IV - L’importance du mot chez Krishnamurti.
Yvon Achard aborde la pensée de Krishnamurti par le biais de son langage. Il nous fait
comprendre l’importance du mot chez Krishnamurti, par lequel l’auditeur peut aborder le
langage universel commun qu’est le silence intérieur.
En effet, pour Krishnamurti, le passage de la vision fragmentaire à la vision totale se
fait par les mots. Les mots possèdent une force individuelle et collective dans laquelle l’esprit
s’enferme empêchant ainsi une véritable relation. Le mot empêche de voir la vie et son
mouvement. « Les mots ont pour but de communiquer, de transmettre quelque chose, mais en
eux-mêmes ils ne sont pas ce qu’il y a de plus important » explique Krishnamurti dans un
discours à Paris en 1961 (12). Et Krishnamurti n’aura de cesse dans son enseignement, de
déconstruire les images-mots dans le but d’en faire comprendre le conditionnement.
L’attention constante aux paroles, aux émotions qu’elles suscitent, aux pensées
qu’elles activent, est la base de cette déconstruction, dans le but de saisir le mot comme si on
l’entendait pour la première fois ; dans le but de montrer l’étendue du silence intérieur d’où il
jaillit. « La plupart d’entre nous, je le crains, demeure au niveau verbal, et, par conséquent, la
communication devient beaucoup plus difficile, parce que ce dont nous voulons parler, se
situe aussi au niveau intellectuel et émotionnel. Nous voulons communiquer d’une façon
globale, compréhensible, et, à cet effet, il nous faut une approche verbale, émotionnelle et
intellectuelle.» (13)
Ce passage est pour Krishnamurti, un changement d’état dans lequel la vie n’est plus
pensée : elle est vécue. Les mots construisent puis conduisent et élargissent la vision du
monde mais ils sont ensuite impuissants. Krishnamurti rétablit à la fois leur utilité et leur
impuissance. La fonction du langage chez Krishnamurti est donc de montrer ce qui n’est pas
et seul le silence peut apporter cette mutation.
Alors faudrait-il inventer des mots nouveaux ? Non, car lorsque le mot disparaît,
l’observateur disparaît et le problème avec. « L’esprit religieux » se trouve là, comme il a
toujours été là. Les mots, chargés de tout le passé, constituent notre carapace, notre psychisme
conditionné. Le dépouillement du langage est le dépouillement de l’homme qui parvient ainsi
au plus profond de lui-même. L’homme ayant subi cette mutation est mort à l’identification, à
l’isolement, à la fragmentation. Mort à lui-même, il naît au monde.
V – La logique du langage chez Wittgenstein.
Wittgenstein semble fixer les limites du langage à partir du postulat empiriste et
positiviste suivant : « Une proposition n’a de sens que lorsqu’elle se rapporte à un fait
d’ordre physique. » (14) Pour lui, il ne s’agit plus de délimiter le domaine du vrai mais du
sensé, les limites à l’intérieur desquelles le langage a un sens. : « Ce livre tracera donc une
frontière à l’acte de penser, - ou plutôt, non pas à l’acte de penser, mais à l’expression des
pensées : car pour tracer une frontière à l’acte de penser, nous devrions pouvoir penser les
deux côtés de cette frontière (nous devrions donc pouvoir penser ce qui ne peut se penser). La
frontière ne pourra donc être tracée que dans la langue, et ce qui est au-delà de cette
frontière sera simplement dépourvu de sens ». (15)
Pour Pierre Hadot, l’idée fondamentale du livre est celle de « forme logique » : nous
nous représentons la réalité par une image et il faut que cette image soit de même structure
que son modèle. La pensée doit donc avoir la même structure que la réalité qu’elle représente.
Cette identité de structure est la forme logique.
Une forme logique correspond à un fait possible. Un fait n’est possible que s’il a la
forme d’un fait réel et pour les logiciens, il n’y a de faits réels vérifiables que des faits d’ordre
physique.