ÉTATS D'AME Quand un scoi pion rencontre un capricorne... Le biologiste et la sorcière Faire dialoguer Henri Laborit, père de l'anesthésie potentialisée, et Elisabeth Tessier, superstar de l'astrologie, l'idée était baroque Le résultat aussi... ce d Laurent Greisalmer etDaniel Schneidennann Les 'tiges à la question Comment visiter la planète judiciaire sans faire triste, pompeux ou larmoyant ? Comment raconter l'univers des juges, ces lépreux, ces maudits, tantôt « bouffons de la République », tantôt « Zorros du droit et de la vertu» ? C'est la délicate mission qu'ont accepté de remplir Laurent Greisalmer et Daniel Schneidermann, tous deux journalistes au « Monde ». Habitués des prétoires et des galeries d'instruction, ils ont osé mettre à la question dix-neuf magistrats. Généralement, ces gens-là se taisent. Mais depuis quelque temps, ils ont des états d'âme. On leur reproche tant de choses. Jean-Louis Bruguière, par exemple. Les mauvaises langues le traitent de cow-boy, de mégalomane, de parano qui voit des poseurs de bombes partout. Alain Marsaud, l'ancien patron de la section antiterroriste du parquet de Paris, juge tendance baroudeur, proche de Charles Pasqua, catalogué « grand manipulateur » par la gauche. Edith Boizette, la très distinguée juge d'instruction qui a inculpé Bernard Tapie. Thierry Jean-Pierre, le hussard manceau devenu le chevalier blanc des fausses factures. Pierre Truche, l'homme qui a jugé Klaus l3arbie. Tous se défendent d'être des juges partisans. Tous, à des degrés divers, ont été au coeur de tempêtes politico-judiciaires. Affaires Gordji, Droit, Urba-Gracco, Irlandais de Vincennes, Pechiney, Bousquet-Papon. Ont-ils librement ? Sans pression ? Ou .pu agir . „ ont-ils eu le sentiment d'etre les jouets du pouvoir ou de ses ennemis ? A ces questions, le groupe des dix-neuf répond franchement au duo Greisalmer-Schneidermann, confesseurs discrets et efficaces. Grâce à eux, les juges paraissent soudain plus humains. Et surtout plus lucides suries limites de l'indépendance de la Justice. Ce voyage à l'intérieur d'un monde mal connu, fait de confessions feutrées, de coups de gueule, de non-dits, nous offre une photographie plus juste que n'importe quel traité théorique. Surtout, il nous rappelle que les hommes et les femmes qui ont choisi de faire le terrible métier de juger leurs semblables sont parfois bien fragiles. Serge Raffy Les juges parlent », par Laurent Greisalrner et Daniel Schneidennann, Fayard, 150 F. 100 / LE NOUVEL OBSERVATEUR/NOTRE ÉPOQUE a sorcière a des étoiles dans les yeux quand elle lit dans les astres. Le savant s'amuse, tire sur son long nez et pense que la sorcière est belle. La sorcière — on l'aurait en d'autres temps brûlée sur le bûcher c'est Elisabeth Tessier, monstre sacré de l'astrologie, 60 millions de lecteurs dans le monde, des dizaines d'ouviages de vulgarisation ou de prévisions, cheveux noirs, yeux fendus un air de panthère au repos. Le savant c'est Henri Laborit, touche-à-tout génial de la recherche scientifique, médecin, biologiste, chimiste, spécialiste du système nerveux et du comportement, inventeur de quelques drogues passées dans la légende, écrivain-philosophe inclassable. Elle, Capricorne ascendant Sagittaire. Lui, Scorpion ascendant Scorpion. Henri LabbnietElisabeth Tessier Quand un Scorpion rencontre un Capricorne, de quoi voulez-vous qu'ils parlent ? De la mort, forcément de la mort. Accessoirement, de la liberté de l'homme face à son destin. Evidemment ils ne sont pas d'accord. L'idée était de les faire dialoguer, au nom de la pluridisciplinarité. De jeter un pont entre astrologie et biologie, entre étoiles et molécules. Ce n'était pas une très bonne idée. Au lieu d'un dialogue, nous avons droit sur trois cents pages à des discours parallèles, qui se heurtent et se croisent sans vraiment se rencontrer. Tout cela dans deux langues différentes, «vous me parlez chinois!» s' exclame l'un, «et vous hébreu ! » répond l'autre. Mais quel joyeux combat ! Et comme on s'amuse parfois ! Sur l'astrologie et la biologie, on en apprend de belles! Saviez-vous que Jean XXIII faisait de l'astro pendant ses insomnies ? Que Robert Schumann ne devint compositeur que parce qu'il n'y avait qu'un seul piano pour Clara et lui — mais aussi parce qu'il avait une configuration Soleil-Mars en carré de Pluton? Que l'amour est un problème de phéromones et la sexualité une question de Cantor et de gamma OH? Que les génies naissent toujours en hiver, entre octobre et avril, tout comme les déficients mentaux ? Que la structure de l'ADN ressemble au système planétaire ? Et que, dixit Elisabeth, « nous respirons 25 920 fois par jour, exactement le nombre de jours de l'année platonicienne n'est-ce pas merveilleux ?» « Ça, grogne Laborit, c'est du Picasso ! » Heureusement pour nous, ils ne s'entendent sur rien. Ni sur le déterminisme — « cosmique », dit-elle, « biologique et social», répond-il. Ni sur la liberté : < L'intolérance vient de la notion de liberté. Quand on se croit libre, on croit détenir la vérité puisqu'on ne va pas choisir librement l'erreur, et l'autre, qui ne partage pas votre avis, a donc choisi librement l'erreur. D'où l'intolérance ! assène le savant. Ni sur la science : « Ce qui manque à votre astrologie c'est l'expérimentation. Vous ne pouvez rien provoquer à volonté alors que moi, avec mes rats et mes lapins... « Sans doute... Mais l'astrologue marque un point lorsqu'elle prédit au savant, au début des entretiens, qu'il risque un accident quelques mois plus tard. Il l'oublie et tombe par hasard ( ?), au jour dit, dans une fosse d'orchestre pendant une conférence. Résultat du match : dix partout. Entre-temps, nous aurons musé sur des chemins de traverse, souri aux anecdotes, passant d'une logique à l'autre en une sorte de gymnastique excitante pour l'esprit mais parfois fatiguante. Se convaincront-ils mutuellement ? Non. La belle Elisabeth s'échine à prouver que son astrologie n'est pas un art mais une science. Sinon, comment aurait-elle pu prédire avec exactitude la catastrophe de Tchernobyl ou annoncer un an à l'avance « quelque chose de terrible vers la pleine lune du 6 août 1990 »— et ce fut l'invasion du Koweït? Calculs astrologiques ! Elle avait lu tout cela sur son ordinateur. « Du roman 1», clame Laborit, qui préfère parler du chaos, de la science, « nouvel opium du peuple », et de la mémoire de l'eau. Drôle d'époque : l'astrologue prétend au statut scientifique. Et le savant réhabilite le doute... JOSETTE ALIA (1) « Etoiles et molécules », par Elisabeth Tessier et Henri Laborit, Grasset.