LA LETTRE DE L’AFMA
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EN 1945-46, l'heure est à la réconciliation nationale. La recons-
truction des institutions républicaines est la priorité. Aussi l'État
fait de Oradour le symbole de la souffrance du pays pendant les
années d'occupation : quelque fut leur choix, collaboration ou
résistance, tous les Français furent en danger pendant la guerre.
L'anéantissement de la communauté villageoise, innocente de
toute activité de résistance, sa rapidité, et l'existence de ruines,
condamnation silencieuse de la barbarie, alimentent la thèse du
massacre « absurde » de victimes honorées comme des « mar-
tyrs », non en raison de leur foi mais en raison de leur apparte-
nance nationale.
Le mythe est né.
Une mémoire équivoque
L'État fait d'Oradour-sur-Glane un haut lieu de la mémoire
nationale pour la Seconde Guerre Mondiale, mais détaché de
son contexte historique. Cependant sont au cœur de la tragédie
la Résistance et la stratégie allemande.
1944 Le monde entre dans sa cinquième année de guerre.
Du côté allemand, le reflux inexorable entamé avec la défaite de
Stalingrad (2 février 1943) se confirme sur le front de l'Est :
perte du Caucase puis de l'Ukraine.
Du côté allié se prépare le débarquement à l'Ouest décidé à la
Conférence de Québec (août 1943).
La Résistance intérieure se renforce : les réfractaires au S.T.O
viennent grossir ses rangs et les formations militaires de ses dif-
férents mouvements se regroupent dans les Forces Françaises de
l'Intérieur, créées par l'ordonnance du Comité Français de
Libération Nationale le 1er février 1944 ; elles sont placées sous
le commandement du Comité d'Action Militaire (COMAC) du
CNR qui leur donne pour mission l'action insurrectionnelle :
Attaquez l'envahisseur où vous le trouvez ! Harcelez ses troupes !
Tendez des embuscades à ses convois ! Faites dérailler ses
trains ! Faites couler ses péniches ! Coupez ses lignes de com-
munication ! Armez-vous à ses dépens ! Exterminez les traîtres,
agents de la Gestapo, miliciens assassins (…) ! Frappez, frap-
pez, frappez par tous les moyens les bourreaux de notre peuple !
(ordre du jour du COMAC-22 mai 1944 cité dans Le Patriote
Résistant – n°881 déc.2013 –).
Radicalisation de la répression
Face à la montée en puissance des maquis et dans la perspective
de plus en plus probable d'un débarquement en France, toutes
les unités de la Wehrmacht et de la Waffen-SS sont mobilisées
pour la surveillance des populations et le contrôle du territoire
avec la collaboration active des équipes de la Sipo-SD (police de
sécurité) et des forces armées du gouvernement de Vichy :
Groupes mobiles de réserves (GMR) et Francs-gardes de la
Milice.
Conscient que les maquis ne survivraient pas sans la complicité
des populations locales qui leur fournissent ravitaillement et
silence protecteur, le Commandant en chef des forces à l'Ouest
donne l'ordre aux commandants d'unités de riposter à toute atta-
que de leur propre initiative et par tous les moyens : prises d'ota-
ges, exécutions, destructions des habitations. Cette directive du
3 février 1944, dite « décret Sperrle », légalise la violence des
représailles à l'encontre des résistants et des civils sans mettre
fin à l'activité des maquis.
Un enjeu majeur, la lutte contre la Résistance.
À partir de mai, les rapports alarmistes envoyés par la Sipo/SD
des régions de Toulouse et de Limoges sur l'activité des maquis
insistent sur la nécessité de reprendre le contrôle de l'espace entre
Dordogne et Alpes ; en effet, dans l'attente d'un débarquement
qui se ferait au Sud ou à l'Ouest, cet espace, traversé par les voies
de communications reliant l'Atlantique à la Méditerranée occupe
une position-clé dans le dispositif militaire tant pour les forces
alliées : isoler une partie des troupes allemandes, que pour les
forces d'occupation : assurer la mobilité de leurs troupes.
6 juin l'incapacité des Allemands à rejeter immédiatement les
Anglo-Américains à la mer bouleverse la donne. L'évolution de
la situation dans le Massif Central inquiète l'état-major de la
Wehrmacht : les premiers soulèvements ont éclaté dans les
régions de Clermont-Ferrand et de Limoges et le risque est
grand de voir s'y créer une enclave communiste étant donné la
puissance des groupes de résistance FTP. De plus, la menace sur
les communications met en danger les troupes allemandes : iso-
lement des unités au Sud, insurrection des villes du Midi qui
pourrait aboutir à leur libération.
Dans ces circonstances, la lutte contre ces groupes de résistance
qualifiés de « terroristes » devient un enjeu majeur ; pour le
maréchal Von Rundstedt, Commandant en chef des forces à
l'Ouest, la seule solution qui s'impose est une opération mili-
taire de grande ampleur.
La 2ème SS-Panzer-Division, patronyme Das Reich, cantonnée
dans la vallée de la Garonne, est incluse dans le dispositif.
Issue de la SS-Verfügungstruppe (troupe SS à disposition SS-
VT) garde prétorienne du régime créée en mars 1933, constituée
en division en 1939 : SS-Verfügungs-Division, puis transformée
en division blindée, elle est avec la division Totenkopf, la plus
ancienne formation de la branche armée SS. Elle est à la pointe
de l'offensive allemande en 1939-1941 ; engagée dans l'invasion
de l'URSS, après une première campagne de 10 mois en direc-
tion de Smolensk et de Moscou, elle est mise en repos en France
(printemps-décembre 1942) où elle participe à l'invasion de la
zone Sud ; de retour sur le front russe en janvier 1943, elle com-
bat en Ukraine et participe à la reprise éphémère de Kharkov
(mars-août) avant d'être refoulée par la contre-attaque russe.
Très éprouvée, elle est transférée en France, dans la région de
Bordeaux, partiellement en février 1944, puis totalement en
avril, pour se reconstituer en hommes et en matériel.
Une formation expérimentée mais éprouvée, qui a l'aura de
la troupe de choc.
Formation ancienne, elle était constituée d'Allemands nationaux
volontaires levés dans les classes d'âge mobilisables suivant les
critères de sélection physiques, raciaux et idéologiques définis
par le Reichsfürher SS Himmler. Elle se renouvelle avec de jeu-
nes recrues de 17-18 ans, pour l'essentiel des volksdeutsche
(« Allemands de race ») enrôlés de force et volontaires issus de
l'Europe occupée et de l'Alsace-Moselle, peu motivés pour se
battre ; ils sont formés au camp de Souges, près de Bordeaux et
incorporés dans les deux régiments de grenadiers Deutschland
et Der Führer.
Leurs officiers, incarnation de l'Ordre noir, orientent l'instruc-
tion à la lumière de leur propre expérience combattante acquise
dans la guerre contre les partisans en Yougoslavie (mars-avril
1941) puis dans la guerre livrée à l'Est, conçue comme une
guerre d'anéantissement : en Pologne, en URSS en 1941 avec le
rattachement de la division à l'Einsatzgruppen B dépendant du
général SS von dem Bach-Zelewski, en 1944 avec la reprise de
Kharkov qui toune au massacre suivi de pendaisons aux
balcons, pillage et destruction des habitations.
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