Le testament en question est celui du Roi Lear,
qui, chez Shakespeare, entreprend de léguer son
royaume à ses trois filles. Il n’a pas réellement
envie d’abandonner le pouvoir, de prendre sa
retraite. Avant tout il veut leur offrir l’occasion
de le remercier, et surtout de dire combien
elles l’aiment. Il veut être aimé, regretté, il veut
à tout prix y croire. Y croire jusqu’à en mourir.
Mais l’a-t-il vraiment mérité, cet amour?
Qu’attend donc un père de ses enfants? Que
peut-il leur offrir? Et comment? Par étapes ou
en une seule fois? Mais d’abord, qu’attendent
les enfants de leur père? Telles sont les ques-
tions posées par les She She Pop, un groupe –
comme son nom ne l’indique pas – allemand,
composé principalement de jeunes actrices
performeuses. Alors, pour traiter clairement de
la situation, chacune met en jeu son propre
père. Un à un ils ar rivent, s’assoient sur des
fauteuils, leurs visages souriants repris en
grand sur écran, tandis que les filles, après les
avoir présentés, dévident leurs rancœurs. Tels
qu’elles les décrivent, nous avons là: un bour-
geois tranquille, un intellectuel hargneux, un
bon vivant. Trois figures courantes de notre
société, de notre temps. Des hommes, des
seniors d’aujourd’hui en pleine forme, qui, pas
plus que Lear, n’ont réellement envie, quoi
qu’il se passe, d’abandonner leur pouvoir, de
prendre leur retraite.
Évidemment, la première chose à laquelle on
pense, c’est: comment ces jeunes filles sont-
elles parvenues à persuader leur père respectif
de se prêter à un jeu pour le moins risqué? Car
bien entendu personne ne se fait de cadeau.
D’autant qu’après avoir calmement écouté, les
pères s’expriment…
Seulement voilà: avant tout, il s’agit de théâtre
et non pas d’un psychodrame chaotique. D’ail-
leurs, pour éviter toute dérive, de soir en soir,
les interprètes des trois filles (deux actrices, un
acteur) changent de personnage, et donc de
père.
Oui, un théâtre d’une énergie joyeusement
féroce, et parfaitement maîtrisé. Et qui rejoint
Shakespeare, dans la mesure où s’élaborent à
partir de la pièce, des situations, des conflits
qui la construisent, la mènent de scène en
scène. Des textes s’affichent sur écran, lus par
le personnage impliqué, qui alors enchaîne sa
propre histoire. Comme encouragé, chacun peut,
sans jamais verser dans le sentimentalisme –
c’est d’autant plus frappant – exposer ses pro-
blèmes, faire exploser sa fureur, sa douleur.
Étranges, bouleversants rappels de ce que le
quotidien le plus banal peut se gaver d’incom-
préhensions mutuelles, de décalages affectifs,
toutes ces petites choses qui parfois font mal,
et quoi qu’il en soit, marquent l’existence.
Sans quitter la réalité de leur présent, avec une
distance non pas d’ironie, mais de tendre
malice, d’humour funèbre, les She She Pop
retrouvent la force de Shakespeare, cette impi-
toyable force de vie qui traverse les siècles. Et
puis, elles ne se contentent pas de suivre
l’exemple, elles poursuivent, elles creusent. Car
après tout, les pères, ils ont eux-mêmes été des
fils. Les filles, elles sont ou seront des mères.
Sans reproche? Comment se situer, avec toutes
ces questions sur ce qu’on a fait, que l’on aurait
dû, mais que l’on n’a pas… Comment se
connaître, avec tous ces problèmes d’héritage,
d’hérédité, de transmission, de malentendus
ou de conflits générationnels…
La morale de l’histoire? D’un côté, on est
content de soi quand on est fier de la façon
dont on s’imagine avoir élevé ses enfants… De
l’autre, on est content de soi quand on s’ima-
gine « s’être fait tout seul ».
Colette Godard
VLAD TROITSKYI // UKRAINE • 9
8• SHE SHE POP // ALLEMAGNE Théâtre de la Ville PARIS
novembre-décembre 2012 novembre-décembre 2012
Testament de She She Pop © DORO TUCH
→THÉÂTRE DES ABBESSES IB
DU 28 NOVEMBRE AU 3 DÉCEMBRE 20 H 30 IDIMANCHE 2 DÉCEMBRE 15 H
EN ALLEMAND SURTITRÉ EN FRANÇAIS
SHE SHE POP & LEURS PÈRES
Testament
D’APRÈS LE ROI LEAR DE WILLIAM SHAKESPEARE
CONCEPT She She Pop & leurs pères ASSISTANT Kaja Jakstat
CRÉÉ & INTERPRÉTÉ PAR Sebastian & Joachim Bark,Fanni &Peter Halmburger, Mieke &Manfred Matzke,
Lisa Lucassen, Ilia &Theo Papatheodorou
PRODUCTION She She Pop. CORÉALISATION Théâtre de la Ville-Paris et Festival d’Automne à Paris.
