TRAITEMENT DIFFICILE Antibiothérapie et cirrhose Antibiotic therapy in liver cirrhosis Arnaud Pauwels* L es infections bactériennes sont une complication tardive de la cirrhose. Elles sont favorisées par la translocation bactérienne intestinale, les altérations du système de défense antibactérien et les manœuvres invasives. Elles surviennent souvent alors que le patient présente déjà des altérations hémodynamiques en rapport avec l’hypertension portale – principalement une diminution des résistances vasculaires périphériques et une augmentation du débit cardiaque – qui réduisent sa capacité d’adaptation à l’infection. Cela explique pourquoi l’évolution vers un sepsis sévère peut être rapide sur ce terrain, ainsi que la mortalité élevée associée à ces infections. Une antibiothérapie probabiliste doit donc être débutée sans délai. Ces dernières années, plusieurs études ont rapporté une incidence croissante des infections à germes multirésistants, et notamment en cas d’infection nosocomiale ou de traitement antibiotique récent (1). Lors du choix de l’antibiothérapie, il est donc crucial de prendre en compte ces élements. Dans certains cas, des mesures comme un remplissage vasculaire par perfusions d’albumine ou un recours précoce aux amines pressives doivent être associées. Traiter Devant un syndrome infectieux chez un patient cirrhotique, il faut : ➤ commencer une antibiothérapie probabiliste dès les prélèvements bactériologiques effectués, sans attendre leurs résultats ; ➤ dans le choix de cette antibiothérapie, tenir compte du siège présumé de l’infection mais également de son caractère communautaire ou nosocomial et de la notion d’une antibiothérapie récente ou d’une antibioprophylaxie par quinolone. Infections du liquide d’ascite Lorsqu’il s’agit d’une infection communautaire, le germe en cause est le plus souvent un bacille à Gram–, en premier lieu Escherichia coli. Les céphalosporines de troisième génération (céfotaxime 1 g x 4/j, ceftriaxone 1 g/j) et l’association amoxicilline-acide clavulanique (1 g x 3/j), administrés par voie intraveineuse, donnent des taux de guérison supérieurs à 90 % (2). En cas de résolution rapide des symptômes et après s’être assuré d’une diminution de plus de 50 % du taux de polynucléaires neutrophiles dans l’ascite à J3, un relais par voie orale peut être effectué. La durée totale du traitement doit être de 5 à 10 jours. A contrario, en cas d’infection nosocomiale, le risque d’infection à bactérie résistante aux antibiotiques usuels est élevé, notamment en cas d’antibiothérapie au cours des derniers 3 mois pouvant alors atteindre 30 à 50 % en fonction de l’écologie microbienne locale. La prévalence des infections à cocci à Gram+ est également plus importante. Dans cette situation, il n’y a pas de recommandations quant à la conduite à tenir. Si le tableau clinique est préoccupant, il paraît prudent de recourir d’emblée aux uréidopénicillines ou aux carbapénèmes, quitte à reconsidérer la prescription au vu des résultats bactériologiques, car un retard dans le contrôle de l’infection pourrait avoir des conséquences dramatiques. Sinon, on peut en rester aux antibiotiques usuels, avec une réévaluation de leur efficacité après 24 à 48 heures. Dès lors que l’infection n’est pas rapidement contrôlée, il faut recourir aux carbapénèmes. Septicémies En cas de septicémie spontanée, les germes en cause sont les mêmes que dans l’infection du liquide d’ascite et les mêmes règles peuvent être appliquées quant à l’antibiothérapie. En revanche, dans un contexte de manœuvres invasives et de cathéters veineux, il s’agit souvent d’infections à staphylocoques (3). Étant donné la fréquence des souches méti-R, notamment en cas d’antibiothérapie au cours des 3 derniers mois ou de prophylaxie par les quinolones, l’association de vancomycine doit être envisagée. * Service d’hépato-gastroentérologie, centre hospitalier de Gonesse. