LES ENJEUX DE L’EVOLUTION DES COMPORTEMENTS
DE REPONSE AU RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Rapport rédigé par des étudiants de l’École Nationale d’Administration (ENA)
française, pour le numéro 75 de la revue Liaison Énergie-Francophonie (2007)
www.iepf.org/ressources/lef.php
Mme Sophie COSTEDOAT, Mme Anne-Marie LE GUERN, M. Laurent GRAU, M. Hervé
HULIN, M. Jean-Michel KEHR (France), Mlle Daranee NUAMNA (Thaïlande) et M.
Erwan LECOEUR
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A - Les enjeux et les contraintes
1 – La perception des enjeux
La brutalité des changements de conditions de la vie humaine à l’horizon d’une cinquantaine ou
d’une centaine d’années aura d’abord des conséquences sur les ressources alimentaires ainsi que
sur la mortalité et la morbidité d’une part importante de la population.
Les effets les plus désastreux seront souvent transmis par l’eau. Les inondations seront suivies
d’une réduction importante des approvisionnements en eau, qui touchera à terme un sixième de la
population. En outre, le déclin des récoltes, aura des conséquences directes sur la capacité de
survie, en particulier des populations africaines. Le nombre de décès liés à la chaleur va
augmenter, ainsi que les maladies vectorielles (paludisme, dengue,…).
Par ailleurs, ces changements auront de graves conséquences sur l’organisation des populations.
Elle provoquera des migrations des habitants des régions côtières subissant des inondations (au
Bangladesh, aux Pays-Bas,…). Elle entraînera immanquablement, en conséquence, des difficultés
de survie de grandes franges de la population humaine, des tensions et des conflits, en particulier
dans des régions du monde tributaires de l’eau.
Comme l’indique le rapport Stern, « les pays et les populations les plus pauvres seront les
premiers et les plus durement touchés ». Du fait d’une part de leur situation géographique, elles
subiront les plus grandes variabilités de climat, d’autre part de leur dépendance à l’agriculture,
elles auront plus de difficultés alimentaires, et enfin de leur moindre développement, leur
adaptation aux conséquences du changement climatique sera beaucoup plus difficile.
Les enjeux climatiques sont désormais établis et sont incontestables. Pour autant, la perception
que nous en avons est encore partielle et somme toute subjective.
2. La perception actuelle : les messages perçus
Les citoyens et consommateurs sont sollicités par des messages de toutes natures qui façonnent
nos représentations du monde. S’agissant du changement climatique, quels messages recevons
nous ? Quelles sollicitations nous sont adressées ? Qui s’adresse à nous ?
Les principales sollicitations viennent des médias, des politiques, des entreprises (via aussi la
publicité) et de l’enseignement scolaire.
9 Les messages des médias
En premier lieu, nous recevons le message des médias. Comme leur nom l’indique, les médias
relaient les messages des émetteurs (politiques, entreprises, …) placés en amont ; le message
des médias (surtout les médias visuels) fonctionne essentiellement sur le mode de l’analogie (une
voiture brûlée en banlieue ressemble à une voiture brûlée à Gaza). Les médias ont une influence
sur nos représentations, par les choix qu’ils font de relayer telle ou telle information.
Quels sont les messages des médias sur les questions de changement climatique ? Le souci des
médias est d’exposer de manière résumée les constats sur les effets du réchauffement climatique,
ce dont ils s’acquittent correctement. En cela, ils participent à la fois à la prise de conscience
minimale du phénomène par l’opinion publique, et à la création d’une vague ambiance
d’inquiétude pour l’avenir. Leur parole se limite à l’exposé des symptômes et des dégradations
subies.
En revanche, les médias n’ont pas pour objectif de faire comprendre les enjeux des conférences
internationales. En résumé, si les engagements de Kyoto ne sont opposables qu’aux Etats ou aux
grandes entreprises, pourquoi y associer les téléspectateurs ? En outre, les enjeux internationaux
sont complexes et s’exercent dans une logique de négociation qu’il est difficile de restituer
simplement. A fortiori, les médias ne rendent pas compte des enjeux des modifications de mode
de croissance et de développement économique que le changement climatique va induire, ou des
enjeux d’une évolution du comportement individuel.
