelles espèces peuvent être infectées
et transmettre linfection à des vecteurs ?
Il ne suffit pas de connaître les espèces potentiellement en
contact, il faut aussi savoir lesquelles sont compétentes.
Pour être compétent, un individu doit être réceptif au
virus (récepteurs cellulaires permettant lattachement et la
pénétration du virus) et développer une virémie suffisam-
ment longue et à un taux suffisamment élevé pour que les
arthropodes piqueurs puissent sinfecter au cours dun
repas sanguin. Au niveau individuel, le développement
dune immunité empêche la persistance de la virémie et
limite la capacité de transmission des virus. Cependant, la
circulation virale au sein dune population est favorisée par
larrivée dindividus naïfs (naissances, migrations, perte
dimmunité) qui peuvent devenir virémiques.
La preuve de la compétence dune espèce est apportée par
létude du devenir de linfection au sein des individus, le
plus souvent par infection expérimentale, réalisée soit par
injection directe dune dose virale, soit en utilisant des vec-
teurs arthropodes infectés. La première méthode est le plus
souvent utilisée car plus facile à mettre en œuvre que la
seconde. Cette dernière a néanmoins lavantage dêtre
plus proche de la réalité car elle associe à linjection du
virus un panel dantigènes salivaires produits par le vecteur
qui jouent un rôle majeur dans linteraction pathogène-
hôte. Des vecteurs non infectés sont ensuite nourris sur
des individus infectés afin de tester lexistence de la trans-
mission. Cependant, lapproche expérimentale est souvent
très difficile à mettre en œuvre sur un grand nombre despè-
ces animales. De plus, elle ne prend pas en compte les
conditions réelles qui peuvent modifier la réponse immuni-
taire des hôtes (stress, densité de population, etc.).
Les études de terrain sont donc indispensables pour appor-
ter des indications quant à la possibilité pour une espèce
dêtre infectée, grâce à la recherche directe de virus soit
par isolement, soit par détection de matériel génétique
viral. Lisolement dagents viraux à partir de prélèvements
représente la preuve la plus probante du portage de lagent
pathogène par les animaux mais il sagit dune approche
lourde à mettre en œuvre, qui nécessite des infrastructures
lourdes (laboratoire de confinement adapté, structure de
cultures cellulaires, etc.). Lorsque la détection dacides
nucléiques dans des prélèvements sanguins est mise en
œuvre, la probabilité de trouver des individus positifs est
faible, mais indique une transmission possible au vecteur
hématophage. En effet, chez les hôtes, la virémie est géné-
ralement de courte durée, une réponse immunitaire se met
rapidement en place et élimine le virus circulant. Le virus
peut néanmoins se réfugier dans des organes ou des cellules
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cibles (stratégie dévasion) quil infecte de façon chronique
et dans lesquels il demeure infectieux, comme cest le cas
pour le virus chikungunya dans les macrophages périvas-
culaires du tissu synovial. Le choix des prélèvements ana-
lysés est donc un autre aspect crucial et problématique de la
recherche virale.
Comment étudier la contribution
des espèces hôtes à la circulation
des arboviroses ?
Si une espèce animale est compétente pour un arbovirus,
son importance dans la circulation du virus dans un écosys-
tème donné, i.e. « sa capacité de réservoir », va dépendre
de son abondance et du taux de contacts quelle a avec le
(ou les) vecteur(s). Les contacts virus/vertébrés sont par
exemple réduits par la présence de barrières écogéographi-
ques, lasynchronisme entre la disponibilité des hôtes en
phase de virémie et la période dactivité trophique des vec-
teurs ou bien entre la présence dhôtes non infectés et des
vecteurs infectés dans un environnement donné. Toute la
difficulté est donc de qualifier, au mieux quantifier, pour
un écosystème donné, limplication dune espèce dans la
circulation virale, tout en tenant compte des autres popula-
tions animales pouvant intervenir. Par exemple, dans la
transmission des encéphalites à tiques, il a été démontré
que seuls 20 % des hôtes vertébrés étaient impliqués dans
environ les trois-quarts des transmissions par les tiques [5].