COPRODUCTION Hebbel am Ufer Berlin – Kampnagel Hambourg et FFT Düsseldorf. Avec le soutien nancier de la ville de Berlin,
de la ville de Hambourg et les fonds du Darstellende Künste e.V.
Dans le cadre du tandem Paris Berlin organisé à l’occasion des 25 ans d’amitié entre les villes de Paris et de Berlin.
PÈRES
&FILLES
De Berlin à Hambourg, pour la première fois à Paris,
les She She Pop nous regardent, se regardent vivre.
Sans pitié, en tout humour et complicité.
Né en Russie, Vlad Troitskyi grandit en Ukraine. À Kiev, où il suit l’École
polytechnique, tout en fréquentant la scène. Après s’être perfectionné
au GITIS de Moscou, il revient et fonde le Théâtre Dakh. Autrement dit
« le Théâtre sur le toit » puisque c’est à l’air libre sur le toit d’un immeu-
ble de la capitale ukrainienne que tout commence. Puis il s’installe en
périphérie, dans une salle vraiment petite (60 places). En 2004, vient se
joindre le Groupe DakhaBrakha, qui mêle folklore et musiques d’au-
jourd’hui. En 2007 Vlad Troitskyi lance le Festival Gogol, qui chaque
année pendant un mois, entraîne spectateurs et acteurs dans sa fête.
UN GRAND VOYAGE
Gogol, mais aussi Shakespeare, ont inspiré les deux œuvres qu’il nous
présente.
Avec Le Roi Lear - prologue, il s’agit d’un spectacle purement visuel et
musical, autour d’un thème essentiel de la pièce: famille, amour et tra-
hison, avec ses personnages centraux: les trois filles du roi. Ici, un trio
de femmes en robes de mariée, chantant au cœur d’un étrange rituel
païen, patchwork d’influences diverses. Sur fond de musiques non
moins diverses jouées live par « l’ethno-chaos-band », le DakhaBrakha,
on pense aux marionnettes japonaises du Bunraku, manipulées à vue…
Manipulation, mélange qui reflètent la situation aujourd’hui en Ukraine.
C’est encore autour d’une jeune fille que tourne l’histoire de Viï-le roi terre.
Elle est mourante, demande à être veillée par un jeune philosophe élève
d’un séminaire, lequel bientôt se rend compte qu’en fait, elle est la sorcière
qu’il croyait avoir tuée. Et c’est là qu’il rencontre une créature abominable,
venue à la demande de la jeune morte: Viï, le chef des gnomes…
Selon vous, de quoi parle Viï?
VLAD TROITSKYI: Il ne s’agit pas seulement d’un conte d’épouvante, mais
avant tout d’une histoire qui porte à la réflexion, et que depuis long-
temps, je voulais aborder. Cela dit, je ne mets pas en scène le texte littéral
de Gogol, je m’appuie sur le travail du dramaturge Klim, autour de
quelques thèmes.
Tout d’abord: la femme. Qu’est-ce que la femme, principalement en
Ukraine? Et puis je veux insister sur les rapports, les liens entre les
individus d’une même culture ou de cultures différentes, y compris tra-
ditionnelles. Je ne tiens pas à mettre en avant les traditions, je voudrais
dire d’où nous venons, qui nous sommes. Ce n’est pas le folklore qui
m’intéresse, c’est la vie. Dans sa réalité.
Je voudrais montrer une Ukraine inconnue. Une Ukraine différente de
l’image que l’Europe peut s’en faire. Pour moi, ce pays n’est pas compris.
Tout au moins il est mal compris.
À travers cette création, je souhaite éclairer le côté mystique de la culture
ukrainienne, mais pas seulement. C’est-à-dire que je souhaite m’appuyer
sur le conflit entre la tendance européenne – que je perçois comme
raffinée, délicate – et quelque chose d’autre, pas encore entaché par une
« pseudo civilisation ». Une culture proche de la terre.
Vous montez Vïi avec deux comédiens francophones, pourquoi?