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9 Le politique
C’est à l’occasion de la récente campagne présidentielle française que la question a été abordée
avec le plus d’impact, lorsque Nicolas Hulot a proposé la mise en place d’un pacte écologique. Il
est regrettable que ce pacte ne comporte pas d’engagement concernant la modification des
comportements individuels. Toutefois, La décision du nouveau président Nicolas Sarkozy de créer
un ministère d’Etat de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, confié à une
personnalité politique importante, devrait satisfaire les engagements du « pacte écologique ». Il
crée un espoir de voir les questions de changement climatique sérieusement prises en compte par
le gouvernement. Notons que parmi les missions confiées au ministère dans les décrets
d’attribution, figure la politique d’association des citoyens aux choix environnementaux et la
contribution à l’éducation, la formation, l’information en matière d’environnement.
A ce stade, le débat se déplace, il ne s’agit plus de discuter des causes et des preuves, mais cette
fois-ci des réponses à apporter.
Au niveau de l’Union européenne, qui tient une place essentielle en matière de conduite de la
politique de l’environnement, on peut noter une idée, émise par le député Daniel Cohn-Bendit,
consistant à créer un pacte européen de stabilité climatique sur le modèle du pacte de stabilité
économique. Si les Etats s’engageaient à respecter un tel pacte écologique avec la même vigueur
qu’ils mettent à respecter le pacte économique, l’opinion publique devrait se sentir largement
impliquée dans cette politique écologique.
9 L’entreprise
Les entreprises ont des positions différenciées, allant du discrédit de l’information sur le
changement climatique à l’adhésion. Certains groupes pétroliers font partie du premier groupe.
Exxon-Mobil par exemple, a « dépensé au moins 19 millions de dollars depuis 1997 pour financer
un réseau de dizaines d’officines d’études et de recherche afin d’introduire le doute dans les
médias et le public aux Etats-Unis sur les changements climatiques et le rôle des émissions de
gaz à effet de serre » (Le Monde, 15 février 2007, page 33). Depuis 2006, Exxon-Mobil ne
contesterait plus la réalité du réchauffement climatique et son origine humaine, mais considèrerait
que les responsables en sont non pas les compagnies pétrolières, mais les consommateurs et les
gouvernements. Il n’est pas inintéressant de noter que cette prise de position du premier groupe
pétrolier mondial renvoie directement à la question du comportement individuel.
De l’autre côté du spectre, des entreprises comme Shell (compagnie pétrolière) ou Lafarge
(ciments) se sont volontairement engagées, depuis plusieurs années, à respecter les objectifs de
Kyoto, espérant notamment en retirer une image favorable chez les consommateurs. Les
entreprises automobiles dépensent une large part de leurs efforts de recherche pour réduire leurs
émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, les entreprises diffusent de plus en plus des publicités, en particulier télévisuelles, dans
lesquelles est mis en avant la préoccupation du développement durable. Il existe donc une réelle
préoccupation des entreprises d’afficher, au-delà de toute anticipation économique sur les
technologies « propres », l’image d’un comportement écologiquement responsable vis-à-vis du
consommateur.
9 L’éducation
Autre domaine dans lequel sont diffusés des messages : l’enseignement. L’Education Nationale
française a mis en place une instruction du 8 juillet 2004, qui renouvelle la dimension pédagogique
de l’éducation sur l’environnement en l’intégrant dans une perspective de développement durable.
Tous les élèves sont visés, dès le plus jeune âge, « pour leur permettre d’acquérir des
connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de
manière responsable ». L’effet de cet enseignement sur les élèves, en particulier ceux du primaire,
prompts à intégrer les normes, est spectaculaire dans les cercles familiaux : les enfants informent
souvent leurs parents sur les sujets d’environnement, et interviennent dans les foyers pour
développer des comportements éco-responsables. Du point de vue philosophique, leur
intervention sur ces sujets est particulièrement légitime, s’agissant des générations qui vivront les
effets du changement climatique.
