StMor 44 (2006) 213-232
RÉAL TREMBLAY C.SS.R
EN PARCOURANT LE DERNIER OUVRAGE
DU R.P. FRANÇOIS-XAVIER DURRWELL
CHRIST NOTRE PAQUE
HOMMAGE POSTHUME
Le gloire du Père qui est sur la face du Christ invi-
te les théologiens à une révolution copernicienne. C’est
le soleil qui est premier, qui fait tourner la terre autour
de lui et la fait naître, le matin de Pâques, à la lumière
qui chasse les ténèbres. F.-X. DURRWELL
Le 15 octobre 2005, le R.P. François-Xavier Durrwell,
rédemptoriste de la Province religieuse de Strasbourg, quittait
ce monde à l’âge de 93 ans et 8 mois. On peut supposer que
sainte Thérèse d’Avila a eu son mot à dire en ce départ puisque
le P. Durrwell a donné conférences et retraites dans presque la
moitié des Carmels de France1.
Dans la préface de son dernier livre: Christ notre Pâque2,
Durrwell affirme avoir éprouvé le désir “de reprendre des élé-
ments épars dans (ses) ouvrages, de lier la gerbe et d’en faire
“‘l’offrande du soir’”3. Comme on le sait, le coup d’envoi de sa
bibliographie qui couvre une quinzaine d’ouvrages et de nom-
breux articles et contributions4fut le volume désormais pièce
1Du reste, il a évoqué explicitement le nom de Thérèse dans l’homélie
qu’il avait lui-même préparée pour ses funérailles.
2Montrouge, Nouvelle Cité, 2001.
3O.c., 10.
4Pour la bibliographie durrwellienne (jusqu’à 1996), voir J. MIMEAULT,
La sotériologie de François-Xavier Durrwell. Exposé et réflexions critiques
(TGr/STh., 20), Roma, Editrice Pontificia Università Gregoriana, 1997, 445-
457. Pour un exposé exhaustif de la pensée durrwellienne, l’ouvrage à peine
cité de Mimeault est capital. Pour une évaluation d’ensemble de l’œuvre
durrwellienne, je me permets de renvoyer à ma conférence prononcée à
l’occasion de la remise du doctorat honoris causa au P. Durrwell par
l’Académie Alphonsienne de Rome (7 décembre 1996): La relation filiale de
de choix du patrimoine théologique du siècle dernier: La résur-
rection de Jésus, mystère de salut, publié en 1950 et objet de 11
éditions successives et de traductions en plusieurs langues5.
Dans la préface de Christ notre Pâque, le P. Durrwell raconte
brièvement et en images6comment il en est arrivé à l’oeuvre
maîtresse de sa vie. Laissons-lui la parole.
De l’admirable cathédrale du mystère révélé, où tout fait
corps, où chaque élément a sa signification dans son intégration,
on avait (au temps de mes études) enlevé la clé de voûte. Que
reste-t-il d’un édifice dont la clé de voûte a été enlevée? Les pierres
éparses peuvent conserver leur beauté singulière, mais ce n’est
que dans l’ensemble que chacune d’elles joue son rôle. La clé de
voûte qui est aussi la pierre d’assise, est le Christ, le Fils de Dieu
ressuscité dans sa mort. Or à cette époque, on faisait peser sur la
seule mort tout le poids de la rédemption. De la résurrection on
soulignait l’importance apologétique. Elle est la preuve de la foi,
de cette foi par laquelle l’homme est justifié. On relevait aussi sa
valeur d’exemplarité: ressuscité, Jésus est l’image de l’homme jus-
tifié grâce au sang de la croix. C’est dans ces deux sens qu’on
interprétait la parole: “Il fut ressuscité pour notre justification”
(Rm 4, 25). […] Vers la fin du temps de séminaire (1937), la certi-
tude s’est imposée à moi, que la résurrection de Jésus fait partie,
avec la mort, du mystère de la rédemption. […] Rapidement et
d’elle-même, la cathédrale s’est reconstruite à mes yeux dans son
harmonieuse beauté7.
Dans le livre pris ici en considération, c’est un peu la maquet-
te de cette “cathédrale reconstruite” qu’il nous présente, mais
désormais non pas comme une œuvre projetée, mais comme une
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l’homme avec Dieu et son impact sur la morale chrétienne selon F.-X.
