Les films contemplatifs

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L'écran - Le sens des images
Les films contemplatifs
Les chroniques de Raphaël
Publié par: Raphael J
Publié le : 04/04/2013 21:03:11
La contemplation est, nous dit le dictionnaire des Immortels, « l'état de l'esprit qui s'absorbe
dans la saisie d'un objet intelligible. » Pris dans sa conséquence, elle est un repos de l'âme
dans l'objet contemplé, délectable, apaisant et, vraiment, bien plus édifiant qu'un bon joint.
Comme elle est aujourd'hui nécessaire, dans cette agitation ambiante, cette frénésie du
quotidien ! Comme elle est douce quand on s'y glisse avec délice !
« L'état de l'esprit qui s'absorbe dans la saisie d'un objet intelligible... »Hé oui ! La
contemplation est une jouissance intellectuelle qui ne peut se passer de beauté et de vérité.
C'est la perfection qui la réveille et l'exalte, avec ses harmonies, sa lumière, son unité !..Tout
est, finalement question de perception. C'est l'intelligence qui cueille cette délicate fleur
contemplative, c'est elle qui va s'aligner sur l'objet de son amour pour en capter toute la sève !Or
la philosophie réaliste (si vous ignorez ce qu'est la philosophie réaliste, ce qui est largement
autorisé par la loi, n'hésitez à vous rendre ici) distingue ordinairement des degrés d'abstraction
différents, précisément calibrés sur le degré d'intelligibilité des choses.Vous ne savez pas
ce que signifie « intelligibilité » ? Pas de problème ! Je ne vais pas vous laisser dans cet
état là  ! L'intelligibilité d'une chose est sa capacité à être saisie par l'intelligence. On
comprend que toutes les choses ne sont pas aussi aisément « appréhendées » par
l'intelligence. Il est facile de savoir ce que c'est qu'une voiture, mais plus compliqué de savoir ce
qu'est la justice...Ainsi, donc, la philosophie réaliste distingue trois degrés d'abstraction :- le
degré physique (considérant les phénomènes physiques et sensibles par lesquels la
réalité se manifeste à notre intelligence, se rend « intelligible ») ;- le degré
mathématiques (degré plus abstrait que le précédent, qui considère les choses dans leur
quantité et les relations entre les quantités) ;- le degré métaphysique (qui considère les
choses en tant qu'elles sont).Pour en revenir à nos moutons (c'est vrai quoi ! On parle cinéma ou
bien ?) on peut déceler sur la base de cette distinction deux types de films contemplatifs.Ceux-ci,
contrairement à ce qu'on pourrait penser de prime abord, ne sont pas des films dans lesquels
l'intelligence cessent de fonctionner (puisque, nous l'avons dit, la contemplation est une jouissance
d'abord intellectuelle). Ce sont des films dans lesquels le raisonnement cède le pas Ã
l'émerveillement et au repos, des films devant lesquels la brute sort en disant qu'il ne se passe
rien, que c'est ennuyeux, qu'il devrait se faire rembourser sa place. Et, en effet, si le film est mal fait,
ou si notre intelligence ne parvient pas à capter la perfection de l'objet qui lui est proposé, par
disposition naturelle ou par éducation, il devient alors inintéressant.De plus, on peut distinguer
deux types de films contemplatifs selon l'objet de contemplation mis en scène.Le premier est le film
contemplatif physique (vous reconnaissez ? C'est le premier degré d'abstraction !). Celui-ci offre
à notre regard des choses sous leurs apparences corporelles, et devant lesquels on est comme
saisis, fascinés. Ce sont, par exemple, les films sur la nature.Océans, le film documentaire de
Jacques Perrin et Jacques Cluzaud (2009), est en ce sens un film contemplatif, devant lequel petits
et grands s'émerveillent au contact de la beauté. Ainsi en est-il également du magnifique
Pollen, de Louis Schwartzberg (2008), et des autres films documentaires de Disney sur la nature,
comme Félins (Keith Scholey en 2011) ou encore Chimpanzés (Mark Linfield, 2012). Tous ces
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films ont en commun de présenter la nature sous son plus beau jour (faisant pour la circonstance
