PLIS DU VERBE
Véronique Bergen
Pour Éléonore,
ENVOL
I.
Tu t’élances sur des routes que l’on n’emprunte qu’à l’envers,
tu es plus que la somme de l’envol et du grand retour, tu es le vol
qui cherche à se voler lui-même, la voltigeuse en quête d’espaces
qui n’existent pas encore, tu kidnappes des pétales d’éternité au
temps qui s’époumone, tu dérobes le hors-saison à l’hiver qui
plastronne, tu soustrais les faux noms, les gestes de granit qui
assassinent l’amour, tu expérimentes le vol à l’envers, presque
“love”, tu déhanches le cercle en direction de ce qui ne se referme,
tu coules à pic dans les fables de l’anti-vie, tu pétris les mots dans
une pureté vingt-quatre carats, tu fais bégayer la mort en lui
tendant une constellation de miroirs, tu caresses le vent qui n’ose
se poser au sommet des premières vagues, tu repêches les ombres
qui se sont confiées au lit de la rivière, tu multiplies les dieux par
les orgies des étoiles.
*
II.
Avant l’envol, seul le rien se tenait, impubère.
Avant ton kidnapping, je n’étais pas.
La fuite a l’élégance de ce qu’elle emporte en ses bagages.
La vérité qui se profile : la fugueuse se laisse conjuguer par
celle qui l’attend.
*
III.
Placer les vocables à la pointe de l’action prompte
Plonger les galaxies dans tes accélérateurs d’émotions
[2]
Prendre la pose de la proie pour leurrer le trappeur
Planer dans l’immobilité de l’amour
Réinventer les voyelles qui n’ont osé venir à l’être
Spolier la rose de ses épines et bouder ses sulfureux pétales
Mélanger les espaces par le temps qui les nie tous
Sculpter dans ce qui est la beauté de ce qui n’est pas encore
Arracher à l’instant zéro le secret de ce qui le précéda
Reprendre aux hommes ce qui meurt dans leurs yeux étroits…
*
IV.
Tu ne veux que ce qui se tient au bord du grand canyon.
Tu te loves dans la blancheur de la lune qui s’est renversée
comme une barque.
Affranchie de la terre, tu découvres qu’elle réside aussi là où
elle n’est pas.
Les cailloux dansent-ils mieux que la main qui les lance ?
La musique du maintenant languit-elle après celle des
commencements ?
Seul celui qui hésite au seuil de l’être et du non-être est victime
d’un rapt.
Mise aux arrêts, tu t’emportes encore dans les libertés orangées
du lointain qui s’approche.
*
V.
Tu n’intimes à la vitesse de la lumière de ralentir sa course.
Tu laisses le visible se séparer de ce qui n’atteint l’œil.
Tu ne divises l’espace de l’amour par ce qui s’y soustrait.
Tu auscultes le vol du passé sur les terres du présent multiplié
par lui-même. *
[3]
LA PETITE PELOTE DE LAINE DE L’ENFANCE
Pour Isabelle L.,
I.
On a beau se faufiler dans les lettres des prénoms, jamais la
petite pelote de laine de l’enfance ne retourne dans les plis de
l’avant.
Dans le fondu-enchaîné d’un soleil blanc et d’un soleil noir, je
m’enivre de Camille, de ses danses par-delà le temps, des nuages
pâles qui l’assiègent.
Je lui fais l’amour whisky noir, tourbillons d’échos glabres, à
côté des frontières de l’être.
Je lui fais l’amour pour faire reculer les nuits coupantes et les
jours blafards, pour que reviennent les lunes rouges aux lèvres de
velours.
Je lui fais l’amour à l’endroit où le désert se tait, dans une
prière des sens, à cheval sur ses songes.
Son corps attend la visite des grands fauves.
Au bord de mes lèvres de silence, son jadis dépose un ciel ocre.
*
II.
Crucifixion sur un papillon noir
Crucifixion sur le petit mot que tu prononças entre dentelle et
foudre
Voyage dans les plis du verbe qui se confondent avec ton
visage
Nos âmes se lovent dans l’envers pour chevaucher à l’endroit
La nuit détricote les jours où tu te tenais à côté des
phénomènes. *
[4]
III.
Lorsque le dehors de la vie se pense au centre des choses, tu
tires la poudre au-delà de la limite où le réel s’arrête.
Fiancée aux lignes blanches, tu traverses alors ce qui te sépare
de toi-même.
À côté des racines carrées du non-être, la plénitude des valses
de l’opium.
À côté des hérauts du destin, l’entaille qui soustrait ta vie à
leurs manœuvres fétides.
*
IV.
Entre le je jamais là et le tu toujours à venir,
Entre la marée qui grimpe vers le soleil et le ciel qui descend à
l’intérieur des corps,
Entre la satiété qui grelotte et le manque qui irradie,
Entre la pensée qui s’installe en marge de ses plaines et ton
sourire qui s’étreint dans l’instant plein,
Entre le cocktail de nuit qui te porte et ta beauté qui chemine
en elle-même,
Entre tes éclipses dans l’au-delà de l’être et tes retours dans la
morsure vitale,
Le petit I sur la pointe duquel ton prénom danse.
*
V.
Il est des soirs où le présent se troue de brumes orange, où les
places reviennent en deçà de leur naissance, où les océans se
replient en un poing d’enfant.
La géométrie se désaxe alors en mythes sauvages.
Les noms tendent leur gorge au loup qui les dédaigne.
[5]
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