Durrwell, dans StMor 35(1997), 233-246.
5Six à ma connaissance (italienne, espagnole, portugaise, anglaise,
allemande, japonaise). - Pour plus de détails sur la vie et la bibliographie du
P. Durrwell, voir le susbtantiel In Memoriam de J. MIMEAULT, dans StMor
43(2005), 371-376.
6Il existe ailleurs un récit plus détaillé de cette expérience. Voir: M.
BENZERATH, A. SCHMID, J. GUILLET (éd.), La Pâque du Christ mystère du salut
(LD., 112), Paris, Cerf, 1982, 10s.
7O.c., 8-9.
œuvre terminée. Dans les pages qui suivent, je voudrais d’abord
en décrire les structures essentielles (1) et fixer ensuite le regard
sur quelques joyaux qui en rehaussent la beauté (2).
1. Les structures essentielles
Dans le premier chapitre de son ouvrage intitulé “la fin où
tout commence”, Durrwell trace les grandes lignes de son projet
en y plaçant en tête la résurrection dernière étape de la vie ter-
restre de Jésus, mais aussi événement vers lequel s’oriente
l’ensemble de sa vie et où tout commence pour lui et pour
l’Église qui naît en lui et se déploie à partir de lui. Il en est éga-
lement ainsi pour l’émergence dans l’être du cosmos.
En Jésus qui, en sa chair crucifiée, est re-vivifié ou engen-
dré par l’Amour du Père commence et finit la voie théologique
de type personnaliste qui n’a rien de commun avec la “pensée
de type juridique” récemment encore dominante dans la
réflexion théologique. Le Christ pascal est en personne le salut
et c’est par la communion à sa personne que l’on peut avoir
accès au Père.
Cette affirmation faite, Durrwell s’applique à en expliciter le
contenu. Les quatre chapitres qui suivent (2 à 5) s’occupent de
la christologie. Dans le premier (23-38), il étudie du point de
vue de la résurrection les titres christologiques fonctionnels
d’abord (Messie et Seigneur) et d’identité ou de relation ensuite
(Fils). À propos de ce titre, il constate l’existence d’un devenir
en une identité de toujours. Ce devenir dû à une “action ressus-
citante” se définit comme “engendrement” du Père. C’est par cet
“engendrement” que “Jésus devient pleinement ce qu’il était dès
son origine: le Fils né de Dieu dans l’Esprit Saint” (31). De ce
point de vue, l’on comprend que les deux premiers titres chris-
tologique soient fondés sur le titre filial. Encore un point
important avant de terminer ce chapitre: l’œuvre du Père se
produit dans l’Esprit comme c’est dans l’Esprit que Jésus s’offre
au Père. L’auteur fixe son attention sur le premier membre de
l’affirmation pour la développer ensuite (39-60) du point de vue
de l’histoire.
Durrwell énonce sa thèse dès les premières lignes du nou-
veau chapitre: “Jésus est le Fils depuis son origine; mais son
engendrement par le Père s’est déployé à travers la vie et le
EN PARCOURANT LE DERNIER OUVRAGE DU R.P. FRANÇOIS-XAVIER DURRWELL 215
consentement filial de Jésus pour atteindre tous ses effets dans
la mort et la résurrection” (39). La thèse doit être bien compri-
se. La démonstration qui suit est sans équivoque. Après avoir
affirmé l’existence en Jésus d’une conscience filiale dans laquel-
le se trouve incluse la conscience messianique, il attribue à
Jésus une croissance dans la communion avec le Père tout
comme une croissance dans la connaissance de sa mission et
des moyens pour l’accomplir. Il y a aussi croissance dans la
liberté liée à l’Amour dans lequel Jésus est engendré par le Père
comme aussi croissance dans la prière faite en Esprit par
laquelle il consentait au Père. “En priant, Jésus devenait le Fils
qu’il était” (p. 48), résume notre auteur qui arrive par ce biais à
parler de la mort de Jésus comme d’un “mystère filial”.
Que s’est-il passé en cette mort? Comme les autres acteurs
de la passion, le Père livre son Fils, mais il “le livre autrement”.