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 | 177 TRAITEMENT DIFFICILE Pneumopathies La mortalité des pneumopathies communautaires est élevée chez les patients souffrant d’insuffisance hépatocellulaire (Child B ou Child C). L’antibiothérapie probabiliste doit couvrir Streptococcus pneumoniae mais aussi les entérobactéries et les bactéries atypiques (4). Pour cela, on peut associer l’amoxicilline-acide clavulanique à un macrolide (azithromycine) ou à une fluoroquinolone (ofloxacine). En cas d’inhalation, le métronidazole doit être ajouté. Prévenir Dans certaines situations cliniques, le risque de survenue d’une infection bactérienne est suffisamment important pour justifier une antibioprophylaxie. Celle-ci repose sur l’administration par voie orale d’un antibiotique peu absorbable qui élimine sélectivement les bacilles à Gram– aérobies de la flore bactérienne intestinale tout en préservant les bactéries anaérobies. tion orale de norfloxacine (400 mg x 2) pendant 5 à 7 jours. Toutefois, chez les patients à très haut risque d’infection (Child C, hémorragie active), il apparaît plus efficace de débuter par la ceftriaxone (1 g/j) par voie intraveineuse pendant 1 à 3 jours, avant de relayer par la norfloxacine. Antécédent d’infection du liquide d’ascite Après un premier épisode d’infection du liquide d’ascite, le risque de récidive dans l’année est élevé, proche de 70 %. Une antibioprophylaxie par norfloxacine (400 mg 1 x /j) administrée au long cours diminue significativement ce risque (RR : 0,30) ; elle est donc recommandée (1). Elle doit être débutée dès la fin du traitement de l’épisode infectieux aigu et poursuivie jusqu’à disparition de l’ascite (i.e. chez les patients avec hépatite alcoolique aiguë), transplantation ou décès. En cas d’intolérance aux quinolones, le sulfaméthoxazoletriméthoprime (800 mg/160 mg 1 x /j) est une alternative possible. Hémorragies digestives Autres situations Environ la moitié des patients cirrhotiques hospitalisés pour une hémorragie digestive haute vont développer une infection bactérienne. Chez ceux qui présentent une rupture de varices œsophagiennes, l’infection est associée à l’échec du contrôle de l’hémorragie et à la survenue d’une récidive hémorragique précoce. L’antibioprophylaxie permet de diminuer l’incidence de ces infections bactériennes (RR : 0,36) mais aussi de réduire la mortalité globale (RR : 0,79) [5]. Sur ces données, il est maintenant recommandé de commencer précocement une antibioprophylaxie en cas d’hémorragie digestive haute chez un patient cirrhotique. Le schéma le plus simple et le moins onéreux est l’administra- Une antibioprophylaxie par norfloxacine est fréquemment prescrite dans différentes situations cliniques : ascite avec taux de protides dans l’ascite inférieur à 10 g/l, attente de transplantation, corticothérapie pour hépatite alcoolique aiguë, immunodépression. Pour autant, son intérêt n’a été validé dans aucune de ces situations. Par ailleurs, le bénéfice potentiel de l’antibioprophylaxie est pondéré par le risque d’émergence de souches bactériennes résistantes et l’augmentation d’incidence des infections à bactéries à Gram+. Sa prescription ne peut donc intervenir qu’après une évaluation au cas par ■ cas. Références bibliographiques 1. Merli M, Lucidi C, Giannelli V et al. Cirrhotic patients are at risk for health care-associated bacterial infections. Clin Gastroenterol Hepatol 2010;8:979-85. 2. EASL clinical practice guidelines on the management of ascites, spontaneous bacterial peritonitis, and hepatorenal syndrome in cirrhosis. J Hepatol 2010;53:397-417. 3. Kang CI, Song JH, Ko KS, Chung DR, Peck KR, Asian Network for Surveillance of Resistant Pathogens (ANSORP) Study Group. Clinical significance of Staphylococcus aureus infection in patients with chronic liver diseases. Liver Int 2010;30:1333-8. 4. Viasus D, Garcia-Vidal C, Castellote J et al. Communityacquired pneumonia in patients with liver cirrhosis: clinical 178 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue ̐ Vol. XIV - n° 4 - juillet-août 2011 features, outcomes, and usefulness of severity scores. Medicine 2011;90:110-8. 5. Chavez-Tapia NC, Barrientos-Gutierrez T, Tellez-Avila FI, Soares-Weiser K, Uribe M. Antibiotic prophylaxis for cirrhotic patients with upper gastrointestinal bleeding. Cochrane Database Syst Rev 2010(9);CD002907.