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En somme, le citoyen / consommateur français, européen, est largement informé des
conséquences du changement climatique. On peut dire qu’il baigne dans un « bruit » permanent
sur ces sujets, parce qu’ils sont abordés dans tous les médias (par exemple, à la télévision, lors du
journal télévisé, de la publicité, d’émissions thématiques), dans la sphère publique (dans
l’enseignement, dans les services publics, qui reproduisent aussi ces messages) et dans la sphère
du travail (en particulier dans les grandes entreprises ou les services publics – voir la circulaire sur
l’achat des véhicules ministériels).
Toutefois, les avis discordants émis ou les sollicitations publicitaires à la demande contradictoire
neutralisent pour partie ces efforts. En outre, pour mobiliser les esprits et modifier les
comportements en profondeur, une prise de parole de nature philosophique plus directe à la
personne, qui n’existe pas aujourd’hui, serait nécessaire.
2 - Le changement de comportement est rendu difficile par les contraintes et induit
la remise en cause de certains paradigmes
1 - Les contraintes
La problématique, telle qu'elle est perçue, semble exiger une reprogrammation rapide des
modèles d’organisation politique et économique existants. Or, deux contraintes décisives se font
jour.
9 Un temps de réaction à présent limité
Ce changement de cours doit intervenir très vite alors qu’il n'y a pas de modèles déjà préconçus
vers lequel s'orienter. On connaît le système auquel renoncer, mais on ignore celui qui est à bâtir.
La question ne réside pas tant autour du principe de ce changement, qui est globalement acquis,
mais autour de sa dimension : changer de modèle de vie collective, mais jusqu'où ?
On dispose de temps pour corriger la trajectoire engagée, alors que chaque comportement de la
vie quotidienne ajoute à la dimension irréversible du problème. Il en résulte une pesante
impression de finitude et de compte à rebours. S'il est incontestable que les problèmes sont à
présent assez bien formulés (y compris d'un point de vue médiatique), les solutions commencent
tout juste à être conceptualisées pour faciliter la décision politique. Les deux dernières années ont
été marquées par une progression considérable de l'assimilation des problématiques climatiques
dans le discours politique, accélérée en France par la campagne présidentielle. Or, il ne faut pas
négliger le fait que les expertises en cours (GIEC) continuent d'évoluer, tant sur les causes que sur
l'impact du réchauffement. C'est ainsi que les objectifs de Kyoto, si difficilement tenus, s’avèrent
largement insuffisants.
9 La nécessité d’agir sur un plan mondial en tenant compte de cultures et de
stades de développement différents
Ce changement ne peut qu'être partagé et collectif. Les efforts engagés par un individu peuvent
être annihilés à l'autre bout de la planète (ou tout simplement sur le palier en face) par un autre qui
reste rétif à la démarche. En fait, il s'agit de s'approprier d'abord une démarche de restriction
(consommer moins, compter et dénombrer les unités d'énergie, surveiller ses achats et leur impact
écologique) sans que soient perceptibles à court terme les gains envisageables. On entre dans un
mode de vie où tout se décompte et plus rien n'est « gratuit ». Le seul but palpable de cette ré-
évolution, c'est de conserver une planète viable à moyen terme (c’est-à-dire à l'échelle d'une
génération): ce n'est pas enthousiasmant comme projet de vie collective. Que faut-il donc
construire d'autre en parallèle de ces restrictions pour donner du sel et du sens à cette
reprogrammation hâtive de nos civilisations?
o A titre d’exemple, livrons quelques réflexions sur l’effet des traditions et cultures
thaïlandaises, inadaptées au changement requis.
Le poids des traditions y est déterminant :
- la population pense que le réchauffement climatique ne concerne pas la Thaïlande parce
qu’on a appris à l’école que son pays était fertile et avait beaucoup de ressources naturelles et
qu’il n’était pas frappé par des catastrophes naturelles. Par conséquent, on ne pense à aucun
risque qui peut être causé par l’abus de la nature ;
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- les fermiers en province brûlent les mauvaises herbes poussées dans leurs terrains sans
savoir que cela peut endommager l’environnement. Ces traditions et cultures sont difficiles à
changer.