du cinéma un authentique art esthétique).Chose très intéressante : ces films se doublent
souvent d'un message pédagogique et même rhétorique qui a besoin de la beauté et de cet
état de contemplation pour faire mouche. Un message trop politisé ou idéologisé aurait
tendance à briser le charme. Pour que l'art esthétique (qui a pour objet la beauté) se marie
harmonieusement avec l'art rhétorique (qui cherche à convaincre), il faut une délicatesse tout Ã
l'honneur des réalisateurs. Home, de Yann Arthus-Bertrand en 2009, est si caricatural qu'il peine
terriblement à susciter la contemplation. Faut-il y voir la grosse patte de Luc Besson, grand-prêtre
de la caricature et producteur du film ?Petite précision : contrairement à ce qu'on pourrait
penser, les films contemplatifs physiques ne sont pas forcément dépourvus de scénario, mais il
faut alors encore distinguer. Certains films scénarisés ont pour finalité première la
contemplation, tandis que d'autres font de la contemplation un repos transitoire, qui lie les scènes
ou détend le spectateur quelques instants.Dans la première catégorie, on peut citer par exemple
La clé des champs, de Claude Nuridsany (2010), dans lequel l'embryon d'amourette bucolique
scénarisée entre les deux enfants est assez accessoire : le but est bel et bien de montrer la vie
d'un étang.Dans la deuxième catégorie, on peut citer Le territoire des Loups, de Joe Carnahan
en 2012, ou encore Les chemins de la liberté, de Peter Weir en 2010, dans lesquels les superbes
plans de montagnes, de forêts, de déserts, etc. rappellent la présence d'un infini. Dans ces deux
films d'ailleurs, la contemplation est mise au service du contraste brutal entre la beauté du cadre et
la violence de ce qui s'y déroule.A côté des films de contemplation physique, il existe des films
de contemplation métaphysique. Ceux-ci interpellent directement le spectateur sur l'essentiel et
l'existentiel. En philosophie réaliste, l'essence se définit comme ce que la chose est, tandis que
l'existence, c'est que la chose est.Ne parle-t-on pas, avec un certain cynisme le plus souvent, des
questions existentielles d'un film ? Hé bien ! Assumons ici sans rigoler ce sens
d' « existentiel, » et considérons que par le truchement de la beauté, certains films
suscitent le questionnement métaphysique.Terrence Malik n'est pas un guignol... Après ses
études à Harvard et à Oxford, il a enseigné la philosophie au M.I.T. (Massachusetts Institute of
Technology) avant de traduire Le principe de raison, de Heiddeger. Il se trouve qu'il est également
réalisateur, et que ses films sont le plus souvent incompris.Ce qui caractérise en effet ce
réalisateur, c'est qu'il s'appuie souvent sur la nature pour dépasser ce degré d'abstraction
physique et s'attaquer directement au métaphysique, voire au théologique. C'est par exemple le
cas de The tree of life (2011), dans lequel, entre autres questions, il interroge l'idée de
paternité...Terrence Malik n'est pas le seul à poser ces questions. Dans l'excellent Odyssée de
Pi, de Ang Lee en 2012, la question du sens de la vie est directement posée.Dans ces deux
derniers cas, le réalisateur pose directement la question de Dieu, ce qui explique que ce soit des
films métaphysiquement contemplatifs, mais il faut bien comprendre qu'en fonction du spectateur,
n'importe quel film contemplatif invite à se poser la question d'un sens et d'un pourquoi, et donc,
fréquemment, de Dieu.Ainsi, même si un film physiquement contemplatif n'est pas, par
définition, métaphysique, il n'empêche nullement de se poser des questions métaphysiques.
Les films contemplatifs, pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, sont des films édifiants.
Pas édifiants parce qu'ils cherchent à édifier (pitié !), mais édifiant parce qu'ils posent des
questions dont les réponses sont la clé de la compréhension du monde, et parce que
philosopher, c'est d'abord s'étonner !..
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