V. T.: C’est l’histoire d’un voyage, celui de deux étrangers en Ukraine.
Les deux comédiens francophones incarnent parfaitement ces person-
nages. Pour les préparer, je les ai emmenés dans les Carpates, et je les ai
laissés, seuls, dans des conditions assez sévères. Se trouver là-bas, sans
connaître la langue ni personne, c’est un peu comme se perdre dans la
jungle. À mon avis, pour eux comme pour le spectacle il est essentiel
d’avoir vécu cette expérience, loin de la civilisation, proche de la terre,
du peuple. Proche du rite.
D’après le dossier presse de Vidy-Lausanne
«L’homme-clé du renouveau artistique d’une Ukraine qui peine à se trouver une identité. »
Le Monde, Fabienne Darge mai 2011
→LE MONFORT IA
DU 28 NOVEMBRE AU 7 DÉCEMBRE 20 H 30 I
DIMANCHE 2 DÉCEMBRE 16 H
VLAD TROITSKYI
Le Roi Lear - prologue
LIBREMENT INSPIRÉ DE William Shakespeare
MISE EN SCÈNE Vlad Troitskyi
LUMIÈRES Mariya Volkova
MASQUES Natalia Marinenko
AVEC Natalka Bida,Daria Bondareva,
Dmytro Iaroshenko,Roman Iasynovskyi,
Ruslana Khazipova,Dmytro Kostyumynskyi,
Tetyana Vasylenko,Solomiia Melnyk,
Volodymyr Minenko,Anna Nikityna,
Igor Postolov,Vyshnya,Zo,
Lytvynenko-Iasinovska Viktoriia
MUSICIENS DakhaBrakha
Marko Halanevych,Iryna Kovalenko,
Nina Garenetska,Olena Tsybulska
PRODUCTION Centre of Contemporary Art “DAKH”
PRODUCTION DÉLÉGUÉE Théâtre Vidy-Lausanne
COPRODUCTION Festival Passages – Metz
→THÉÂTRE DE LA VILLE IB
DU 10 AU 14 DÉCEMBRE 20 H 30
SPECTACLE EN UKRAINIEN & EN FRANÇAIS
VLAD TROITSKYI
Viï - le roi terre CRÉATION 2012
DE Klim (INSPIRÉ DE Nicolas Gogol)
CONCEPTION & MISE EN SCÈNE Vlad Troitskyi
TEXTE Klim
TRADUCTION Julia Batinova
AVEC LA COLLABORATION DE René Zahnd
SCÉNOGRAPHIE Dmytro Kostiumynskyi,Vlad Troitskyi
COMPOSITION MUSICALE DakhaBrakha,Roman Iasinovskyi,
Solomiia Melnyk,Vlad Troitskyi
CRÉATION VIDÉO Maksym Poberezhskyi,
Oleksii Tyschenko
CRÉATION LUMIÈRES Zvezdan Miljkovic
CONSTRUCTION DÉCOR Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne
PEINTURE Sibylle Portenier
COSTUMES Kateryna Vyshneva
MASQUES Valentina Voityuk
TRADUCTION & INTERPRÉTATION Maksim Ilyashenko,
Romain Bovy
JEU & MUSIQUE Pierre-Antoine Dubey,Bartek Sozanski,
Anatolii Cherkov, Nina Garenetska,
Marko Halanevych, Nataliia Halanevych,
Tanya Havrylyuk, Dmytro Iaroshenko,
Roman Iasinovskyi, Ruslana Khazipova,
Dmytro Kostiumynskyi, Iryna Kovalenko,
Solomiia Melnyk, Volodymyr Minenko,
Olena Tsybulska, Tetyana Vasylenko,
Kateryna Vyshneva, Nataliia Zozul
PRODUCTION DÉLÉGUÉE Théâtre Vidy-Lausanne
COPRODUCTION Théâtre de la Ville-Paris – Festival Passages, Metz
AVEC LE SOUTIEN DE Ukrainian Art Project, Fondation Landis & Gyr
Création au Théâtre-Vidy Lausanne le 29 mai 2012
REMERCIEMENTS PARTICULIERS À M. Vitalyi Chudnovskyi
Viï – le roi terre est dédié à René Gonzalez.
VLAD TROITSKYI
UN THÉÂTRE DE VIE
Qu’il s’appuie sur Shakespeare ou Gogol, ce metteur en scène qui a fait amboyer
le théâtre ukrainien nous raconte son pays, nous en fait découvrir les complexités
et contradictions.
Le Roi Lear - prologue mise en scène Vlad Troitskyi © THÉÂTRE DAKH