L’ignorance est également le produit d’un relatif égoïsme :
- les habitants savent que le problème de changement climatique existe mais ils l’ignorent. Ils
ne s’y intéressent que quand les médias en parlent ;
- la population sait que la climatisation consomme beaucoup d’énergie et n’est pas bonne
pour l’environnement, presque tous les immeubles et maisons à Bangkok et dans les grandes
villes sont équipés de climatisation ;
- malgré l’existence des transports en commun, la plupart des habitants de la capitale
préfèrent se déplacer en voiture. Il y a toujours des embouteillages à Bangkok et dans certaines
grandes villes. On souhaite parfois se déplacer en ville en vélo au lieu de prendre sa voiture mais
c’est dangereux parce que, pour l’instant, il n’y a ni la voie pour les cyclistes, ni l’endroit où on peut
garer son vélo sans se le faire voler. Les conditions ne sont donc pas réunies pour systématiser
l’usage du vélo.
2. Les éléments qui vont nécessairement être remis en cause
9 La nécessaire modération du désir inavoué de combustion
W.G. Sebald dans « De la destruction comme élément de l’histoire naturelle », rappelle que
l’homme adore la combustion depuis le commencement du monde : faire du feu, mettre le feu,
utiliser le feu, activités particulièrement mises en œuvre et en valeur depuis l’ère de la combustion
fossile, de la vapeur, du piston, de la sidérurgie lourde et du carburateur. L’ère industrielle
constitue ainsi un achèvement exceptionnel puisqu’elle déploie une activité de transformation
lourde de l’acier pour produire des véhicules et particulièrement des automobiles, elles-mêmes
unités de combustion. Le feu carbonise également des villes et suscite la fascination des
hommes : incendie criminel de Rome, accidentel de Londres (1666), de Chicago (Great Chicago
Fire, 1871)… Sans oublier que le feu et la combustion sont également l’achèvement idéal du
conflit et de la guerre : il suffit de songer aux bombes au phosphore déversées sur l’Allemagne et
provoquant des tempêtes de feu (Feuersturm), au napalm sur le Vietnam. Enfin, le tableau ne
serait pas complet sans faire référence aux rites funéraires.
En résumé, le feu et sa symbolique purificatrice caractérisent la psyché humaine. On notera que la
fascination de la combustion ne prend pas les mêmes formes dans toutes les cultures. On
constate ainsi que les sociétés dont la construction historique est intimement liée à l’émergence de
la société industrielle sont plutôt portées sur l’association « combustion-puissance » (Etats-Unis,
Union Soviétique, etc.) et la séquestration du CO2 pour maintenir les caractéristiques de cette
association. D’autres, plus portées sur leur association avec la nature, et ce en dépit d’un
développement industriel incontestable, misent sur la biomasse et le biogaz et une association
« décomposition-contrôle », théoriquement neutre en CO2.
Ces phénomènes ne sont pas secondaires alors qu’il faudra surmonter les fortes résistances qui
apparaîtront face à toute tentative de remise en cause des modèles inconscients qui associent un
mode de croissance et de vie avec un mode et une mise en scène de consommation de l’énergie.
9 Le mythe du progrès illimité se heurte aux ressources limitées d’un monde fini
Depuis le protocole de Kyoto (1997) et surtout depuis les manifestations incontestables du
réchauffement, la perception de la menace est devenue vive et exige désormais une remise en
cause de nos façons de vivre. Or, nous ne sommes pas habitués à des débats sur notre mode de
vie, et peu enclins à en inventer brutalement d'autres alors que celui que nous avons construit était
censé être durablement viable, et un modèle jugé exemplaire il y a deux décennies seulement.
De façon générale, cette problématique repositionne avec une radicalité sans précédent les
relations de l'homme avec la nature. En effet, depuis l'humanisme, l'homme conçoit sa relation
avec cette dernière comme inégalitaire et à son avantage. S’il a vocation à l’exalter, il se pense en
droit de l'utiliser à bon escient selon les exigences du progrès (scientifique, technique et industriel).
Dans une société industrielle, le progrès est lui-même un moteur à forte intensité thermique dont
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