“Eux, pour tuer, le rejeter hors d’Israël et de l’histoire. Lui, pour
l’engendrer et le placer au coeur de tout” (50). De là, l’auteur
peut dire que la “raison première” du fameux “il faut” biblique
n’est pas le péché à expier, mais “Jésus, en son être filial où
s’accomplit la mission du salut” (51). Pour être le lieu d’une
“naissance glorieuse”, Jésus devait mourir à sa “condition servi-
le”, laisser se creuser en lui “un espace illimité pour accueillir la
plénitude de la divinité” et enfin “faire en lui le plein de la mul-
titude des hommes” (51). Voilà en quoi consiste le drame de sa
passion par opposition à l’expérience de l’abandon du Père dû à
sa solidarité avec le péché du monde. Si bien que l’auteur peut
écrire: “Le dépouillement du Fils - la kénose dont parle Ph 2,6 -
jusque dans la mort est l’effet extrême de l’engendrement du
Fils dans le monde”, ce qui fait que “la mort constitue avec la
résurrection un unique mystère qui ne passera jamais” (53).
Un aspect à retenir en cette permanence ou en cette éterni-
sation de la mort liée à la résurrection est le rôle joué par
l’Esprit. L’auteur le définit ainsi en ne manquant pas de relever,
un peu plus loin dans le texte, la consistance trinitaire du mys-
tère pascal. “Dans l’Esprit, le Père engendre; dans l’Esprit, le
Fils se laisse engendrer. De même que dans le mystère intime de
Dieu, l’Esprit est une personne dans deux autres et les fond
dans l’unité, de même il fait de la mort et de la résurrection un
unique mystère” (56).
Et nous voici arrivés au cœur de la christologie de l’auteur.
Il ouvre ce chapitre en faisant émerger les différences existant
216 RÉAL TREMBLAY
entre la théologie dite de “type juridique” et celle qualifiée de
“personnaliste”. Il reprend les grands traits de cette dernière
dans les pages qui suivent. Le premier de ceux-là est que la
rédemption se réalise dans la personne même de Jésus vivant
en sa relation avec Dieu plutôt que, comme le veut la théorie
juridique, dans “un acte posé jadis par lui”, avec la conséquence
que l’accès au salut se produit “dans la communion à la person-
ne du Christ” plutôt que dans “l’“application des mérites” à ceux
qui s’en réclament par la foi” (62).
Cette affirmation implique que Jésus ait réalisé en sa per-
sonne le salut du monde en se faisant “solidaire des hommes
pécheurs” et non du péché (74). Qu’est-ce à dire? Jésus est soli-
daire de l’humanité pécheresse “non pas en raison du péché,
mais par sa filiation divine, par l’acte paternel qui l’engendre
dans le monde et crée le monde dans le mystère de cet engen-
drement” (76). C’est la raison pour laquelle Durrwell peut dire
qu’il y a au cœur du monde pécheur “le levain de sanctifica-
tion… qui filialise l’humanité pécheresse, l’expiant de ses
péchés” (76).
À remarquer que cette expiation ne passe pas à travers une
mort dramatique où le Fils devrait prononcer son oui filial au
sein de l’expérience des châtiments subis “à la place des
pécheurs”, châtiments conçus comme “rupture avec Dieu”,
“abandon de la part de Dieu”, colère divine inhérente au péché.
Selon notre auteur, une telle perception des choses condition-
nerait la gratuité du pardon de Dieu et soumettrait sa paternité
à “la justice comprise à la manière humaine”. Elle irait aussi à
l’encontre du fait qu’en dépit de la détresse de Jésus en croix, à
comprendre, dans la ligne de la résurrection conçue comme
engendrement, comme une expérience d’“altérité absolue” ana-
logue à celle que vit l’enfant sortant du sein maternel, notre
rédemption s’est accomplie en fin de compte en une prière.
Durrwell termine ces pages en revenant sur la théologie de
“type juridique” et ses dérivés. Il y montre comment sa théolo-
gie de la rédemption la “dépasse” en ses éléments essentiels
comme l’idée qu’elle se fait de la justice divine, l’importance
qu’elle attribue à la rémission des péchés et à la mort du
Christ, l’intérêt pratiquement nul qu’elle porte à l’aspect trini-
taire forcément impliqué dans le mystère de notre rédemption
(87-93).
Dans la théologie de “type juridique”, Jésus avait, par sa
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