On peut aussi essayer dappréhender le fonctionnement du
système avec une approche sur la communauté despèces
dhôtes potentielles, en évaluant le taux de contact vec-
teurs/hôtes, les densités de populations dhôtes vertébrés
et de vecteurs, leur dispersion ou migration, ainsi que les
taux de transmission dans les différentes populations de
vertébrés impliquées. Les populations animales qui ne
sont pas compétentes mais qui sont piquées par les vecteurs
sont également importantes à considérer car elles rendent
les piqûres « inefficaces » du point de vue du virus et dimi-
nuent ainsi son taux de transmission (concept d« effet de
dilution »). De plus, il a été démontré récemment lexis-
tence dune « transmission non virémique » entre un vec-
teur infecté et un vecteur non infecté prenant un co-repas
sanguin sur un même hôte (non virémique), même non
compétent. Ce phénomène a été mis en évidence dans le
cas des arbovirus responsables des encéphalites à tiques,
du virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, du
virus de la fièvre catarrhale ovine, le virus Louping Ill ou le
virus West Nile [6].
Lorsque beaucoup despèces sont impliquées, la difficulté
est de pouvoir décrire le fonctionnement du système de
façon synthétique, ce qui requiert lélaboration de modèles
statistiques ou dynamiques. Bien souvent, nous de dispo-
sons pas dinformation pour lensemble des espèces et les
études se centrent sur un petit nombre dentre elles, qui
paraissent les plus importantes épidémiologiquement (ou
qui sont les plus accessibles sur le terrain).
En fait, la transmission des arbovirus dépend largement de
la présence dune population dhôtes vertébrés compétents
à un endroit et un moment qui coïncident avec lactivité de
piqûre des vecteurs compétents. La majorité des vertébrés
développent une immunité qui prévient la réinfection.
Ainsi, limmunité de groupe (ou de troupeau) et la réduc-
tion de la taille de la population dhôtes susceptibles sont
deux facteurs négatifs pour la transmission virale. Considé-
rant ces contraintes, les hôtes vertébrés ayant un taux de
natalité élevé sont plus favorables au maintien de la circu-
lation virale dans une population. Malheureusement, les
données de terrain disponibles sur ces facteurs sont rares.
Conclusion
Du fait de lamélioration des outils de détection, de lincur-
sion de lhomme dans de nouveaux habitats et de la globa-
lisation, la liste des arboviroses et les connaissances que
lon a de leurs cycles saméliorent. Cependant, nos capaci-
tés prédictives prédire quand, où et selon quelle intensité
une arbovirose est susceptible démerger restent très limi-
tées, du fait de la complexité des cycles et des échelles en
jeu. Seule la complémentarité de différentes disciplines
scientifiques peut permettre une approche globale du sys-
tème hôtes vertébrés-vecteurs-arbovirus. Lapport de don-
nées dobservations de terrain, à la fois entomologiques
(biologie, écologie, préférences trophiques, dispersion,
compétence et capacité des vecteurs), zoologiques (biolo-
gie, écologie animale), médicales et vétérinaires (immuno-
logie, physiopathologie, épidémiologie), restent indis-
pensables et la base cruciale de toute modélisation.
Les données issues dobservations satellitaires ont permis
de grandes avancées en permettant détudier les processus à
des échelles de temps et despace jusque là inaccessibles.
Dautres disciplines comme la climatologie, la géographie,
la botanique, la pédologie, la sociologie permettent une
approche complémentaire dont la valeur est trop souvent
sous-estimée. Le défi est de réussir à intégrer lensemble
des connaissances propres à chaque discipline en procédant
par processus itératif entre les hypothèses formulées et les
observations. Face à une émergence darbovirose, la coo-
pération scientifique multidisciplinaire reste indispensable.
Références
1. Taylor LH, Latham SM, Woolhouse MEJ. Risk factors for human
disease emergence. Philosophical Transactions of the Royal Society B.
Biological Sciences 2001 ; 356 : 983-9.
2. Powers M, Logue CH. Changing patterns of chikungunya virus: re-
emergence of a zoonotic arbovirus. Journal of General Virology 2007 ;
88 : 2363-77.
éditorial
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